CRISPR-Cas9 est une technique d’ingénierie du génome, ou d’édition du génome si l’on fait une traduction mot pour mot de l’anglais « genome editing ». Elle permet d’ajouter, de modifier ou de supprimer une séquence spécifique du génome. Cette expression fait un parallèle avec l’édition de texte en bureautique : de même qu’un éditeur de texte permet, sur ordinateur, de modifier un document, éditer le génome consiste à modifier le « texte » représenté par une succession de A, C, G et T dans le génome.
Si l’édition du génome de la levure était possible depuis plusieurs années, la modification contrôlée du génome s’avérait extrêmement difficile chez les animaux et les plantes, les techniques à disposition des scientifiques ayant un potentiel limité. CRISPR-Cas9 a changé la donne et créé une effervescence particulière dans le monde de la recherche1. Cette technique constitue en effet une avancée majeure qui facilite l’expérimentation.
Contrairement aux techniques précédentes (TALENS, nucléases à doigts de zinc…), complexes à mettre en œuvre, CRISPR-Cas9 est facile à utiliser. Selon David Bikard, directeur du laboratoire de biologie de synthèse de l'Institut Pasteur, « avec cette technique, les manipulations sur le patrimoine génétique de cellules humaines se sont démocratisées au point d'être désormais effectuées en travaux pratiques par des étudiants en master de biologie2 ! ». Par ailleurs, cette nouvelle technique est rapide : « introduire une modification génétique peut désormais se faire en une semaine, contre plusieurs mois auparavant3 ». Elle est aussi précise, plus fiable et a un faible coût. Alors que le coût d’une intervention avec TALENS était de 1 000 euros, il n’est plus que de 10 euros avec CRISPR-Cas9.
Cette technique constitue un sujet sensible et pose des questionnements nouveaux. Ainsi, dans le cadre des États généraux de la bioéthique qui ont débuté le 18 janvier 2018, parmi les 9 thèmes retenus par le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), on trouve la génétique et la génomique, notamment au travers de nouvelles techniques comme CRISPR-Cas.
Si la technique en elle-même ne suscite guère de discussions sur le plan juridique, sauf peut-être pour savoir qui peut en revendiquer la paternité4, les applications qui peuvent en être faites soulèvent beaucoup d’interrogations. Elles sont nombreuses et concernent l’ensemble du vivant5. Les chercheurs ont ainsi modifié des cellules végétales dans le but d’obtenir un champignon qui ne brunit pas. Ils envisagent également la modification du génome d’une espèce de moustique dans le cadre de la lutte contre le paludisme ou de la dengue. Deux voies sont à l’étude. La première, suivie par des chercheurs américains, consiste à supprimer un gène chez le moustique, le rendant ainsi plus résistant à la maladie. La seconde voie suivie par des chercheurs de l’Imperial College de Londres, consiste à rendre stériles les femelles porteuses du paludisme. Grâce au forçage génétique6, il est possible de transmettre ce gène modifié beaucoup plus rapidement aux générations suivantes, jusqu’à l’imposer à l’ensemble de la population cible7. L’une ou l’autre méthode permettrait de modifier, voire d’éradiquer une espèce en quelques semaines, avec des impacts sur l’environnement ou la chaîne alimentaire non identifiés. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le forçage génétique de moustiques constitue un complément aux méthodes classiques pour lutter contre les maladies, même si des questions se posent quant à la réversibilité du procédé. Le Royaume-Uni, les États-Unis et le Brésil vont également en ce sens. Le Brésil a déjà réalisé des lâchers de moustiques génétiquement modifiés dans la nature et l'agence américaine des médicaments, la Food and Drug Administration (FDA), a elle aussi autorisé un lâcher expérimental en Floride afin de lutter contre la propagation du virus Zika.
La modification du génome d’autres animaux intéresse particulièrement les chercheurs. Des recherches sont ainsi menées avec CRISPR-Cas9 dans le but de modifier le génome des porcs afin de faciliter les xénogreffes8.
Chez l’être humain, la technique CRISPR-Cas9 peut être utilisée pour modifier les cellules d’un individu adulte ou les cellules embryonnaires. Afin d’éviter toute ambiguïté, il est souhaitable d’opérer une autre distinction : celle qui consiste à opposer les cellules souches germinales aux cellules souches somatiques. Les cellules germinales visent les cellules reproductrices c’est-à-dire les gamètes (spermatozoïdes et ovules), ainsi que les cellules présentes chez le zygote (embryon aux premiers stades de développement). Les cellules souches somatiques sont les autres cellules du corps. Toute modification des cellules germinales sera transmise à la descendance, alors que la modification d’un gène sur une cellule somatique ne concernera que le seul sujet « traité ». C’est pourquoi nous retiendrons cette approche et distinguerons la modification des cellules souches somatiques (I), ou la modification des cellules souches germinales (II).
