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Comptes rendus

Nikol Dziub, Voyages en Andalousie au xixe siècle. La fabrique de la modernité romantique

Genève, Droz, 2018, 448 p., ISBN : 978-2-600-05863-6
Sarga Moussa
Référence(s) :

Nikol Dziub, Voyages en Andalousie au xixe siècle. La fabrique de la modernité romantique, Genève, Droz, 2018, 448 p., ISBN : 978-2-600-05863-6

Texte intégral

1Extrêmement documenté, rédigé dans un français impeccable, cet ouvrage issu d’une thèse comble une lacune dans les études viatiques, en tout cas en France. Envisagée d’un point de vue comparatiste, à travers un large dix-neuvième siècle, l’Andalousie apparaît comme un espace à la fois réel et symbolique, parcouru par de nombreux voyageurs (de Chateaubriand à De Amicis, en passant par Dumas, Gautier, Botkine, Andersen, Doré et Davillier, etc.), et investi d’un fort imaginaire, souvent idéalisant, que ce soit lorsqu’on y retrouve avec insistance le topos du locus amœnus à propos de l’Alhambra de Grenade, ou l’image de la mosquée-forêt aux multiples colonnes de Cordoue.

2L’intérêt de ce livre est aussi de replacer ces différents voyages dans le contexte des grands changements qui interviennent au cours du xixe siècle, en particulier le rôle croissant de la presse et la naissance de la photographie. Les écrivains et les artistes en tirent parti tout en s’en méfiant (le journal pouvant être perçu comme un appauvrissement de la littérature, le daguerréotype comme un concurrent « mimétique ») : N. Dziub interprète la plupart des voyages qu’elle étudie comme une réponse aux peurs générées par ces transformations liées à la modernité européenne, l’Andalousie apparaissant comme un espace investi de valeurs liées à l’époque romantique – la quête du pittoresque, c’est-à-dire non seulement de ce qui est digne d’être peint, mais de ce qui apparaît comme « authentique », porteur d’une forte nostalgie.

3L’Espagne, disait Hugo dans la préface de ses Orientales (1829), « c’est encore l’Orient ». L’Andalousie, fortement marquée par la présence de l’islam, constitue, a fortiori, un espace « orientalisé », à l’intérieur d’un pays qui est lui-même pensé, chez certains voyageurs, d’abord dans sa dimension méditerranéenne, comme ouverture vers le monde musulman. C’est très clairement le cas pour Théophile Gautier, dont Tra los montes (1843), devenu Voyage en Espagne (1845), constitue largement une célébration de l’Andalousie comme un lieu de résistance à la modernité bourgeoise envahissante.

4Mais N. Dziub, qui consacre un très beau chapitre aux différentes productions de Gautier liées à l’Espagne (son Voyage, mais aussi son recueil poétique España, notamment), montre bien que les enjeux dépassent bien souvent la simple description d’un lieu étranger, fût-il décrété « exotique ». Elle analyse par exemple la façon dont le feuilletoniste, lors de ses premières productions publiées en revue, prend en compte les attentes, parfois contradictoires, de ses lecteurs, qui veulent tout à la fois du « réel », observé in situ, mais aussi les charmes de telle ou telle aventure propice à la fiction. Elle analyse aussi finement la façon dont Gautier, qui se déplace avec l’un des tout premiers daguerréotypes, aiguise son œil « photographique » par la précision de ses descriptions (il se désigne lui-même, avec une fausse modestie, comme un « daguerréotype littéraire »), mais aussi comment il développe l’art du clair-obscur, cette fois-ci en s’inspirant des peintres, ou encore en quoi il compose, à travers son souci du « naturel », une sorte d’art poétique personnel.

5De Chateaubriand qui, dans son compte rendu du Voyage pittoresque et historique de l’Espagne d’Alexandre de Laborde (1807), constitue l’Andalousie en topos (« des orangers et des grenadiers sauvages se mêlent à des ruines légères »), à Charles Davillier illustré par Gustave Doré (L’Espagne, 1874), tous deux encore sensibles aux Bohémiennes, l’Andalousie des écrivains et des artistes étudiés par N. Dziub constitue un bel ensemble, fortement lié au romantisme, entendu moins comme une période précise de l’histoire littéraire que comme un ensemble de représentations qui irriguent le récit de voyage tout au long du xixe siècle. Ces représentations, souvent stéréotypées, entretiennent des liens évidents avec l’orientalisme littéraire et pictural – il aurait sans doute été utile de préciser, fût-ce pour s’en démarquer, le lien qu’elles entretiennent avec le « discours orientaliste » d’Edward Said, à peine mentionné.

6Le lecteur trouvera en tout cas dans cet essai, richement annoté et doté d’une bonne bibliographie critique plurilingue, tout à la fois des analyses détaillées et une réflexion synthétique sur l’image de l’Andalousie, à l’époque de l’âge d’or du voyage.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sarga Moussa, « Nikol Dziub, Voyages en Andalousie au xixe siècle. La fabrique de la modernité romantique »Viatica [En ligne], 7 | 2020, mis en ligne le 01 mars 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/1383 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.1383

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Auteur

Sarga Moussa

THALIM, CNRS, Université Sorbonne Nouvelle, ENS

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