La mutabilité des situations matrimoniales

The mutability of marital situations

DOI : 10.52497/revue-cmh.2555

Résumés

À l’origine, les situations matrimoniales répondaient à un principe d’immutabilité, issu du droit coutumier, puis repris par les rédacteurs du Code civil. Ce dernier, inscrit à l’ancien article 1 395, interdisait ainsi aux époux de changer de régime matrimonial en cours d’union afin de préserver les intérêts du couple et de leurs enfants d’une part, des créanciers d’autre part. En effet, le mariage s’analysait alors comme un véritable pacte de famille garant de stabilité. Cette notion, pourtant jugée primordiale en 1804, a été assouplie progressivement par le législateur en cheminant d’une immutabilité stricte vers une mutabilité contrôlée, uniquement soumise à l’homologation du juge en présence de mineurs sous tutelle ou d’opposition. En outre, le délai préalable de deux ans, dernière relique du principe d’immutabilité absolue des situations matrimoniales, au cours duquel aucun changement de régime ne pouvait être intervenir, a également été abandonné.
Le rôle du juge a néanmoins été substitué en faveur d’un autre intervenant : le notaire. Il lui incombe désormais le devoir d’alerter le juge lorsque le changement de régime projeté n’est pas conforme à l’intérêt de la famille.

Originally marital situations respected a principle of immutability stemming from customary law then adopted by the framers of the Civil Code. This key concept was enshrined in the former Article 1 395 that prohibited spouses from changing their matrimonial regime during their union in order to protect the couple’s and children’s interests on one hand and those of the creditors on the other hand. At this time, marriage was seen as a true family pact guaranteeing stability. This notion deemed paramount in 1804 has been gradually soften by the lawmaker from strict immutability to controlled mutability. From now on the judge's approval is only required in the presence of minors under guardianship or opposition. Moreover the previous minimum period of two years for changing a marital status has also been removed. It represented the last relic of the principle of absolute immutability in which no change in regime could occur.
Nevertheless the judge’s role has been replaced by another character: the notary. It is now his dutyto alert the judge when the desired change in regime does not meet the family's interests.

Index

Mots-clés

régime matrimonial, mutabilité, immutabilité, évolution législative, principe d'immutabilité, réforme, homologation, consentement, mutabilité relative, droit coutumier, déjudiciarisation.

Keywords

matrimonial regime, mutability, legislative evolution, principle of immutability, reform, homologation, consent, relative mutability, customary law, diversion.

Plan

Texte intégral

Lors de l’élaboration du Code civil, ses rédacteurs avaient repris le principe de l’immutabilité des situations matrimoniales pour protéger chaque époux contre l’autre. Puis, après la seconde guerre mondiale, la Commission de réforme du Code civil a proposé un infléchissement de la règle de l’immutabilité1. Nous sommes passés alors à une mutabilité relative, contrôlée en justice, avec l’objectif d’éviter que les époux soient obligés de divorcer pour changer de régime.

Le changement de régime matrimonial requiert l’observation par les époux de plusieurs conditions énoncées à l’article 1 397 du Code civil. L’instauration de ce formalisme a été dictée par la volonté du législateur, tant de protéger les époux contre eux‑mêmes, que de préserver les intérêts des enfants et plus généralement des tiers. Pour que le changement ou modification du régime matrimonial soit valable, les époux doivent y consentir, et ce en toute connaissance de cause. Leur consentement doit exister et n’être affecté par aucun vice, non seulement au jour de l’accomplissement de l'acte opérant le changement de régime, mais également au jour de l'homologation lorsqu’elle est requise2.

Pour comprendre le principe que l’on connaît aujourd’hui sur la mutabilité des situations matrimoniales, il faut tout d’abord reprendre l’évolution législative de cette notion qui était au départ une création spontanée du droit coutumier qui avait érigé le principe d’immutabilité.

Comme nous le verrons dans une première partie (I), nous sommes passés, peu à peu, au fil de l’évolution de la société, à une mutabilité contrôlée.

