Les responsabilités administratives et disciplinaires

DOI : 10.52497/revue-cmh.110

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Les situations sont multiples dans lesquelles les travailleurs sociaux sont confrontés au secret. Dans les collectivités territoriales, celui-ci peut porter, par exemple, sur l’homosexualité d’un célibataire demandant l’agrément en vue de l’adoption, la négligence d’un assistant maternel ou familial à l’égard des enfants qu’il garde, la toxicomanie d’un jeune suivant des actions de prévention spécialisée dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. Dans les établissements publics sociaux et médico‑sociaux, surtout lorsque des personnes vulnérables y sont hébergées, ce secret peut concerner la situation de fortune ou d’extrême pauvreté d’une personne handicapée ou âgée ou le passé d’un enfant confié à un foyer de l’enfance. Existe ainsi un « secret social » dont la violation ou la non-révélation peut engager la responsabilité des agents publics et de l’administration.

Traditionnellement, deux types de responsabilités peuvent concerner l’administration : la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute. La seconde n’a pas sa place dans cette étude. Aucun risque spécial n’est en effet lié à la révélation ou à la non-révélation d’un secret par un agent de l’administration dans le domaine social et médico-social ; quant à la rupture d’égalité devant les charges publiques, elle est hors de nos propos puisqu’elle concerne les traités internationaux, les lois, les règlements ou encore l’inaction de l’administration. Nos développements seront dès lors limités à la faute de service, c’est-à‑dire au manquement de l’administration dans l’exercice de son action ou par son inaction. Il s’agira ainsi, dans un premier temps, de rechercher comment la faute prouvée ou présumée résultant, soit de la violation du secret, soit d’un secret trop bien gardé à l’égard des supérieurs hiérarchiques peut engager la responsabilité de l’administration. Quant à la responsabilité de l’agent, elle peut être recherchée soit sur le terrain de sa faute personnelle détachable, soit sur celui de sa faute disciplinaire à l’égard du service, lesquelles sont deux fautes distinctes et autonomes.

I. L’engagement de la responsabilité pour faute de service de l’administration : faute prouvée et faute présumée

Curieusement, la jurisprudence ne s’est pas à notre connaissance prononcée, en matière de secret, sur une faute prouvée de l’administration, même si une telle faute n’est pas une pure hypothèse d’école. Elle a en revanche engagé sa responsabilité pour faute présumée.

A. La faute prouvée

Cette faute semble pouvoir revêtir plusieurs origines.

L’on peut penser en premier lieu à la non-application d’une législation ou d’une réglementation. Tel sera le cas par exemple d’une mauvaise application des règles sur la protection des données1. Cela est malheureusement souvent le cas dans les centres ou foyers de l’enfance où les données concernant les enfants, usagers de l’aide sociale, ne font pas l’objet d’une protection suffisante.

La deuxième cause de faute de service est la négligence ou l’erreur : une administration, plus encore un établissement public social ou médico-social, peut « laisser traîner » des données contenues dans des documents, dossiers ou fichiers mal classés. Le manquement constaté n’est ici pas forcément évalué par son auteur.

La troisième cause d’engagement de la responsabilité pour faute de service est à rechercher dans l’action matérielle : cela peut être le cas d’une mauvaise insonorisation d’un bureau qui fait que chacun est au courant dans l’administration ou l’ESMS d’un secret révélé à un médecin ou à un psychologue.

Ainsi, si aucune jurisprudence n’existe à notre connaissance en ce domaine, de telles actions pourraient être envisagées par les usagers de l’aide et de l’action sociale, les usagers des ESMS, leurs familles ou les personnes chargées de les protéger.