I. La modification des cellules souches somatiques
La thérapie génique par modification des cellules souches somatiques, également nommées cellules souches adultes, suscite beaucoup d’espoirs dans le traitement de certaines maladies. En effet, nombreuses sont celles qui ont des causes génétiques. L’idée de soigner ou prévenir des maladies en intervenant sur le génome est donc très séduisante.
Prenons le cas de l’hémophilie : on pourrait prélever des cellules souches sur la personne malade, corriger l’anomalie génétique in vitro notamment grâce à CRISPR-Cas9 et introduire ensuite ces cellules dans l’organisme du malade afin de modifier le système sanguin. Dans le cas de cellules neuronales ou cardiaques impossible à prélever, la modification génétique pourrait être envisagée via une injection contenant un vecteur qui apporterait le gène « sain » aux cellules.
À l’heure actuelle, aucune maladie n’est encore traitée grâce à CRISPR‑Cas9 mais plusieurs essais cliniques sont en cours aux USA et en Chine (traitement de cancers et leucémies) et des essais ont débuté en Europe en 2018 (thérapie génique à visée anticancéreuse notamment). Ces essais et les espoirs qu’ils suscitent ne doivent cependant pas occulter le fait que CRISPR-Cas9 ne constitue pas une solution miracle. En effet, une maladie ne se résume pas à un gène défectueux et il ne suffit pas de repérer un gène défectueux pour intervenir et traiter la pathologie. Dans de nombreuses affections, plusieurs gènes agissent en même temps. Ainsi, les différentes myopathies font intervenir une centaine de gènes. Par ailleurs, certaines maladies comme le diabète ou l’obésité sont la combinaison de plusieurs gènes et de l’interaction avec l’environnement du sujet ou d’autres facteurs épigénétiques. Ces derniers sont des mécanismes qui modulent l’expression d’un gène car, si les cellules d’un individu ont le même ADN, toutes n’en font pas le même usage. Selon le professeur Gaudray, nous avons tous « le même ADN, à peu de chose près, dans toutes les cellules de [notre] organisme. Celles-ci sont au nombre d'environ 100 000 milliards et sont très diverses : il y a des cellules qui fabriquent [nos] os, des cellules musculaires, ou encore des cellules nerveuses. Au total, il existe plus de 200 types de cellules, qui sont en fait des variations de l'utilisation du même ADN. Cela signifie que les gènes actifs, éteints ou modulés sont différents pour chaque type de cellule ! Or, nous savons que les évolutions peuvent être causées par des changements internes mais aussi par l'environnement : la nourriture, des produits chimiques, le rayonnement cosmique9... ».
Les facteurs épigénétiques et la difficulté de toucher l’ensemble des cellules d’un individu explique que, dans les recherches sur certains cancers, la technique CRISPR-Cas9 soit utilisée non pas pour modifier des gènes mais pour modifier des globules blancs « anti-cancer » de façon à les rendre plus résistants et donc, plus efficaces.
Quelle que soit la méthode utilisée, l’intervention sur le génome peut induire des effets imprévus, des mutations que l’on n’avait pas envisagées. C’est toute la problématique des effets hors cible (off target effects). Si certains scientifiques estiment que ces effets hors cibles seront très bientôt parfaitement maîtrisés, ils ne doivent cependant pas être négligés car ils constituent l’une des principales limites à l’utilisation de la technique CRISPR-Cas9. Il convient à cet égard de distinguer les effets hors cibles liés à la technique (effets techniques) et ceux qui relèvent de la connaissance (effets théoriques). Les premiers renvoient à la fiabilité de la technique : la coupure doit se produire à l’endroit souhaité et pas ailleurs. Les seconds visent une autre problématique : même si l’on a la certitude que les ciseaux coupent à l’endroit indiqué, il n’en reste pas moins qu’il faut connaître parfaitement le génome et s’assurer que la modification induite n’entraînera pas d’effets imprévus. Il s’ensuit qu’en réalité les effets imprévus non voulus peuvent se produire sur un gène hors cible (effets off target technique et/ou théorique) ou sur le gène ciblé mais la modification de ce gène provoquera des effets non anticipés. C’est pourquoi il est possible de parler d’effets on target non souhaités.
