La loyauté de l’enquête administrative : les détours d’une évidence

DOI : 10.52497/revue-cmh.1681

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Texte intégral

La loyauté de l’enquête administrative est un sujet inséparable de celui des pouvoirs de l’administration qui la mène et de sa durée, thèmes précédemment évoqués dans le présent dossier, puisqu’en réalité réfléchir à la loyauté de l’enquête administrative conduit immédiatement à se placer au niveau des valeurs, des principes, des devoirs qui viennent régir – ou non – le cadre d’action et d’intervention de l’administration. Et il faut le faire, en tous cas c’est sous ce prisme que nous l’aborderons dans cette contribution, en gardant à l’esprit que nos réflexions sur les modalités de l’enquête ont nécessairement une incidence sur la nature même de celle‑ci et ainsi, potentiellement, des conséquences importantes du point de vue de ceux qui les organisent et diligentent.

Sans revenir sur la question de la définition et du champ de ce qu’est finalement une enquête administrative1, il faut tout de même partir de là pour qualifier celle‑ci du point de vue de sa nature. Car en réalité, même si la journée d’étude qui a précédé ce dossier n’avait pas une ambition théorique première, on peut difficilement évoquer la loyauté de l’enquête administrative sans avoir pour cadre d’analyse une interrogation sur ce qu’est la loyauté dans sa nature. Á ce titre, et ce n’est pas qu’une facilité liée à l’intitulé du présent sujet, la nature de l’enquête et celle de la loyauté sont indissociables. L’enquête administrative peut ici être caractérisée dans une double nature : elle est, d’une part, un procédé unilatéral, qui ne donne pas nécessairement lieu et place à l’échange, conduit sous la responsabilité et même l’intérêt de la seule administration ; elle est, d’autre part, un procédé unilatéral non juridictionnel, quelles que soient les ressemblances qu’il peut ou doit2 entretenir avec l’enquête judiciaire.

De cette nature unilatérale et non juridictionnelle de l’enquête découle logiquement une interrogation sur la nature de la loyauté, pour savoir si elle est soluble dans ces caractéristiques de l’enquête et inversement. Cela renvoie indéniablement à la question des rapports inégalitaires qu’entretient l’administration avec les tiers, quels qu’ils soient, sous couvert de l’intérêt général. La personne qui fait l’objet d’une enquête n’est pas, pour reprendre les termes mêmes de la Bible qui définissent la loyauté, l’« ami véritable » de l’administration : c’est un agent, une entreprise, un administré, un contribuable, un étranger qui fait l’objet d’une procédure en vue d’établir des faits, justifiant une décision administrative. La relation unilatérale (sic) qui s’établit dans le cadre d’une enquête n’est pas intuitivement compatible ou accueillante pour la loyauté qui se trouve plutôt « saisie juridiquement par un rapport dyadique3 ».

Le sujet sur lequel il nous a été donné à réfléchir est bien pourtant la loyauté « de » l’enquête et l’on ne s’en tirera pas en indiquant, même si la tentation est forte, qu’il n’y a pas de sujet. Il y avait peut‑être même un pré‑sujet : loyauté « et » enquête. Car il est inutile ici de rappeler qu’il n’existe pas, en droit administratif, d’obligation générale d’enquête avant une procédure, notamment disciplinaire. Or la loyauté n’impose‑t‑elle pas une telle obligation, comme pratique vertueuse d’établissement des faits et de la réalité des dossiers ? Le juge administratif s’y refuse toujours, comme l’a rappelé par exemple récemment la Cour administrative d’appel de Paris dans une décision du 18 mars 20224, le juge considérant même que le refus d’ouvrir une enquête est une mesure d’ordre intérieur, insusceptible de recours5.

Le sujet traité n’est pas non plus la loyauté de « l’enquêteur », la loyauté de « l’administration enquêtrice », ni celle de la « personne sujet de l’enquête », sur lesquels il y aurait pourtant à dire également. Pour ne prendre que cet exemple, on peut citer l’article 143‑3 du règlement de l’Autorité des marchés financiers :

Les personnes contrôlées apportent leur concours avec diligence et loyauté.

