Introduction
Poncif de la littérature spécialisée, la distinction traditionnelle entre police administrative – dont l’objet est de prévenir les atteintes à l’ordre public – et police judiciaire – qui poursuit quant à elle un but répressif1 – serait désormais évanescente. Certes, la portée de ce critère finaliste tend à s’estomper à mesure que se dilue la dichotomie entre prévention et répression2. Si une telle tendance s’observe notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme3, c’est plus généralement tout un pan d’action de l’État qui en serait le parangon : l’enquête en matière de renseignement. Deux précisions sémantiques s’imposent ici. La première tient à la signification que recouvre le terme « renseignement » puisqu’il s’agit d’appréhender uniquement le renseignement de sécurité nationale, lequel entend assurer aux décideurs politiques un accès à l’information fiable. Il doit à cet égard être distingué du renseignement criminel, qui vise soit l’établissement d’une preuve, soit, dans une acception plus large, une meilleure compréhension de l’environnement criminel. La seconde précision est d’ordre terminologique. Si en droit l’enquête désigne la procédure « ayant pour but d’établir la réalité des faits4 », et que dans le champ pénal elle renvoie aux opérations d’investigations menées par la police judiciaire en vue de constater les infractions, d’en rassembler les preuves et d’en identifier les auteurs, alors la formule « enquête en matière de renseignement » perd de sa pertinence, la fonction renseignement ayant davantage pour objectif de dissiper les incertitudes que de dévoiler la vérité. Il faut d’ailleurs constater la faible occurrence de l’expression dans les travaux intéressant le renseignement. En revanche, si l’enquête désigne la seule action de recueillir des informations, alors la locution « enquête en matière de renseignement » retrouve toute sa substance.
Ces quelques considérations préliminaires peuvent sembler anodines. Gages de l’intelligibilité de l’exposé, elles sont pourtant indispensables, la présente contribution s’inscrivant dans une manifestation scientifique dont l’ambition est d’entrecroiser les regards des pénalistes et des administrativistes sur l’enquête. Elles permettent ainsi de mettre en exergue que le terme d’« enquête » ne revêt pas la même signification pour les uns et les autres. Elles autorisent surtout à suggérer les prémisses des divergences d’appréciation dont fait l’objet l’activité de renseignement lorsqu’elle est examinée à travers le prisme police administrative/police judiciaire.
Et pour cause, l’adoption de la loi relative au renseignement le 24 juillet 2015 – dont les principales dispositions sont codifiées au sein du Livre VIII du Code la sécurité intérieure (CSI) – a non seulement provoqué un changement radical de paradigme dans le droit vivant en encadrant l’intervention des services de renseignement et en renforçant leur contrôle, mais a également suscité la réaction du droit savant, transcendant d’autant les frontières entre administrativistes et pénalistes. À ce titre, alors que l’activité de renseignement relève exclusivement de la police administrative5, il a pu paraître surprenant que le dispositif d’enquête consacré en 2015 ait fait l’objet d’une production conséquente de la doctrine pénaliste6. En réalité, il s’agissait pour nombre de commentateurs de contester cette incorporation de l’activité de renseignement à la police administrative en soutenant qu’il n’était « ni opportun ni judicieux7 », rattachant « la recherche des infractions à la police administrative8 » et instituant une « procédure para‑pénale9 ». De telles conceptions se sont propagées dans la doctrine administrativiste, certains auteurs estimant que la loi du 24 juillet 2015 avait conduit à confier « des missions de police judiciaire à l’autorité administrative10 », à créer une « police hybride en ce qu’elle est à la fois administrative et judiciaire11 » ou encore à engendrer une « administrativisation du renseignement12 ».
Toutes ces affirmations, qui laissent sous‑entendre que le dispositif actuel engendrerait une confusion entre police administrative et police judiciaire, ne sauraient pourtant convaincre. Elles se fondent en effet sur des postulats erronés qui conduisent à surestimer l’entremêlement substantiel entre police administrative et police judiciaire dans le cadre de l’enquête en matière de renseignement (I), bien qu’un rapprochement formel s’opère (II).
