Structure et méthode de la pédagogie transsystémique

DOI : 10.52497/revue-cmh.318

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Mots-clés

transsystémie, pédagogie, méthodologie

Plan

Texte intégral

Introduction

En 2005, six ans après l’inauguration du nouveau programme transsystémique en droit de McGill, Harry Arthurs, universitaire canadien renommé, a caractérisé le programme comme « une expérience curriculaire inhabituelle1 ». Aujourd’hui, en 2018, presque deux décennies depuis l’instauration du programme, nous constatons deux choses importantes. Premièrement, le programme n’est clairement pas une expérience – c’est une réalité. Deuxièmement, même si le programme reste assez unique, nous remarquons l’existence de plusieurs facultés de droit dans le monde qui s’en inspirent. Par exemple, l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique au Canada, s’apprête à offrir un curriculum intégrant la common law et des traditions juridiques autochtones2. L’Université du Luxembourg, elle, offre un programme « transnational », similaire à celui de McGill, permettant aux étudiants de se familiariser avec les principaux systèmes juridiques du monde3. Alors que la plupart des facultés restent « monosystémique », notre programme suscite quand même un grand intérêt pour plusieurs d’entre elles. C’est le cas, par exemple, de l’Université d’Auvergne qui a organisé une conférence sur l’approche transsystémique de McGill les 12 et 13 décembre 2016. Ce qui suit décrit le programme de formation juridique de McGill notant, en particulier, les modifications apportées à la structure des cours et les changements de méthode pédagogique ainsi que les avantages qui en découlent.

I. Histoire et inspiration

Le présent programme transsystémique de droit de l’Université McGill est l’aboutissement d’une évolution de notre pédagogie incorporant les deux principales traditions juridiques canadiennes – le droit civil du Québec et la common law qui s’applique dans le reste du Canada. Entre 1968 et 1999, McGill offrait ce qu’elle appelait le « Programme national », qui permettait aux étudiants d’obtenir un diplôme en droit civil (B.C.L) et/ou un diplôme en common law (LL.B). Les étudiants devaient faire le choix de commencer leur formation juridique dans une de ces deux traditions. Après trois ans d’études dans une tradition, les étudiants avaient l’option d’entreprendre une quatrième année afin d’obtenir un diplôme de la tradition juridique qu’ils n’avaient pas encore étudiée4. Au début, donc, les étudiants ne bénéficiaient d’aucun dialogue entre les deux traditions qu’ils étudiaient. En 1988, nous avons affiné le programme en offrant des cours de droit privé spécialement conçus pour les étudiants qui avaient déjà suivi le cours donné dans l’autre tradition. Cela a eu l’effet de permettre l’apprentissage de l’autre tradition juridique en s’appuyant sur les connaissances acquises par l’étude de la première tradition, tout en minimisant les répétitions du matériel. Reste que, même avec ce changement, l’étude des traditions juridiques se faisait séquentiellement et en silos distincts.

En 1999, la Faculté a entrepris l’ambitieux projet de transformer son programme afin de proposer un curriculum véritablement « transsystémique », c’est-à-dire un programme où les deux traditions juridiques sont mutuellement intégrées plutôt qu’un programme d’apprentissage séquentiel des traditions. Ce programme, considéré révolutionnaire à l’époque, offre depuis aux étudiants l’opportunité d’apprendre les deux traditions juridiques principales de l’Occident simultanément, et ce, dès leur entrée à la Faculté. Le programme incite les étudiants à se détacher d’une approche simplement comparative, en silo, de la common law et du droit civil. Ainsi, les cours de droit privé (ex. : obligations contractuelles, obligations extracontractuelles, droit des biens, droit judiciaire) sont enseignés de sorte à y intégrer les concepts des deux traditions juridiques5.

