Le statut des personnes en situation de déplacement en raison de facteurs environnementaux ne peut être subsumé sous une catégorie stable. Il se heurte à une variété de terminologies et à un consensus difficile à atteindre autour d’une définition commune susceptible de les protéger (Dun & Gemenne, 2008). La présente contribution traite des dynamiques de formulation et de reformulation de ces catégories à la fois descriptives, interprétatives et normatives utilisées pour désigner ces populations. Elle examine également la mobilisation de ces catégories pour rendre le phénomène visible ou, au contraire, l'invisibiliser. L’article se concentre sur les assemblées parlementaires française et belge, considérées comme des lieux heuristiques de formulation des catégories, qui ne sont pas des objets neutres dans la mesure où ces dernières découlent de choix stratégiques qui orientent la catégorisation (Akoka, 2020 ; Barbou des places, 2010). Le choix de la France et de la Belgique repose sur plusieurs facteurs déterminants : d’une part, l’accessibilité des débats parlementaires et des documents préparatoires des séances plénières, ainsi qu'un traitement substantiel de la question des migrants climatiques facilitent la collecte systématique des données nécessaires pour une analyse approfondie. D’autre part, ces deux pays utilisent le français comme langue officielle dans leurs institutions parlementaires. Cette homogénéité linguistique simplifie considérablement le traitement et l’analyse des corpus textuels, permettant ainsi une comparaison directe des discours en évitant les complications liées aux corpus multilingues non parallèles.
Nous nous intéressons à ces productions catégorielles à partir de 2006, ce qui se justifie par la « mise en avant » de la thématique sur la scène internationale depuis 2007 (Vlassopoulou, Mancebo, 2013). Cette évolution est attribuée à la prolifération des catastrophes naturelles majeures qui sont apparues au milieu des années 2000, notamment le séisme et le tsunami survenus dans l’océan Indien en décembre 2004, le tremblement de terre qui a frappé le Cachemire en 2005 et l’ouragan Katrina, qui a ravagé la Louisiane et le Mississippi en août 2005. Cette période a également été marquée par des avancées scientifiques et une multiplication de conférences internationales, ce qui a contribué à une médiatisation accrue de la question des déplacés environnementaux (Baillat, 2010) et à une attention politique et scientifique importante. Plusieurs auteurs ont ainsi démontré l’influence de l’agenda médiatique sur l’agenda parlementaire et le passage d’une « logique politique » vers une « logique médiatique » (Vliegenthart et Walgrave, 2009). Les conséquences humaines, sociales et économiques de ces catastrophes ont contribué à la sensibilisation aux impacts du changement climatique et à l’accroissement de l’intérêt pour les migrations environnementales, interpellant à la fois chercheurs, décideurs, institutions onusiennes et organisations non gouvernementales.
Par ailleurs, cette période coïncide avec un foisonnement d’événements de grande envergure. La Belgique s’apprête à assurer la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne à partir de juillet 2010, pour une durée de six mois. La protection de l’environnement1 et le respect du paquet énergie-climat y ont été érigés en priorité suite à l’échec de la conférence de Copenhague, et en prévision de la conférence sur le changement climatique à Cancún. Parallèlement à ce dessein, la présidence belge poursuit les objectifs de mise en œuvre du programme pluriannuel de Stockholm. Ce dernier vise à consolider la politique européenne en matière de justice et d’affaires intérieures. Ses objectifs incluent la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, la gestion des frontières extérieures, ainsi que la restructuration d'un système d'asile européen unifié. Ce système est axé sur le respect des droits fondamentaux, avec des normes de protection en accord avec, entre autres, la convention de Genève.
En ce qui concerne la France, elle s’apprête à assumer la présidence de la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes découlant de l’initiative Nansen. Elle est, en outre, promue pour accueillir et présider la COP21 et jouer un rôle de premier ordre sur le plan international. Par ailleurs, les territoires français de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy connaissent un épisode cyclonique sans précédent dans la région en 2017, et le Pacte mondial sur les migrations de l’Organisation des Nations unies (ONU) – qui estime que le changement climatique est un facteur de départ forcé des populations – est adopté en décembre 2018 par 152 pays à Marrakech. C’est donc dans un contexte de rationalisation des politiques migratoires et d’asile (Hartmann, 2010) visant à les rendre plus efficaces, cohérentes et systématiques, que ces productions catégorielles sont traitées au sein de ces assemblées. Elle implique l'harmonisation des lois et des réglementations, la standardisation des procédures d'asile et d'immigration, ainsi que la coordination entre les acteurs impliqués dans la gestion des flux migratoires. La montée en puissance des préoccupations climatiques et la médiatisation de la question des migrants climatiques accentuent l’importance des débats. Leur analyse permet d’appréhender les dynamiques autour d’enjeux migratoires en Europe avant, pendant et après la crise de l’accueil de 2015, survenue lors de la période étudiée, et de comprendre le rôle de la catégorisation dans le discours politico-institutionnel.
En adoptant une approche qui combine la linguistique de corpus et l'analyse du discours, nous nous interrogerons sur les mécanismes qui font exister et rendent visibles ou, a contrario, invisibles des entités collectives (Fradin, Quéré & Widmer, 1994). Il s’agit, d’une part, de dégager les grandes tendances et tensions sociopolitiques inhérentes à ces catégorisations, mettant en lumière l'intention de façonner la réalité sociale selon une perspective spécifique. D’autre part, cet article vise à démontrer que ces dénominations sont au centre de luttes définitionnelles entre les acteurs sociaux. Ces derniers tentent de faire pencher la balance en leur faveur ou en faveur de leur agenda à travers des logiques et des opérations de production de la visibilité et de l’invisibilité sociale. Celles-ci sont davantage le résultat d’activités pratiques et contextualisées que d’un savoir scientifique objectif (Lochak, 2008). Plus généralement, cette recherche interroge le déploiement de tensions épistémiques ainsi que la mobilisation d’un répertoire de ressources lexicales et syntaxiques dans les processus de catégorisation des populations migrantes. Alors que ces processus ont été largement explorés ces dernières années dans des corpus médiatiques (Colombo, 2018 ; Fabian, 2023 ; Mistiaen, 2023), il existe peu, voire pas de travaux sur la fabrication des catégories migratoires dans et par le discours politico-institutionnel et sur les catégories de « migrants climatiques » ou « environnementaux ».
Nous commencerons par dresser un état de l’art de la construction de la question des migrants climatiques en tant que problème politique et social (I), avant d’expliciter les modalités de constitution et les enjeux du corpus parlementaire (II). Nous nous focaliserons ensuite sur les enjeux de la nomination des personnes déplacées dans les métadiscours, sur la nature sociale de l'acte de nomination et son impact sur les représentations sociales (III). Le chapitre (IV) aborde les stratégies argumentatives dans les débats parlementaires. Nous examinons comment ces discussions révèlent des tendances et des arguments clés, mettant en lumière les efforts et les mécanismes par lesquels les débats peuvent contribuer à rendre ces populations visibles ou, au contraire, à les maintenir invisibles et retarder les actions nécessaires pour y faire face (V), en prenant soin d’examiner les préoccupations distinctes de chaque contexte national.
