L’enquête fiscale

DOI : 10.52497/revue-cmh.1686

Texte intégral

Dans l’imaginaire populaire, le fisc dispose de moyens d’investigations importants et serait investi d’une mission de contrôle de la population. Dans la masse de la terminologie utilisée par le législateur, en revanche, les références à l’enquête sont très rares, même lorsque les éléments évoqués pourraient être associés à cette notion.

Le plus simple et le plus courant des contrôles est le contrôle dit « sur pièces », dans lequel sont exploités les éléments présents dans les dossiers, alimentés par les obligations déclaratives, qu’ils proviennent des contribuables eux‑mêmes (déclarations de revenus, donations, justificatifs et autres) ou de tiers (récapitulatifs des salaires des dividendes versées par les entreprises, actes notariés, transferts de fonds, etc.).

Ce type de contrôle met en contradiction divers éléments et contient toutes les composantes d’une enquête ou tout du moins de son commencement. Pourtant, ce terme n’apparaît pas ; ni dans la loi, ni dans les circulaires administratives. Juridiquement, on parlera de droit de contrôle prévu par l’article L. 10 du Livre des procédures fiscales (LPF) et d’un droit de rectification prévu à l’article L. 168 du LPF. Aucune référence à la notion d’enquête.

Si l’article L. 10 du LPF prévoit la possibilité d’interroger le contribuable, les articles L. 81 et suivants du même Livre prévoient, eux, la possibilité d’interroger des tiers, essentiellement des professionnels.

Là encore, les contours de l’enquête se précisent puisque les détenteurs d’informations récalcitrants pourraient se voir infliger les amendes prévues par l’article 1734 du Code général des impôts (CGI) en cas de non coopération en cas d’opposition (jusqu’à 50 000 euros).

Là encore, l’enquête ne dit pas son nom puisqu’on parlera de « droit de communication » (quand il s’agit en fait plutôt d’une obligation).

Les pouvoirs d’investigation vont s’amplifier avec deux outils juridiques plus coercitifs qui sont :

  • la vérification de comptabilité ;
  • l’examen de situation fiscale personnelle.

Il s’agit dans le premier cas d’effectuer la conformité des déclarations des entreprises par rapport aux éléments figurant dans la comptabilité des entreprises. Il s’agit à n’en pas douter d’une enquête, puisque des questions vont être posées dans le cadre d’un débat oral et contradictoire que la jurisprudence impose justement.

Cette vérification de comptabilité a une variante récente que constitue l’examen de comptabilité. L’administration, bien entendu, ne se déplace pas dans les locaux de l’entreprise dans ce cas, mais peut interroger l’entreprise à distance.

D’enquête, il n’est toujours pas question dans la terminologie ; le législateur lui a préféré le terme d’examen.

Concernant l’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP), là encore, c’est le terme d’examen qui va apparaître dans le texte légal. Pourtant cette procédure permet de déceler des fraudes par l’étude des comptes bancaires personnels, autorise les fonctionnaires de la direction générale des Finances publiques (DGFIP) à poser des questions dans une phase contraignante qui mettrait le contribuable dans une situation d’imposition d’office, si ce dernier ne pouvait apporter de justificatifs face aux questions posées.

Si l’on rajoute à cela qu’elle peut durer un an, voire deux ans dans certains cas, et que ces délais peuvent dans d’autres cas être rallongés, on imagine que les contribuables qui les ont subies (environ 3 500 personnes par an) n’ont pu que bien ressentir les attributs d’une enquête.

Une fois encore, tous les termes resteront édulcorés puisque la demande possédant tous les attributs d’une mise en demeure se fera appeler « demande de justifications et d’éclaircissement » et que les crédits pour lesquels des justificatifs manqueraient, loin d’être désignés comme des éléments de fraude, resteront dans les documents administratifs comme des « revenus d’origine indéterminée ».

Au passage, le document final d’un contrôle a abandonné, depuis un peu moins d’une vingtaine d’années, le terme trop ferme et péremptoire de « notification de redressement » pour une « proposition de rectification ». Il s’agissait là de renforcer le caractère contradictoire de la procédure. Précisons que ce changement de sémantique ne s’est accompagné d’aucune modification des effets de la pièce de procédure. Il s’agissait d’un changement purement sémantique à seul but de dédramatisation et d’apaisement.