À McGill, nous qualifions le programme intégré en droit civil et common law de « pluraliste, polycentrique, non positiviste et interactif »6, des caractéristiques qui intriguent les universitaires, les praticiens et les étudiants du milieu juridique. La réforme entreprise ayant d’ambitieux objectifs, certains, à l’époque, ont considéré nos aspirations irréalistes ou même trop audacieuses. Comment peut-on enseigner plusieurs traditions juridiques tout en évitant les écueils d’une comparaison réductrice des doctrines des deux traditions ? L’ancien doyen de la Faculté, le regretté Roderick A. MacDonald, un des précurseurs de la réforme pédagogique, disait : « Si ce n’est pas impossible, ça ne vaut pas la peine de le faire7 ». Sous sa courageuse direction, nous avons tenté de faire l’impossible et c’est ce que nous continuons de faire à ce jour. Notre engagement envers une éducation juridique transsystémique rend hommage à ce juriste distingué.

Les raisons qui ont mené à l’adoption de notre présent programme transsystémique sont multiples. Quelques-unes sont, nous l’admettons, instrumentales. D’une part, offrir un programme unique de droit transsystémique au lieu de programmes séparés en droit civil et en common law suscite plus d’intérêt pour notre programme, ce qui nous aide à recruter des candidats exceptionnels, au parcours plus varié. L’objectif de sélectionner les meilleurs candidats à la Faculté était certes important. Il faut comprendre que le processus d’admission à la Faculté de droit de McGill est très concurrentiel. Chaque année, le nombre de demandes d’admission est en moyenne sept fois supérieur au nombre de places disponibles8. À l’époque du « Programme national », deux cohortes de candidats étaient créées : une pour les étudiants en droit civil et une pour ceux en common law. Conséquemment, un risque existait que ces cohortes ne soient pas identiques en matière de nombre ou de qualité des candidats.

Au-delà des aspirations instrumentales, notre objectif principal en adoptant cette réforme pédagogique était d’améliorer l’enseignement comparatif de notre programme de droit. McGill avait déjà une réputation d’autorité en droit comparé, démontré par le choix de grands érudits du droit comparé, tels que le professeur H. Patrick Glenn, d’y résider. Néanmoins, l’ancienne approche pédagogique de la Faculté laissait peu de place à un apprentissage explicitement comparatif des deux traditions juridiques du Canada. En fait, les étudiants devaient faire leurs propres comparaisons après avoir suivi, séquentiellement sur différentes années, des cours monosystémiques enseignés par différents professeurs, ce qui était peu irréaliste.9 L’enseignement transsystémique a l’avantage de rendre explicite la comparaison entre les différentes traditions juridiques dans les cours offerts à la Faculté. De plus, nous croyions qu’adopter un modèle d’enseignement transsystémique permettrait d’apprendre de l’autre, ce que l’honorable Yves-Marie Morissette, un ancien doyen de la Faculté, a articulé comme « a humble dialog with otherness10 ». Ce dialogue nous permet ultimement d’en apprendre plus sur soi-même.

Enfin, la réforme a aussi été adoptée pour d’importantes aspirations identitaires. L’ambition de la Faculté était de former des juristes sans nationalité juridique. À l’époque du « Programme national », les étudiants étaient habituellement profondément dévoués à la tradition légale dans laquelle ils avaient commencé leurs études de droit. Lorsque les étudiants étaient finalement exposés à l’autre système, les professeurs avaient la tâche difficile de les convertir (presque religieusement) à la nouvelle tradition. Alors que les services secrets forment des « agents doubles », McGill tente de former des « agents laïques », c’est-à-dire des juristes agnostiques, sans identité particulière, ce qui les rend plus ouverts à une multitude de perspectives, d’idées et d’approches.