B. La faute présumée

En cas de présomption de faute, c’est à l’administration qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle n’a pas commis de faute. En effet, de l’établissement d’un fait prouvé, l’on déduit un fait non prouvé. Présente dans le domaine des travaux publics et jadis dans ceux de la vaccination et de la responsabilité du fait d’autrui, la présomption de faute a trouvé à s’appliquer dans un cas très emblématique de violation d’un secret2. En 1987, une femme avait accouché sous X. Sa fille est adoptée par la famille Bussa. Mais, en 2001, la mère biologique obtient des informations relatives au nouvel état civil de sa fille, notamment la révélation du nom de ses parents adoptifs. Elle prend alors contact avec sa fille, se manifeste de façon à la fois insistante et répétée, tant auprès de cette dernière que des membres de sa famille adoptive et de son entourage. Elle va même jusqu’à s’exprimer à plusieurs reprises dans la presse sur l’enquête personnelle qu’elle a menée pour retrouver l’enfant. La famille Bussa recherche alors la responsabilité du département au titre de son rôle en matière d’adoption. En effet, seuls les services de l’aide sociale à l’enfance du département des Alpes Maritimes étaient informés du nom de la famille, ce qui signifie que des informations confidentielles sont sorties du service. Le tribunal administratif et la cour administrative d’appel rejettent cette demande faute pour la famille adoptive d’apporter la preuve de cette transgression du secret. À l’inverse, faisant preuve d’audace, le Conseil d’État souligne que ces informations sont protégées par le secret professionnel. C’est sous la responsabilité du président du conseil départemental que sont conservés les renseignements figurant dans le procès-verbal établi lors du recueil d’un enfant, relatifs à l’identité de ses parents et à la volonté de ceux-ci de conserver le secret de cette identité. Pour le Conseil d’État, « la circonstance que la mère biologique ait eu connaissance de la nouvelle identité de l’enfant et de celle de sa famille adoptive révèle une faute dans le fonctionnement du service de l’aide sociale à l’enfance du département, sauf à ce qu’il établisse que la divulgation de cette information est imputable à un tiers ». Aujourd’hui, le Conseil national d’accès aux origines personnelles, organe d’État dépourvu de la personnalité morale, peut avoir connaissance de telles informations mais la révélation du secret date de 2001 et le CNAOP n’a été créé que par une loi du 22 janvier 20023.

Le Conseil d’État réserve également l’hypothèse d’une faute de la victime mais il aurait fallu pour cela que la famille adoptive connaisse elle-même le nom de la mère biologique ce qui est évidemment impossible.

La violation du secret – la fuite – ne peut ainsi émaner que du département puisqu’il était à l’époque le seul à avoir connaissance de l’identité de la mère biologique. Il est difficile de savoir quelle est la cause de la faute : une négligence dans le classement du dossier qui aurait permis à tout un chacun de s’en emparer, une action de déménagement qui aurait mis ce dossier au grand jour ou bien encore un « bavardage » d’un agent face à l’insistance de la famille biologique, hypothèse qui paraît ici la plus plausible. Quoi qu’il en soit, il y a bien un manquement réel et grave aux règles de bon fonctionnement du service de l’aide sociale à l’enfance des Alpes Maritimes malgré l’impossibilité pour la victime d’établir l’existence matérielle de la faute. Celle-ci est révélée par une sorte d’évidence : l’information secrète est sortie du service, ce qui n’était pas possible juridiquement.

Le Conseil d’État ne manque d’ailleurs pas de citer en l’espèce l’article L. 133-4 du Code de l’action sociale et des familles qui affirme la protection par le secret professionnel des informations à caractère sanitaire et social. Il cite aussi l’article L. 222-5 du même code confiant la responsabilité au département des pupilles de l’État bien que leur tutelle soit exercée au nom de l’État par le préfet et son article L. 224-7 qui dispose que sont conservés sous la responsabilité du président du conseil départemental les renseignements figurant sur le procès-verbal établi lors du recueil d’un enfant. Le but du juge est de montrer que le département était bien le seul à pouvoir opérer le rapprochement entre l’identité biologique de la jeune fille et son identité adoptive.

