Le rapport « Sauvé » publié à la suite des États généraux de la justice dresse le constat d’une complexification de la procédure pénale et d’un Code devenu « illisible », « peu praticable », en raison, notamment, d’un enchevêtrement de dispositions particulièrement confuses1. Au cœur des réflexions, la phase préparatoire du procès pénal cristallise les difficultés, liées à l’articulation entre les différents cadres d’investigations, autrement dit de l’enquête lato sensu : enquête de flagrance, préliminaire, instruction. Quels sont, quels peuvent‑être et quels devraient être le rôle des acteurs du contrôle des investigations et les modalités de ce contrôle ?
Une phase préparatoire du procès, donc, une équation, trois acteurs : le procureur de la République, le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention (JLD). Magistrat du parquet, le procureur est le directeur de l’enquête de police judiciaire, impartial d’après l’article 31 du Code de procédure pénale modifié par la loi n° 2013‑669 du 25 juillet 2013, et menant ses investigations à charge et à décharge, selon l’article 39‑3 dudit Code, modifié par la loi n° 2016‑731 du 3 juin 2016. Le ministère public représente un « premier niveau de protection des droits fondamentaux au cours de l’enquête », selon la Commission présidée par M. Jacques Beaume2, tandis que le Conseil constitutionnel considère que le seul contrôle du procureur de la République suffit à valider les actes moins contraignants d’investigation (par exemple, de la géolocalisation3). Pour autant, l’un des points de tension résulte du statut du Ministère public français et des ambivalences liées à sa qualité d’autorité judiciaire, qualité que lui dénie en effet la Cour européenne des droits de l’homme4, à la différence du Conseil constitutionnel5. Dans sa recommandation 2000 (19) adoptée le 6 octobre 20006, le Conseil de l’Europe définit le ministère public comme l’« autorité chargée de veiller, au nom de la société et dans l’intérêt général, à l’application de la loi lorsqu’elle est pénalement sanctionnée, en tenant compte […] des droits des individus et […] de la nécessaire efficacité du système de justice pénale », sans pour autant se prononcer sur le statut des parquetiers. Et pour cause : il existe de multiples modèles possibles. Certains parquets sont en effet indépendants, comme en Italie7 ; d'autres sont soumis hiérarchiquement au ministre de la Justice, comme en Allemagne8, et ces différents modèles se valent à condition d’être entourés de garanties suffisantes. Le ministère public peut alors, en fonction des systèmes de justice pénale, conduire et diriger l’enquête. Seulement, lorsque le procureur de la République est habilité à prendre des mesures qui entraînent des atteintes aux droits et aux libertés fondamentales de la personne mise en cause, le Comité des ministres recommande de prévoir un contrôle judiciaire9. En France, le tournant s’opère avec la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, par laquelle le législateur octroie au ministère public des pouvoirs d’investigations de plus en plus importants et que confirmeront les lois ultérieures. L’évolution est telle que, par effet de miroir, le taux d’ouverture d’une instruction se réduit – entre 3 % et 5 % des affaires –, conséquence d’un phénomène d’« hypertrophie » de l’enquête préliminaire10.
Or cette évolution ne peut se réaliser que par la prévision concomitante d’un contrôle de l’autorité judiciaire : se dessinent ainsi une gradation de la gravité de l’atteinte portée aux droits et libertés et, partant, un partage de pouvoirs dans le contrôle des actes d’investigation entre le procureur de la République et le juge du siège. Par exemple, en 2013, la Cour de cassation a jugé que « la technique dite de “géolocalisation” constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge11 », en sorte que le législateur a par la suite, avec la loi n° 2014‑372 du 28 mars 2014, confié au juge d’instruction et au JLD le pouvoir de contrôler l’usage de cette technique. En 2019, c’est la même logique qui conduit le Conseil constitutionnel à juger :
[Qu’]en prévoyant que, en cas d'urgence, l'autorisation de recourir à une des techniques spéciales d'enquête peut être délivrée par le procureur de la République et peut se poursuivre sans contrôle ni intervention d'un magistrat du siège pendant vingt‑quatre heures, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle au droit au respect de la vie privée12.
La nécessité de faire intervenir l’autorité judiciaire dans la phase d’enquête policière résulte de l’article 66 de la Constitution. Certes, le Conseil constitutionnel réduit la portée de cet article et de la notion de liberté individuelle à celle de privation de liberté13. Pour autant, cette disposition constitutionnelle implique, en matière de procédure pénale, de placer l’activité des officiers de police judiciaire sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire14. Le postulat est le suivant : toute mesure de contrainte suppose un contrôle de l’autorité judiciaire, seule gardienne de la liberté individuelle au regard de l’article 66 de la Constitution. Plus la contrainte progresse, plus ce contrôle grandit, ou doit grandir. Ce contrôle, aujourd’hui, est incarné par un juge : celui des libertés et de la détention (ci‑après « JLD »), dont la dénomination relève de la prophétie des parlementaires l’ayant retenue lors de l’adoption de la loi n° 2000‑516 du 15 juin 2000, tandis que certains députés envisageaient de restreindre l’office de ce juge à la seule détention15. L’institution acquiert, au fil des réformes, de nouvelles compétences, le réflexe croissant du législateur étant de faire appel à ce magistrat dès qu’une mesure attentatoire aux libertés individuelles se trouve en jeu. Or, derrière le truisme d’un contrôle de l’autorité judiciaire se cache, parfois, l’opportunité d’introduire de nouvelles mesures coercitives. Le juge du siège représente ainsi un atout processuel, permettant en théorie de combler une « carence judiciaire » pour mieux repousser les limites de la coercition. L’évolution est telle qu’a pu être évoquée une « porosité » des cadres de l’enquête et de l’instruction16, pour souligner la façon dont la physionomie du procès pénal se modifie à travers l’essor du rôle de ce magistrat. Les enquêtes se confondent, la logique s’inverse : hier au service des libertés, le juge deviendrait « caution légale » de la coercition17.