Puis, dans une deuxième partie (II), nous allons analyser les améliorations et les simplifications adoptées par le législateur lors de la mise en œuvre de la mutabilité des situations matrimoniales.

I. L’évolution du principe de la mutabilité des situations matrimoniales

Longtemps absolue (A), l’immutabilité des situations matrimoniales a été assouplie, puis affaiblie depuis la suppression de l’exigence systématique d’une homologation judiciaire, et enfin abandonnée (B).

A. L’instauration d’un principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux

Après avoir expliqué le principe (1), nous en étudierons ses justifications (2).

1. Le principe

Le Code civil de 1804 avait instauré un principe d’immutabilité des régimes matrimoniaux. En application de ce principe, il était fait interdiction aux époux de changer, en cours de mariage, le régime matrimonial pour lequel ils avaient opté.

L’ancien article 1 395 du Code civil disposait, en ce sens, que les conventions matrimoniales « ne pouvaient recevoir aucun changement après la célébration du mariage ».

Cette interdiction trouvait son origine, sa source dans une jurisprudence du Parlement de Paris qui reposait notamment sur l’idée que le mariage est un acte définitif qui emporte des effets irréversibles à l’endroit des époux. Pour cette raison, ils ne sauraient revenir sur le contrat de mariage sur la base duquel l’union conjugale est assise.

Cette règle était une source de paix dans le foyer en excluant toute possibilité de discussion d’intérêt3.

2. Les justifications

L’un des arguments avancés par la doctrine pour justifier le bien‑fondé du principe d’immutabilité des conventions matrimoniales tient à la volonté du législateur de préserver les intérêts des époux. Il n’est pas rare qu’un époux exerce une emprise sur l’autre, au moins une influence, ce qui le place en position d’imposer sa volonté. C’est pourquoi le législateur, sous l’Ancien Régime, avait interdit les donations entre époux et par là même, la voie du changement de régime matrimonial. En effet, un changement de régime matrimonial de séparation de biens en communauté universelle produit les mêmes effets qu’une donation entre époux. Afin d’empêcher cela, le législateur avait posé un principe d’immutabilité des conventions matrimoniales afin de prévenir le contournement de la prohibition des donations entre époux.

L’autre argument avancé par les auteurs pour justifier le principe d’immutabilité consistait à dire qu’une convention matrimoniale était plus qu’un simple contrat conclu entre les époux. Il s’agissait en fait pour eux d’un véritable pacte de famille auquel étaient également parties les parents et donateurs4. En effet, pendant de nombreuses années, les parents ont doté leurs enfants et ont aménagé pour eux leurs intérêts pécuniaires en prévoyant une stabilité familiale pérenne justifiant l’intangibilité de leur situation matrimoniale5.

Le dernier argument défendu par les auteurs tenait à la préservation des intérêts des tiers. En effet, autoriser les époux à changer de régime matrimonial, c’est faire courir le risque aux tiers de ne pas être informés des modifications apportées par les époux à leur contrat de mariage. Le principe d’immutabilité permettait d’assurer la sécurité de la situation de créanciers, qui lorsqu’ils contractaient avec une personne mariée, n’encouraient pas le risque d’être induits en erreur sur l’étendue des pouvoirs de leur cocontractant. Il fallait éviter que les époux ne changent de convention matrimoniale uniquement pour limiter les prérogatives des créanciers.

Tous ces arguments n’ont pas résisté à la critique et cela a conduit le législateur à assouplir la prohibition de la mutabilité des situations matrimoniales qui a été absolue jusqu’à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

B. L’assouplissement puis l’abandon du principe d’immutabilité des conventions matrimoniales

Pour arriver à la mutabilité limitée que nous connaissons aujourd’hui, il a fallu que le législateur assouplisse (1) tout d’abord le résidu de la règle ancienne de l’immutabilité des conventions matrimoniales, puis l’abandonne (2) au profit d’une mutabilité au contrôle allégé.