La construction de la migration climatique comme un problème politique et social
Dès 1948, William Vogt, écologue américain et membre de l’International Union for the Conservation of Nature (IUCN), évoquait dans son ouvrage Road to Survival (Vogt, 1948) les personnes déplacées en raison d’un environnement dégradé. Malgré l’ancienneté manifeste et la multiplicité des témoignages documentant le phénomène, la relation entre dégradations de l’environnement et flux migratoires ne sera consignée dans la littérature scientifique qu’à partir des années 1970. Les travaux de l’environnementaliste Lester Brown, notamment l’ouvrage World on the Edge: How to Prevent Environmental and Economic Collapse, ont contribué à la diffusion du concept, avant qu’il ne soit consacré en 1985 dans un rapport écrit par Essam El-Hinnawi pour le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). La catégorie de réfugié climatique est formulée de manière extensive et intègre un éventail d'aspects. Elle désigne « ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie, temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie » (El-Hinnawi, 1985 : 4). L’expression est rapidement adoptée par les champs politique, scientifique et médiatique, bien qu'elle demeure dépourvue de toute reconnaissance juridique.
L’Organisation internationale pour les migrations utilise plutôt l’expression de migrants environnementaux, qu’elle définit comme « les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement et qui de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent » (OIM, 2011). Plusieurs objections ont été soulevées à l’encontre de cette appellation, soulignant le décalage entre la liberté dont jouissent les migrants en ce qui concerne la décision dans le départ, la durée et la destination d’un côté, et le caractère forcé des migrations dans le cadre des déplacements environnementaux de l’autre. En effet, « plus la dégradation de l’environnement est marquée, plus la contrainte à la migration est forte, réduisant ainsi le libre arbitre dans le chef du migrant quant aux modalités de sa migration, y compris parfois quant à sa destination » (Gemenne, 2015). Les chercheurs spécialisés en environnement contestent cette expression, estimant qu’elle dissimule, selon eux, la configuration essentiellement politique de ces dynamiques.
Plusieurs recherches mettent en évidence une corrélation entre l’intérêt croissant d’acteurs institutionnels et scientifiques pour le changement climatique et l’augmentation des déplacements en raison de facteurs environnementaux (Gemenne, 2011 ; Ferragina et Quagliarotti ; 2014 ; Bettini, 2014), et ce, avant l’émergence des notions de migrants environnementaux et de réfugiés climatiques. À la suite du premier rapport intergouvernemental de l’ONU sur le changement climatique, les premières contributions scientifiques sur les migrations environnementales, au début des années 1990, adoptent des prévisions alarmistes quant au nombre de personnes susceptibles d’être déplacées (Myers, 1993 ; El Hinnawi, 1985 ; Jacobson, 1988) : l’université des Nations unies (UNU, 2005, 2007) évalue ce nombre à 10 millions, Myers et Kent (1995) ainsi que Christian Aid (2007) à 25 millions, tandis que Myers (2002) le chiffre à 150 millions.
Il en résulte une fragmentation entre chercheurs environnementalistes, défenseurs de la corrélation entre environnement et déplacements de population et enfin spécialistes des migrations, plus sceptiques car mettant en exergue l’influence des facteurs d’ordre économique, social et politique sur les dynamiques migratoires. Ces dissensions ont principalement porté sur les données empiriques relatives à la migration environnementale, sa catégorisation et sa conceptualisation (Gonin et al., 2002). François Gemenne impute cette fragmentation à l’absence de porosité entre politiques environnementales et migratoires, alors que Chloé Vlassopoulo la relie au caractère transsectoriel du champ.
Au niveau européen, le 23 juin 2005, des juristes français spécialistes en droit de l’environnement lancent l’appel de Limoges sur les réfugiés écologiques. Cet appel reprend les pistes élaborées lors d’un colloque organisé à l’université de Limoges. Son but est de sensibiliser les États et le grand public aux conséquences des dégradations environnementales et à leur lien avec la migration. Ils posent les prémices des discussions sur la création d’un statut juridique pour ce qu’ils nomment les réfugiés écologiques. Cette initiative soulève immédiatement la question de la protection des victimes et d’un statut juridique susceptible de les protéger par le biais de la notion de réfugié. Celle-ci impute directement la responsabilité au secteur de l’asile et plus particulièrement au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), chargé de l’application de la Convention de Genève. L’adjectif écologique, utilisé par des ONG environnementales et par des mouvements écologistes, souligne davantage l’insertion dans un écosystème que le terme environnemental. Nous assistons dès lors à une prolifération de rapports d’ONG (The human tide: the real migration crisis publié par The Christian Aid en 2007), d’organisations internationales (Migration and Climate Change publié par l’OIM en 2008) et d’experts qui vont dans le même sillage : nous pouvons évoquer le rapport The Review of Economics on Climate Change, réalisé par une équipe ad hoc de climatologues et d’économistes en octobre 2006, ou encore le rapport du Global Governance Project en novembre 2007.
Parallèlement, plusieurs propositions au sein des assemblées parlementaires européennes ont émergé : en avril 2004, les eurodéputés écologistes Marie-Anne Isler-Béguin et Jean Lambert ont proposé l’adoption d’une « Déclaration sur la reconnaissance d’un statut communautaire des réfugiés écologiques » (qui n’est finalement pas adoptée par le Parlement européen). En 2006, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a présenté une motion pour une recommandation sur les réfugiés de l’environnement. En avril de la même année, le Sénat belge fait une proposition de résolution visant à la reconnaissance dans les conventions internationales du statut de réfugié environnemental. Deux ans plus tard, une proposition de résolution pour la reconnaissance d’un statut spécifique pour les réfugiés climatiques est présentée devant la Chambre des représentants belge.
Ce phénomène a été désigné par pas moins de 14 désignants en l’espace de cinquante ans (Cournil, 2014) dont les expressions déplacés environnementaux (Cournil, 2012 ; Poumo Leumbe, 2015), mouvements de population induits par des facteurs environnementaux ou encore personnes déplacées en raison de facteurs environnementaux (Jäger, 2009). Ces appellations ne sont pas anodines parce qu’elles attribuent des droits, des devoirs mais aussi la responsabilité à des États ou institutions précises. À titre d’exemple, l’utilisation du terme réfugiés assigne la responsabilité au secteur de l’asile, et plus particulièrement au HCR, chargé de l’application de la Convention de Genève. L’étude de la fabrique des catégories s’avère donc particulièrement féconde pour analyser les jeux et conflits de catégorisation qui mettent en scène un certain nombre de thématiques comme la légitimité de la migration, la responsabilité des pays développés, la « double peine » des pays du Sud, mais font aussi l’objet de détournements pour traiter, par exemple, de la dépendance et des inégalités structurelles entre pays du Nord et du Sud (Sherbinin A et al., 2007). De surcroît, les désignations ont un impact sur la quantification des déplacements, car une définition plus large entraînera des estimations plus élevées. À titre illustratif, la Banque mondiale prévoit que 216 millions de personnes pourraient être déplacées à l’intérieur de leur pays d’ici 2050. En comparaison, l’Institut pour l’économie et la paix évalue à 1,2 milliard le nombre de déplacés potentiels pour la même année, tandis que l’organisation Christian Aid chiffre ces déplacements à 300 millions.