Si le constat est désormais acquis, les évolutions récentes laissent, pourtant, entrevoir un changement de paradigme. En effet, la prévision de nouveaux pouvoirs du JLD ne se traduit pas toujours par l’introduction de nouvelles mesures d’investigation attentatoires aux libertés, mais par un renforcement du contrôle, par l’autorité judiciaire, de mesures préexistantes. Ainsi en est‑il, par exemple, des dispositions issues de la loi n° 2021‑1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire : le législateur a introduit l’exigence d’une autorisation a priori délivrée par le JLD pour la mise en œuvre des mesures de réquisitions des données de connexion émises par un avocat18, de perquisitions19, d’écoutes téléphoniques20 visant le cabinet ou le domicile d’un avocat. C’est au nom d’un enjeu de protection du secret professionnel qu’il s’est agi de renforcer les garanties entourant ces mesures intrusives – même si la question de l’effectivité du contrôle mis en place demeure posée. Dans le cadre des mesures de réquisitions de données informatiques, c’est peut‑être le JLD qui serait également amené, demain, à en contrôler la mise en œuvre, en vue de mettre en conformité notre dispositif avec le droit de l’Union européenne au service de la protection des droits fondamentaux21 – sous réserve, cependant, des contraintes économiques et matérielles qu’une telle évolution supposerait22.
C’est en tirant le fil de la trame embryonnaire suggérée par les évolutions du rôle et du contrôle du JLD qu’il est possible de s’interroger sur une nouvelle architecture de la phase préparatoire du procès. En réalité, la question n’est pas tant de choisir l’institution compétente – procureur de la République, juge –, pour mener les investigations et donc réaliser l’enquête lato sensu, que de chercher les moyens de la « contrôler ». Articuler les compétences entre les acteurs de l’enquête pénale, garantir l’effectivité du contrôle : ces enjeux doivent conduire à renforcer l’effectivité du contrôle de l’enquête (I), mais aussi à généraliser le pouvoir de contrôle de l’enquête par le juge du siège (II).
I. L’effectivité du contrôle de l’enquête
L’exigence d’un contrôle judiciaire résulte de l'idée selon laquelle, dans un État de droit, l'agent de la force publique doit préalablement trouver le titre de contrainte nécessaire à l’acte de police envisagé, à peine de nullité de cet acte pour excès de pouvoir. Non seulement ce contrôle doit exister, mais en outre il doit être concret23 et efficace24. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, si les ingérences peuvent passer pour « nécessaires dans une société démocratique », la législation de droit interne doit offrir « des garanties adéquates et suffisantes contre les abus25 ». L’arrêt « Ravon c/ France », relatif aux visites et saisies en matière fiscale, est inspirant en ce que la Cour européenne exige un certain nombre de garanties participant d’un contrôle effectif : la personne concernée par l’acte doit être présente et pouvoir saisir le magistrat ; celui‑ci doit être informé du déroulement de l’opération, avoir la possibilité de se déplacer sur les lieux et de décider de suspendre ou d’arrêter la visite26. Le contrôle réalisé par l’autorité judiciaire doit porter non seulement sur la légalité de l’ordonnance, mais également sur la régularité du déroulement de l’opération. Ainsi, en la matière, l’ordonnance du JLD est susceptible d’un recours devant le premier président de la cour d’appel, celui‑ci pouvant également être saisi du contrôle de la régularité de l’opération27. Dans le cadre de la présente réflexion et si l’on s’interroge sur la façon de renforcer le contrôle de l’enquête, plusieurs garanties paraissent nécessaires, reposant sur une distinction entre l’autorisation de l’acte d’investigation, c’est‑à‑dire le contrôle a priori réalisé par le juge (A) – et le suivi de l’acte, autrement dit le contrôle a posteriori de l’exécution de la mesure (B).
A. Le contrôle a priori des actes d’investigations
La garantie des droits fondamentaux passe par l’exigence d’un contrôle a priori de la mesure, réalisé par une autorité indépendante, « et particulièrement par une autorité juridictionnelle28 ». Ce contrôle oblige les enquêteurs à obtenir une autorisation préalable à la mise en œuvre de la mesure d’enquête. Le magistrat saisi devra ainsi vérifier le respect des conditions légales de la mesure mais aussi son opportunité. Précisément, la motivation des actes d’investigation représente une garantie de l’effectivité de ce contrôle29. Or, par plusieurs décisions, la Cour de cassation s’est contentée d’ordonnances du JLD pré‑rédigées ou procédant par renvoi à la requête du procureur de la République30. En outre, la procédure pénale souffre d’un défaut d’harmonisation des exigences de motivation, certaines dispositions étant plus précises – et donc plus exigeantes – que d’autres. À cet égard, des efforts législatifs ont été entrepris par la loi n° 2016‑731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Ainsi, l’article 706‑92 du Code de procédure pénale, relatif aux perquisitions dérogatoires nocturnes, exige désormais que celles‑ci soient motivées par le biais d’une démonstration de l’impossibilité de réaliser l’opération durant les horaires de droit commun (i. e. entre 6 heures et 21 heures, selon l’article 59 du Code de procédure pénale). En matière de sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules, la loi a également renforcé l’exigence de motivation en précisant que l’ordonnance du juge doit être écrite et motivée, comporter tous les éléments permettant d’identifier les véhicules ou les lieux privés ou publics visés, indiquer l’infraction qui motive le recours à la mesure ainsi que la durée de celle‑ci31. Dans le prolongement de ces évolutions, la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 modifie l’article 100‑1 du Code de procédure pénale, article qui n’avait pas été modifié depuis 199132 : le législateur exige désormais que la décision ordonnant la mise en œuvre des écoutes téléphoniques, en plus de mentionner tous les éléments d’identification de la liaison à intercepter, précise l’infraction justifiant le recours à l’interception et la durée de celle‑ci, et soit « motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires ». L’évolution jurisprudentielle est également notable puisque la Cour de cassation paraît, à travers plusieurs arrêts, plus exigeante quant au contenu de la motivation des ordonnances du juge33. Un régime se distingue progressivement : l’autorisation doit résulter d’une ordonnance écrite et motivée contenant des motifs propres à l’affaire examinée34 ; l’autorisation juridictionnelle doit fixer les modalités de mise en œuvre de la mesure (sa durée, son périmètre)35 ; enfin, l’autorisation doit être spéciale, et pour cela viser spécifiquement l’acte que les enquêteurs souhaitent réaliser36. Il serait encore possible de renforcer l’exigence de motivation de l’ordonnance d’autorisation et ce, de trois façons.