Drôle de retournement, comme l’exprimera la fin de cet exposé. Tout ceci participe bien entendu d’un environnement de loyauté, mais est‑ce toujours le même sujet ? Pas totalement sans doute et pourtant, en réalité, il s’agit là des éléments les plus assurés pour « se sortir » du sujet posé. Autrement dit, et c’est l’un des premiers enseignements que l’on peut d’ores et déjà tirer, réfléchir en 2024 à la loyauté de l’enquête, c’est encore devoir se concentrer sur les interstices6 de la loyauté plutôt que sur le cadre de celle‑ci.

S’il faut pourtant tenter une approche générale, il semble qu’elle peut se faire autour de deux idées. D’une part, la loyauté de l’enquête pâtit des rapports qu’elle entretient avec le principe de légalité de l’action administrative, lequel contrecarre largement sa consécration formelle. Cependant, et d’autre part, s’il est bien un domaine de l’action unilatérale où la loyauté mériterait toute sa place, c’est en matière d’enquête, même si elle y trouve, pour l’heure, une application imparfaite.

I. La loyauté de l’enquête aux prises avec la légalité

Dans la mesure où un droit spécifique de l’enquête administrative est en pleine construction, il aurait sans doute été étonnant de constater et de démontrer dans cette contribution qu’il existât un principe, général, de loyauté de l’enquête qui viendrait régir le déroulement de celle‑ci. On ne trouve pas d’expression de celui‑ci dans le droit positif. Il est arrivé au Conseil d’État d’écarter un grief tiré d’une violation de l’obligation ou de l’exigence de loyauté, mais sans que l’on puisse en déduire pour autant qu’il avait consacré une telle obligation, se contentant en réalité de reprendre la formulation des parties et de l’écarter par un « en tout état de cause », formule sur laquelle nous reviendrons et dont on connaît le potentiel évacuateur7.

Dès lors qu’il n’y pas de droit spécifique à l’enquête, les obligations générales de l’administration dans son action unilatérale s’appliquent. Elles sont désormais codifiées à l’article L.100‑2 du Code des relations entre le public et l’administration :

L'administration agit dans l'intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l'obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d'égalité et garantit à chacun un traitement impartial.

Point de loyauté dans l’action administrative unilatérale, en tous cas, point de loyauté affirmée expressément au niveau des exigences légales. Cette contribution n’en est sans doute pas le lieu, mais si l’on dépasse la vision trop formaliste du droit, ne peut‑on tout de même pas voir de la loyauté dans ces exigences de respect de l’intérêt général, de légalité, d’impartialité ? Cela pose bien évidemment la question de la définition de la loyauté, ce dont elle est le nom. La loyauté est « l’obéissance aux lois de l’honneur, de la probité, de la droiture8 ». En droit administratif, elle est essentiellement envisagée dans le champ des contrats administratifs, en particulier depuis la jurisprudence « Commune de Bézier » de 20099, au point qu’un ouvrage Droit et loyauté10 s’autorise à ne conférer une place qu’à ce seul thème du point de vue du droit public. Ce prisme formaliste ne doit cependant pas abuser : la loyauté est aussi ailleurs, se manifestant tout aussi directement, à l’instar du droit de la fonction publique, qui est au cœur du présent sujet. Elle peut se manifester plus discrètement encore lorsqu’elle ne vient qu’inspirer des comportements ou des règles de droit positif, mais sans être la source positive de ceux‑ci. On quitte le domaine des principes ou règles juridiques, pour revenir à l’essence de la loyauté qui est du côté de la morale, au cœur de sa définition. Sans s’appesantir ici sur la place de la loyauté en droit public, on peut rappeler qu’elle est considérée comme équivalente ou en tous cas très proche de la bonne foi, ce qui explique largement son succès en droit privé et en particulier en matière contractuelle, mais fait également douter de son autonomie.