La catégorisation, entendue ici au sens de processus de construction sociale et intellectuelle de catégories, n’est pas neutre dans la mesure où elle suppose le choix et l’usage d’un lexème sur lequel s’arc-bouteraient les décideurs, d’une part, et qui serait susceptible d’influer l’action publique et le partage des responsabilités, d’autre part. Ces enjeux ont été abordés dans les travaux de sociologie de l’action publique orientés vers les approches cognitives des politiques publiques, mettant l’accent sur les luttes définitionnelles autour de l’imposition de cadrages spécifiques (Schön et Rein, 1994 ; Contamin, 2010). En outre, les travaux s’inscrivant dans l’interactionnisme symbolique, et notamment les travaux sur la théorie de l’étiquetage ou labeling theory (Becker, 1963 ; Goffman, 1963), ont démontré l’impact de la catégorisation sur l’internalisation des réactions de rejet par les personnes désignées (Scheff, 1966 ; Link, 1987 ; Link, Cullen, Mirotznik, Struening, 1992). Concernant les populations déplacées en raison de facteurs environnementaux, elles voient leur identité définie par la catégorie qui leur a été assignée, l’utilisation d’un terme ayant une incidence sur leur protection et leur valorisation ou, inversement, leur stigmatisation (Wihtol de Wenden, 2010).
Des travaux ont essayé de démontrer l’impact de ces questions sur la capacité d’adaptation de ces populations (Farbotko, 2015). D’autres se sont penchés sur les conditions d’émergence de cette catégorie (Cournil, 2010), les enjeux et les limites de son usage (Cournil, 2010 ; Gemenne et Cavicchioli, 2010 ; de Mesnard, 2019), le rôle du droit dans la mise en place d’un système de protection pour ces populations (Magnigny, 2008 ; Bétaille, 2010). Certains ont présenté un aperçu des voies possibles de protection (Cournil, 2010), de la responsabilité des États et de la communauté internationale pour ce faire (Piguet, Pécoud, de Guchteneire, 2011 ; de Mesnard, 2019) ou ont analysé des usages de ces termes dans le débat public sur internet (Venturini, Gemenne et Severo, 2012). Il ne s’agit pas ici de réfléchir aux facteurs expliquant l’échec de mise à l’agenda du problème, mais plutôt de s’intéresser aux délibérations dont il fait l’objet. Nous proposons, en nous appuyant sur ces travaux, une entrée par les débats parlementaires, à travers une analyse des procédés discursifs participant à la visibilisation du collectif concerné.
Constitution et enjeux du corpus parlementaire
Pour cette étude, nous avons adopté une approche combinée en utilisant à la fois la linguistique de corpus et l’analyse du discours. La première, grâce à son approche quantitative et contextuelle, a permis d’identifier les régularités sous-jacentes du discours à partir d’un large corpus. L’analyse du discours, quant à elle, a permis d’éclairer les modalités d’utilisation des désignations identifiées par la linguistique de corpus pour la construction des arguments, tout en étudiant la structuration des discours et la construction des significations. Ce corpus, couvrant la période de 2006 à 2019, comprend des propositions de résolution, des auditions et échanges avec des experts, des questions écrites et orales, ainsi que des rapports d’information et d’initiative. Le choix de cette période est justifié par l’intensification des discussions dans les arènes internationales et les enceintes parlementaires sur l’impact du changement climatique sur les migrations, par la possibilité de discerner des tendances stables et récurrentes sur une période de treize ans, ainsi que par des contraintes pratiques liées à l’accessibilité et à la complétude des données parlementaires plus récentes.
Les qualités intrinsèques de ces matériaux sont les suivantes : en premier lieu, ils représentent une étape cruciale de la fabrique des catégories. En effet, l’analyse de ces documents en contexte parlementaire permet de démontrer les modalités de sélection, de formulation et de réajustement du travail des énonciateurs politiques ou scientifiques. Ce processus reflète les modalités d’appréhension et de résolution des problèmes sociaux, ainsi que l’encadrement des pratiques sociales par le législateur qui fait émerger des catégories juridiques en devenir et produit, par conséquent, des effets sociaux pratiques et symboliques (Lochak, 2008 : 3 ; de Mesnard, 2019 : 2). En deuxième lieu, les délibérations se déroulant dans les enceintes parlementaires participent à la construction d’une certaine perception des rapports sociaux et contribuent, par conséquent, à influencer les représentations collectives, mais aussi celles des institués, à travers des mécanismes tels que « l’assignation statutaire » (Bourdieu, 1982 : 60). Pour ces raisons, ces délibérations revêtent, à travers les catégorisations éprouvées, un caractère performatif.
Le corpus a été constitué en plusieurs étapes. La première a consisté en une requête lexicale sur les sites des assemblées parlementaires françaises et belges en utilisant les mots « réfugié/migrant/déplacé + environnement/climat ». Les résultats étant larges et mal indexés, le corpus a ensuite été enrichi par l’inclusion de documents cités au sein des matériaux initialement collectés, ainsi que par des travaux pertinents issus de ces assemblées et référencés dans des écrits académiques et journalistiques. Les textes sélectionnés ont été choisis pour leur focalisation directe sur la question des migrants climatiques, que ce soit à travers la création d’un statut juridique, l’inscription de la problématique à l’agenda « Environnement » de la présidence belge de l’Union européenne en 2010 ou encore l’adoption d’initiatives assurant leur prévention et protection. A contrario, nous avons choisi de travailler également sur des textes, bien que minoritaires, ciblant ces populations de façon indirecte, qui les appréhendent à travers le prisme des territoires, d’événements climatiques majeurs, de l’aide au développement, de la francophonie, etc., comme c’est le cas de la résolution française no 126 relative à l’affirmation du rôle déterminant des territoires pour la réussite d’un accord mondial ambitieux sur le climat, ou encore du rapport présenté par la Mission d’information sur la gestion des événements climatiques majeurs dans les zones littorales de l’hexagone et des Outre-mer.
Nous avons observé l’évolution des catégories en suivant le parcours législatif de plusieurs textes dans leur intégralité, des différents travaux produits en amont pour la préparation de la session plénière et qui font intervenir des chercheurs et experts, de l’examen en commission au vote en séance publique. Les fonctionnalités offertes par les plateformes des assemblées ont permis une traçabilité du cheminement législatif de chaque texte, permettant ainsi un suivi minutieux de la chronologie. Concernant l’identification des affiliations politiques des législateurs, le site de l’Assemblée nationale française s’est révélé être une ressource précieuse, offrant la possibilité d’effectuer une recherche par date d’appartenance politique des députés. Cependant, des démarches plus laborieuses ont été nécessaires pour les sénateurs, le site du Sénat français ne fournissant pas une telle fonctionnalité. Des investigations supplémentaires à travers des articles de presse, des archives et des documents sénatoriaux ont donc été entreprises afin de déterminer le groupe parlementaire auquel le député à l’initiative de la proposition de texte était rattaché. Pour ce qui est du Parlement fédéral belge, les affiliations politiques sont généralement mentionnées dans les propositions de résolution.