1. Motivation en droit et en fait
L’évolution supposerait avant tout de prévoir, pour chaque acte d’investigation, une ordonnance motivée par « référence aux éléments de fait et droit justifiant que ces opérations sont nécessaires » afin d’apprécier la nécessité et la proportionnalité de la mesure conformément à l’article 8, § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH). Tel est déjà le cas, par exemple, en matière de perquisitions au regard des articles 76 et 706‑92 du Code de procédure pénale, de géolocalisation selon l’article 230‑33 du même Code, ou encore en matière d’écoutes téléphoniques (l’article 706‑95 du Code de procédure pénale renvoyant aux exigences précitées de l’article 100‑1). De même, l’article 706‑95‑13 du Code de procédure pénale, créé par la loi précitée du 23 mars 2019 et relatif aux techniques spéciales d’enquête37, exige « une ordonnance écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires ». Faut‑il, en outre, introduire une exigence de proportionnalité afin d’apprécier la mesure conformément à l’article 8, § 2 de la CESDH, à l’instar des précisions apportées par la loi n° 2021‑1729 du 22 décembre 2021 qui introduit cette exigence dans le cadre des ordonnances d’autorisation, par le JLD, des mesures d’écoutes téléphoniques38, de réquisitions39, de perquisitions40 visant le cabinet ou le domicile d’un avocat ? Une telle précision, pour chaque acte d’investigation, viendrait en complément de l’article préliminaire du Code de procédure pénale selon lequel les mesures de contrainte mises en œuvre « doivent être proportionnées à la gravité de l’infraction reprochée ». Elle serait propre au contrôle réalisé par le JLD, dans une logique similaire à celle de l’article 39‑3 du Code de procédure pénale, selon lequel le procureur de la République :
Contrôle la légalité des moyens mis en œuvre par ces derniers, la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, l'orientation donnée à l'enquête ainsi que la qualité de celle‑ci.
2. Opération de nuit
Ensuite, lorsque l’opération se réalise en dehors des délais prévus par l’article 59 du Code de procédure pénale, soit entre 21 heures et 6 heures, l’évolution consisterait à prévoir l’obligation, pour le JLD, de motiver son ordonnance en justifiant qu’elle ne peut se dérouler entre 6 heures et 21 heures – sur le modèle de ce que prévoit déjà l’article 706‑92 du Code de procédure pénale relatif aux perquisitions dérogatoires réalisées dans le cadre d’investigations liées aux infractions prévues par les articles 706‑73 et 706‑73‑1 du Code de procédure pénale.
3. Sanction de l’exigence de motivation
Enfin, il s’agirait de prévoir, pour chaque dispositif, que l’exigence de motivation est prescrite à titre de nullité. En l’état du droit positif, certains textes en font mention : tel est le cas des articles 76 et 706‑92 du Code de procédure pénale relatifs aux perquisitions, ou de l’article 706‑102‑3 du Code de procédure pénale relatif aux captations de données informatiques. Mais d’autres dispositions restent silencieuses : ainsi des articles 100‑1 et 706‑95 du Code de procédure pénale, relatifs au dispositif d’écoutes téléphoniques, de l’article 706‑95‑13, qui prévoit, concernant l’ordonnance d’autorisation délivrée par le juge, un régime procédural commun applicable aux techniques spéciales d’enquête. Or, concernant ces dernières techniques (IMSI‑Catcher, sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules, captations de données informatiques), l’article 706‑102‑3 du Code de procédure pénale, relatif aux captations de données informatiques, précise, lui, le contenu de la motivation de l’ordonnance d’autorisation de la mesure de captation41 et prévoit que la règle est prescrite à titre de nullité, ce qui introduit des exigences à part et dépassant le régime commun applicable aux techniques spéciales d’enquête. Pour quelle cohérence ?
4. Applications
Au regard de ce qui précède, il s’agirait en définitive d’exiger, pour chacune des ordonnances délivrées par le JLD, d’une part, une motivation par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que l’opération est nécessaire et adaptée aux singularités de chaque acte d’investigation, puis, d’autre part, la prévision selon laquelle la règle est prescrite à titre de nullité. À ces précisions pourrait s’ajouter une exigence de proportionnalité qui viendrait en complément de la garantie prévue à l’article préliminaire du Code de procédure pénale42. Concrètement, sont alors concernées les dispositions pour lesquelles de telles précisions font défaut. S’agissant, tout d’abord, du dispositif de réquisitions, l’évolution consisterait à modifier les articles 60‑2 et 77‑1‑2 du Code de procédure pénale qui n’évoquent qu’une « autorisation » du JLD et, pour cela, à prévoir l’exigence d’une ordonnance motivée « référence aux éléments de fait et droit justifiant que ces opérations sont nécessaires ».
Concernant, ensuite, l’opération de géolocalisation, il conviendrait de modifier l’article 230‑34 du Code de procédure pénale qui n’exige qu’une « décision écrite » et d’exiger, lorsque l’opération suppose, pour installer ou retirer le dispositif technique, de pénétrer le lieu en dehors des délais prévus par l’article 59, l’obligation pour le JLD de motiver son ordonnance en justifiant l’impossibilité de réaliser l’opération entre 6 heures et 21 heures. L’article 230‑40 du Code de procédure pénale serait également susceptible d’être modifié en vue de préciser le contenu de « décision motivée » requise du JLD lorsque celui‑ci décide de ne pas faire apparaître dans le dossier de la procédure la date, l’heure et le lieu de mise en place du dispositif et les premières données de localisation.