Posons alors la question : a‑t‑on besoin d’un principe de loyauté de l’enquête administrative, formulé comme tel ? Car une administration qui se conforme aux principes d’action qui sont les siens, imposés par le respect de la légalité, n’est‑elle pas une administration loyale ? L’on est loyal lorsque l’on respecte ce à quoi on est lié, dans l’esprit qui a justifié cette liaison. Ainsi, lorsque l’administration se conforme au cadre d’action dans lequel elle est habilitée à agir, elle est, d’une certaine façon, loyale. Il ne s’agit en réalité que du rappel étymologique, opéré par David Mongoin11 ou le Vocabulaire juridique notamment, sur les liens entre droit et loyauté, au point que la seconde paraisse redondante avec la première. Et, en dehors des cas où le juge s’est expressément prononcé sur l’existence d’une obligation de loyauté en matière d’enquête, il se contente d’une telle approche, lui permettant de ne pas se prononcer justement sur l’existence ou non d’un principe de loyauté, alors même qu’il y était invité par les écrits des parties. On peut prendre deux exemples.

Dans une décision du 5 octobre 2016, « Société State Bank of India12 », le Conseil d’État était saisi d’une affaire dans laquelle l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution n’avait pas répondu, postérieurement à un contrôle, à une demande de la société contrôlée portant sur les mesures qu’elle pouvait mettre en œuvre pour remédier aux manquements constatés et ainsi éviter des poursuites et sanctions. Le juge considère que la société, qui justifiait d’une présence de 35 ans sur le territoire français, ne pouvait ignorer les sanctions auxquelles elle s’exposait et avait la possibilité de se faire assister : le fait que l’administration ne lui ait pas répondu ne l’exonère pas de ses obligations légales et ainsi ne saurait constituer, en tout état de cause, une violation de l’exigence de loyauté. Autrement dit, les illégalités commises par la société neutralisent en quelque sorte toute exigence de loyauté, laquelle passe au second plan.

Plus récemment, le Conseil d’État a tenu la même position, de manière même, peut‑être, encore moins audacieuse. Dans une décision du 16 mai 2022, « Société Traditia13 », il était saisi d’une affaire dans laquelle l’Autorité des marchés financiers ne s’était pas conformée, lors d’une enquête, à une règle de procédure qu’elle s’était elle‑même, volontairement, fixée dans une charte du contrôle. Elle avait contrôlé une société et n’avait pas informé son dirigeant que la procédure pouvait déboucher sur des griefs personnels, alors que cela ressortait expressément des exigences de la charte précitée. La société requérante considère qu’il y a comportement déloyal, en violation des droits de la défense protégés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’État juge qu’il n’y a pas manœuvre déloyale dès lors que la société contrôlée avait bénéficié d’un niveau d’information suffisant quant aux griefs qui lui étaient formulés. Mais il est tout de même obligé d’aller plus loin, puisque là, contrairement à l’affaire de 2016, il y avait un texte, certes de droit souple, la charte du contrôle. Si l’on veut bien croire que la loyauté est aussi, et peut‑être avant tout, « la fidélité à ses propres engagements14 », il y avait là matière à sanctionner le comportement de l’administration. C’est ici que le Conseil d’État fait preuve de peu d’audace, puisqu’il va écarter le grief tiré d’une déloyauté de l’administration en s’intéressant aux conséquences de ce non‑respect : dès lors que le comportement de l’administration n’a pas conduit le contrôlé à s’auto‑incriminer ni à effectuer des déclarations qui auraient servi de fondements aux griefs qui lui ont été notifiés, il ne saurait être reproché un quelconque défaut de loyauté de l’administration. Autrement dit, l’inconséquence de la déloyauté conduit à écarter sa violation. On peut s’interroger : s’il y avait eu des conséquences, cela aurait‑il constitué un comportement déloyal ? La décision ne permet pas d’en être certain, au contraire même, dès lors que le juge administratif utilise la formule, précitée, selon laquelle il n’y a pas « en tout état de cause » violation de l’obligation de loyauté.