I. La nature des enquêtes en matière de renseignement : un écho spécieux avec les investigations judiciaires
Le renseignement charrie avec lui des représentations fantasmées, auxquelles n’échappe pas la sphère universitaire. Proclamer une confusion des polices en ce qui concerne l’enquête en matière de renseignement, c’est ainsi se méprendre sur la nature même de cette activité régalienne, tant du point de vue organique (A) que du point de vue fonctionnel (B).
A. Sur le plan organique, un cloisonnement entre les missions de police administrative du renseignement et les missions de police judiciaire
L’activité de renseignement et le recours à des moyens spéciaux encadrés par le Code de la sécurité intérieure (CSI) qui l’accompagne, demeurent le privilège de certaines entités administratives. D’une part, l’article L. 811‑2 du CSI fait référence aux « services spécialisés de renseignement » désignés par décret en Conseil d’État et dont les dispositions sont codifiées à l’article R. 811‑1 dudit Code13. Six services spécialisés de renseignement sont expressément identifiés : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), la Direction du renseignement militaire (DRM), la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), la cellule du renseignement financier « Tracfin ». D’autre part, l’article L. 811‑4 du CSI fait référence aux « services autres que les services spécialisés de renseignement », relevant des ministres des Armées, de l’Intérieur et de la Justice ainsi que des ministres chargés de l’Économie, du Budget ou des Douanes. Là encore, le législateur a laissé le soin au pouvoir réglementaire de désigner les services concernés. L’article R. 811‑2 du CSI dresse à cet égard une liste exhaustive – près d’une trentaine – d’entités14. S’il n’est pas étonnant d’y retrouver la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT), la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), le Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) ou encore la Sous‑direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) qui se consacrent exclusivement à l’activité de renseignement, il en va autrement de la pléthore de services de police judiciaire ici désignée, lesquels ne participent à l’activité de renseignement que de manière marginale. Il s’agit, dans une très forte proportion, de services relevant de la Direction générale de la police nationale (DGPN15), et de quelques entités relevant du Préfet de police16.
L’intervention du pouvoir réglementaire a dès lors conduit à doter de nombreux services de police judiciaire de la possibilité de mettre en œuvre certaines techniques de renseignement dans le cadre de la police administrative. L’esprit de la loi du 24 juillet 2015 est à cet égard manifestement contourné17, ces entités n’exerçant une activité de renseignement qu’à titre accessoire, comme le confirme la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR18). Pour autant, le principe directeur de ladite loi demeure celui d’une stricte compartimentation entre ces deux missions. À cet égard, la doctrine élaborée par la CNCTR est claire : les services de police judiciaire visés par l’article L. 811‑4 du CSI doivent recourir en priorité aux techniques de renseignement dans le cadre judiciaire, bien que leur pendant soit consacré dans le cadre administratif19. En ce sens, et en vue d’assurer une meilleure compartimentation des activités de police administrative et de police judiciaire, la Délégation parlementaire au renseignement a incité les agents de la DNRT à ne pas solliciter la qualification d’officier de police judiciaire20. Tout au plus, cette double compétence octroyée à certains services du renseignement intérieur, en premier lieu desquels la DGSI21, doit amener à s’interroger sur l’efficacité pratique d’une telle concentration des missions en matière de lutte antiterroriste, en ce qu’elle conduit les services à disposer de la maîtrise de la judiciarisation du renseignement22.
Sur le plan organique, défendre l’idée d’un amalgame entre police administrative et police judiciaire, c’est donc se laisser aveugler par une perception erronée de l’appareil institutionnel de renseignement. C’est surtout ne pas saisir le cloisonnement à l’œuvre dans certains services entre leur mission de renseignement, et donc de police administrative, et leur mission de police judiciaire. Il ne saurait en effet y avoir aucune immixtion de la police judiciaire dans le cadre de l’enquête en matière de renseignement.