Une telle évolution concernerait, par ailleurs, le dispositif de perquisitions dérogatoires mises en œuvre au nom de la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées : à l’heure actuelle, l’article 706‑94 du Code de procédure pénale permet en effet de déroger à l’exigence de la présence de la personne lors de la perquisition sur la base d’un simple « accord » du JLD. De même, l’article 706‑95‑1 du Code de procédure pénale, relatif au dispositif d’accès à distance aux correspondances stockées par la voie des communications électroniques accessibles au moyen d’un identifiant informatique et qui ne requiert qu’une « ordonnance motivée », pourrait être modifié et prévoir l’exigence d’une motivation de l’ordonnance par référence aux « éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires ».
Enfin, seraient également concernées les dispositions relatives aux techniques spéciales d’enquête43, qui consacrent un régime commun aux dispositifs d’IMSI‑Catcher, sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules et de captation des données informatiques. Plus précisément, l’article 706‑95‑13 du Code de procédure pénale prévoit que le magistrat, JLD ou juge d’instruction, décide de l’opération par le biais d’une ordonnance motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires. L’évolution consisterait alors à modifier cet article en exigeant que lorsque l’opération suppose d’installer ou de désinstaller un dispositif en s’introduisant, de nuit, dans un véhicule ou lieu privé, l’ordonnance justifie également l’impossibilité de procéder à cette introduction entre 6 heures et 21 heures. Au regard des prévisions actuelles liées à la possibilité de réaliser l’opération de nuit, une telle modification concernerait le dispositif de sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules – ce qui supposerait de modifier l’article 706‑97 du Code de procédure pénale – et celui de captation des données informatiques prévu à l’article 706‑102‑5. En outre, et relativement à ces techniques spéciales d’enquête, il s’agirait de modifier l’article 706‑95‑14 du même Code, selon lequel le JLD qui estime que les opérations n'ont pas été réalisées conformément à son autorisation, ou que les dispositions applicables n'ont pas été respectées, ordonne la destruction des procès‑verbaux et des enregistrements effectués, afin de préciser le contenu de l’« ordonnance motivée » par laquelle le JLD ordonne la destruction des procès‑verbaux.
Dans le prolongement de ces évolutions, les actes applicables à certaines catégories de professionnels font l’objet de garanties qui pourraient être précisées sur le modèle de ce que prévoient, depuis la loi du 22 décembre 2021, les dispositions précitées relatives aux actes d’investigation susceptible de porter atteinte au secret professionnel de l’avocat (perquisitions, sonorisations, réquisitions). La protection du secret professionnel peut en effet être de nature à justifier un renforcement des exigences de motivation de l’ordonnance du JLD en ajoutant une condition expresse de proportionnalité dans le cadre des actes pour lesquels certains professionnels bénéficient d’un régime particulier (on songe aux professionnels visés aux articles 56‑2 et suivants du Code de procédure pénale44).
B. Le contrôle a posteriori des actes d’investigations
« Juge de papier », « juge sans dossier », telles sont les critiques adressées régulièrement à l’encontre du juge de l’enquête institué en Allemagne et en Italie, dont les systèmes judiciaires prévoient un cadre unique d’investigations45. Que le système judiciaire français offre différents cadres d’investigations importe peu : le JLD s’expose aux mêmes reproches46. C’est toute la difficulté de l’exercice que de prévoir un contrôle effectif à juste distance, « ni trop près pour ne pas être aveuglé, ni trop loin pour ne pas être aveugle47 ». Au demeurant, autoriser n’est pas contrôler48, le Conseil constitutionnel soulignant d’ailleurs la différence entre les deux concepts49, et la question est alors celle de l’effectivité du contrôle grâce au suivi de la mesure que le magistrat a autorisée.
Afin de remédier aux critiques adressées à l’encontre du magistrat et relatives à l’effectivité de son pouvoir de contrôle, différentes pistes peuvent être envisagées. La décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 201950 offre, à cet égard, un éclairage intéressant. Les Sages ont en effet refusé d’étendre les interceptions de correspondances et de communications aux enquêtes de droit commun, rappelant, outre le degré de gravité et de complexité de l’infraction, que le contrôle du JLD n’offre pas de garanties suffisantes51. En effet, le JLD n’a pas accès à l’ensemble des éléments de la procédure, « n’est pas informé du déroulé de l’enquête en ce qui concerne les investigations autres que l’interception de correspondance », ne peut « ordonner la cessation de la mesure, notamment lorsque celle‑ci n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité ». Le Conseil constitutionnel se prononce dans le même sens concernant les techniques spéciales d’enquête en énonçant la nécessité d’assortir le recours à ces actes de « garanties permettant un contrôle suffisant par le juge52 ». Selon la Cour de cassation, le juge qui autorise la mesure doit pouvoir réaliser un contrôle sur sa mise en œuvre et, corrélativement, il doit pouvoir la modifier ou l’arrêter à tout moment53. Au regard de ce qui précède, l’évolution consisterait à assurer un suivi de la mesure par le juge qui l’a autorisée et ce, de différentes manières.
1. Un contrôle « sous l’autorité et le contrôle » du JLD
Il s’agirait avant tout de prévoir, chaque fois que le JLD autorise un acte d’investigation, que l’opération est réalisée « sous l’autorité et le contrôle » de ce magistrat. Cette prévision suppose d’harmoniser les textes puisque, là encore, un certain nombre de disparités nuisent à la lisibilité et à la cohérence des dispositions. Ainsi, l’article 706‑95‑3 du Code de procédure pénale, relatif à l’accès à distance aux correspondances stockées par la voie des communications électroniques, précise bien que l’opération est réalisée sous « l’autorité et le contrôle » du magistrat. Mais tel n’est pas le cas d’autres dispositions. Par exemple, l’article 706‑95 du même Code, relatif aux écoutes téléphoniques, dispose que l’opération est « faite sous le contrôle » du JLD, à la différence de l’article 74‑2 visant les écoutes téléphoniques dans le cadre d’une enquête pour rechercher une personne en fuite, qui prévoit que les opérations sont réalisées sous « l’autorité et le contrôle » du magistrat. Les articles 76 et 706‑92 indiquent que les opérations de perquisition sont effectuées « sous le contrôle », mais non l’autorité, du magistrat qui les autorise. Dans le même ordre d’idées, l’article 706‑96‑1 du Code de procédure pénale prévoit, dans le cadre de l’instruction, que l’installation ou la désinstallation du dispositif de sonorisations et fixations d’images, pourtant ordonnée par le JLD lorsque l’opération est menée dans un local d’habitation entre 21 heures et 6 heures, est réalisée « sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction », et non du magistrat ayant autorisé la mesure. En outre, dans le cadre d’une enquête, lorsque le JLD autorise l’introduction en vue d’installer ou de désinstaller le dispositif de sonorisations et fixations d’images de certains lieux privés ou véhicules, de jour comme de nuit, l’article 706‑96‑1 précise uniquement que l’opération se réalise « sous le contrôle » du JLD, en contradiction avec l’article 706‑95‑14 relatif aux dispositions communes aux techniques spéciales d’enquête, comprenant les mesures de sonorisations et fixations d’images, et qui dispose :
Ces techniques spéciales d'enquête se déroulent sous l'autorité et le contrôle du magistrat qui les a autorisées.