Ainsi, le juge administratif ne tire, en l’état du droit et de manière générale, aucune conséquence d’une quelconque obligation ou exigence de loyauté, quand bien même elle existerait. Cela n’est évidemment pas sans lien avec la forme des supports formels qui accueillent cette exigence et plus généralement les enquêtes administratives : en l’absence de Code de procédure administrative répressive15, le plus souvent, il s’agit d’actes de droit souple, de chartes, de guides de bonnes pratiques. Le recours à ces instruments est somme toute logique, tant ils épousent une conception de la régulation dans laquelle la loyauté trouve parfaitement sa place. Mais avec deux limites : l’établissement de ces supports est laissé à la discrétion des administrations, ce qui n’est pas satisfaisant car les praticiens du droit sont en attente de textes, de directives, d’un cadre spécifique aux enquêtes ; et, seconde limite, on connaît la normativité pour le moins contrariée de ces actes de droit souple. Le juge exerce un office là encore somme toute logique : il se contente d’une vision légaliste de la « rectitude administrative16 » à travers les obligations légales qui pèsent sur l’administration. On peut s’en contenter et considérer que dans ce cadre du respect de l’intérêt général, de la légalité et de l’impartialité, l’enquête administrative est loyale. Reste que cette approche légaliste revient ni plus ni moins à faire de ces éléments des principes d’action objectifs, entendus, qui ne souffriraient aucune espèce d’interprétation. Or la conception volontariste de l’action administrative devrait largement condamner cette approche par trop simpliste.

II. Loyauté et enquête administrative : une relation logique mais encore imparfaite

C’est à la fois le paradoxe et la logique de la présente contribution : s’il y a de la place pour la loyauté, en tous cas pour une autre conception de la loyauté, en matière d’action unilatérale de l’administration, c’est bien à propos des enquêtes administratives. Cela n’est pas simplement lié aux fortes attentes des praticiens sus‑évoquées, mais plutôt à ce que Martine Lombard a nommé le « moralisme dissymétrique » du droit administratif français17, résumé par David Mongoin18 : l’exigence de loyauté est plus forte du côté des personnes privées et de la relation contractuelle et, en même temps, les personnes privées doivent certainement être protégées de la déloyauté des personnes publiques, dépositaires de la puissance publique et de l’intérêt général.

Il en résulte que la loyauté se développe progressivement, et souvent implicitement, au sein de l’action unilatérale, les temps étant plutôt propices à l’élargissement du champ de la loyauté, voire à la consécration d’un principe juridique, en réponse à des logiques plus ou moins concordantes : banalisation du droit public, moralisation de la vie publique, montée en puissance des impératifs de sécurité juridique et des exigences déontologiques, rééquilibrage toujours plus avant de la relation administrative à travers le droit à la régularisation en cas d’erreur ou le développement du rescrit… Alors même qu’elle est peu souvent expressément nommée, il y a une ambiance générale favorisant le développement de la loyauté, laquelle charrie son lot de mécontentements et d’inquiétudes : inutilité, inadaptation voire dangerosité de généraliser une notion si étrangère au droit public et à la prééminence nécessaire de l’intérêt général.

Mais ce qui est tout de même frappant si l’on revient au sujet des enquêtes administratives tient à ce que lorsque le juge administratif a décidé de dégager des règles, que l’on peut qualifier de spécifiques à celles‑ci, il les a immédiatement placées sur le fondement de la loyauté. C’est le sens de la décision de section « Freddy » de 2014, mentionnée à plusieurs reprises dans ce dossier : tout employeur public est tenu vis‑à‑vis de ses agents à une obligation de loyauté et il ne peut établir de sanctions que sur des moyens de preuve obtenus dans le respect de cette obligation, sauf si un intérêt majeur le justifie. L’affirmation est importante car elle démontre bien que la loyauté ne remet pas en cause l’intérêt général, ce dernier demeurant une cause d’exception à la première. Surtout, elle démontre qu’un droit spécial de l’enquête administrative est possible et il est en réalité très attendu, par les praticiens du droit, avocats mais aussi administrations.