1. L’assouplissement du principe d’immutabilité

Les mutations économiques et sociales de la société à compter du xxe siècle ont rendu la prohibition instituée sous l’Ancien Régime inadaptée à la situation du couple marié moderne qui peut vouloir un changement tant sur le plan professionnel que patrimonial.

Les changements de situation, comme une reconversion professionnelle, un remariage, une création d’entreprise nécessitent pour les époux de pouvoir adapter leur régime matrimonial à leur nouvelle situation professionnelle ou familiale. Dans cette nouvelle société, le principe d’immutabilité des conventions matrimoniales était devenu un principe injustifié. C’est pourquoi le législateur n’a eu d’autre choix que de l’assouplir lors de l’adoption de la loi du 13 juillet 19656 qui a ouvert une brèche dans le principe de l’immutabilité.

Cet assouplissement a consisté à admettre que les époux puissent changer de régime matrimonial, mais sous le contrôle du juge. En fait, l’immutabilité était le principe, mais avec une exception autorisant les époux à soumettre leur projet de changement de régime matrimonial et si les conditions étaient remplies, le juge pouvait faire droit à leur demande. Certains auteurs ont parlé de mutabilité contrôlée7. D’autres considèrent que l’immutabilité reste la règle8.

L’ancien article 1 396 du Code civil alinéa 3 prévoyait en ce sens que :

Le mariage célébré, il ne peut être apporté de changement au régime matrimonial que par l’effet d’un jugement, soit à la demande de l’un des époux, dans le cadre de la séparation de biens ou des autres mesures judiciaires de protection, soit à la requête conjointe des deux époux, dans le cas de l’article suivant.

Désormais, le principe d’immutabilité n’interdit plus les mutations. Il les autorise sous réserve que les époux soient placés sous la tutelle d’un juge. Leur seule volonté ne suffit pas pour changer de régime matrimonial. Durant cette période, la mutabilité n’était que relative puisque contrôlée en justice pour éviter que les époux divorcent pour changer de régime.

L’intérêt de la famille doit, également, être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble. Il devra peser les intérêts en présence et établir une hiérarchie entre eux en fonction des circonstances propres à chaque espèce. Dans certaines circonstances, le juge pourra faire primer l’intérêt des époux sur celui des héritiers réservataires. Dans d’autres cas, il pourra statuer dans le sens inverse compte tenu du contexte familial.

2. L’abandon du principe d’immutabilité

L’assouplissement du principe d’immutabilité du régime matrimonial est très vite apparu insuffisant.

De nombreux auteurs ont considéré que l’exigence d’homologation judicaire était injustifiée pour deux raisons principales : d’une part, le recours à un juge avait pour effet d’allonger la procédure et d’en augmenter le coût avec le recours à un avocat, et d'autre part, le recours à un juge crée une véritable inégalité entre époux puisqu’elle n’est requise que lorsque les deux époux sont français9.

Le législateur a tenu compte de ces arguments lors de l’adoption de la loi du 23 juin 200610. En effet, avec cette loi, le changement de régime matrimonial n’est plus subordonné à l’obtention d’une homologation judiciaire qui devient une exception pour certains cas particuliers :

  • en présence d’enfants mineurs,
  • en cas d’opposition formée par les enfants majeurs des époux,
  • ou en cas d’opposition formée par les tiers.

Cette loi de 2006 a été dans les premiers temps mal accueillie parce qu’elle n’était « qu’une demi‑mesure », maintenant dans quelques cas l’homologation judiciaire11. Par ailleurs, depuis la loi de 2006, le changement envisagé doit faire l’objet d’un avis publié dans un journal d’annonces légales pour que les créanciers soient informés du changement et puissent s’opposer à la modification dans les trois mois de la publication. Le changement est alors soumis à l’homologation.