II. Structure et méthode

Concrètement, l’adoption de cette réforme a nécessité des changements majeurs dans la façon d’organiser le programme des cours de droit. Chaque système juridique ayant une syntaxe et une nomenclature qui lui est propre, les plans de cours ne pouvaient plus être organisés de la façon traditionnelle, c’est-à-dire autour de l’apprentissage des catégories doctrinales propres à la common law et au droit civil. Par exemple, certaines catégories doctrinales, telles que la théorie civiliste de l’intensité de l’obligation juridique, sont dénuées de sens ou inexistantes dans la common law. À l’inverse, la doctrine de « consideration » dans le droit contractuel de la common law n’a pas de sens pour un juriste strictement civiliste. Pourtant, ces doctrines ont été développées afin de répondre à des problèmes humains qui existent dans la majorité des sociétés indépendamment de leurs traditions juridiques. L’idée est donc d’organiser l’apprentissage du droit autour de questions préjuridiques générales. Par exemple, mon cours d’obligations contractuelles ne comporte pas de classe dédiée au sujet de la « consideration ». Le titre du cours qui introduit cette doctrine est plutôt libellé : « Qu’est-il requis de plus que le consentement des parties afin de former un contrat valide ? ». Ce chapitre du cours couvre ainsi la « consideration » en common law, mais aussi les principes de la cause, l’objet et l’obligation naturelle spécifiques au droit civil, ainsi que d’autres exigences de formalités requises par les deux traditions. Selon Michael McAuley, l’approche transsystémique ne se résume pas à découvrir les équivalents fonctionnels d’un certain sujet dans plusieurs systèmes juridiques. Le but est plutôt la découverte des principes essentiels de la pensée juridique qui sont dégagés par un sujet dans certains systèmes et certaines traditions11.

L’approche transsystémique nous force aussi à mettre l’accent sur le développement historique et la méthodologie des traditions juridiques. Ainsi, les étudiants à McGill apprennent non seulement les règles de droit, mais aussi comment celles-ci s’inscrivent à l’intérieur du contexte de leur tradition juridique respective. Au tout début de leurs études à la Faculté, les étudiants sont exposés au développement historique de la common law et du droit civil. Nous leur enseignons les grandes lignes de la méthodologie et la mentalité de chacune de ces traditions. La suite des cours transsystémiques s’appuie sur cette connaissance et demande aux étudiants de considérer la cohérence des règles de droit apprises avec la structure générale de leur tradition juridique. Par exemple, les étudiants apprennent dans leur cour d’obligations contractuelles que l’exécution forcée en nature, le recours contractuel par défaut dans la tradition civiliste, est plutôt un remède discrétionnaire et secondaire dans les juridictions de common law. Ils constatent ainsi comment le développement historique de ce remède de la common law, via la Cour « d’Equity », explique cette différence notable entre les deux traditions juridiques. L’enseignement transsystémique ne présente toutefois pas les traditions juridiques de façon monolithique. Nous devons aussi reconnaître l’existence de nombreux systèmes juridiques à l’intérieur d’une même tradition. On invite donc les étudiants à distinguer le système de la tradition. Ainsi, les systèmes juridiques du Québec et de la France sont distincts même si les deux sont de tradition civiliste. Il en va de même pour les systèmes juridiques de l’Angleterre et de l’Australie dans la common law.

Le programme transsystémique est bâti sur l’idée que le droit peut se concevoir de manière distincte de toute géographie politique ou normativité étatique. L’introduction de plusieurs ordres juridiques dans notre matériel pédagogique s’est accomplie principalement par l’inclusion d’une multitude de sources provenant d’une variété de juridictions. Le programme de McGill est donc résolument non positiviste. Cela n’empêche toutefois pas l’exposition des étudiants à des sources de droit formel, dit positif. Ainsi, l’utilisation des sources traditionnelles telles que le droit étatique, la jurisprudence et la doctrine, est enrichie par l’utilisation de sources moins traditionnelles telles que des instruments de soft-law (ex. : l’Unidroit, les « Principles of European Contract Law »), des histoires, des cartes, des titres de propriété et des œuvres d’art. Bien que le matériel utilisé soit principalement issu du Québec et de la common law canadienne, l’étude du droit d’une multitude de juridictions, incluant entre autres le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, l’Allemagne et l’Australie, étoffe l’enseignement juridique à McGill. Le but est d’enseigner le droit en faisant abstraction de son caractère national. Harry Arthurs, universitaire respecté cité au début de cet article, soutient que cette pratique « challenges the notion that law’s logic is bounded, its values fixed, its processes ascertainable, and its outcomes predictable »12. On utilise donc les sources comme des perspectives ou bien des hypothèses et des approches acceptables. Concrètement, la vision pluraliste de notre Faculté pratique nos étudiants à structurer un argument juridique qui utilise des sources, sans les limiter aux autorités du droit national. On leur enseigne ainsi la leçon fondamentale qu’il n’existe pas une unique solution à toute question juridique ou à tout problème humain.