Cette affirmation de la loyauté en matière d’enquête administrative est quelque peu amoindrie par trois éléments : son champ d’application, la casuistique qui en est faite et la portée qui lui est donnée.

D’abord, force est de constater que l’avancée permise par la jurisprudence « Freddy » n’a pas été généralisée à toutes les enquêtes administratives : l’obligation de loyauté ne vise pour l’heure que les enquêtes mettant en cause les relations employeurs/employés (si l’on met de côté bien entendu la matière fiscale) et uniquement celles diligentées dans le strict cadre de l’exercice du pouvoir disciplinaire. Il n’existe pas ainsi d’obligation, exprimée dans le droit positif, de loyauté dans les enquêtes qui concernent les candidats à une fonction publique, ni bien entendu les usagers, que l’on pense par exemple à la discipline universitaire. Au regard de la nature dialogique de la loyauté, ne serait‑il pas logique qu’elle soit une caractéristique de toutes les enquêtes aboutissant à une décision administrative prise en considération de la personne ? Cette question ne pourra être réglée sans une clarification du fondement de la loyauté : s’agit‑il d’une obligation autonome ? Auquel cas, elle aura sans doute du mal à trouver de nouveaux développements. S’agit‑il au contraire d’une composante d’autres exigences : les droits de la défense par exemple, le principe d’impartialité ou encore, plus ambitieux, le principe de bonne administration ? Dans ce cas, elle devrait logiquement suivre le champ de ces fondements, mais avec le risque d’une dilution de ses contours.

Ensuite, et c’est la deuxième faiblesse de l’obligation de loyauté, en dehors de la matière fiscale, et même si l’on ne peut prétendre ici à l’exhaustivité, l’on ne trouve pas d’hypothèses jurisprudentielles où l’administration aurait méconnu son obligation de loyauté dans l’administration de la preuve, alors même que la jurisprudence est assez volumineuse sur le sujet. Dans la plupart des affaires, on ne peut que partager la position du juge administratif, mais d’autres ouvrent davantage à discussion. On citera simplement quelques exemples, dans la période récente : fonder une sanction sur un questionnaire auquel a répondu, sans contrainte, l’intéressé, n’est pas contraire à la loyauté, pas davantage que le fait de se fonder sur des témoignages anonymisés19 ; s’appuyer sur le mur Facebook de la personne poursuivie pour démentir ses dires est également conforme à l’obligation de loyauté20 ; recourir à un détective privé ou à une agence de recherches privée l’est également21 ; idem pour le recours à des images de vidéosurveillance22, y compris si elles ont été conservées au‑delà du délai légal23 ; et enfin, dernier exemple, le fait de mandater un agent pour aller vérifier le contenu de l’ordinateur professionnel d’un autre agent n’est pas non plus une atteinte à la loyauté, dès lors que le mandaté « s’est borné à examiner des fichiers professionnels et à faire état d’éléments factuels24 ». On le voit : le juge administratif n’est pas enclin à défendre une conception très exigeante de la loyauté. Il ne s’agit sans doute pas d’une faiblesse de son office, puisque celui‑ci est entier, depuis la décision d’Assemblée « Dahan » du 13 novembre 201325, qui justifiait justement le passage à un tel contrôle en raison du faible encadrement de la phase administrative d’enquête. Il s’agit bien de s’accorder sur ce que loyauté veut dire.

Il faut reconnaître qu’il est particulièrement difficile de donner un contenu positif à l’obligation de loyauté, propre à en définir les contours :

Le principe de loyauté est dépourvu de consistance immédiate26.