Le législateur a poursuivi la réforme engagée avec l’adoption de la loi du 23 mars 201912 qui a mis un terme au principe d’immutabilité des conventions matrimoniales, laissant place à une mutabilité, certes encore contrôlée, mais considérablement facilitée. L’objectif recherché était d’alléger les formalités préalables à la révision du régime matrimonial et recentrer le juge sur ses missions essentielles. En effet, la loi de 2019 a supprimé l’homologation judiciaire, sauf opposition des enfants et des créanciers. L’idée était déjà assez ancienne13.

Cette réforme n’est pas surprenante car elle s’inscrit dans le mouvement plus général de déjudiciarisation et de contractualisation du droit de la famille. Elle accentue la libéralisation du changement de régime matrimonial.

L’objectif de rendre plus rapide et moins couteux le changement de régime est atteint. L’article 1 397 du Code civil a donc été modifié pour supprimer certaines conditions antérieurement exigées pour que les époux puissent changer pendant leur mariage le régime matrimonial préalablement choisi.

II. L’évolution de la mise en œuvre de la mutabilité des situations matrimoniales

Le législateur a réécrit l’article 1 397 du Code civil. À travers cette nouvelle rédaction, nous constatons des améliorations (A) et des simplifications (B) pour le changement des régimes matrimoniaux.

A. Les améliorations

Le législateur a tenu compte des critiques du régime antérieur et a souhaité accélérer le changement de régime matrimonial en supprimant la condition de délai (1) et en clarifiant la situation des enfants majeurs sous protection juridique (2).

1. La suppression du délai préalable

La loi du 13 juillet 1965 avait imposé une condition de délai minimal de deux ans qui devait séparer la célébration du mariage et la première modification autorisée du régime matrimonial.

L’exigence de cette condition, maintenue par la loi du 23 juin 2006, revenait à maintenir l’immutabilité absolue du régime matrimonial pendant les deux premières années du mariage. Elle est justifiée par la nécessité pour les époux de mettre d’abord à l’épreuve le régime initialement choisi afin d’apprécier l’opportunité d'en adopter un autre mieux adapté à leur nouvelle situation. Ce délai était gênant pour les époux dont la situation professionnelle avait évolué avant les deux ans d’attente ou en cas de crainte du décès prochain d’un époux. Cette durée de deux ans pouvait être un frein à la préparation d’une succession ou à la création ou reprise d’une entreprise par un époux. Cela pouvait même inciter les conjoints à divorcer pour se remarier sous un autre régime matrimonial, surtout depuis la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel par la loi du 18 novembre 2016.

La loi du 23 mars 2019 a alors supprimé ce délai de deux ans. L’objectif affiché du législateur est de permettre aux époux dont la situation professionnelle a évolué d’adapter leur régime avant les deux ans ou en cas de crainte du décès prochain d’un époux.

Cette évolution permet d’aligner aussi les règles du mariage sur le pacte civil de solidarité dont le régime juridique plus souple n’exige aucun délai minimal avant une première modification de la convention initiale.

Il avait été envisagé aussi la simple réduction du délai de deux ans mais cette hypothèse a été écartée car cela ne répondait pas à l’objectif de simplification envisagée. C’est la suppression pure et simple qui a été retenue. Désormais le changement de régime matrimonial ne comporte plus de condition de délai, que ce soit après la célébration du mariage ou entre deux modifications.

Cela va donc permettre aux époux d’adapter leur régime matrimonial immédiatement à l’évolution de leur situation professionnelle ou personnelle.

2. L’éclaircissement de la situation des enfants majeurs sous protection juridique

L’ancien article 1 397 du Code civil n’envisageait pas l’hypothèse des enfants majeurs placés sous un régime de protection juridique. Une question se posait tout de même : est‑ce que ces enfants bénéficiaient, comme tous les enfants majeurs des époux, d’un délai de trois mois pour s’opposer au changement de régime matrimonial des parents ?

