Qu’est-ce que voyager ? Une manière de se déplacer ? d’appréhender le monde ? Une entreprise de connaissance, qu’il faut mener avec sérieux ? Un art de vivre, qu’il faut envisager avec l’œil d’un philosophe ? Dès la Renaissance, les penseurs et les voyageurs eux-mêmes se sont penchés sur cette étrange pratique consistant à abandonner son foyer et les siens pour courir les routes, les mers et le monde. Leur but : éviter qu’elle se cantonne à la simple translation d’un lieu vers un autre ou à une errance sans objet véritable. Cette réflexion a même donné naissance à un genre littéraire en bonne et due forme, sous le nom de « littérature apodémique » ou, plus simplement, d’art de voyager : simples fascicules de conseils prêchant la prudence et le bon sens à ceux qui se lancent dans l’aventure, ou bien austères et copieux traités expliquant par le menu comment organiser au mieux son itinéraire, en rapporter le plus d’informations possible et en composer un récit utile à soi-même et au public. À partir du xviie siècle, cette seconde forme se radicalise en recueils d’« instructions aux voyageurs » de profession, enfermant ces derniers dans un carcan de règles toujours plus contraignantes, avant de s’estomper peu à peu, disparition des terrae incognitae et développement du tourisme aidant. Pourtant, l’on sent encore percer, chez tel ou tel auteur en chemin à travers le monde, le besoin de prendre du recul à l’égard de sa pratique du voyage, d’en dégager des enseignements, pour lui-même et ceux qui le suivront dans cette voie…
Au xxie siècle, se déplacer à l’autre bout du monde est désormais un jeu, au point que le nomadisme fait à nouveau partie de notre quotidien. Le tourisme est devenu un phénomène de masse qui s’étend progressivement à la planète entière, tandis que la littérature dite « de voyage » connaît un succès sans précédent. Mais, dans les librairies spécialisées, au sein des agences organisant des périples « à la demande », sur les espaces consacrés par le web à la mise en forme des blogs issus de ces périples, aux « forums de routards » ou aux « écrivains itinérants », en un moment où la crise économique et les tensions mondiales font craindre une restriction croissante de l’espace encore explorable pour le simple loisir, on recommence à se demander ce que voyager veut dire et quel profit personnel on peut retirer à parcourir le monde.
La présente rubrique se propose donc de contribuer à cette nouvelle réflexion sur le sens du voyage en partant à la découverte du territoire souvent méconnu que sont les arts de voyager laissés, explicitement ou entre les lignes, par nos prédécesseurs plus ou moins lointains – à charge pour nous d’en extraire un savoir moins « amer » que ne le prétend le poète !