De même, au titre de ces techniques spéciales d’enquête, l’on peut mentionner l’article 706‑102‑5 du Code de procédure pénale, relatif aux opérations de captation des données informatiques et qui dispose que celles‑ci sont placées sous « l’autorité et le contrôle du juge des libertés ou de la détention ou du juge d’instruction », mais sans préciser ce qu’il en est lorsque le JLD, saisi à cette fin par le juge d’instruction, autorise l’introduction dans un local d’habitation entre 21 heures et 6 heures en vue d’installer ou de désinstaller le dispositif : l’opération est‑elle réalisée sous son autorité et sous son contrôle ? Un travail d’harmonisation serait donc à effectuer, allant de pair avec la nécessité de distinguer le magistrat, JLD ou juge d’instruction, sous l’autorité et le contrôle duquel l’opération doit être menée.
2. Une information sans délai et en temps réel
L’effectivité du contrôle réalisé par le JLD supposerait également que celui‑ci soit informé sans délai et en temps réel des actes accomplis et du déroulement des opérations qu’il a lui‑même autorisées – et non seulement à l’issue des opérations, comme a pu le juger la Cour de cassation en matière d’écoutes téléphoniques54 malgré la lettre de l’article 706‑95 du Code de procédure pénale, issu de la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004, selon lequel le JLD est « informé sans délai » des procès‑verbaux établis dans le cadre des mesures d’écoutes téléphoniques. Ce suivi en temps réel s’accompagnerait de la possibilité pour le juge, lorsque cela est concevable, de se déplacer sur les lieux de l’opération à tout moment, à l’instar de ce que prévoient les articles 76 et 706‑92 du Code de procédure pénale en matière de perquisitions.
3. Communication des procès‑verbaux
Afin de permettre au JLD d’avoir une meilleure connaissance du dossier de la procédure, il s’agirait en outre de prévoir, pour chaque acte d’investigation que le magistrat autorise, la communication des procès‑verbaux dressés en exécution de la décision du JLD. À cet égard, le dispositif, particulièrement abouti, applicable aux techniques spéciales d’enquête prévu à l’article 706‑95‑14 du Code de procédure pénale prévoit que les procès‑verbaux sont « communiqués » au JLD. Au‑delà, se pose la question de l’accès à l’ensemble des éléments de la procédure, le Conseil constitutionnel ayant notamment jugé, en 2019, que le contrôle réalisé par le JLD n’offre pas de garanties suffisantes dès lors qu’il n’a pas accès à « l’ensemble des éléments de la procédure55 ». Un tel désaveu, du reste, pose la question de savoir si le contrôle du JLD, tel que prévu actuellement, par exemple, dans le cadre des interceptions de correspondance en enquête de police, apparaît suffisamment effectif aux yeux du Conseil constitutionnel. Dans une logique similaire, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pourrait être soulevée au sujet de l’article 706‑95 du Code de procédure pénale, relatif aux interceptions de correspondances en enquête préliminaire et de flagrance et dont l’effectivité du contrôle menée par le juge paraît fragilisée par la décision des Sages.
4. Suspension, interruption ou révocation de l’opération
En l’état du droit positif, certaines dispositions prévoient la possibilité pour le JLD d’interrompre à tout moment l’opération qu’il a ordonnée ; ainsi de l’article 706‑95‑14 du Code de procédure pénale relatif aux techniques spéciales d’enquête dont le régime paraît, une nouvelle fois, le plus abouti en termes de garanties procédurales. Mais tel n’est pas le cas pour la majorité des dispositifs, constat auquel s’ajoute une imprécision puisque concernant l’opération de sonorisations et fixation d’images prévue à l’article 706‑96‑1 et qui représente l’une des « techniques spéciales d’enquêtes » relevant de l’article 706‑95‑14, un vide juridique est à regretter. En effet, lorsque le JLD autorise l’introduction dans un local d’habitation entre 21 heures et 6 heures, la loi n’indique nullement l’autorité compétente pour mettre un terme à l’opération avant l’expiration du délai prévu (sachant, par ailleurs, que le texte précise que l’opération est réalisée « sous l’autorité et le contrôle du juge d’instruction »). Il s’agirait donc de prévoir la possibilité pour le juge de suspendre, d’interrompre ou de révoquer la mesure qu’il ordonne.