Le corpus constitué pour cette étude est composé de 456 636 mots, dont 423 096 mots pour le corpus français et 33 540 pour le corpus belge. La différence de taille entre les deux corpus s’explique par la diversité, la fréquence et la quantité des documents disponibles pour la période étudiée. En tout, 43 documents parlementaires ont été examinés : 18 documents issus des assemblées parlementaires belges, dont 10 provenant de l’Assemblée nationale, 6 du Sénat et 2 de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). En ce qui concerne le Parlement français, 25 documents ont été étudiés, dont 14 issus de l’Assemblée nationale et 11 du Sénat. L’analyse a été conduite à l’aide du logiciel de textométrie Hyperbase. Le corpus a été converti en format texte et balisé. Six métadonnées ont été établies, comprenant le pays, l’année, le mois, le jour, l’instance et la forme.
Sur la période sélectionnée, la figure 1 met en évidence que les groupes socialiste, écologiste et républicain, le Parti socialiste ainsi qu’Ecolo-Groen se distinguent comme les groupes les plus proactifs sur la question, avec chacun 15,4 % des initiatives à leur actif2.
En ce qui concerne les commissions, groupes de travail ou ministères interrogés, la figure 2 révèle que les Affaires étrangères occupent la première place avec la prise en charge de 46,2 % des textes, suivies par l’Environnement avec 30,8 %, puis par l’Intérieur (15,4 %) et enfin, les Finances (7,7 %). La prise en charge de la question au niveau de l’assemblée belge semble principalement s’effectuer par le prisme des relations extérieures. Les aspects de politique interne liés à la gestion nationale des migrations climatiques sont également pris en compte, mais dans une moindre mesure, tout comme les impacts environnementaux et les questions de santé publique. En ce qui concerne les deux chambres françaises, les ministères et les commissions semblent adopter une approche plus multidimensionnelle. Ils couvrent un large éventail de responsabilités, en mettant essentiellement l’accent sur les aspects internationaux et de défense, tout en abordant également, de manière accessoire, les dimensions environnementale, financière et de développement.
Figure 1 : Répartition des contributions des groupes politiques à la question des déplacés climatiques dans les assemblées française et belge (2006-2019).
Figure 2 : Répartition des instances impliquées dans la question des déplacés climatiques dans les assemblées française et belge (2006-2019).
L’instabilité sémantique des dénominations de personnes dans les textes et débats parlementaires
Dans les propositions de loi, la dénomination du groupe bénéficiant d’une éventuelle protection est la première stratégie de visibilisation. En effet, si nommer ne crée pas le phénomène, la nomination est un acte social visant la coopération par le langage, avec des conséquences concrètes dans les représentations sociales. Comme le note Détrie, « la nomination est bien un acte de langage, l’acte premier de toute production de sens. Et nommer c’est déjà prédiquer sur ce qui est catégorisé en disant que cela existe et que cela s’appelle ainsi qu’on le nomme » (Détrie et al., 2001 : 207). Dans la perspective d’une sémantique réaliste et anthropologique qui est la nôtre (Siblot, 1997), la nomination est un acte qui vise à cristalliser un phénomène social dans le but de le rendre visible, de dessiner ou redessiner ses contours, de le rattacher à un ou des discours existants. Lorsque Bourdieu parle de l’« acte solennel de catégorisation qui tend à produire ce qu’il désigne » (Bourdieu, 1982 : 60), d’une perspective discursive il serait plus judicieux de dire que la nomination est un acte de langage qui dévoile la volonté des énonciateurs d’attirer l’attention sur quelque chose, plutôt que de « créer » par la simple énonciation un référent social unanimement accepté.
Dans le cas du discours politico-institutionnel, la nomination des personnes cherche à mieux coopérer sur une question, à légiférer, à créer ou à légitimer des politiques publiques, à stabiliser le sens de notions vagues, néologiques ou provenant du vocabulaire courant. Les catégories pour nommer les gens qui se déplacent ne sont pas totalement objectives, et ce pour deux raisons. La première est que ces mots désignent des phénomènes plus que des réalités discrètes, ce que Searle (1998) qualifie de « faits institutionnels » qui sont fort dépendants du langage, contrairement aux faits bruts. Il s’agit à proprement parler de concepts sociopolitiques (Kaufmann, 2006) dont la définition varie en fonction des contextes, des genres mais aussi en diachronie, au fur et à mesure qu’elles se chargent de connotations et d’interdiscours. La deuxième raison (dérivée de la première, à savoir l’instabilité constitutive des référents), est qu’ils font l’objet de débats sociaux permanents qui affaiblissent le sens des concepts (Calabrese & Veniard, 2018). Les catégories de la migration sont particulièrement sensibles à ces débats, car elles sont vues comme portant des enjeux symboliques sur la catégorisation identitaire des citoyens, leurs droits et leurs devoirs. Les nombreux métadiscours autour de ces catégories montrent que celles-ci constituent des espaces de débat où se confrontent différentes manières d’appréhender les phénomènes sociaux ou naturels. Ils constituent ce que Gallie (1955) nomme « essentially contested concepts ». Ainsi, les enjeux de la nomination se comprennent comme visibilisation d’un collectif, dont la réalité reste toujours à prouver. Ceci explique que les textes et débats parlementaires recourent fréquemment à des gloses autonymiques (Authier-Revuz et al.) destinées à établir l’origine et le sens des expressions utilisées. Le corpus analysé dans cet article illustre ces enjeux de la nomination des personnes déplacées, d’autant plus qu’il s’agit de discours parlementaires qui (1) recueillent une diversité de points de vue, (2) ont vocation à prendre des décisions éventuellement sous forme de lois, (3) doivent en conséquence identifier les dénominations les plus neutres (donc non axiologiques et non polémiques) et les définir en fonction d’un état de l’art dont l’expertise se trouve dans le champ scientifique et, enfin, (4) mobiliser la catégorisation pour visibiliser un phénomène social qui fera par la suite l’objet d’une production discursive abondante.
La proposition de résolution du Sénat français visant à la promotion de mesures de prévention et de protection des déplacés environnementaux s’ouvre par un énoncé métadiscursif concernant l’expression réfugiés environnementaux et sur le paradigme désignationnel dans lequel elle s’insère (réfugiés écologiques, réfugiés environnementaux, réfugiés climatiques, éco-réfugiés, climate evacue, migrants de l’environnement)3. Même si le document fait le choix de la dénomination déplacés environnementaux, il subsiste une variation importante tout au long du texte, où l’on parle de déplacés environnementaux internes, réfugiés climatiques et migrations environnementales, dévoilant l’instabilité de ce paradigme. En effet, les désignants formés sur un nom catégorisant les personnes et un adjectif qui restreint son sens forment un long paradigme. Tout d’abord, les noms servant à désigner la mobilité sont nombreux et souvent employés de manière synonymique, même si des nuances sémantiques et génériques (discours juridique, institutionnel, courant) provoquent couramment des débats, comme c’est le cas des mots migrant/réfugié. Le choix entre ces mots réside dans les sèmes qui sont privilégiés par l’énonciateur : si on privilégie le sème « mobilité », les lexèmes fonctionnent comme des synonymes ; si on se focalise sur le statut juridique de la personne ou au contraire on préfère l’ignorer, les lexèmes désignent alors des référents très différents. Les tableaux 1 et 2 (en annexe) présentent une vue d’ensemble du débat métadiscursif, tel qu’il se manifeste à travers la présence de mots métalinguistiques.