L’alinéa 2 du nouvel article 1 397 exige formellement que l’information de la modification soit délivrée au représentant de l’enfant. Celui‑ci pourra alors s’y opposer dans le délai de trois mois à compter de la notification. Dans ce cas, l’acte sera soumis à l’homologation du juge aux affaires familiales. Cette disposition s’applique aux cas de tutelle, mais semble pouvoir également s’appliquer à la curatelle ou à l’habilitation familiale sur décision du juge14.

Un décret du 22 juillet 201915 coordonne des dispositions relatives au changement de régime matrimonial et prend acte de la réforme de la procédure de mutation du régime matrimonial précisant notamment les modalités d’information en présence d’un enfant, mineur ou majeur, faisant l’objet d’une mesure de protection16. L’article 1 300 du Code de procédure civile est complété pour prévoir que l’information du projet envisagé est notifiée aux personnes qui étaient parties au contrat de mariage aux enfants majeurs de chaque époux ou « à leur représentant en cas de mesure de protection juridique et au tuteur chargé de représenter les enfants mineurs le cas échéant ».

Le représentant du mineur sous tutelle ou du majeur protégé bénéficie désormais d’un droit d’information et par conséquent d’une faculté d’opposition17 de la même manière que les autres enfants majeurs, les créanciers ou les personnes qui étaient parties au contrat de mariage. Cette modification met ainsi l’accent sur le rôle protecteur du représentant de l’enfant majeur.

Si l’enfant est placé sous la tutelle de ses parents, ces derniers ne peuvent pas valablement représenter leur enfant lors d’une procédure à laquelle ils sont personnellement intéressés. Un tuteur ad hoc devra être nommé à défaut de subrogé tuteur18. L’homologation ne sera pas nécessaire dès lors que le tuteur du majeur ne s’opposera pas au changement de régime envisagé19.

Si une mesure de curatelle est organisée pour l’un des enfants majeurs, l’information du changement de régime matrimonial doit être adressée conjointement à l’enfant sous curatelle et à son curateur20. Si l’un des parents est curateur de l’enfant, un curateur ad hoc est nommé pour le changement de régime matrimonial.

Si les époux sont parents d’un enfant majeur placé sous leur habilitation familiale, la désignation d’un mandataire ad hoc n’est pas prévue dans le régime de l’habilitation familiale. Les époux doivent donc, conformément à l’article 494‑6 du Code civil, saisir le juge des contentieux de la protection avant l’établissement de l’acte de changement de régime matrimonial afin d’obtenir l’autorisation d’accomplir cet acte, en opposition d’intérêts avec leur enfant majeur sous habilitation familiale.

B. Les simplifications

Malgré le désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur l’intervention du juge, le texte retenu réduit l’intervention du juge (1) et augmente le rôle du notaire (2) dans le changement de régime matrimonial.

1. La limitation du rôle du juge

La question qui se pose est la suivante : est‑ce qu’il appartient au juge de s’ingérer dans les affaires de famille alors que les époux sont les mieux placés pour juger de l’opportunité des mesures à prendre dans l’intérêt familial ou y a‑t‑il un risque à écarter tout contrôle judiciaire pour un changement de régime matrimonial qui est un acte grave ?

La condition systématique de l’homologation judiciaire contenue dans la loi du 13 juillet 1965 est devenue une condition éventuelle depuis que la loi du 23 juin 2006 l’a limitée aux seuls cas où l’un des époux a des enfants mineurs ou lorsqu’une personne bénéficiant du droit d’opposition l’exerce.

La loi du 23 mars 2019 a simplifié la procédure en présence d’enfants mineurs en abandonnant l’exigence d’homologation judiciaire systématique sauf dans un cas : en présence d’un mineur sous tutelle. En effet, pour le mineur sous tutelle, il faut une homologation judiciaire si son tuteur s’oppose au changement envisagé.

Il faut donc distinguer l’enfant sous tutelle et l’enfant sous administration légale pour déterminer le juge compétent.

En résumé, s’il y a un enfant sous tutelle, le notaire doit notifier au tuteur qui dispose alors d’un droit d’opposition de trois mois. S’il s’y oppose, il faudra demander au juge une homologation judiciaire.