III. Avantages

Donner une formation qui permet aux étudiants de pratiquer le droit dans une multitude de systèmes juridiques est certes avantageux. Toutefois, même pour nos diplômés qui pratiquent dans une seule juridiction, l’enseignement transsystémique qu’ils ont reçu leur aura permis de développer une créativité ainsi qu’une pensée adaptable et critique. La pensée critique est caractérisée par l’analyse, l’évaluation et la création du savoir, ainsi que par le questionnement d’hypothèses sous-jacentes, la découverte de ce qui est caché et la remise en question de l’orthodoxie.13 C’est précisément ce qui est encouragé dans les classes transsystémiques. L’exploration de différentes perspectives contraint l’étudiant à accueillir et à créer d’autres solutions plutôt que d’accepter simplement une réponse juridique comme une sagesse dogmatique. L’étude du droit positif de l’état devient un exercice de pensée critique où l’on questionne l’existence de certaines doctrines traitées comme quasi sacrées dans une tradition juridique, mais absente de l’autre. Par exemple, la notion de la « consideration » en common law, souvent présentée comme un pilier central du droit des contrats, n’a pas d’équivalent dans la tradition civile. Il en va de même pour l’exigence d’avoir une « cause » dans les contrats en droit civil québécois alors que cette exigence a été récemment abolie dans le droit civil français. Les étudiants qui étudient les deux traditions et multiples systèmes juridiques sont capables d’envisager un ordre juridique incluant ou excluant certaines doctrines. Ils déconstruisent ainsi de façon critique les raisons sous-jacentes qui ont contribué à ces réponses juridiques. Cet exercice de droit comparé nous permet d’apprendre des autres, mais aussi d’en apprendre plus sur nous-mêmes. Comprendre les différences d’un autre mode de pensée (une autre tradition juridique), occasionne un questionnement sur l’approche de son propre mode de pensée (ou tradition juridique). Cela favorise le développement d’une perspicacité et d’une connaissance plus sophistiquée des deux traditions juridiques.

Bien que la pensée transsystémique ait trouvé davantage application dans une vision universitaire et intellectuelle du droit, son potentiel d’application dans la pratique professionnelle n’est pas à sous‑estimer. La pensée transsystémique nous force à réfléchir aux problèmes juridiques en considérant une multitude d’outils de résolution, et ce, sans égards aux contraintes délimitées par un système juridique particulier. Cela peut donner lieu à des arguments plus créatifs. Ceci peut être démontré en utilisant comme exemple une affaire actuellement devant la Cour Suprême du Canada14. Le litige est issu d’un contrat ayant une durée de 65 ans, où l’une des parties a accepté d’acheter la quasi-totalité de l’énergie électrique produite par la centrale électrique appartenant à l’autre partie à un prix fixe. Toutefois, quelques années après avoir signé le contrat, un changement significatif est survenu dans le marché international de l’énergie qui a, conséquemment, augmenté de façon exponentielle le prix de l’électricité. Compte tenu du prix fixe prescrit au contrat et la valeur marchande matériellement plus élevée de l’énergie, l’acheteur a réalisé un gain fortuit d’environ 40 fois le prix du contrat. Bien qu’extrême, le droit au Québec ne considère pas ces changements de circonstances comme une force majeure parce qu’elles ne rendent pas la performance du contrat impossible15. De plus, aucune doctrine de l’imprévision n’existe dans l’état actuel du droit au Québec16. La partie lésée a plutôt présenté un argument devant la Cour Suprême qui utilise créativement la doctrine de la bonne foi prévue au Code civil du Québec. L’argument est résumé comme suit : compte tenu de la nature imprévisible du changement dans le marché énergétique et de la relation d’interdépendance établie par le contrat, le devoir d’agir avec bonne foi impliquerait une obligation de le renégocier afin d’y rétablir un certain équilibre17.

