Jean-Philippe Decka est diplômé d’HEC Paris en 2010. Après un parcours entrepreneurial, il est aujourd’hui doctorant en sciences de gestion au laboratoire i3-CRG de l’École polytechnique. Il est l’auteur du livre Le courage de renoncer. Le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable (Payot, 2022) et anime également le podcast Ozé.
Introduction
Face au dépassement des limites planétaires (Richardson et al., 2023), la décroissance (D’Alisa et al., 2015 ; Parrique, 2022) propose une transition planifiée démocratiquement du capitalisme (Wright, 2020) vers un modèle de société de post-croissance (Jany-Catrice et Méda, 2023). Une telle transformation sociétale implique une réorientation des activités humaines de la quête de profit (Nesterova et Robra, 2022) et de la poursuite de croissance (Schmelzer et al., 2022) vers la réponse aux besoins authentiques (Keucheyan, 2023) de la population. Les activités de production étant contrôlées par des organisations économiques, et en grande majorité par des entreprises capitalistes (Weinstein, 2010), leurs rôle et place dans une transformation sociétale de type décroissance interroge. En sciences de gestion, la littérature sur la transformation sociétale s’intéresse surtout aux organisations préfiguratives (Schiller-Merkens, 2022 ; Monticelli, 2021 ; Bhatt et al., 2024) qui rejettent le système dominant, incarnent un projet alternatif et participent à transformer la société. En particulier, Wright (2020) entrevoit la transformation sociétale sous la forme « d’utopies réelles » comme « un renforcement du pouvoir d’agir social » dans l’État et dans l’économie qui s’appuie sur trois types de stratégies : par la rupture, au sein des interstices du système et en symbiose avec celui-ci. La transformation sociétale ainsi théorisée s’appuie sur l’ensemble de ces trois stratégies selon les situations particulières et les événements historiques contingents. Si Wright théorise ces stratégies comme une voie de sortie du capitalisme sans les intégrer dans une perspective de décroissance, plusieurs auteurs se sont réapproprié cette typologie pour penser des stratégies de décroissance (Barlow et al., 2022). Cependant, la place des entreprises capitalistes comme « agents » de transformation sociétale au même titre que les organisations préfiguratives, au- delà d’une innovation de leur business model (Geissdoerfer et al., 2022) vers plus de soutenabilité (Bocken et al., 2014), reste encore floue.
Problématique
Du point de vue des acteurs des organisations économiques (Parker, 2018), qu’elles soient préfiguratives ou capitalistes, ce constat suscite plusieurs questions :
Comment la vision politique de la décroissance est-elle incarnée au sein de ces organisations et portée par celles-ci ?
Quelles sont les stratégies de transformation sociétale concrètement déployées par ces organisations ?
Notre question de recherche peut donc se définir ainsi : quelles sont les stratégies de transformation sociétale déployées par les organisations économiques dans une perspective de décroissance face au dépassement des limites planétaires ?
Méthodologie
La recherche s’intéresse aux organisations économiques dont les activités sont dédiées à un objectif de transformation sociétale apportant une réponse aux enjeux écologiques liés au dépassement des limites planétaires tels qu’exprimé par l’organisation dans ses statuts ou sa raison d’être et quel que soit la forme juridique et le modèle de gouvernance. Pour étudier ces organisations, nous mettons en place des entretiens semi-directifs in situ (Knott et al., 2022) avec les dirigeants, salariés, partenaires et clients de ces organisations et collecterons divers matériaux internes (compte-rendu de réunion, présentation, rapport, états financiers). Nous nous intéressons en particulier à l’histoire de ces organisations et de leurs acteurs, aux horizons politiques et socioéconomiques défendus par les acteurs, aux stratégies déployées et aux conflits, tensions et luttes internes suscitées, en analysant à la fois le discours porté par les acteurs et les actions concrètes mises en place à différentes échelles. L’étude de ces organisations porte principalement sur les actions passées afin d’avoir un recul temporel suffisant permettant l’analyse des conséquences de celles-ci et non dans une démarche de recherche-action participante (Girin et al., 2016). Les entretiens sont analysés sur la base des notes prises durant les échanges avec les acteurs de l’organisation et grâce à l’écoute a posteriori des enregistrements de ces échanges. Tous les matériaux sont analysés et traités en toute confidentialité et dans le respect des règles éthiques de la recherche académique.
Résultats
Le travail de terrain est en cours au travers de dix études de cas regroupant à la fois des coopératives, des associations et des entreprises à but lucratif localisées sur une diversité de lieux du territoire de la France métropolitaine, en milieu urbain, rural et périurbain. Aucun résultat significatif ne peut être présenté pour l’instant.