Si les époux ont un enfant sous administration légale, c’est le notaire qui a la possibilité de saisir le juge des contentieux de la protection. S’il constate, par application de l’article 387‑3 alinéa 2 du Code civil, que la convention des époux compromet manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur, il devra alors obtenir l’autorisation préalable du juge des tutelles pour effectuer le changement envisagé.

Le rôle du juge est réduit : dans le premier cas, nous passons du juge au tuteur et dans le deuxième cas, du juge au notaire21.

Désormais, l’homologation judiciaire par le juge aux affaires familiales de la convention des époux est nécessaire s’il y a eu opposition dans les trois mois par :

  • les personnes parties dans le contrat modifié,
  • les enfants majeurs non placés sous mesure de protection juridique,
  • les créanciers des époux,
  • les représentants des enfants mineurs sous tutelle ou majeurs placés sous mesure de protection juridique.

2. L’élargissement du rôle du notaire

Dans un changement de régime matrimonial, le rôle du notaire a toujours été important :

  • conseiller les époux,
  • rédiger leur convention authentique,
  • informer les personnes bénéficiant d’un droit d’opposition,
  • procéder aux mesures de publicité du changement.

Mais la loi du 23 mars 2019 a élargi encore son domaine d’intervention en lui donnant désormais un nouveau rôle d’alerte, qui nécessite qu’il apprécie les conséquences du changement de régime matrimonial pour les enfants mineurs, en plus d’apprécier sa conformité à l’intérêt de la famille. Pour le Centre de recherches, d'information et de documentation notariales (Cridon) de Paris22, le devoir d’alerte doit être effectué en cas de conflit d’intérêts entre les époux et leur enfant mineur ou dans l’hypothèse d’un changement de régime matrimonial non conforme à l’intérêt de la famille23. L’adoption d’une communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au profit du conjoint survivant est un exemple de conflit d’intérêts avec les enfants mineurs justifiant l’exercice du devoir d’alerte du notaire24.

Lorsque l’un ou l’autre des époux a des enfants mineurs sous le régime de l’administration légale, le notaire peut ainsi saisir le juge des contentieux de la protection, s’il estime que le changement de régime matrimonial compromet manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou porte un préjudice à ceux‑ci25.

Le notaire a donc, en plus de ses fonctions de conseil des époux, de rédacteur de leur convention, un rôle de contrôle des intérêts de leurs enfants mineurs. Ce cumul va aboutir à une sorte de conflits d’intérêts dans les missions du notaire.

Si le devoir d’alerte doit être mis en œuvre par le notaire, il consiste non en une demande d’homologation judiciaire, mais dans la saisine du juge des contentieux de la protection. Cette saisine s’effectue par requête adressée au greffe du tribunal judiciaire26. Le notaire y annexe le projet d’acte de modification ou de changement de régime matrimonial. Le devoir d’alerte du notaire doit être préalable à l’établissement de l’acte. Le juge donnera ou non son autorisation au regard de chaque situation soumise à lui. Le notaire doit attendre la réponse du juge qui n’a aucun délai à respecter pour répondre. Si la réponse du juge est favorable, le notaire pourra établir l’acte en précisant qu’il a exercé son devoir d’alerte, qu’il a reçu l’autorisation du juge et qu’il va notifier le droit d’opposition aux personnes concernées. Si la réponse du juge est négative, la convention de changement de régime matrimonial ne pourra pas être établie, sauf si les époux exercent un recours à l’égard de la décision de refus du juge.

L’idée de substituer l’intervention du notaire à celle du juge n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la tendance générale du droit des personnes et de la famille depuis le début du xxie siècle. Cette évolution divise les auteurs mais l’intervention d’un notaire ne remplace pas celle d’un juge qui reste quand même le garant institutionnel de l’équilibre entre les parties et le gage renforcé de sécurité et de stabilité des situations juridiques27.

