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Comptes rendus

Nicolas Bourguinat, « Et in Arcadia ego… ». Voyages et séjours de femmes en Italie, 1770-1870

Montrouge, Éditions du Bourg, 2017, 442 p., ISBN : 978-2-9561229-2-0
Nikol Dziub
Référence(s) :

Nicolas Bourguinat, « Et in Arcadia ego… ». Voyages et séjours de femmes en Italie, 1770-1870, Montrouge, Éditions du Bourg, 2017, 442 p., ISBN : 978-2-9561229-2-0

Texte intégral

1« Et in Arcadia ego… » : ce titre subtilement énigmatique serait trompeur, s’il n’était suivi d’un sous-titre indiquant, sans ambiguïté aucune, l’objet de ce remarquable essai – les voyages et séjours de femmes en Italie entre 1770 et 1870 – et permettant de pressentir les enjeux de l’ouvrage, à savoir la conquête d’un territoire, l’Italie, et d’une posture, celle du voyageur, en une époque où s’impose une analogie entre « la non-existence de l’Italie en tant que nation et la non-visibilité des femmes en tant que citoyennes » (p. 405). L’une des sous-sections de l’ouvrage est d’ailleurs intitulée « La destinée de l’Italie, allégorie de la femme moderne » (p. 333-336).

2Signalons d’emblée que ce très beau volume est l’œuvre d’un historien – et d’un historien capable, sans jamais donner le sentiment de survoler les textes, de rendre compte de sa lecture de plus de 300 références (que l’on doit à 220 voyageuses environ) en quelque 400 pages de texte – auxquelles il faut ajouter un précieux « inventaire bibliographique des voyageuses en Italie » qui couvre plus de vingt pages. À vrai dire, si sa démarche est ouvertement celle d’un historien, Nicolas Bourguinat ne se contente pas de mobiliser les outils de lecture propres à sa discipline. Son appréhension des textes est également sociolittéraire : en témoignent, entre autres, l’introduction (« Wanderer Fantasie », p. 11-51), qui s’achève sur un très utile tableau chronologique récapitulatif et permet de saisir les implications imaginaires de l’acte féminin consistant à partir pour l’Italie, et la conclusion (« Italia Mea », p. 397-411), dans laquelle Nicolas Bourguinat décrit la relative dévaluation du passé dans une Italie moderne où il cesse « d’être le garant de l’avenir », et où il « ne va[ut] plus que pour lui-même » (p. 411). Partiellement (quoique très modérément) genrée (il est question notamment du contraste entre voyage en couple et voyage féminin solitaire), l’analyse ici développée est en outre stylistique (l’un des enjeux de l’écriture viatique étant, pour une femme comme George Sand, de parvenir à « dépasser les modèles à l’eau de rose, entre régression infantile, “grêle d’épithètes” et rêverie », p. 162) et, surtout, générique. Nicolas Bourguinat s’intéresse à la façon dont le voyage devient une source pour la fiction, et aux biais par lesquels l’écriture romanesque (on songera au Malvina de Maria Wirtemberska) se fonde sur l’écriture viatico-diaristique. Constamment situé entre autobiographie, récit d’aventures et enquête socio-ethnologique, le récit de voyage féminin en Italie favorise de plus l’émergence de sous-genres nouveaux (et peu étudiés), comme les mémoires d’émigration ou le journal pédagogique.

3Il faut par ailleurs saluer la subtilité de l’étude rhétorique que Nicolas Bourguinat propose dans le cinquième des huit chapitres qui composent son essai (« La femme voyageant et écrivant : une rhétorique de l’infériorité », p. 219-240). Analysant avec minutie le sens particulier que prennent, sous une plume féminine, certains éléments verbaux récurrents (ramble, ride, residence, tour, journey, customs and manners, par exemple) dans les titres des livres viatiques, il défend cette hypothèse (très pertinente à notre sens), que la rhétorique féminine de la faiblesse et ses éléments constitutifs (les professions d’impuissance, de sensibilité, de subtilité…) s’inscrivent dans le cadre d’un pacte entre auteur(e) et lecteurs/lectrices.

4Ce qui fait le prix de cet ouvrage, c’est à la fois l’ambition et la modestie de l’auteur. Ambitieuse, l’entreprise de Nicolas Bourguinat l’est sans doute aucun : couvrir une période allant des Lumières à l’ère de la monarchie libérale, rendre compte de cent ans de voyages au féminin, sans discrimination d’aucune sorte (il est précisé, dès l’introduction, que toutes les femmes voyageuses requerront l’attention de l’auteur, « quels que soient les conditions et les objectifs de leur déplacement », p. 41), parler de voyageuses non seulement anglaises et françaises, mais aussi polonaises, ou encore russes, voilà qui est audacieux. Mais Nicolas Bourguinat se montre à la hauteur de son audace, et ce d’autant plus qu’il est pondéré dans ses conclusions. Il ne cherche nullement à révolutionner la vision que l’on peut avoir des vagues successives du voyage féminin en Italie « de l’Ancien Régime à l’Unité » (p. 41). Il se contente, par exemple, de nuancer les analyses sociotextuelles que l’on doit aux zélateurs des gender studies – analyses dont il ne nie pas la pertinence, mais dont il estime, d’une part, qu’elles ne tiennent pas assez compte de la part de rhétorique que contiennent les discours métatextuels sur la posture auctoriale féminine, et, d’autre part, qu’elles cherchent à accentuer le contraste entre écritures féminine et masculine du voyage, alors qu’une analyse comparative prouve que certains artifices rhétoriques (à commencer par la pose qui consiste à dire que l’écriture viatique est spontanée) sont communs aux deux sexes – ce dont certaines voyageuses (Lady Morgan par exemple) sont d’ailleurs parfaitement conscientes (voir p. 228). Quant au rôle des césures historiques et des grandes tendances culturelles (l’épopée napoléonienne, le Grand Tour, etc.), Nicolas Bourguinat en affine la perception sans prétendre rompre avec la critique viatique qui en affirme l’importance.

5Bref, outre l’envergure géographique et culturelle du corpus considéré, la richesse, la subtilité et la modération qui caractérisent l’approche de Nicolas Bourguinat font de cet essai un ouvrage de référence.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nikol Dziub, « Nicolas Bourguinat, « Et in Arcadia ego… ». Voyages et séjours de femmes en Italie, 1770-1870 »Viatica [En ligne], 5 | 2018, mis en ligne le 01 mars 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/990 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.990

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Auteur

Nikol Dziub

ILLE, Université de Haute-Alsace

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