Un ouvrage sur la loyauté en droit public proposait de retenir le triptyque suivant : tenir parole, ne pas piéger, ne pas dissimuler. On a vu que « tenir parole » n’était pas véritablement une exigence, rappelant au passage toutes les difficultés que rencontre la promesse administrative pour acquérir une véritable portée. En revanche, « ne pas piéger » et « ne pas dissimuler » sont des exigences que l’on peut considérer comme reflétant l’état du droit. Car l’on peut tout de même établir, dans une lecture a contrario, les obligations qui pèsent sur l’administration au titre de son obligation de loyauté en matière de preuve. Ainsi de l’obligation d’information : la convocation de l’agent ne doit pas dissimuler ou tromper quant aux motifs de l’enquête27 ; l’agent a droit à communication des rapports et procès‑verbaux d’audition de témoins établis dans le cadre de l’enquête, y compris lorsqu’ils l’ont été par des corps d’inspection28 ; l’anonymisation des témoignages est possible, mais elle ne doit pas compromettre leur compréhension ni les circonstances dans lesquelles les personnes ont témoigné29. Ce dernier exemple démontre de nouveau que la loyauté peut parfaitement se concilier avec d’autres exigences d’intérêt général, tenant par exemple à la protection des témoins : le « fétichisme procédural », dénoncé par certains30, n’est pas la conséquence logique d’une obligation de loyauté.

Enfin, au‑delà de ces exemples, il faut ajouter comme troisième élément d’amoindrissement de l’obligation de loyauté, que le juge administratif a neutralisé la portée d’un manquement à cette dernière puisqu’il estime que :

[Cette] méconnaissance n’a pas pour effet, en tant que telle, de vicier l’ensemble de la procédure31.

Le juge va en réalité s’attacher à la réalité des faits établis et aux autres preuves apportées. La décision n’a pas fait l’objet de commentaires, elle est délicate d’interprétation : une décision qui serait fondée exclusivement sur des preuves déloyales, sans que l’on puisse la fonder sur d’autres éléments, est‑elle pour autant légale ? Il nous semble que ce n’est pas le cas, si l’on tient compte de la dernière phrase du considérant de principe de la décision « Freddy » :

Il appartient au juge administratif, saisi d'une sanction disciplinaire prononcée à l'encontre d'un agent public, d'en apprécier la légalité au regard des seuls pièces ou documents que l'autorité investie du pouvoir disciplinaire pouvait ainsi retenir.

Si aucun élément ne peut être retenu comme loyal, la sanction devrait logiquement tomber.

En définitive, la loyauté de l’enquête se dérobe, soit qu’elle ne soit pas expressément formulée, soit qu’elle demeure encore trop épisodique au regard de la diversité des enquêtes administratives. Le pas à franchir pour une consécration en bonne et due forme est à la fois simple et considérable, mais le fait que l’on ne trouve quasiment aucun exemple de violation de l’obligation de loyauté ne doit‑il pas rassurer et affermir la plume des pouvoirs publics ?

1 V. en ce sens la contribution d’Émilie Barbin dans le présent dossier.

2 Benoît Plessix, « Enquêter », DA, n° 11, 2021, p. 1.

3 David Mongoin, « Rapport introductif », in Sébastien Ferrari, Sébastien Hourson (dir.), La loyauté en droit public, Bayonne, Institut universitaire

4 N° 21PA01779.

5 CAA Paris, 11 mars 2022, n° 21PA04591.

6 Sylvain Niquège (dir.), Les figures de la loyauté en droit public, Paris, Mare & Martin, coll. « Droit public », 2017, p. 11.

7 Par ex. CE, 21 août 2019, Mme C.‑A. ; 5 oct. 2016, n° 389377, Soc. State Bank of India.

8 Larousse.

9 CE Ass., 28 déc. 2009, n° 304802 ; GAJA, n° 106.

10 Franck Petit (dir.), Droit et loyauté, Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2015, 147 p.

11 D. Mongoin, op. cit., p. 22.

12 N° 389377.

13 N° 452191.

14 D. Mongoin, op. cit., p. 29.

15 Pascale Idoux, « Faut‑il un code de procédure administrative répressive », RSC, n° 1, 2019, p. 41.

16 Mattias Guyomar, « La loyauté en droit administratif », Justice & Cassation, 2014, p. 59.

17 Martine Lombard, Recherches sur le rôle de la bonne et de la mauvaise foi en droit administratif français, Thèse, Strasbourg, 1978, p. 194.