Ces énoncés reflètent les débats sur la terminologie, les positionnements des acteurs, la nouveauté des termes. Ils montrent aussi la volonté d’identifier la catégorie la plus apte à donner visibilité au phénomène (non seulement d’une catégorie « nouvelle » mais aussi d’un consensus sur le choix et la définition du terme).
Mais les métadiscours dévoilent aussi une contestation des termes, car ils portent des enjeux argumentatifs, dans le sens où ils renvoient à des arguments en faveur d’une lutte contre les causes de la migration. Certains énonciateurs récusent l’idée d’une catégorie juridique consacrée aux déplacements climatiques, tandis que d’autres remettent en question la pertinence de certaines formulations en particulier :
- Hervé Maurey (UDI-UC) : « J’ajoute que, dans le contexte actuel des tensions causées dans nos sociétés par les questions migratoires – nous devons le reconnaître –, la création d’un statut de réfugié climatique ne viendrait que nourrir encore plus les peurs4 ».
- Cyril Pellevat (Les Républicains) : « Nous avons également des doutes sur le fond, car il nous semble que cette proposition de résolution pose un problème juridique. Premièrement, lorsque l’on travaille sur ce sujet, on constate que la notion de « déplacés environnementaux » fait débat chez les spécialistes et les démographes. De même, il serait inapproprié d’utiliser l’expression « réfugiés climatiques », dépourvue de définition légale et renvoyant au statut de « réfugié politique », clairement établi par la convention de Genève de 1951 et par le protocole de 1967. […] Dès lors, mes chers collègues, pour les législateurs que nous sommes, il serait inapproprié d’adopter une résolution utilisant une notion infondée juridiquement5 ».
- « Établir un tel statut reste cependant une question très compliquée. Le terme de « réfugiés environnementaux » occulte en effet la question des responsabilités économiques et politiques qui seraient à l’origine de ces déplacements6 ».
- « Il paraît évident que la plupart des personnes déplacées pour des raisons écologiques ne sont pas des réfugiés, mais des migrants forcés ou volontaires. Toutefois, les personnes déplacées dans le cadre de migrations d’urgence, ou de migrations avec ou sans possibilité de retour, sont confrontées à une situation similaire à celle des réfugiés, dans la mesure où ils nécessitent une protection immédiate7 ».
Les arguments sont de plusieurs ordres : saturation de problématiques liées à la migration (1), absence de cadre juridique pour les dénominations des déplacés de l’environnement (2), contestation du sens des expressions considérées peu transparentes (3), restriction de la catégorie des réfugiés légitimes par rapport à celle de migrants, plus large (4).
L’emploi simultané de plusieurs termes co-référents dans les discours parlementaires dévoile l’interchangeabilité des référents, déjà constaté dans le discours médiatique (Calabrese & Mistiaen 2018). Il n’est pas rare qu’un député utilise indifféremment plusieurs expressions pour désigner ces populations, comme en témoigne cette question écrite destinée au ministère de l’Intérieur français :
M. Jean-Marie Fiévet alerte M. le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, sur les réfugiés climatiques. La première notion de réfugiés environnementaux est apparue en 1985 […]. La France, pionnière avec la mise en œuvre de l’accord de Paris pour contenir le réchauffement climatique, doit s’interroger sur les migrations climatiques qui en sont une conséquence. Il lui demande donc les dispositions prévues en faveur des déplacés climatiques8.
Figure 3 : Occurrences des expressions destinées à définir les populations en raison de facteurs environnementaux par année dans les deux corpus.
Les tendances observées dans l’utilisation des termes reflètent les dynamiques linguistiques et politiques entourant la relation complexe entre environnement et migration. La figure 3 synthétise les résultats des occurrences observées dans la désignation de ces populations en soulignant qu’au cours de l’année 2008, les expressions réfugiés environnementaux et réfugiés climatiques figuraient parmi les expressions les plus fréquentes. Toutefois, il est notable que l’usage de cette dernière dénomination ait progressivement éclipsé celle de réfugiés environnementaux, ce qui peut s’expliquer par la contestation de ce terme par les chercheurs sceptiques, en raison de sa tendance à dépolitiser les raisons des déplacements. Ces chercheurs argumentent que l’attribution exclusive de la responsabilité du déplacement à des facteurs environnementaux confère aux États une marge de manœuvre pour échapper à leurs obligations en matière d’asile, en invoquant la puissance supposée de la nature.
Si l’expression de réfugiés environnementaux était la plus fréquente, avec 10,63 % d’occurrences en 2006 et 12,77 % en 2008, nous remarquons une nette diminution à partir de 2009, puis une inversion de la courbe au profit de déplacés environnementaux qui se positionne en tête en 2015, avec un total de 6,99 % d’occurrences. Cette appellation s’aligne sur la terminologie de l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques, adopté par 109 États en octobre 2015. Par ailleurs, cette année s’est caractérisée par la médiatisation des débats sur les lexèmes destinés à désigner les populations migrantes (Calabrese & Veniard, 2018), comme en témoigne la réponse du ministre des Affaires étrangères et du Développement international à une question écrite en 2017 :
À l’instar du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et du Haut-Commissariat aux Réfugiés, la France n’est pas favorable à l’utilisation de l’expression « réfugiés climatiques » qui est dépourvue de fondement en droit international et est de nature à créer une ambiguïté juridique potentiellement préjudiciable aux personnes qui fuient les conflits et les persécutions9.
Ces éléments pourraient expliquer la baisse significative de l’utilisation du terme réfugiés, comme le démontre ce graphique :
En effet, la figure 4 met en évidence une augmentation significative des occurrences du terme réfugiés entre 2008 et 2017, suivie d’une forte baisse en 2018, puis d’une légère remontée en 2019. Bien que cette désignation ait été largement utilisée en Belgique, avec une fréquence de 12 en 2006 et de 17,4 en 2008, l’usage dans les débats français est nettement plus limité : en 2010, le terme n’apparaissait qu’à une fréquence de 0,9.
En complément des observations précédentes, cette diminution reflète les initiatives de chercheurs, à leur tête des juristes, pour récuser l’usage de cette terminologie. D’après leur perspective, l’appellation réfugiés appartient au domaine spécifique de l’asile et est formellement définie par les critères rigoureux énoncés dans la Convention de Genève. Ils justifient leur réticence à qualifier ces populations de la sorte en mettant en avant, premièrement, la difficile application de la notion de « persécution » à l’environnement. Deuxièmement, ils estiment que le concept de franchissement de frontières, inhérent à la définition de réfugiés, ne correspond pas à la réalité de la majorité des déplacements qui se font à l’intérieur du pays de ces populations. Enfin, ils soulignent que cette notion présume une migration forcée, et non volontaire, ce qui reviendrait à omettre la réalité multicausale de ces déplacements. Ce terme est, de surcroît, souvent rejeté par les individus ainsi désignés, par les pays chargés de les accueillir et parfois par les pays d’origine, par crainte d’être associés à des États persécutant leurs ressortissants. Un autre facteur expliquant la diminution de l’utilisation du terme de réfugié pourrait être lié aux partis « propriétaires » (Walgrave et De Swert, K., 2007) de cette question, plus enclins à être influencés par l’attention médiatique à la question.