La pédagogie transsystémique invite aussi les professeurs à enseigner aux étudiants les outils nécessaires à la découverte du droit plutôt que de leur enseigner « la loi ». Ceci, combiné à la réorganisation des cours autour de thèmes et de questions préjuridiques, a rendu l’enseignement plus interactif puisque l’accent n’est plus mis sur l’apprentissage de doctrines juridiques, mais bien sur la résolution de problèmes humains en utilisant différentes perspectives. Bien que l’approche pédagogique à McGill ait toujours été loin du modèle des cours magistraux pratiqué en Europe, nous observons depuis l’adoption de la réforme un environnement d’apprentissage encore plus dynamique pour les étudiants avec davantage d’interactions dans la salle de classe, ce qui ressemble en quelque sorte au modèle de pédagogie appelé « flipped classroom18». Selon ce modèle, les étudiants apprennent des notions de droit par eux-mêmes en travaillant sur la résolution de problèmes alors que le professeur joue plutôt un rôle de facilitateur des discussions pertinentes à la résolution de ce problème. La pédagogie transsystémique est donc instrumentale à la formation de juristes innovateurs qui adoptent une pensée indépendante puisque l’on met l’accent sur le processus et non le résultat ; sur la question et non la réponse ; sur la forme particulière de la loi (pourquoi est-ce la loi ?) plutôt que sur la loi en elle-même (quelle est la loi ?)19.

L’adoption de la pensée transsystémique dans notre programme pédagogique à McGill a été un changement de paradigme à plusieurs niveaux. Nous remettons ainsi en question la place privilégiée du droit comme la meilleure réponse pour régler des problèmes de nature humaine. Roderick A. MacDonald a soutenu que « to see any particular incidence of human interaction through the lens of law is simply a choice », le droit n’étant qu’une des perspectives que nous puissions utiliser pour analyser et résoudre les problèmes humains20. La reconnaissance de ce principe fondamental comme un pilier de notre pédagogie a pour effet d’encourager l’intégration de plus d’approches interdisciplinaires à l’étude du droit. Ainsi, nos étudiants sont exposés aux perspectives économique, historique, philosophique, sociologique et féministe dans leur cours de droit. Cette diversité du matériel utilisé renforce notre vision pluraliste de l’éducation juridique. Nous enrichissons cette éducation par des méthodes pédagogiques innovatrices qui incluent des excursions21, des méthodes d’évaluation créatives22 et des comptes rendus de visites à la Cour23.

Enfin, les bienfaits de la réforme transsystémique à McGill ne sont pas restreints seulement aux étudiants puisqu’elle a aussi eu un profond impact sur les professeurs. Il devient évident que la pédagogie transsystémique encourage la pensée transsystémique lorsque l’on considère les ouvrages des professeurs immergés dans ce mode d’enseignement. Initialement, plusieurs membres de la Faculté de droit de McGill produisaient des ouvrages qui se concentraient sur la pédagogie transsystémique. Maintenant, nous constatons la création d’ouvrages universitaires transsystémiques sur le droit. Le volume récemment publié par la professeure Yaëll Emerich, Droit commun des biens : perspective transsystémique, qui traite du dialogue entre les traditions juridiques civiliste, common law et autochtones en matière de droit des biens, est un exemple significatif de cette tendance24. Pour ma part, l’enseignement transsystémique m’a amené à revoir mes sujets de recherche. Quel que soit le sujet, qu’il s’agisse de procédure civile ou de bonne foi dans le droit des contrats, je suis toujours fasciné par l’impact des traditions juridiques25.