L’intervention sur les cellules souches somatiques (adultes) relève des articles L. 121-1 et L. 1121-2 du Code de la santé publique (CSP) qui encadrent la recherche biomédicale. L’article L. 1121-1 CSP définit la recherche biomédicale comme « les recherches organisées et pratiquées sur l'être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales ». Une telle recherche n’est possible qu’à plusieurs conditions :
- Elle doit être fondée sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérimentation préclinique suffisante ;
- Le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche n’est pas hors de proportions avec le bénéfice escompté ;
- La recherche vise à étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition ;
- Elle doit être conçue de façon à réduire au minimum la douleur, les désagréments, la peur et tout autre inconvénient lié à la maladie ou à la recherche.
Une ambiguïté peut résulter de la lecture de la troisième condition, lorsqu’elle fait référence aux moyens susceptibles d’améliorer la condition de l’être humain. L’amélioration de la condition d’une personne inclut bien évidemment les bénéfices d’une thérapie, mais l’expression est bien plus large. Le mot « thérapie » provient du grec « therapeia » signifiant « cure », lui-même dérivé de « therapénô » qui signifie « servir, prendre soin de, traiter, soigner ». Dans toutes ses acceptions, le terme thérapie est associé au soin, ce qui suppose une personne malade. Le mot « amélioration » quant à lui renvoie à « un changement en mieux, un meilleur état ». L’amélioration de la condition d’un individu ne nécessite pas, en tant que telle, un état pathologique pour exister. Elle peut concerner un patient dans le cadre d’une thérapie, mais aussi un individu en dehors de toute thérapie. La technique CRISPR-Cas9 pourrait alors être utilisée non plus dans un objectif de traitement médical mais à des fins d’augmentation des capacités de l’individu (meilleure acuité visuelle, meilleure résistance à l’effort…). Or, une telle utilisation serait contraire à la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine10. L’article 12 de la convention dispose en effet qu’une intervention « ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques […] ». Cette disposition exclut a priori toute intervention sur le génome à des fins d’amélioration.
Si la manipulation de cellules souches somatiques soulève un certain nombre de questions juridiques et éthiques, celles-ci sont encore plus nombreuses lorsque la manipulation s’effectue sur des cellules souches germinales.
II. La modification des cellules souches germinales
La technique CRISPR-Cas9 pourrait être utilisée dans les recherches sur l’embryon ou les gamètes pour corriger une mutation à l’origine d’une maladie héréditaire11 ou pour prévenir un risque de maladie grave en rendant les cellules plus résistantes à une maladie12.
Différents textes s’appliquent aux recherches sur l’embryon (A) mais des ambiguïtés textuelles laissent planer un doute sur la légalité de certaines pratiques (B).
A. État des lieux
Sur le plan européen, une convention sur les droits de l’homme et la biomédecine a été adoptée à Oviedo dans le cadre du Conseil de l’Europe le 4 avril 199713. Les articles 13 et 18 de la convention concernent spécifiquement la modification des cellules germinales de l’être humain14. Selon les dispositions de l’article 13 de la convention, « une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n'a pas pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance ». L’article 18 prévoit que « lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon ». Il précise également que « la constitution d'embryons humains aux fins de recherche est interdite ».
L’objectif de cette convention était d’obtenir un consensus international mais il n’a pas été atteint, des pays trouvant le texte trop restrictif alors que d’autres au contraire le trouvaient trop permissif. De ce fait, la convention n’a pas été ratifiée par certains pays membres (Royaume-Uni, Allemagne, Autriche, Belgique, Irlande et Russie), ni par aucun des pays associés au Conseil de l’Europe (Australie, Canada, USA, Japon, Mexique et St-Siège).
Au plan national, à l’article 16-4 du Code civil français, figurent les dispositions suivantes : « Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine ». Le même article interdit par ailleurs « toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes » ainsi que « toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée ». Enfin, il est précisé que « sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ».
L’article L. 2151-2 du Code de la santé publique, modifié en 2011, dispose quant à lui que « la conception in vitro d'embryon ou la constitution par clonage d'embryon humain à des fins de recherche est interdite. La création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdite ».
Quant à l’article L. 2151-5 CSP, il précisait initialement que les recherches sur l’embryon étaient interdites, sauf dérogation. En 2013, il a été modifié. On est passé d’une « interdiction sauf dérogation » à « une autorisation sous conditions » des recherches sur l’embryon. Les conditions relèvent à la fois de la recherche et des embryons concernés. Concernant la recherche, la pertinence scientifique de celle-ci doit être établie, elle doit poursuivre une finalité médicale et il ne doit pas exister de méthode alternative à cette recherche. Concernant les embryons, ne peuvent être utilisés que des embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP) et ne faisant plus l’objet d’un projet parental (embryons surnuméraires sains, embryons écartés de l’AMP car un mauvais développement est redouté et embryons porteurs d’une maladie identifiée dans le cadre d’un diagnostic préimplantatoire). Le couple doit avoir donné son consentement préalable à l’utilisation des embryons à des fins de recherche et ce consentement doit être réitéré à l’issue d’un délai de réflexion de 3 mois.