Dans une telle hypothèse, la responsabilité de l’agent pourrait bien sûr être mise en cause par la victime ou par l’administration, à condition de pouvoir l’identifier. Qui plus est, si c’est un agent administratif qui a commis cette violation, en a-t-il informé son supérieur hiérarchique ? Est-ce le supérieur hiérarchique (voire un élu) qui a commis cette violation ? L’affaire ne le révèle évidemment pas et la violation reste anonyme.

II. La responsabilité de l’agent, faute personnelle et faute disciplinaire

À l’égard de la victime ou de l’administration, la responsabilité de l’agent peut être engagée pour faute personnelle. Elle peut aboutir également à une sanction disciplinaire, tant pour violation du secret que pour non-révélation de celui-ci.

A. La faute personnelle détachable du service

L’on sait que pour être détachable du service, donc pour que la victime puisse, devant les juridictions judiciaires, engager la responsabilité de l’agent, la faute personnelle doit être intentionnelle ou grave. C’est aujourd’hui la gravité qui domine ; la faute consistant dans la révélation d’un secret professionnel peut fort bien être considérée comme grave, soit parce qu’il y a de la part de l’agent intention de nuire, soit parce qu’il y a une légèreté blâmable. Tel pourrait être le cas dans l’affaire Bussa où un conflit aurait pu opposer un agent à la famille adoptive incitant cet agent à la vengeance ou au contraire une relation de connivence avec la famille biologique l’incitant, par relation d’amitié, à révéler des faits non communicables.

Si l’agent est condamné et que la faute n’est pas détachable du service, il lui appartiendra d’exercer toutes actions récursoires contre l’administration en application de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Mais, dans le triangle administration/victime/agent, il est toujours possible que l’administration dresse un état exécutoire contre l’agent responsable. La faute personnelle se rapproche alors beaucoup plus de la faute disciplinaire.

La faute personnelle de l’agent concernant le secret peut être détachable si, selon l’expression célèbre du commissaire du gouvernement Édouard Laferrière, elle révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences. Ainsi, des arrêts récents retiennent pour qualifier la faute personnelle des faits qui relèvent de « préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice des fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature ou aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, présentent une particulière gravité »4. Si la jurisprudence reste pauvre en ce qui concerne la faute personnelle, il n’en va pas de même en matière disciplinaire.

B. La faute disciplinaire

Aux termes de l’article 26 de la loi précitée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires :

Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le Code pénal ;
Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations et documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

L’obligation de discrétion est avant tout interne à la fonction publique et au service, et trouve sa source, tout comme l’obligation d’obéissance de l’article 28, dans la hiérarchie de la fonction publique. Ainsi, viole cette obligation l’envoi de courriers électroniques à des collègues alors qu’il s’agit de documents confidentiels5.

Certaines affaires concernent le secret. Ainsi, dans un arrêt du 29 décembre 2006, le directeur général d’un centre hospitalier avait prononcé à l’encontre d’un infirmier psychiatrique une exclusion temporaire de fonctions à raison de ses manquements à ses devoirs professionnels. Il était reproché à cet agent de ne pas avoir communiqué au médecin qui soignait une patiente les lettres personnelles adressées à cet agent ; ainsi, il était coupable de ne pas avoir révélé un secret que sa déontologie et l’intérêt du service l’obligeraient à révéler. Le Conseil d’État estime toutefois que ces faits n’étaient pas de nature à justifier une sanction6.

L’on sait que les sanctions disciplinaires sont graduées puisqu’elles vont de l’avertissement à la révocation et que le juge administratif exerce à présent un entier contrôle sur ces mesures7.