B. Sur le plan fonctionnel, une dissociation entre les desseins de la police administrative du renseignement et les desseins de la police judiciaire
Les prérogatives de puissance publique ainsi conférées aux autorités administratives compétentes s’inscrivent, à n’en pas douter, dans une fonction de police en ce qu’elle consiste à :
Entreprendre tout ce qui, dans la conscience collective ou pour les organes chargés de l’interpréter, se révèle indispensable à la protection de l’ordre institutionnel23.
S’il doit lui être adjoint une épithète, cette mission de police n’est sans conteste pas judiciaire en ce qu’elle ne cherche ni à constater ni à réprimer des infractions. Elle serait même par essence administrative, comme en attestent les travaux préparatoires à la loi du 24 juillet 201524 et comme le confirme le Conseil constitutionnel pour lequel le recueil de renseignement ne peut avoir d’autre but que de :
Préserver l’ordre public et de prévenir les infractions ; qu’il ne peut être mis en œuvre pour constater des infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves ou en rechercher les auteurs25.
C’est donc par extrapolation, et au regard des classifications binaires du droit, que lui est attribué le caractère de police administrative. Mais une telle spécification peut également se déduire d’une certaine conceptualisation de cette dernière : si elle est une activité de surveillance visant à maintenir la paix sociale26, alors, le fait de recourir à des techniques particulières pour collecter des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation en est l’apanage.
La thèse soutenue par une partie de la doctrine sur l’essence ambiguë de cette police repose en réalité sur une appréhension défaillante de ce qu’est l’activité de renseignement. Certains ont ainsi estimé qu’elle n’était rien d’autre « qu’une technique proactive visant essentiellement à identifier des terroristes27 ». Pourtant, la fonction renseignement embrasse une ambition tout autre : celle d’assurer aux décideurs politiques un accès à l’information fiable en tant qu’instrument de réduction de l’incertitude. L’article L. 811‑1 du CSI précise ainsi que la fonction renseignement concourt à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, ces derniers justifiant la mise en œuvre de techniques de recueil de renseignement particulièrement attentatoires aux droits et libertés, dans le cadre de finalités qui sont limitativement énumérées à l’article L. 811‑3 du CSI28. L’article L. 811‑2 dudit Code ajoute quant à lui que les services ont pour mission :
La recherche, la collecte, l’exploitation et la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu’aux menaces et aux risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation.
Sous cet éclairage, la judiciarisation des atteintes qui pourraient être portées aux intérêts fondamentaux de la Nation n’est qu’une simple éventualité29 et ne constitue en aucun cas une finalité intrinsèque aux enquêtes menées en matière de renseignement. Procédant à un véritable changement de paradigme, l’article L. 811‑2 du CSI opère à cet égard un renvoi explicite au Code de procédure pénale (CPP) afin de préciser l’essence du lien entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative en matière de renseignement. Dès lors, la mise en œuvre des techniques de renseignement prévues aux chapitres I à III ne fait pas obstacle à l’activation de l’article 40 du CPP, qui prévoit la saisine du procureur de la République par tout agent qui acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit dans le cadre de ses fonctions.
Sur le plan fonctionnel, considérer que l’activité de renseignement serait le fruit d’un croisement entre police administrative et police judiciaire est donc une entreprise hasardeuse en ce qu’il ne saurait y avoir, en l’occurrence, aucune hybridation entre ces deux polices.
L’entremêlement substantiel postulé entre police administrative et police judiciaire dans le cadre de l’enquête en matière de renseignement apparaît donc inconsistant. Il en va autrement sur le plan formel, puisqu’un rapprochement s’opère entre les enquêtes en matière de renseignement et les investigations judiciaires.