1 Stéphane Piedelièvre, Les régimes matrimoniaux, 4e éd., Paris, Bruylant, coll. « Paradigme », 2022, n° 541, spéc. p. 632.

2 Cass. civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 09‑11218.

3 Stéphane Piedelièvre, Les régimes matrimoniaux, 4e éd., Paris, Bruylant, coll. « Paradigme », 2022, n° 540, spéc. p. 632.

4 Régime dotal.

5 Stéphane Piedelièvre, Les régimes matrimoniaux, 4e éd., Paris, Bruylant, coll. « Paradigme », 2022, n° 540, spéc. p. 632.

6 Loi n° 65‑570 du 13 juill. 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

7 Michel Gobert, « Mutabilité ou immutabilité des régimes matrimoniaux », JCP N, I, 1969, spéc. § 2281.

8 Jacques Flour et Gérard Champenois, Les régimes matrimoniaux, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1995, n° 188.

9 La Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux s’y oppose dès lors que l’un des époux n’a pas la

10 Loi n° 2006‑728 portant réforme des successions et des libéralités.

11 Philippe Malaurie, Laurent Aynès, Nathalie Peterka, Droit des régimes matrimoniaux, 9e éd., Paris, LGDJ, coll. « Droit civil », 2023, p. 113.

12 Loi n° 2019‑222, loi de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice.

13 L’idée avait déjà été émise par le 75e Congrès des Notaires de France tenu à La Baule en 1978.

14 Cécile Pérès, « La déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille », JCP N, n° 14, 2018, p. 1151 ; François Letellier, « Le notaire et

15 Décret n° 2019‑756, 22 juill. 2019, portant diverses dispositions de coordination de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022

16 Jacques Combret et David Noguéro, « Personnes vulnérables, régimes matrimoniaux et statut personnel : réforme de la justice et prospective »

17 Depuis la réforme du 23 mars 2019, « un devoir d’information est créé au profit du représentant du majeur protégé ou du mineur sous tutelle afin 

18 Christiane Sarto‑Le Martret, « Procédure de changement de régime matrimonial : les principales questions pratiques », JCP N, n° 16, 2024, p. 39.

19 Rép. Min. n° 28468, JOAN 12 mai 2009, p. 4665 et p. 4666.

20 Circulaire n° 73‑07/C1/5‑2/GS du ministère de Justice en date du 29 mai 2007.

21 Hervé Lécuyer, « Pour la juridiction gracieuse », Defrénois, n° 9, 1er mars 2018, p. 1 ; Nicolas Randoux, « La déjudiciarisation : opportunités

22 Comité de consultation du Cridon de Paris, séance du 19 avr. 2019.

23 Depuis le 1er janvier 2007, le notaire doit motiver l’intérêt de la famille dans les actes de modification ou de changement de régime matrimonial.

24 Christiane Sarto‑Le Martret, « Procédure de changement de régime matrimonial : les principales questions pratiques », JCP N, n° 16, 2024, p. 41.

25 C. civ., art. 387‑3 et 1397, al. 5.

26 CPC, art. 1180‑7.

27 Hervé Lécuyer, « Pour la juridiction gracieuse », Defrénois, n° 9, 1er mars 2018, p. 1 ; Nicolas Randoux, « La déjudiciarisation : opportunités

Notes

1 Stéphane Piedelièvre, Les régimes matrimoniaux, 4e éd., Paris, Bruylant, coll. « Paradigme », 2022, n° 541, spéc. p. 632.

2 Cass. civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 09‑11218.

3 Stéphane Piedelièvre, Les régimes matrimoniaux, 4e éd., Paris, Bruylant, coll. « Paradigme », 2022, n° 540, spéc. p. 632.

4 Régime dotal.

5 Stéphane Piedelièvre, Les régimes matrimoniaux, 4e éd., Paris, Bruylant, coll. « Paradigme », 2022, n° 540, spéc. p. 632.