L’article L. 2151-5 IV CSP prévoit que « les embryons sur lesquels une recherche a été menée ne peuvent être transférés à des fins de gestation ».
Enfin, en 2016, une nouvelle disposition a été ajoutée à l’article L. 2151-5 CSP. Il est précisé que « sans préjudice du titre IV du présent livre Ier, des recherches biomédicales menées dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation peuvent être réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l'embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre du couple y consent » (L. 2151-5 V CSP).
L’ensemble des dispositions encadrant les recherches sur l’embryon mettent en lumière plusieurs difficultés d’interprétation tenant à l’ambiguïté des textes.
B. Des ambiguïtés textuelles
Une première difficulté tient à l’articulation entre l’article L. 2151-5-IV CSP, l’article 16-4 du Code Civil et l’article L. 2151-5-V CSP. En effet, l’alinéa 4 de l’article 16-4 du Code civil dispose que « sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ». L’article L. 2151-5-IV CSP dispose quant à lui que « les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation ». Le contenu de ces textes semble en contradiction avec l’article L. 2151-5-V CSP qui prévoit que « des recherches biomédicales menées dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation peuvent être réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l'embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation, si chaque membre du couple y consent ». Le transfert de l’embryon modifié à des fins de gestation si la gestation est menée à son terme, pourrait conduire à faire naître un enfant dont la descendance éventuelle pourrait être modifiée, ce qui va à l’encontre des dispositions du Code civil et de la convention d’Oviedo. Il convient d’en déduire que s’il y a transfert d’embryon, seules les cellules somatiques peuvent avoir été modifiées. Cependant le texte ne le précise pas, d’où l’ambiguïté d’interprétation.
Une seconde difficulté tient à la possibilité d’utiliser la technique CRISPR‑Cas9 pour provoquer une mutation sur les cellules germinales telles que les spermatozoïdes et les ovules, conjuguée à l’interdiction de concevoir un embryon à des fins de recherche, celle-ci ne pouvant se faire que sur des embryons surnuméraires. Or, si les gamètes sont modifiés, il peut être intéressant de voir les effets produits par cette modification sur l’embryon qui résulterait de ce gamète, ce qui est impossible en raison de l’interdiction. On peut donc s’interroger sur la logique consistant à autoriser une étape de recherche mais à interdire les étapes de validation ultérieures, notamment dans le cadre de la recherche fondamentale15.
Les chercheurs pourraient être tenté de contourner cette interdiction en utilisant l’article L. 2151-5-V CSP étudié précédemment. Un embryon pourrait être créé à partir de gamète(s) modifié(s), à des fins de recherche, mais dans le cadre d’une AMP. Toutefois, outre le fait que cette situation conduirait à permettre ce que l’on veut interdire, elle entraînerait une « modification du patrimoine génétique » transmissible à la descendance.
Une troisième difficulté provient de l’absence de définition de l’embryon « transgénique » et « chimérique », dont la création est interdite par l’article L. 2151-2 du Code de la santé publique. Ce flou sémantique peut en effet être à l’origine de difficultés d’interprétation et de stratégies de contournement de la loi.
La notion de transgène n’est pas définie par la loi et elle est souvent confondue avec l’expression « organisme génétiquement modifié » (OGM). Or, les deux termes ne recouvrent pas les mêmes pratiques. Une définition de l’OGM figure à l’article 2 de la directive européenne de 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement16. Cette directive concerne tous les organismes vivants (animaux, végétaux, bactéries), à l’exception des êtres humains pour des raisons d’éthique. Est ainsi considéré comme un OGM « un organisme, à l'exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d'une manière qui ne s'effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Cette définition est également proche de celle de « organisme vivant modifié » contenue à l’article 3 du Protocole de Carthagène sur la biosécurité17 qui définit l’OGM comme « tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à la biotechnologie moderne ».