5. Juridictionnalisation de l’enquête
Enfin, se pose la question de la juridictionnalisation de la phase préparatoire du procès. Faut‑il prévoir un recours contre les ordonnances du JLD ? Toute décision portant sur une liberté individuelle prise par un juge de premier degré doit‑elle pouvoir faire l’objet d’un recours ? Une telle configuration existe parfois. Ainsi, dans le cadre de la géolocalisation, la décision par laquelle le JLD choisit de retirer certains éléments du dossier de la procédure peut être contestée devant le président de la chambre de l’instruction. Si ce dernier estime que les opérations de géolocalisation n'ont pas été réalisées de façon régulière, que les conditions liées au retrait de certaines pièces ne sont pas remplies ou que les informations en cause sont indispensables à l'exercice des droits de la défense, il ordonne l'annulation de la géolocalisation56. Par ailleurs, l’article 802‑2 du Code de procédure pénale, créé par la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 permet à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou visite domiciliaire de saisir le JLD d’une demande tendant à son annulation si elle n’a pas été poursuivie devant une juridiction d’instruction ou de jugement six mois après l’accomplissement de l’acte et ce, dans le délai d’un an. Est également percutant l’exemple issu de l’article 706‑95‑14 du Code de procédure pénale, édictant des règles communes aux techniques spéciales d’enquête et qui dispose que si le JLD estime que les opérations n'ont pas été réalisées conformément à son autorisation ou que les dispositions applicables n'ont pas été respectées, il ordonne la destruction des procès‑verbaux et des enregistrements effectués. Le juge statue par une ordonnance motivée qu'il notifie au procureur de la République. Ce dernier peut former appel devant le président de la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours à compter de la notification. Enfin, notons que la loi précitée du 22 décembre 2021 prévoit désormais un recours, devant le président de la chambre de l’instruction, contre les ordonnances prises par le JLD dans le cadre des perquisitions visant le cabinet ou le domicile d’un avocat57. La question reste donc celle de savoir si les décisions par lesquelles le JLD autorise une mesure peuvent faire l’objet d’un recours devant le président de la chambre de l’instruction et, partant, du bien‑fondé d’une telle évolution ; plus encore, ce recours devrait‑il porter sur la décision d’autorisation, puis sur le déroulement de l’opération58 ?
Outre l’effectivité du contrôle de l’autorité judiciaire, l’autre axe de réflexion consiste à repenser le champ d’intervention du JLD, dans une perspective de généralisation de son pouvoir de contrôle des investigations.
II. La généralisation du contrôle de l’enquête
Le contrôle du JLD au sein de l’enquête pénale, que l’on souhaite effectif, doit‑il s’étendre à toute mesure attentatoire aux libertés ? Il n’est pas certain qu’une omniprésence du magistrat soit la solution la plus raisonnable. Le but n’est pas en effet de l’ériger en « super‑enquêteur », mais seulement en « contrôleur », gardien de la liberté individuelle. L’objectif n’est pas davantage de paralyser l’enquête lato sensu. La frontière est alors infime, entre la possibilité pour le juge de s’investir sur le terrain sans devenir à son tour acteur des investigations. Deux interrogations demeurent. D’une part, faut‑il étendre ce contrôle à d’autres mesures attentatoires aux libertés individuelles ? On songe, récemment, aux problématiques soulevées dans le cadre des réquisitions de données informatiques, échappant au contrôle du JLD59. En réalité, il est sans doute possible de tracer une ligne et d’envisager un contrôle uniformisé du juge, que le cadre soit celui de l’enquête de police ou de l’instruction, dès que se trouvent en jeu les droits fondamentaux protégés par la Convention européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tels que le droit au respect de la vie privée, du domicile et des correspondances, etc. (A). Et si l’on envisage un contrôle, requiert‑il, d’autre part, en toute hypothèse, une autorisation préalable du magistrat, ou ne peut‑il s’agir que d’un contrôle a posteriori ? Une interrogation conduit à souligner l’opportunité de graduer le contrôle du juge en fonction de l’atteinte portée aux libertés, mais aussi en fonction du cadre de son intervention, de l’enquête policière ou de l’instruction (B).
A. Un contrôle transversal
Faut‑il ériger le JLD en un juge de l’enquête, doté d’un pouvoir général de contrôle des techniques probatoires mises en œuvre par le procureur de la République et le JLD ? L’indépendance et la distance de ce juge par rapport aux investigations font de lui l’institution la plus légitime à exercer un contrôle de la légalité des actes envisagés par les enquêteurs. La généralisation de son pouvoir de contrôle irait de pair avec la mutation institutionnelle qu’a connue ce magistrat, la loi n° 2016‑1090 du 8 août 2016 lui ayant conféré un statut à part entière. La logique défendue, à ce stade de la réflexion, consisterait ainsi à unifier le contrôle du JLD par‑delà les cadres d’investigations : l’objectif poursuivi est d’uniformiser mais aussi de clarifier le rôle du JLD, et d’étendre le contrôle des actes réalisés par les magistrats investigateurs (procureur de la République ou juge d’instruction). Rappelons que la commission « Justice pénale et Droits de l’Homme », présidée par la professeure Mireille Delmas‑Marty, proposait en 1991 de soumettre tout acte attentatoire aux libertés individuelles à une autorisation préalable du magistrat du siège60.
Au cours de l’enquête de police judiciaire, certains dispositifs peuvent être harmonisés, et le contrôle du JLD parfois étendu. Au cours de l’instruction, se pose la question de savoir si le JLD doit disposer d’un droit de regard supplémentaire et s’il faut pour cela prévoir une autorisation a priori du JLD (v. infra). En l’état du droit positif, le contrôle du JLD est prévu au cours de l’instruction lorsque l’atteinte aux libertés est particulièrement grave, notamment parce que l’acte est mis en œuvre dans un local d’habitation et en dehors des délais légaux. L’ensemble et les critères retenus manquent parfois de cohérence, lorsque l’on sait, par exemple que les perquisitions réalisées dans un contexte d’urgence et dans un local d’habitation, entre 21 heures et 6 heures, sont autorisées, non par le JLD, mais par le juge d’instruction61.
Au soutien de ces réflexions, il est nécessaire de cibler différents paradoxes de nature à souligner l’illisibilité du système et de l’articulation entre les dispositifs existants. À titre d’exemple, dans le cadre de l’instruction et en matière de géolocalisation, c’est au JLD qu’il revient le soin d’autoriser l’installation ou la désinstallation du dispositif de géolocalisation lorsqu’est concerné un local d’habitation et que l’opération doit intervenir entre 21 heures et 6 heures62. Parallèlement, le juge d’instruction reste seul compétent pour autoriser la mise en œuvre d’écoutes téléphoniques63. Le législateur renforce ainsi le dispositif relatif à la géolocalisation. Or la Cour européenne des droits de l’homme64 et le Conseil constitutionnel estiment que le procédé de géolocalisation porte une atteinte moindre aux libertés individuelles que celui des écoutes téléphoniques65. Si la mesure visée par l’installation ou la désinstallation d’un dispositif de géolocalisation est l’introduction dans un local d’habitation, rien ne permet de considérer que les écoutes téléphoniques doivent être moins encadrées, en instruction, que cette mesure d’introduction au domicile de la personne concernée.