La remise en question du terme réfugiés en 2015 s’est accompagnée d’une augmentation notable de l’utilisation des termes migrants et déplacés. En France, la fréquence d’utilisation du terme réfugiés a chuté de manière significative après 2015, passant de -4,8 à -17,1 entre 2015 et 2018. De même, en Belgique, le terme a vu une diminution de sa fréquence de 3,3 en 2015 à 2,3 en 2018. Cette tendance a entraîné une hausse de l’utilisation du terme déplacés durant cette période, qui, à l’inverse du terme réfugiés, a connu une fluctuation plus modérée, avec des variations moins prononcées au cours de la période étudiée. Cette appellation offre une représentation similaire de la réalité d’une migration forcée, sans être soumise aux mêmes limitations légales imposées par la Convention de Genève de 1951 qui régit le statut de réfugié. Ainsi, en France, la fréquence d’utilisation du terme de déplacés est passée de 5,8 en 2015 à 4,3 en 2017, avant de diminuer à -8,8 en 2018. En Belgique, sa fréquence est passée de 3,3 en 2015 à 2,3 en 2018. Toutefois, si l’utilisation du terme a nettement diminué dans les débats parlementaires belges en 2015, il n’en demeure pas moins que l’on observe une augmentation de sa fréquence entre 2015 et 2018, passant de 2,8 à 4,8.
En ce qui concerne le terme migrant, perçu comme moins connoté et doté d’une apparente neutralité, son absence de valeur juridique couplée à son caractère moins spécifique expliquent la rareté de son usage dans les corpus. En outre, ce terme peut être jugé moins approprié dans le contexte législatif, car souvent associé à une migration économique ou de travail. Il est par ailleurs intéressant de noter que le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières constitue le premier instrument international à traiter explicitement des migrants, sans autre spécification. Cependant, cette tendance à l’usage limité du terme migrants connaît une exception : nous observons ainsi un pic de sa fréquence en 2018 dans les débats belges, atteignant 9,4. Ce phénomène pourrait s’expliquer par une remise en question du terme réfugiés, rendant ainsi l’alternative de la désignation de migrants plus acceptable dans les discussions de cette période.
En somme, l’usage de ces termes peut être influencé par divers facteurs, tels que les événements politiques, les crises humanitaires, les discours politiques dominants et les efforts de chercheurs visant à imposer une terminologie. Le choix des catégories témoigne d’une volonté d’inscrire le phénomène migratoire dans certaines dynamiques, en soulignant l’urgence et le caractère forcé de la migration mais aussi la responsabilité des pays d’accueil. La catégorisation participe ainsi pleinement de la visibilisation ou l’invisibilisation du phénomène ; les discours métalinguistiques et précautions oratoires en sont la preuve.
Logiques et opérations argumentatives de la production de la visibilité
Outre la catégorisation, les débats parlementaires révèlent plusieurs arguments clés qui façonnent la discussion autour du phénomène, où l’on peut déceler des stratégies de visibilisation ou, à l’inverse, d’invisibilisation des migrants climatiques. La première observation est l’oscillation récurrente dans le corpus entre les arguments d’ordre individuel, mettant en avant la protection des personnes vulnérables, et les arguments d’ordre collectif, axés sur la prévention des conflits et de l’instabilité. Ces migrations sont fréquemment décrites comme un « multiplicateur de menaces10 », sources d’instabilité et de conflits11 :
Les phénomènes climatiques et les déplacements de populations qui en découlent ont également des conséquences politiques, provoquant des troubles sociaux ou déstabilisant des régions entières12.
[…] les pays où la lutte quotidienne pour la survie et l’accès aux ressources naturelles peut conduire à la violence généralisée13.
Les arguments d’ordre collectif mettent en avant le risque à venir, potentiellement évitable. Les préoccupations gravitent autour de la capacité des systèmes d’accueil et d’immigration à absorber les déplacements massifs prévus, qui pourraient toucher des centaines de millions de personnes d’ici 2030 ou 2050, selon les prévisions :
La montée du niveau des mers, le phénomène de désertification, les canicules ou les inondations obligeront prochainement des populations entières à quitter leurs lieux de résidence pour aller s’établir dans des régions où le climat est plus accueillant14.
Ce type d’argumentation repose en grande partie sur des projections chiffrées qui visent à justifier des politiques de prévention ou de restriction. Ainsi, la tendance à la dramatisation et l’amplification des événements par la coalition alarmiste se retrouve également dans les interventions des députés de tous bords politiques. Certains intervenants amplifient les projections des migrants climatiques en mettant en évidence le lien entre changement climatique et conflits, afin de mettre en garde contre une potentielle arrivée massive de migrants sur le continent européen. Cette rhétorique, orientée vers une finalité pratique, est souvent utilisée pour justifier un refus d’accorder un statut spécifique à ces migrants. À l’inverse, cette amplification des chiffres est également utilisée pour sensibiliser les autres parlementaires et institutions internationales aux enjeux cruciaux de ces migrations. Cette approche vise à rendre visible le phénomène, à en accélérer la mise à l’agenda.
Le tableau 3 (en annexe) permet d’apprécier la portée statistique des associations entre les pivots et les mots environnants. La première ligne suggère, à travers les cooccurrents de réfugiés climatiques, une perception des migrants comme des individus extérieurs ou étrangers à la société dans laquelle ils cherchent refuge.
En parallèle, les cooccurrents de l’appellation déplacés environnementaux mettent en lumière les défis sociaux et politiques engendrés par ces déplacements. De manière similaire, les cooccurrents de l’expression déplacés climatiques révèlent une préoccupation accrue vis-à-vis des considérations géopolitiques et de sécurité nationale induites par ces migrations. Le choix des termes par les législateurs peut refléter une approche centrée principalement sur la sécurité nationale, au détriment des dimensions humanitaire et environnementale. Cette orientation favorise l’élaboration de politiques restrictives ou des mesures de sécurité renforcées, au détriment des besoins et des droits de ces populations. Toutefois, le tableau 4 (en annexe) met en évidence la différence importante entre les deux corpus nationaux : alors que le corpus français privilégie des termes relevant du champ lexical de l’alerte, cette tendance est moins marquée dans le corpus belge.
Il est également observé que les arguments d’autorité sont également omniprésents dans les discussions. Les usages n’étant pas stabilisés, les acteurs se réfèrent à des conventions, conférences, résolutions, personnalités dotées de légitimité et de policy capacity, rapports, chercheurs, organisations, commissions ou groupes d’experts produisant des données qualitatives et quantitatives (chiffres, projections) pour étayer leurs positions. L’appel à l’expertise et à la collaboration est fréquent, illustré par des demandes de formation de collaboration ou encore de formation d’un groupe de travail ad hoc chargé de proposer une définition destinée à être soumise à approbation par les États membres des Nations unies.