Conclusion

Bien que l’approche transsystémique de l’Université McGill soit sans pareil, on doit reconnaître qu’il existe plus d’une façon de la faire et que nous ne détenons pas le monopole sur la façon d’offrir une formation juridique. En outre, nous reconnaissons que cette méthode d’éducation juridique peut être particulièrement adaptée à McGill parce qu’elle est située dans la juridiction mixte du Québec et, par conséquent, nous comprenons l’hésitation des autres facultés de droit à adopter cette approche dans son intégralité. Cela dit, nous croyons que l’enseignement du droit d’une perspective transsystémique, quelle que soit la façon dont cela est accompli, aide à créer des juristes agiles et créatifs, prêts à affronter les problèmes du XXIe siècle. Comme l’a exprimé un de mes étudiants, « cette approche nous donne un meilleur outil pour faire face aux problèmes inconnus de l’avenir ». Pour notre part, à McGill, non seulement nous sommes engagés à poursuivre l’approche de l’éducation juridique qui intègre les perspectives des différentes traditions, mais nous travaillons aussi à l’élargir en tenant compte, par exemple, des traditions juridiques autochtones et religieuses en plus des traditions civiles et de la common law.

1 Harry ARTHURS, « Madly Off in One Direction » (2005) 50:4, McGill LJ 707 à la p. 709. Citation originale en anglais : « an unusual curriculum

2 Joint Degree Program in Canadian Common Law and Indigenous Legal Orders JD/JID, en ligne : <  https://www.uvic.ca/law/about/indigenous/jid/index.php

3 Voir e.g. Nouveau Bachelor (transnationalisé) en droit, en ligne : < https://wwwen.uni.lu/studies/fdef/bachelor_en_droit_academic/transnational_app

4 Il ne s’agissait toutefois pas de la première fois que la Faculté de droit de McGill offrait deux diplômes en droit dans les deux traditions

5 Bien que tous les cours obligatoires en droit privé à McGill soient transsystémiques, le programme offre aussi certains cours dans une tradition

6 Roderick A MACDONALD & JASON MACLEAN, « No Toilets in Park » (2005) 50:2 RD McGill 721 à la p. 721. Cette description a été utilisée par l’Univ

7 Roderick A. MACDONALD, « If It’s Not Impossible, It’s Not Worth Doing: The Challenges of Trans-systemic Legal Education » (Essai présenté à Harvard

8 Voir « Un programme contingenté », en ligne : < https://www.mcgill.ca/law-admissions/fr/undergraduates/admissions/policy >.

9 Armand de MESTRAL, « Guest Editorial : Bisystemic Law-Teaching-The McGill Programme and the Concept of Law in the EU » (2003) 40 CML Rev 799 à la p

10 Yves-Marie MORISSETTE, « McGill’s Integrated Civil and Common Law Programme » (2002) 52, J Legal Educ 12 à la p. 22.

11 Michael MCAULEY, « Truth and Reconciliation : Notions of property in Louisiana’s Civil and Trust Codes » dans Lionel Smith, ed., Re-imagining the

12 Harry W ARTHURS, “Law and Learning in an Era of Globalization” (2009) 10:6-7 German LJ 629 à la p. 637, traduction : « On remet ainsi en question

13 Voir Rosalie JUKIER, « The Impact of ’Stateless Law on Legal Pedagogy » dans Helge DEDEK & Shauna VAN PRAAGH, eds, Stateless Law : Evolving Bou

14 Churchill Falls (Labrador) Corp c Hydro-Québec, 2016 QCCA 1229, (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie : 2017 CanLII 21420 [

15 Art. 1470 (2) Code civildu Québec (CCQ).

16 Il n’y a pas de disposition équivalente à l’art. 1195 du droit des contrats français, adoptée récemment en oct. 2016. De plus, dans les années 

17 Le devoir d’agir avec bonne foi est une obligation implicite à tout contrat (art. 1434 du Code civildu Québec) et est explicitement reconnu à l’

18 Bien que la plupart des cours à McGill ne soient pas enseignés en utilisant strictement le modèle de pédagogie « flipped classroom », plusieurs

19 Helena WHALEN-BRIDGE, « A common law fly on the transsystemic wall : observing the integrated method at McGill Faculty of Law » (2017) 51 :2, The