Un autre exemple résulte de l’article 706‑95‑13 du Code de procédure pénale qui permet au juge d’instruction d’agir seul dans un contexte d’urgence pour mettre en œuvre l’une des techniques spéciales d’enquête, tandis que l’article 230‑35 du même Code, à la géolocalisation, prévoit, lui, un dispositif d’urgence et exige l’« accord préalable » du JLD66. Celui‑ci validera l’opération a posteriori, dans un délai de 24 heures, et pourra ordonner sa poursuite. Pourquoi ne pas prévoir, à l’article 706‑95‑12 du Code de procédure pénale, l’obligation pour le JLD de valider l’opération prise sur le fondement de l’urgence par le juge d’instruction sans avis préalable du procureur de la République ?
Un autre paradoxe, encore, tient à la confrontation des dispositifs suivants : d’un côté, dans le cadre de l’instruction, le juge d’instruction autorise en vue d’installer ou de désinstaller, le dispositif de sonorisations et fixations d’images, l’introduction dans un véhicule ou lieu privé, y compris de nuit. Le JLD, saisi à cette fin par le juge d’instruction, est compétent pour délivrer cette autorisation si le lieu concerné est un local d’habitation et que l’opération se déroule entre 21 heures et 6 heures. Le juge d’instruction conserve l’autorité et le contrôle de l’opération67. Mais, de l’autre côté, dans le cadre des perquisitions réalisées entre 21 heures et 6 heures prévues par l’article 706‑91 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction reste seul compétent pour ordonner l’opération, en cas d’urgence, même si celle‑ci a lieu dans un local d’habitation68. Au‑delà, comment expliquer que cet article, permettant au juge d’instruction de réaliser des perquisitions de nuit, y compris dans un local d’habitation, ne fasse intervenir le JLD, alors que d’autres dispositifs visant un local d’habitation, dans le cadre de l’instruction préparatoire, supposent l’autorisation du JLD69 ? Certes, l’opération se justifie, selon le texte, par un contexte d’urgence ; mais pourquoi, en ce cas, ne pas prévoir un contrôle a posteriori du JLD afin de valider la mesure décidée par le juge d’instruction ?
Les contradictions, en réalité, s’accumulent à l’examen des dispositifs. Prenons, encore, l’exemple des dispositifs présentant des garanties supplémentaires lorsqu’ils visent certains professionnels (ceux visés aux articles 56‑1 à 56‑5 et 100‑7 du Code de procédure pénale) : autant des écoutes téléphoniques peuvent être mises en œuvre à leur encontre70, autant l’article 230‑4 du Code de procédure pénale prévoit qu’un dispositif de géolocalisation ne peut concerner ni les lieux mentionnés aux articles 56‑1 à 56‑5, ni le bureau ou le domicile des personnes mentionnées à l’article 100‑7. Comme cela été souligné précédemment, la Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil constitutionnel jugent pourtant qu’un tel dispositif est moins intrusif que ne le sont les écoutes téléphoniques71.
La première étape consisterait ainsi à « uniformiser » le contrôle du JLD en prévoyant une intervention du magistrat du siège dans les cadres tant de l’enquête de police que de l’instruction préparatoire, au nom d’un impératif de protection des libertés individuelles. À tout le moins, l’on pourrait envisager d’harmoniser l’intervention du JLD et de prévoir un contrôle de ce magistrat par‑delà les cadres d’investigations en présence de deux circonstances : dès qu’un local d’habitation est concerné par la mesure et que l’opération visée se réalise en dehors des délais prévus par l’article 59 du Code de procédure pénale, soit entre 21 heures et 6 heures. Reste qu’il est permis, dans le cadre d’une réflexion sur l’architecture processuelle de la phase préparatoire du procès, de s’interroger, en outre, sur la possibilité de généraliser le contrôle du JLD, dont l’intensité pourrait varier en fonction du cadre d’investigation mais aussi de la gravité de l’atteinte portée aux libertés.
B. Un contrôle gradué
L’ensemble des propositions avancées participent d’un renforcement du rôle – et du contrôle – du juge du siège au sein de la phase préparatoire du procès. Partant, la question demeure de savoir jusqu’à quel point un tel contrôle doit s’étendre, compte tenu de la complexité du système français qui s’enrichit d’une phase d’instruction préparatoire. Le JLD est‑il un juge de l’autorisation et/ou de la contestation ? Ce contrôle requiert‑il, en toute hypothèse une autorisation préalable, ou ne peut‑il parfois s’agir que d’un contrôle a posteriori ? La question est de savoir si l’enquête policière doit bénéficier d’un contrôle de l’autorité judiciaire identique à celui de l'instruction préparatoire. La réflexion se fonde sur l’idée qu’une atteinte aux libertés, identique en tout cadre, commande un contrôle du magistrat unifié, par‑delà les différents cadres processuels. Il est toutefois possible, à ce stade de la réflexion, de nuancer le contrôle du JLD, a priori et a posteriori.
Le constat premier est que l’instruction préparatoire occupe une place aujourd’hui résiduelle : 17 000 affaires par an contre 40 000 environ il y a vingt ans. Parallèlement, le procureur bénéficie, depuis la loi précitée du 9 mars 2004, de pouvoirs d’investigation de plus en plus importants, ce qui explique par effet de miroir la baisse du taux d’instruction. En outre, le législateur lui confectionne progressivement une robe de juge : depuis la loi n° 2013‑669 du 25 juillet 2013, le ministère public est impartial, ce qui est paradoxal pour une autorité de poursuite ; depuis la loi précitée du 3 juin 2016, il enquête à charge et à décharge, à l’instar du juge d’instruction ; enfin, son pouvoir de sanction, via le phénomène de déjudiciarisation des procédures qu’entraîne le recours aux procédures alternatives aux poursuites72, est de plus en plus grand. Or cette évolution se réalise dans le même temps que se confirme l’ambivalence liée à sa qualité d’autorité judiciaire.