6 Loi n° 65‑570 du 13 juill. 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

7 Michel Gobert, « Mutabilité ou immutabilité des régimes matrimoniaux », JCP N, I, 1969, spéc. § 2281.

8 Jacques Flour et Gérard Champenois, Les régimes matrimoniaux, Paris, Armand Colin, coll. « U », 1995, n° 188.

9 La Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux s’y oppose dès lors que l’un des époux n’a pas la nationalité française.

10 Loi n° 2006‑728 portant réforme des successions et des libéralités.

11 Philippe Malaurie, Laurent Aynès, Nathalie Peterka, Droit des régimes matrimoniaux, 9e éd., Paris, LGDJ, coll. « Droit civil », 2023, p. 113.

12 Loi n° 2019‑222, loi de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice.

13 L’idée avait déjà été émise par le 75e Congrès des Notaires de France tenu à La Baule en 1978.

14 Cécile Pérès, « La déjudiciarisation du droit des personnes et de la famille », JCP N, n° 14, 2018, p. 1151 ; François Letellier, « Le notaire et la déjudiciarisation par la loi du 18 novembre 2016 pour les divorces et successions », JCP N, n° 14, 2018, p. 1152.

15 Décret n° 2019‑756, 22 juill. 2019, portant diverses dispositions de coordination de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice en matière notamment de changement de régime matrimonial, JO 24 juill. 2019.

16 Jacques Combret et David Noguéro, « Personnes vulnérables, régimes matrimoniaux et statut personnel : réforme de la justice et prospective », Defrénois, n° 14, 2019, p. 28 ; Paul‑André Soreau, « Déjudiciarisation du changement de régime matrimonial : suite et fin ! », JCP N, n° 27, 2019, spéc. § 1238.

17 Depuis la réforme du 23 mars 2019, « un devoir d’information est créé au profit du représentant du majeur protégé ou du mineur sous tutelle afin que celui‑ci puisse exercer le droit d’opposition directement et sans autorisation du juge des tutelles ou du juge des tutelles des mineurs » (Circulaire min. Just., n° JUST1806695, 25 mars 2019, de présentation des entrées en vigueur des dispositions civiles de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice, annexe 6, JCP N, 2019, n° 14, act. 370).

18 Christiane Sarto‑Le Martret, « Procédure de changement de régime matrimonial : les principales questions pratiques », JCP N, n° 16, 2024, p. 39.

19 Rép. Min. n° 28468, JOAN 12 mai 2009, p. 4665 et p. 4666.

20 Circulaire n° 73‑07/C1/5‑2/GS du ministère de Justice en date du 29 mai 2007.

21 Hervé Lécuyer, « Pour la juridiction gracieuse », Defrénois, n° 9, 1er mars 2018, p. 1 ; Nicolas Randoux, « La déjudiciarisation : opportunités, danger ? », Defrénois, n° 18‑19, 17 mai 2018, p. 15.

22 Comité de consultation du Cridon de Paris, séance du 19 avr. 2019.

23 Depuis le 1er janvier 2007, le notaire doit motiver l’intérêt de la famille dans les actes de modification ou de changement de régime matrimonial.

24 Christiane Sarto‑Le Martret, « Procédure de changement de régime matrimonial : les principales questions pratiques », JCP N, n° 16, 2024, p. 41.

25 C. civ., art. 387‑3 et 1397, al. 5.

26 CPC, art. 1180‑7.

27 Hervé Lécuyer, « Pour la juridiction gracieuse », Defrénois, n° 9, 1er mars 2018, p. 1 ; Nicolas Randoux, « La déjudiciarisation : opportunités, danger ? », Defrénois, n° 18‑19, 17 mai 2018, p. 15.

Citer cet article

Référence électronique

Maître Philippe BLETTERIE, « La mutabilité des situations matrimoniales », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 20 décembre 2024, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=2555

Auteur

Maître Philippe BLETTERIE

Docteur en droit, Notaire, Maître de conférences associé, membre associé, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital (CMH) UR 4232, F‑63000 Clermont‑Ferrand, France

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