20 Roderick A. MACDONALD, Lessons of Everyday Law (Montreal : McGill-Queen’s University Press, 2002) à la p. 7.

21 Par exemple, la professeur Kristen Anker offre un cours interdisciplinaire d’une durée d’un mois appelé « Aboriginal Field Studies », qui inclut

22 Par exemple, dans mon cours de droit des obligations contractuelles, les étudiants ont à rédiger une tribune libre pour un journal à l’auditoire

23 Une évaluation dans mon cours de droit judiciaire.

24 Yaëll EMERICH, Droit commun des biens : perspective transsystémique (Montréal : Éd. Yvon Blais, 2017). On peut aussi citer en exemple Shauna Van

25 Voir par exemple Rosalie JUKIER, « Inside the Judicial Mind : Exploring Judicial Methodology in the Mixed Legal System of Quebec » (2011) 6:1 J

Notes

1 Harry ARTHURS, « Madly Off in One Direction » (2005) 50:4, McGill LJ 707 à la p. 709. Citation originale en anglais : « an unusual curriculum experiment ».

2 Joint Degree Program in Canadian Common Law and Indigenous Legal Orders JD/JID, en ligne : <  https://www.uvic.ca/law/about/indigenous/jid/index.php >.

3 Voir e.g. Nouveau Bachelor (transnationalisé) en droit, en ligne : < https://wwwen.uni.lu/studies/fdef/bachelor_en_droit_academic/transnational_approach >.

4 Il ne s’agissait toutefois pas de la première fois que la Faculté de droit de McGill offrait deux diplômes en droit dans les deux traditions juridiques du Canada. En 1916, McGill offrait un diplôme de common law ainsi qu’un diplôme de droit civil, individuellement réalisables en trois années. De plus, il était possible d’obtenir les deux diplômes simultanément en quatre années d’études, toutefois, cette option fut abandonnée en 1924. Voir Roderick MacDonald, « The National Law Programme at McGill : Origins, Establishment, Prospects » (1990) 13 : 1, Dal LJ, 211 aux pp. 250, 260.

5 Bien que tous les cours obligatoires en droit privé à McGill soient transsystémiques, le programme offre aussi certains cours dans une tradition spécifique. C’est le cas, par exemple, du cours de « Remedies » dans la common law et du cours de droit de la Personne en droit civil.

6 Roderick A MACDONALD & JASON MACLEAN, « No Toilets in Park » (2005) 50:2 RD McGill 721 à la p. 721. Cette description a été utilisée par l’Université d’Auvergne lors de sa conférence « La transsystémie : pour une approche rénovée de la conception et de l’enseignement du droit », en ligne : < https://univ-droit.fr/actualites-de-la-recherche/manifestations/21070-la-transsystemie >.

7 Roderick A. MACDONALD, « If It’s Not Impossible, It’s Not Worth Doing: The Challenges of Trans-systemic Legal Education » (Essai présenté à Harvard University Law School, 23 nov. 2004) [non publié].

8 Voir « Un programme contingenté », en ligne : < https://www.mcgill.ca/law-admissions/fr/undergraduates/admissions/policy >.

9 Armand de MESTRAL, « Guest Editorial : Bisystemic Law-Teaching-The McGill Programme and the Concept of Law in the EU » (2003) 40 CML Rev 799 à la p. 804.

10 Yves-Marie MORISSETTE, « McGill’s Integrated Civil and Common Law Programme » (2002) 52, J Legal Educ 12 à la p. 22.

11 Michael MCAULEY, « Truth and Reconciliation : Notions of property in Louisiana’s Civil and Trust Codes » dans Lionel Smith, ed., Re-imagining the Trust : Trusts in Civil Law (Cambridge : Cambridge University Press, 2012) 119 à la p 125. Citation originale en anglais : « [a] trans-systemic approach endeavours not just to discover functional equivalents with respect to any particular legal topic, but to uncover the essential tenets of juristic thought that underscore that topic in a number of systems and a number of traditions ».