II. La mise en œuvre des enquêtes en matière de renseignement : une résonance tangible avec les investigations judiciaires
L’examen des modalités d’exercice de l’enquête en matière de renseignement a conduit une partie de la doctrine à inférer que le cadre juridique, tantôt s’inspirait abusivement des investigations judiciaires quant aux techniques pouvant être utilisées, tantôt s’en dissociait fâcheusement quant à la procédure relative à leur mise en œuvre. C’est un paradoxe qu’il convient pourtant d’inverser : contrairement à ce qui est avancé, la gémellité des procédés ne saurait être le fruit d’une quelconque influence de la police judiciaire (A) ; en revanche, l’influence est réelle en ce qui concerne la procédure (B).
A. Sur le plan matériel, une proximité des procédés de police administrative du renseignement et des procédés de police judiciaire
Les services chargés d’une mission de renseignement, tels que désignés par le pouvoir réglementaire, disposent d’un panel étendu de moyens spéciaux. Avant 2015, seules deux techniques de renseignement étaient reconnues par la loi : les interceptions de sécurité30 et l’accès administratif aux données de connexion31. Prenant la mesure de leur caractère parfois obsolète, la loi du 24 juillet 2015 consacre l’avènement d’un spectre élargi de techniques. Elle rénove ainsi les interceptions de sécurité32, harmonise l’accès aux données de connexion33, propose d’expérimenter la surveillance algorithmique des communications électroniques – aujourd’hui pérennisée34 –, et entérine surtout certaines pratiques ayant cours de facto mais en dehors de tout cadre juridique, comme la pose de balises pour localiser en temps réel une personne, un véhicule ou un objet35, la captation d’images ou de sons36 ou encore la pénétration informatique37, le cas échéant avec intrusion domiciliaire38.
À cet égard, certains commentateurs ont estimé que le CSI procédait à une transposition de techniques dévolues à la police judiciaire en techniques de police administrative39, à l’« administrativisation » de techniques de police judiciaire40. En réalité, il s’agit là d’un malentendu : s’il y a apparente traduction de techniques judiciaires en techniques de police administrative, ce n’est qu’à l’aune de l’antériorité de l’encadrement juridique dont ont bénéficié les premières par rapport aux secondes41. Et pour cause, prolongeant un mouvement déjà amorcé par les législations précédentes en ce qui concerne les interceptions de sécurité42 et l’accès administratif aux données de connexion43, la loi du 24 juillet 2015 n’a fait que procéder à la légalisation du recours à des techniques consubstantielles à l’activité de renseignement, mais utilisées jusqu’alors en dehors du droit. Sous cet éclairage, le droit se fait donc uniquement le vecteur d’un rapprochement entre des pratiques judiciaires et l’exercice de l’activité de renseignement. D’autant que ce rapprochement se caractérise par son ambivalence puisque le recours à des dispositifs techniques de proximité originellement réservés aux services de renseignement, les IMSI‑Catchers44, a été étendu aux enquêtes judiciaires45. Et force est de constater que la doctrine ne s’est pas émue d’une quelconque « judiciarisation » des techniques de police administrative afférentes à l’activité de renseignement.
Sur le plan matériel, affirmer que les moyens opérationnels mis en œuvre dans le cadre de l’enquête en matière de renseignement sont le produit d’une opération de translation de pratiques judiciaires en pratiques administratives, c’est dénier la réalité préexistante au droit et verser à l’excès dans une posture normativiste. Tout au plus faut‑il admettre une équivalence des pratiques.