Ces précautions terminologiques en matière de terminologie se retrouvent même jusque dans un élément de procédure des plus coercitifs. Il s’agit maintenant de rechercher des éléments de fraudes dans un domicile privé que des agents de la DGFIP vont fouiller en présence d’un officier de police judiciaire et dans le respect d’une ordonnance délivrée par un juge des libertés et de la détention (JLD). Rajoutons à cela que l’entrée dans les locaux privés se fait généralement à six heures du matin, et l’on admettra que tout ceci ressemble à une perquisition fiscale.

Pourtant, là encore, c’est un autre terme qui a été choisi, dont on peut dire à son énoncé qu’il ne révèle en rien la contrainte, voire le traumatisme, qu’ont pu subir les contribuables concernés puisque la loi définit ces investigations comme un « droit de visite et de saisie ».

En fait, il n’y a qu’une procédure qui porte réellement le nom d’enquête : il s’agit du droit d’enquête mentionné aux articles L. 80 F et suivants du LPF.

Particularité de cette procédure, elle n’est pas dans l’absolu « fiscale » car, bien que les informations recueillies puissent être utilisées dans le cadre d’une vérification de comptabilité, il s’agit en fait de rechercher les manquements aux règles de facturation auxquelles sont soumis les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée.

De plus, cette prérogative est partagée, puisque l’article L. 80 I du même Livre la confie également aux agents des douanes.

En résumé, les pouvoirs de contrôle de l’administration fiscale sont très larges et contiennent toutes les caractéristiques d’une enquête : collecte de renseignements, interventions sur place dans les entreprises, droit d’accès aux comptes bancaires privés, voire perquisition dans des locaux privés. Pourtant, aucun de ces termes « offensifs » n’apparaît à l’état brut. Ni enquête ni perquisition ; ces mots sont remplacés par les droits de contrôle, de rectification, de communication, ou le « droit de visite et de saisie ».

On peut légitimement s’interroger sur cette pudeur sémantique. S’agirait‑il de ne pas affaiblir le consentement à l’impôt ?

Il était tout à fait imaginable de se livrer à une expérience en demandant parmi l’assistance, qui avait déjà subi un contrôle fiscal. Il était fort à parier dans ce cas qu’il n’y aurait eu aucune réaction dans le public mis à part les regards circulaires scrutant l’assemblée pour savoir qui avait bien pu vivre pareille expérience.

Les raisons de cette absence de réponse positive étaient doubles. Tout d’abord, pour ceux qui auraient réellement vécu un contrôle, on peut concevoir qu’il aurait été délicat de le faire savoir publiquement. L’autre raison est qu’un contribuable contrôlé peut tout à fait l’ignorer.

En 2022, les seuls contrôles sur pièces ont concerné près de 730 000 foyers fiscaux sur 40 millions de contribuables, mais seulement 18 millions réellement imposables. En tenant compte des trois ans sur lesquels portent ces contrôles, il s’agit en fait, sur une période de prescription, de 5 % de la population. Un calcul, très théorique certes, permet d’établir que sur une vie de 60 ans de déclaration à l’impôt sur le revenu (de 20 à 80 ans), la probabilité de ne pas avoir fait l’objet d’un contrôle est très faible.

C’est justement parce que tout le monde est susceptible de faire l’objet d’un contrôle que le législateur écarte tout terme offensif qui témoignerait d’une suspicion généralisée. Le consentement à l’impôt est un des fondements de nos démocraties. Notre société actuelle est héritière d’une révolution, dont le déclenchement résulta du rejet de l’autoritarisme fiscal. Les rédacteurs des procédures d’aujourd’hui ne l’ont pas oublié.

Citer cet article

Référence électronique

Éric ESPOSITO, « L’enquête fiscale », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 27 | 2024, mis en ligne le 18 juillet 2024, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=1686

Auteur

Éric ESPOSITO

Inspecteur principal, École Nationale des Finances publiques

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