Ainsi la violation du secret professionnel, comme, à l’inverse, l’absence de sa révélation, au cas où il doit être dévoilé, sont deux écueils entre lesquels doivent naviguer les travailleurs sociaux, qu’ils soient employés par l’État, par une collectivité territoriale ou par un établissement public social ou médico‑social. Témoigne de ces écueils l’article L. 121-6-2 du Code de l’action sociale et des familles, créé en 2007, qui prévoit que, lorsqu’un travailleur social constate que l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille appelle l’intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire et le président du conseil départemental, sans que l’on puisse lui opposer le secret professionnel. C’est alors l’élu, au courant du secret, qui doit désigner le travailleur social qui sera le référent de la personne ou de la famille en difficulté. Les professionnels qui interviennent auprès de la famille sont ainsi autorisés, alors même qu’ils n’appartiennent pas forcément au même service ni à la même administration (et peuvent même appartenir au secteur privé), à partager entre eux des informations à caractère secret afin d’évaluer la situation, de déterminer les mesures d’action sociale nécessaires et de les mettre en œuvre. Le référent (ou coordonnateur) a connaissance des informations transmises. Le secret professionnel pose ainsi aux travailleurs sociaux du secteur public nombre de problèmes que le droit ne les aide pas toujours à résoudre, faute d’une jurisprudence suffisante : s’il est assez simple de connaître les cas où il y a violation du secret professionnel, il peut être plus difficile de savoir dans quels cas l’absence de révélation d’un secret, surtout lorsqu’un mineur peut être en danger, expose l’agent à l’engagement de sa responsabilité professionnelle ou disciplinaire.

1 Sur ce point, voir l’article d’Aurélie VIROT-LANDAIS ci-dessus.

2 CE 17 octobre 2012, Bussa, Leb., p. 362 ; AJDA, 2013, p. 362, note H. Rihal ; JCP Adm., 2013, n° 2025, concl. B. BOURGEOIS-MACHUREAU, note C. 

3 Sur le rôle du CNAOP, voir M. FAUCONNIER-CHABALIER « L’accès aux origines personnelles pour les pupilles de l’État et les enfants adoptés », RDSS

4 CE, 29 décembre 2015, deux esp. commune de Roquebrune-sur-Argens, AJDA, 2016 p. 1575 note H. RIHAL. En l’occurrence, un maire avait acheté des

5 TA Orléans, 4 mai 2006, AJFP, 2007, p. 28.

6 CE, 29 décembre 2006, AJFP, 2007, p. 149, comm. G-D. MARILLA.

7 CE, Ass., 13 novembre 2013, M. D., Lebon p. 279 ; AJDA, 2013 p. 2432, Chron. A. BRETONNEAU et J. LESSi ; RFDA, 2013, p. 1175, Concl. R. Keller;

Notes

1 Sur ce point, voir l’article d’Aurélie VIROT-LANDAIS ci-dessus.

2 CE 17 octobre 2012, Bussa, Leb., p. 362 ; AJDA, 2013, p. 362, note H. Rihal ; JCP Adm., 2013, n° 2025, concl. B. BOURGEOIS-MACHUREAU, note C. ROCANSON.

3 Sur le rôle du CNAOP, voir M. FAUCONNIER-CHABALIER « L’accès aux origines personnelles pour les pupilles de l’État et les enfants adoptés », RDSS, 2017, p. 791.

4 CE, 29 décembre 2015, deux esp. commune de Roquebrune-sur-Argens, AJDA, 2016 p. 1575 note H. RIHAL. En l’occurrence, un maire avait acheté des voitures de sport à usage personnel sur le budget de la commune et avait tenu des propos racistes.

5 TA Orléans, 4 mai 2006, AJFP, 2007, p. 28.

6 CE, 29 décembre 2006, AJFP, 2007, p. 149, comm. G-D. MARILLA.

7 CE, Ass., 13 novembre 2013, M. D., Lebon p. 279 ; AJDA, 2013 p. 2432, Chron. A. BRETONNEAU et J. LESSi ; RFDA, 2013, p. 1175, Concl. R. Keller; AJFP, 2014, p. 5, Concl. R. Keller, note Ch. FORTIER.

Citer cet article

Référence électronique

Hervé RIHAL, « Les responsabilités administratives et disciplinaires », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 20 | 2020, mis en ligne le 30 septembre 2021, consulté le 24 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=110

Auteur

Hervé RIHAL

Professeur émérite de droit public de l’Université d’Angers (centre Jean Bodin, EA 4337)

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