B. Sur le plan procédural, une influence des mécanismes de police judiciaire sur les mécanismes de police administrative du renseignement
La décision de recourir à une technique de recueil de renseignement et sa concrétisation opérationnelle s’inscrit dans un dispositif d’autorisation de droit commun caractérisé par l’existence de différents niveaux de filtrage. La demande de recours à une technique de recueil émanant d’un service de renseignement est transmise au ministre de tutelle qui, à l’appui d’une décision motivée46, saisit la CNCTR. Cette dernière, dans un délai contraint car imposé par les nécessités opérationnelles47, réalise un examen de conformité des motivations du recours à la technique utilisée à l’aune des principes de proportionnalité et de subsidiarité48, lequel donne lieu à un avis communiqué au Premier ministre qui délivre, le cas échéant, l’autorisation au ministre de tutelle. Les investigations sont enfin réalisées par les entités compétentes, à savoir les agents individuellement désignés et habilités par le directeur dont ils relèvent ou le Groupement interministériel de contrôle (GIC49). Initialement, la loi du 24 juillet 2015 organisait une procédure d’avis simple, bien qu’une véritable coutume administrative ait émergé de facto50. Que de telles mesures de police puissent être adoptées en dehors d’une procédure d’avis conforme a été en partie sanctionné par le Conseil d’État en avril 2021 dans sa décision « French Data Network51 » et ce, dans le sillage de la jurisprudence « Tele2 » de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de 201652 et « La Quadrature du Net » de 202053. La loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, tirant les conséquences de ces décisions, a considérablement fait évoluer la philosophie du texte. Conformément au nouvel article L. 821‑1 du CSI54, l’autorisation délivrée par le Premier ministre pour mettre en œuvre une technique de recueil de renseignement encadrée par ledit Code est conditionnée par la délivrance d’un avis quasi conforme de la CNCTR. Si le recours est autorisé malgré l’avis défavorable de la CNCTR, cette dernière doit saisir le Conseil d’État qui statue dans les vingt‑quatre heures, la technique visée ne pouvant alors être utilisée avant que ce dernier n’ait statué. Une marge de manœuvre est toutefois préservée lorsque des circonstances d’urgence justifient que le Premier ministre ordonne la mise en œuvre immédiate d’une technique55.
La police administrative s’exerce donc ici par la voie d’une autorisation octroyée par le Premier ministre, sous le contrôle systématique d’une autorité administrative indépendante, ce qui est absolument inédit. Et pour cause, le caractère traditionnellement unilatéral de l’exercice du pouvoir de police administrative est donc ici largement tempéré, quoique demeure entière la faculté du Premier ministre de ne pas délivrer d’autorisation quand bien même la CNCTR aurait donné son assentiment. Ce dispositif a pourtant été critiqué à l’aune de la procédure pénale qui prévoit l’intervention du juge judiciaire. Le juge apparaît en effet ici comme une figure contournée. Par effet de parallélisme strict, d’aucuns ont alors estimé qu’il aurait été légitime d’organiser l’intervention a priori du juge administratif56, le Syndicat de la magistrature allant jusqu’à plaider pour la mise en place d’un encadrement « qui n’exclut pas le juge judiciaire57 », ce qui paraît discutable compte tenu du dualisme juridictionnel français. En revanche, il existe bien un parallélisme dans l’esprit même de la procédure : au regard de l’atteinte à la vie privée que constitue le recours à une technique de surveillance, une instance indépendante se prononce en amont de l’autorisation d’exercer ce procédé de police.
Sur le plan procédural, soutenir que la protection juridique offerte par le dispositif d’autorisation préalable à la mise en œuvre d’une technique de renseignement n’est pas comparable à celle instaurée en matière pénale est contestable. Il faut au contraire reconnaître qu’il s’établit « une forme de parallélisme avec les investigations judiciaires opérées par les OPJ, sous le contrôle du juge judiciaire, dans le cadre des enquêtes58 ».
Conclusion
L’examen du cadre dans lequel s’opèrent les enquêtes en matière de renseignement conduit à un constat sans appel : si police administrative et police judiciaire peuvent être organiquement confondues, fonctionnellement successives et assimilables, tant concernant les procédés que la procédure, le principe directeur de la loi du 24 juillet 2015 conduit à un renforcement de leur compartimentation comme l’a toujours affirmé la jurisprudence59 et comme le documente la pratique administrative60. Lire ce dispositif d’enquête à travers le prisme des investigations réalisées dans le champ pénal conduit donc à en altérer l’image. Peut‑être faut‑il alors considérer avec Claude Lévi‑Strauss que :
Quand une coutume exotique nous captive en dépit (ou à cause) de son apparente singularité, c’est généralement qu’elle nous présente, comme un miroir déformant, une image familière et que nous reconnaissons confusément pour telle61.