La mobilisation des instances internationales constitue un autre aspect clé. En évoquant le statut de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies de la Belgique, les auteurs d’une proposition de résolution15 belge semblent vouloir tirer parti de cette position pour influencer les discussions et les décisions relatives aux réfugiés climatiques. En appelant à la reconnaissance internationale et à la mise en place de politiques globales, la Belgique cherche à faire avancer la question au sein de forums internationaux. Les institutions qui apparaissent en cooccurrence des termes pour nommer les déplacés sont le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le HCR, le PNUE, l’ONU et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ces institutions conceptualisent les migrations environnementales, ce qui peut avoir des répercussions significatives sur les politiques et les actions entreprises pour y répondre. Une approche axée sur l’environnement, à travers le PNUE, mettrait l’accent sur le développement durable et la protection de l’environnement pour prévenir les déplacements de population. L’association de l’expression réfugiés environnementaux avec le PNUD et le HCR suggère une préoccupation pour les aspects humanitaires et de développement de la question. À l’opposé, l’association de déplacés environnementaux et migrants environnementaux avec l’OIM souligne une approche davantage axée sur la gestion des migrations et la coordination des réponses internationales. Chacun de ces domaines opère selon des paradigmes distincts en termes d’attribution de la responsabilité et est caractérisé par des logiques de financement variées.
Affirmer en outre que les migrations climatiques toucheront non seulement les pays du Sud, mais aussi ceux du Nord, contribue à attirer leur attention sur le fait que les réfugiés climatiques ne sont pas exclusivement une préoccupation des pays en développement et que les pays développés ne sont pas à l’abri des impacts potentiels du changement climatique :
M. Nimmegeers fait remarquer que des Belges pourraient très bien se retrouver aussi en situation de réfugié environnemental16.
Les États de l’OCDE ne sont pas non plus épargnés, notamment le Japon et les États-Unis17.
Par ailleurs, nous avons relevé plusieurs tentatives d’atténuation des potentielles inquiétudes européennes liées à un afflux massif de réfugiés climatiques en Europe. En indiquant que ces réfugiés seront principalement des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ou cherchant refuge dans des pays voisins, les députés cherchent à rassurer quant à l’impact direct des migrations sur le sol européen :
[…] la majeure partie des réfugiés climatiques sont et seront issus des pays pauvres, les premiers exposés et les plus vulnérables aux catastrophes naturelles. L’Europe ne verra donc certainement pas arriver des flots de réfugiés climatiques sur son sol dans les années à venir. Ces réfugiés seront en grande partie soit des déplacés dans leur propre pays, soit réclameront l’asile dans un pays voisin18.
Cette stratégie sert potentiellement d’anticipation des arguments d’extrême droite, dont on observe une recrudescence notable à l’échelle européenne19 depuis la crise de l’accueil, conjointement à la mise en œuvre de plusieurs initiatives par le Conseil européen20, marquant une victoire idéologique des partis les plus conservateurs.
Un autre argument pour appuyer la reconnaissance de la catégorie de réfugié climatique (et corollairement négocier des financements et développer l’idée de justice climatique) est celui de la responsabilité des pays riches dans le changement climatique et donc dans le déplacement des personnes :
Il y a, dans ce cas extrême, un terrible paradoxe entre le fait que ces habitants ont l’une des plus basses empreintes écologiques du monde et qu’elles sont les premières victimes des dérèglements climatiques21.
La corrélation entre la pauvreté et la capacité réduite à s’adapter aux variations environnementales souligne la nécessité de considérer la question migratoire dans un contexte de justice et d’équité globales. Ces arguments ouvrent la voie à la demande de mise en place de plusieurs mesures :
Demande au gouvernement fédéral […] d’inviter […] les pays industrialisés à accorder plus d’attention à la question du déplacement dans les pays tiers, à respecter leurs promesses d’aides quantitatives du passé, et à accroître leur aide financière et technique dans le futur22.
Logiques argumentatives de la résistance à la visibilisation
En parallèle de ces efforts de visibilisation, il convient d’examiner les stratégies d’invisibilisation pouvant entraver la reconnaissance et la prise en compte des migrants climatiques dans les débats politiques et sociaux. L’exemple suivant illustre comment un positionnement conservateur met en avant la nécessité de politiques d’anticipation plutôt que de réaction, en minimisant la réalité du terrain :
Cyril Pellevat (Les Républicains) : […] « Face à la gravité des risques, il serait plus pertinent que les États mettent en place des politiques d’anticipation de ces migrations. […] Il s’agit donc non pas d’être pessimiste, mais d’être réactif. L’ampleur des risques appelle la mise en place “d’analyses stratégiques des déplacés climatiques” intégrant tant les politiques d’anticipation et la culture du risque que les facteurs de dérèglement sécuritaire que peuvent engendrer les déplacements de populations. La France a mentionné ce type de risque dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, mais il n’y a pas de programme dédié dans la loi de programmation militaire, malgré sa révision23 ».
Dans cette intervention, le député privilégie un traitement sécuritaire, voire militarisé de la question, en mettant l’accent sur la gestion des risques potentiels plutôt que sur l’aide directe et l’assistance aux personnes déplacées. Nous avons également relevé plusieurs tentatives de marginalisation des discussions sur les déplacés climatiques au sein des enceintes parlementaires. Cela se matérialise par la mise en avant d’autres priorités, la remise en question de l’efficacité des approches parlementaires ou encore le déplacement de la responsabilité vers d’autres instances ou niveaux de gouvernance supranationaux.
Nous avons aussi observé une stratégie de priorisation des agendas ; ces extraits sont parfaitement révélateurs de cette dynamique :
Ronan Dantec (groupe écologiste) : « […] il ne s’agira plus de s’interroger sur un statut juridique complexe, comme aujourd’hui. […] Cela veut bien dire que notre première priorité pour la COP 21 – y compris lorsque nous évoquons les déplacés climatiques – est celle de la stabilisation du climat24 ».
Ces intervenants sous-entendent que le sujet des déplacés climatiques n’est pas une priorité de la COP et que son traitement perturberait les efforts visant à limiter le réchauffement climatique à 2 °C. Les mesures proposées sont axées sur les causes et sont préventives au lieu de se focaliser sur les conséquences. Par ailleurs, la proposition de loi appuie cette idée par le discours rapporté :
M. Wille estime par contre qu’il faut s’intéresser davantage aux causes du problème. L’accord de gouvernement contient une série d’initiatives en matière de coopération au développement, comme la lutte contre la désertification, qui doivent permettre de faire baisser la pression migratoire25.
La séquence délibérative suivante illustre deux perspectives divergentes quant au rôle des parlementaires dans le traitement de la question des migrants climatiques :
Cyril Pellevat (Les Républicains) : « […] J’en reviens à nos doutes sur la forme. L’alinéa 9 indique que la France doit promouvoir, lors de la COP 21, la mise en œuvre de mesures en faveur des déplacés environnementaux, mais est -ce vraiment aux parlementaires de définir les ordres du jour des sommets internationaux ? » […]
Hervé Maurey (UDI-UC) : […] « Notre rôle sera déterminant. En effet, s’il revient au Gouvernement et aux diplomates de conclure des accords à l’échelon international, c’est à nous, parlementaires, de les ratifier26. » [...].