S’interroger sur le contrôle de l’enquête pénale, lato sensu, conduit à poser la question du maintien ou de la suppression du juge d’instruction, mais aussi celle de la mutation identitaire du JLD73. L’argument convoqué au soutien de l’instruction tient souvent au manque d’indépendance du ministère public, qui garantit la survie et la pérennité du juge d’instruction. Cela signifie donc que dans environ 97 % des affaires, la justice pénale française se satisfait d’un système sans garantie d’indépendance. En réalité, si cette réforme du ministère public est nécessaire et un prérequis à tous points de vue, ce n’est pas le levier majeur d’une éventuelle refonte de la phrase préparatoire du procès. Beaucoup plus déterminants sont en effet le double regard mais aussi l’exigence d’impartialité, qui constitue l’essence même de la fonction juridictionnelle, comme le rappelait Mme Delmas‑Marty74. Or ce principe ne peut être pleinement garanti lorsque le juge, le contrôleur de la légalité des actes, est aussi l’enquêteur. L’enjeu à venir réside ainsi non pas tant dans le choix de l’institution compétente pour mener les investigations, que dans celui des moyens mis en place pour la contrôler. La difficulté ne résulte pas du juge d’instruction lui‑même, mais de la coexistence de cadres d’investigations distincts, qui emportent des droits différents – et dont la mise en œuvre est susceptible de dépendre des politiques mises en œuvre d’une juridiction à une autre. De même, la prévision d’un contrôle du JLD, et donc d’un double regard sur l’acte sollicité, ne devrait pas dépendre du cadre d’investigations, mais être transversal, l’atteinte aux libertés portée par tel acte étant la même au cours de l’enquête de police et au cours de l’instruction préparatoire, voire d’ailleurs d’une durée plus longue lors de l’information judiciaire. Ainsi, ce n’est pas nécessairement être favorable à la suppression du juge d’instruction que de défendre la suppression de l’instruction, de prôner le maintien de son office mais aussi la fusion des cadres d’investigations. Seulement, ce juge, ce magistrat enquêtant à charge et à décharge comme le fait le procureur de la République, comme le fait le juge d’instruction, se réincarnerait, sous une autre forme, et tout reste à bâtir. Les fils sont à tirer, le modèle à penser. La création du Parquet européen est de ce point de vue inspirante75 : l’indépendance est garantie par le règlement (UE) 2017/1939 du 12 octobre 201776 et l’institution repose sur un système sans juge d’instruction – preuve en est ainsi qu’un magistrat du parquet peut réaliser les actes qui incombent au juge d’instruction (notifier les charges et mettre en examen, statuer sur la recevabilité de constitution de partie civile, entendre le témoin assisté, etc.77). La limite tient cependant au fait que la loi n° 2020‑1672 du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, distingue toujours les deux cadres d’investigation – enquête et instruction. En outre, si réforme et refonte il y a de la phase préparatoire du procès, il est important que les justiciables aient encore les repères de pouvoir s’adresser, symboliquement, à un juge. Un magistrat enquêteur donc, et un juge « contrôleur » de la légalité des actes : le JLD et le Parquet européen, chrysalides d’une procédure pénale rénovée et d’une réincarnation du juge ? Le JLD se distinguerait comme le garant des libertés, juge de l’habeas corpus, dont la fonction se tournerait de manière générale vers la protection des droits et libertés fondamentaux, comme le confirme d’ailleurs la création du recours contre les conditions indignes de détention – qui confie au JLD un pouvoir de contrôle78 – et qui sait peut‑être, demain, de garde à vue79.
En définitive, l’orientation consisterait à généraliser et graduer le contrôle du juge du siège en fonction de la « gravité » de l’atteinte portée aux libertés, à l’instar par exemple du droit allemand80, en distinguant le contrôle a priori, c’est‑à‑dire l’autorisation, d’un contrôle a posteriori, notamment en cas d’urgence. L’objectif n’est pas de paralyser l’enquête lato sensu, mais celui d’un équilibre entre investigations efficaces et protection des libertés. La force est celle d’un double regard sur la procédure, dont celui d’un tiers aux investigations. Le curseur se déplace, de la question institutionnelle des acteurs enquêteurs vers celle, structurelle, d’un cadre unique dont le contrôle des investigations, réalisé par le juge, pourrait varier. L’avenir serait donc le modèle d’un juge exerçant un « contrôle » sur les mesures qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux dans le procès pénal. La question étant alors de savoir si le juge des libertés, de l’enquête, doit être aussi celui du contrôle de la détention, ou s’il n’y a pas lieu, compte tenu des charges qui incombent à ce magistrat, de scinder les deux fonctions. Doit‑on aller vers un juge de la vigilance pénitentiaire, comme c’est le cas en Espagne où l’office de ce juge est dédié à la cause des détenus, y compris ceux incarcérés sur la base d’une détention provisoire ?
Telles sont ainsi, toutes proportions gardées, les quelques pistes d’amélioration de l’architecture processuelle de l’enquête lato sensu, plaçant au cœur de la phase préparatoire du procès un juge du siège dont le pouvoir de contrôle serait revalorisé. Deux objectifs méritent d’être considérés. Au regard de la complexité actuelle des dispositifs qui nuit à leur lisibilité et à la cohérence de la phase préparatoire du procès, le premier est un objectif d’harmonisation : des textes, des hypothèses mais aussi des modalités de contrôle réalisé par le magistrat. À force de s’accumuler, les dispositions législatives et dispositifs techniques constituent en effet un véritable magma procédural au sein duquel la logique qui préside au contrôle du juge du siège est difficilement identifiable. Le second objectif vise à innover, par le biais d’une réflexion autour de l’architecture de la phase préparatoire du procès. L’avenir à court81 et à plus long terme.