18 Op. cit.

19 CAA Bordeaux, 7 avr. 2022, n° 19BX04777.

20 CAA Bordeaux, 11 oct. 2021, n° 19BX03567.

21 CAA Bordeaux, 19 oct. 2022, n° 20BX00450.

22 CAA Marseille, 12 mai 2022, n° 21MA01009 ; 4 mars 2021, 19MA04107.

23 CAA Marseille, 5 déc. 2019, n° 19MA02446.

24 CAA Douai, 3 fév. 2022, n° 21DA00584.

25 N° 347704.

26 S. Niquège, op. cit., p. 15.

27 CAA Douai, 17 mars 2022, n° 21DA00804.

28 CE, 5 fév. 2020, n° 433130.

29 CAA Nantes, 3 déc. 2021, n° 20NT02591.

30 Élisabeth Landros‑Fournalès, « L’extension de la communication du dossier aux rapports d’enquête – La tentation du fétichisme procédural », note

31 CE, 3 juil. 2020, n° 432756, Commune de Marseille.

Notes

1 V. en ce sens la contribution d’Émilie Barbin dans le présent dossier.

2 Benoît Plessix, « Enquêter », DA, n° 11, 2021, p. 1.

3 David Mongoin, « Rapport introductif », in Sébastien Ferrari, Sébastien Hourson (dir.), La loyauté en droit public, Bayonne, Institut universitaire Varenne, coll. « Colloques & Essais », 2018, p. 29.

4 N° 21PA01779.

5 CAA Paris, 11 mars 2022, n° 21PA04591.

6 Sylvain Niquège (dir.), Les figures de la loyauté en droit public, Paris, Mare & Martin, coll. « Droit public », 2017, p. 11.

7 Par ex. CE, 21 août 2019, Mme C.‑A. ; 5 oct. 2016, n° 389377, Soc. State Bank of India.

8 Larousse.

9 CE Ass., 28 déc. 2009, n° 304802 ; GAJA, n° 106.

10 Franck Petit (dir.), Droit et loyauté, Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2015, 147 p.

11 D. Mongoin, op. cit., p. 22.

12 N° 389377.

13 N° 452191.

14 D. Mongoin, op. cit., p. 29.

15 Pascale Idoux, « Faut‑il un code de procédure administrative répressive », RSC, n° 1, 2019, p. 41.

16 Mattias Guyomar, « La loyauté en droit administratif », Justice & Cassation, 2014, p. 59.

17 Martine Lombard, Recherches sur le rôle de la bonne et de la mauvaise foi en droit administratif français, Thèse, Strasbourg, 1978, p. 194.

18 Op. cit.

19 CAA Bordeaux, 7 avr. 2022, n° 19BX04777.

20 CAA Bordeaux, 11 oct. 2021, n° 19BX03567.

21 CAA Bordeaux, 19 oct. 2022, n° 20BX00450.

22 CAA Marseille, 12 mai 2022, n° 21MA01009 ; 4 mars 2021, 19MA04107.

23 CAA Marseille, 5 déc. 2019, n° 19MA02446.

24 CAA Douai, 3 fév. 2022, n° 21DA00584.

25 N° 347704.

26 S. Niquège, op. cit., p. 15.

27 CAA Douai, 17 mars 2022, n° 21DA00804.

28 CE, 5 fév. 2020, n° 433130.

29 CAA Nantes, 3 déc. 2021, n° 20NT02591.

30 Élisabeth Landros‑Fournalès, « L’extension de la communication du dossier aux rapports d’enquête – La tentation du fétichisme procédural », note ss CE, 5 fév. 2020, n° 433130 et 28 janv. 2021, n° 435946, RFDA, 2021, p. 535.

31 CE, 3 juil. 2020, n° 432756, Commune de Marseille.

Citer cet article

Référence électronique

Christophe TESTARD, « La loyauté de l’enquête administrative : les détours d’une évidence », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 27 | 2024, mis en ligne le 17 juillet 2024, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=1681

Auteur

Christophe TESTARD

Professeur de droit public, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital CMH UR 4232, F‑63000 Clermont‑Ferrand, France, membre de l’AFDA

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