12 Harry W ARTHURS, “Law and Learning in an Era of Globalization” (2009) 10:6-7 German LJ 629 à la p. 637, traduction : « On remet ainsi en question la croyance que la logique légale est délimitée, sa valeur fixée, ses processus vérifiables et ses résultats prévisibles ».

13 Voir Rosalie JUKIER, « The Impact of ’Stateless Law on Legal Pedagogy » dans Helge DEDEK & Shauna VAN PRAAGH, eds, Stateless Law : Evolving Boundaries of a Discipline (Surrey : Ashgate Publishing, 2015) 201 aux pp. 205-211.

14 Churchill Falls (Labrador) Corp c Hydro-Québec, 2016 QCCA 1229, (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie : 2017 CanLII 21420 [SCC] et l’audience a eu lieu le 5 déc. 2017).

15 Art. 1470 (2) Code civil du Québec (CCQ).

16 Il n’y a pas de disposition équivalente à l’art. 1195 du droit des contrats français, adoptée récemment en oct. 2016. De plus, dans les années 1970, lorsque le Code civil du Québec (alors appelé le Code civil du Bas-Canada) était en révision, l’inclusion de l’imprévision avait été proposée, mais ultimement exclue de la recodification du Code civil du Québec.

17 Le devoir d’agir avec bonne foi est une obligation implicite à tout contrat (art. 1434 du Code civil du Québec) et est explicitement reconnu à l’art. 1375 du Code. Notez que des cours en Allemagne ont accepté des arguments utilisant la bonne foi de cette façon.

18 Bien que la plupart des cours à McGill ne soient pas enseignés en utilisant strictement le modèle de pédagogie « flipped classroom », plusieurs professeurs utilisent maintenant une approche basée sur l’apprentissage par résolution de problèmes, caractéristique de ce modèle pédagogique.

19 Helena WHALEN-BRIDGE, « A common law fly on the transsystemic wall : observing the integrated method at McGill Faculty of Law » (2017) 51 :2, The Law Teacher, 188 à la p. 190.

20 Roderick A. MACDONALD, Lessons of Everyday Law (Montreal : McGill-Queen’s University Press, 2002) à la p. 7.

21 Par exemple, la professeur Kristen Anker offre un cours interdisciplinaire d’une durée d’un mois appelé « Aboriginal Field Studies », qui inclut du camping, des sueries, des histoires, des ornements et la collection de produits médicinaux naturels à Kahnawake, une communauté mohawk, ainsi que l’exposition des étudiants à une variété d’institutions locales incluant la gouvernance, le maintien de l’ordre et de la justice, la santé et l’éducation.

22 Par exemple, dans mon cours de droit des obligations contractuelles, les étudiants ont à rédiger une tribune libre pour un journal à l’auditoire profane.

23 Une évaluation dans mon cours de droit judiciaire.

24 Yaëll EMERICH, Droit commun des biens : perspective transsystémique (Montréal : Éd. Yvon Blais, 2017). On peut aussi citer en exemple Shauna Van Pragh, « Palsgraf as ‘Transsystemic’ Tort Law » (2012) 6 : 2 J Comp L 243 ; Helge Dedek, « From Norms to Facts : The Realization of Rights in Common and Civil Private Law », (2010) 56 : 1 McGill L. J. 1; Daniel Jutras, « Civil Law and Pure Economic Loss : What Are We Missing » (1987) 12 Can Bus LJ 295, pour en nommer que quelques-uns.

25 Voir par exemple Rosalie JUKIER, « Inside the Judicial Mind : Exploring Judicial Methodology in the Mixed Legal System of Quebec » (2011) 6:1 J Comp L 54 ; Rosalie Jukier, « The Impact of Legal Traditions on Quebec Procedural Law : Lessons from Quebec’s New Code of Civil Procedure » (2015) 93 R du B can 211.

Citer cet article

Référence électronique

Rosalie JUKIER, « Structure et méthode de la pédagogie transsystémique », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 17 | 2019, mis en ligne le 29 septembre 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=318

Auteur

Rosalie JUKIER

Professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université McGill, membre du Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé

Droits d'auteur

Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)