Alors que le représentant du parti Les Républicains prône une réserve quant à l’implication des parlementaires dans la définition des ordres du jour des sommets internationaux comme la COP21, le représentant de l’UDI-UC défend le rôle crucial des parlementaires dans le processus politique.
Une autre stratégie fréquemment observée tout au long des textes parlementaires consiste en la relégation de la question et le déplacement de la responsabilité vers d’autres instances ou niveaux de gouvernance :
Annemie Turtelboom, ministre : […] « Cela n’aurait guère de sens de traiter cette problématique dans le cadre étroit de la politique d’asile ou de la politique migratoire de la Belgique. Cette question n’a jusqu’ici pas été abordée au sein du Conseil JAI des ministres de la Justice et des Affaires intérieures. Le « resettlement » de tels groupes ne figure pas à l’ordre du jour de l’agenda belge, ni même de celui du Conseil JAI. En tout état de cause, si une telle initiative était envisagée, elle devrait l’être en collaboration avec l’UNHCR, mais surtout relever d’une initiative européenne »
Zoé Genot (Ecolo - Groen) : « Madame la Ministre, si je peux me rallier à l’analyse selon laquelle ce problème global mérite une prise en compte d’ordre international, n’oublions pas que nous faisons partie de l’internationalité ! Celle-ci sous-tend une multitude de nations. Si à un moment donné, un pays ne dépose pas un dossier sur lequel se pencher, on n’en discutera jamais27. »
Dans cette séquence, la ministre interpellée invoque la nécessité de l’internationalisation de la question et de la collaboration avec le HCR, pour éluder une réponse plus concrète sur les actions nationales que le gouvernement belge pourrait entreprendre pour faire face aux défis des réfugiés climatiques. En revanche, la députée écologiste met en relief le caractère transnational des défis contemporains, soulignant qu’ils nécessitent une approche collaborative impliquant plusieurs pays.
Conclusion
Cet article s’est proposé d’explorer l’usage des catégories des déplacés de l’environnement dans les débats parlementaires en France et en Belgique. L’intérêt de ce corpus réside dans sa capacité à comprendre les mécanismes de visibilisation et d’invisibilisation de la migration causée par des facteurs climatiques, dans un contexte de débats accrus concernant la migration en Europe, vue tantôt comme un choix, tantôt comme un phénomène inévitable. La catégorisation constitue un baromètre de l’attitude française et belge à la fois face à la migration et à l’environnement. L’imbrication de ces deux questions dévoile une problématique à plusieurs niveaux, où s’entremêlent des considérations d’ordre interne et des relations communautaires et internationales, touchant à divers secteurs tels que l’asile, l’environnement, les droits de l’homme ou encore la défense, ce qui en fait un phénomène aux enjeux plurisectoriels relevant, par ailleurs, de compétences éclatées entre les différents ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de l’Environnement et des Finances.
Les débats parlementaires font ressortir les enjeux associés à la reconnaissance de ces catégories. En effet, le processus de reconnaissance contribuerait à ouvrir la voie à une migration pour cause climatique, soulignerait la nécessité de débloquer des fonds pour organiser cette migration, participerait à négocier des aides pour le climat avec l’Europe, et non des moindres, ouvrirait la voie à une réévaluation des inégalités à l’échelle mondiale (Schade et al., 2015). De surcroît, les énoncés métadiscursifs mettent en lumière les arguments autour même des termes utilisés, dévoilant la résistance à les utiliser ou au contraire les efforts pour les imposer.
Les résultats indiquent que le discours parlementaire belge est orienté vers une responsabilité collective et transnationale, en lien avec les priorités européennes et les présidences belges du Conseil de l’Union européenne. Quant aux documents parlementaires français, ceux-ci révèlent une prudence marquée dans l’institutionnalisation de ces catégories, avec un accent sur les risques sécuritaires et la gestion des migrations.
Une tendance significative émerge de cette étude : l’évolution des terminologies en fonction de la période analysée et des stratégies de visibilisation ou d’invisibilisation de ces populations migrantes. Au début de la période sélectionnée, la dénomination réfugiés climatiques était plus couramment utilisée, mais a été progressivement supplantée par celle de déplacés environnementaux, reflétant une volonté de minimiser l’urgence humanitaire au profit d’une approche plus sécuritaire. Cette tendance illustre les mécanismes et stratégies par lesquels les députés tentent soit de rendre visibles ces migrants, soit de les invisibiliser.
D’une part, des efforts sont déployés pour sensibiliser aux défis humanitaires, environnementaux et de sécurité liés à ces migrations. D’autre part, des tentatives sont faites pour minimiser l’importance de cette problématique ou pour la reléguer à un second plan, en mettant en avant d’autres priorités politiques ou en déplaçant la responsabilité vers d’autres instances pour éviter de s’engager dans des obligations légales contraignantes. Il est intéressant de noter que les risques, largement soulignés dans l’ensemble du corpus étudié et mis en évidence par la majorité des intervenants, sont successivement utilisés dans le but d’accentuer les événements et de les inscrire plus rapidement à l’ordre du jour politique, ou pour promouvoir des politiques restrictives en matière de migration climatique. Cela se traduit notamment par des prévisions élevées, susceptibles de porter préjudice aux populations concernées. En corrélation avec la littérature existante (Gonin et al., 2002), une tendance se dégage, opposant attitudes alarmistes et sceptiques parmi les parlementaires, en ligne avec les positions adoptées par les chercheurs. La première approche trouve toutefois un écho dans des interventions des acteurs politiques, indépendamment de leur idéologie, pour servir des finalités opposées. En effet, certains amplifient les projections de ces populations pour appuyer le lien entre changement climatique et conflits, brandissant la menace d’une arrivée massive de migrants en Europe afin de justifier l’opposition à l’octroi d’un statut juridique spécifique à ces migrants. A contrario, la dramatisation des événements permet à certains acteurs de sensibiliser les parlementaires et les institutions internationales aux enjeux de ces migrations et ainsi accélérer leur prise en compte sur les agendas politiques.
En lien avec l’état de l’art, l’étude démontre que les discours parlementaires ne constituent pas seulement une manifestation des préoccupations contemporaines, mais aussi des outils performatifs façonnant la réalité sociale des migrants climatiques. En somme, les divergences observées entre les débats parlementaires en France et en Belgique révèlent des logiques nationales spécifiques influencées par les contextes politique, juridique et historique des deux États, ainsi que par le contexte international qui oriente la fabrication des catégories de migrants. Ces disparités mettent en évidence la complexité de la gouvernance climatique et migratoire en Europe, dans laquelle chaque État tente de concilier ses priorités nationales avec les exigences croissantes d’une coordination internationale accrue, influençant ainsi les processus de visibilisation et d’invisibilisation d’entités collectives en contextes parlementaires.