Une modification génétique peut se faire naturellement ou artificiellement. C’est le cas notamment de modifications génétiques dues à la mutagénèse. La mutagénèse naturelle est un processus de modification du génome d’une cellule s’opérant sans intervention extérieure (cancer, maladie héréditaire…) alors que la mutagénèse artificielle est un processus de modification du génome résultant de l’intervention humaine. La mutagénèse artificielle est utilisée en génie génétique et consiste à provoquer volontairement des mutations. Elle peut se faire de manière aléatoire, en exposant l’ADN à des agents mutagènes tels que des composés chimiques ou des radiations (mutagénèse aléatoire) ; elle peut également se faire de façon ciblée en induisant une mutation précise dans le gène cible grâce à des techniques telles que CRISPR-Cas9, TALENS… (mutagénèse dirigée). L’organisme génétiquement modifié est donc celui dont le génome a été modifié pour lui conférer une nouvelle propriété, peu importe la technique utilisée. L’embryon génétiquement modifié serait celui dans lequel on va par exemple supprimer le gène responsable d’une maladie.
Le transgène est, en lui-même, un organisme génétiquement modifié puisque le génome de la cellule a subi une transformation mais cette transformation résulte d’un processus particulier, la transgénèse. Cette technique consiste à introduire un gène étranger (transgène) dans le génome d’une cellule, modifiant ainsi son patrimoine héréditaire. L’organisme transgénique est donc celui qui possède dans son génome un ou plusieurs transgènes. Le transgène peut provenir de la même espèce (deux variétés de carottes par exemple), ou provenir d’espèces différentes (carottes et betterave par exemple). L’embryon transgénique serait celui dans lequel on va par exemple remplacer un gène défectueux par un gène sain étranger.
Quant à la chimère, c’est un organisme, animal en général, intégrant des génotypes (populations de cellules génétiquement distinctes) provenant d'individus différents. La chimère résulte de la combinaison des cellules de deux organismes différents et fait cohabiter les génomes des cellules des deux organismes au sein d'une même entité. Ainsi, un embryon chimère homme-cochon a été créé par des chercheurs américains, cet embryon contenant à la fois des cellules humaines et des cellules de porc18. La chimère doit être distinguée de l’hybride, organisme issu du croisement de deux individus de deux variétés, espèces ou genres différents. L'hybride présente un mélange des caractéristiques génétiques des deux parents et fait cohabiter des chromosomes de différentes origines au sein d'un même génome. L’hybridation peut être naturelle ou provoquée. Les mules par exemple sont des hybrides engendrés par un âne et une jument.
Comme on peut le constater, chaque terme a un sens spécifique et il est particulièrement important de s’entendre sur leur définition en matière de règlementation bioéthique. Ainsi, l’interdiction de créer des embryons transgéniques ou chimériques doit-elle être étendue aux embryons génétiquement modifiés ou hybrides ? Si l’on s’en tient aux termes utilisés, le législateur n’a pas entendu interdire la création d’embryon modifié non transgénique ou chimérique. Il est donc possible de créer un embryon dont le génome a été modifié sans ajout d’une séquence d’ADN exogène (sans transgène).
Le statut de l’embryon et l’utilisation de CRISPR-Cas9 dans la recherche sur l’embryon sont à une période charnière. Les états généraux de la bioéthique peuvent être l’occasion de décider de l’orientation qu’il convient de donner à la loi, en prenant en considération les intérêts parfois contradictoires des citoyens, des médecins ou des scientifiques.
Faut-il modifier les dispositions législatives relatives à la modification des cellules germinales ? La réponse à cette question suppose d’apprécier de manière objective l’intérêt de modifier des cellules germinales ou des embryons, et les alternatives qui peuvent exister à ces pratiques. Il est extrêmement difficile pour le juriste de procéder à une telle appréciation en raison du caractère technique des procédés mis en œuvre et des conséquences inattendues qu’ils peuvent produire. La technique évoluant très rapidement, il est très délicat d’anticiper tout en assurant la sécurité juridique que les différents acteurs sont en droit d’attendre. Légiférer en la matière est d’autant plus difficile que l’on assiste à un changement de paradigme dans l’appréciation du ratio bénéfices/risque. Ce ratio est actuellement apprécié par rapport à la personne qui se prête à la recherche : si les bénéfices attendus sont supérieurs aux risques prévisibles encourus, la recherche peut trouver une justification. CRISPR-Cas9 modifie cette approche en permettant d’intervenir beaucoup plus facilement sur le génome. Or, le génome est porteur du patrimoine héréditaire de l’individu et toute modification de ce patrimoine aura nécessairement des conséquences sur les générations futures. Il conviendrait donc, pour légiférer sur ces pratiques, d’apprécier le ratio bénéfices/risques de la recherche sur les cellules germinales non plus à l’aune d’un individu mais à l’échelle de toute une population, voire de l’espèce humaine.
L’absence d’harmonisation des législations au niveau international rend le travail du législateur encore plus difficile. Il faut en effet adapter sa législation à l’environnement social national tout en faisant face à des enjeux immenses en la matière : poids économique de la recherche, fuite des chercheurs à l’étranger, tourisme médical…