Marine Ganofsky et Jean-Alexandre Perras (dir.), Le siècle de la légèreté. Émergences d’un paradigme du xviiie siècle français

Liverpool, Liverpool University Press on behalf of Voltaire Foundation, University of Oxford, 2019, 320 p.

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Marine Ganofsky et Jean-Alexandre Perras (dir.), Le siècle de la légèreté. Émergences d’un paradigme du xviiie siècle français, Liverpool, Liverpool University Press on behalf of Voltaire Foundation, University of Oxford, 2019, 320 p.

Texte

Ce volume, actes d’un colloque tenu à Oxford, aborde dans toute sa diversité la notion de légèreté, qui caractérise un ensemble de représentations de la vie et du caractère français au dix-huitième siècle.

Il est intéressant de voir comment la légèreté caractérisant la nation française est devenue un stéréotype, adopté en grande partie dans toute l’Europe et qualifiant (d’ailleurs bien au-delà du dix-huitième siècle) nos compatriotes. Si les études d’imagologie n’ont pas manqué de relever ce cliché1 qui a longuement alimenté débats et discussions2, il était important d’en retrouver les sources dans l’histoire culturelle d’une époque ayant pu prêter à tout un imaginaire une certaine conception de la vie, des mœurs et des valeurs, caractéristiques de la société française des Lumières. C’est là que cet ouvrage devient passionnant en détaillant les divers sens de la légèreté, dans des domaines très variés et dans des acceptions différentes. La fonction paradigmatique de la notion vient de ce que ce modèle de représentation concerne non seulement les domaines du savoir, de la technique, mais également les champs culturels et sociaux, l’esthétique comme l’éthique. L’éloge comme le blâme alternent pour la juger. Quand elle est vertueuse, la légèreté est associée à l’aisance, à la souplesse, à la virtuosité, loin des lourdeurs désagréables et des pesanteurs incommodes. Elle contribue alors à la bonne sociabilité et à la gaieté des rapports humains. Quand elle est critiquée, c’est qu’elle s’attache à la bagatelle, à l’insouciance et à l’inconstance.

Le libertinage est l’un des facteurs fondamentaux pour un siècle où la légèreté apparaît « comme la promesse d’une jouissance libérée de tout souci » et où les libertins s’envoient en l’air, font de l’escarpolette, voyagent en cabriolet3, magnifient les nuages et s’envolent même dans les nouvelles Montgolfières en donnant raison aux célèbres vers :

Les anciens commentateurs, d’Alembert, Muralt, Guyot Desfontaines, Caraccioli, Louis Lambert, Louis de Boissy et bien d’autres disputent du pour et du contre caractérisant l’évolution des mœurs. La politesse du Grand Siècle est devenue badine et frivolité et corruption morale seront vivement condamnées à la fin du siècle.

L’abbé Voisenon est l’un des exemples de ce libertin galant étudié par Patrick Wald Lasowski, tout comme les sylphes aériens des fictions. Marine Ganofsky montre quant à elle, en lisant Angola, que cette légèreté est un paradis artificiel, un rempart contre la lourdeur des angoisses existentielles pesant sur l’homme des Lumières. Elle discerne les ombres dans la couleur de rose et derrière le masque fragile de l’illusion la peur du vide et l’angoisse de l’ennui. Ainsi la légèreté, la vivacité, la rapidité (ennemie des « longueurs fades et plates confinées dans le fond des provinces » suivant La Morlière), l’insouciance, la dissipation, l’étourderie, la négligence, le papillonnage et l’oubli de soi font-ils partie de ce divertissement quasi pascalien en quête de liberté.

Si la légèreté française est admirée par les Allemands qui voient dans la liberté des manières, l’aisance, l’absence de contraintes, autant de qualités mondaines recherchées pour une sociabilité plus souple, elle est d’abord recherchée comme modèle. La poésie anacréontique d’un Gleim est à cet égard exemplaire, tout comme sa condamnation postérieure par les tenants d’une vertu germanique. Et l’on voit combien l’appréciation peut recouvrir des sentiments nationaux hostiles. Les satires anglaises ne manquent pas de critiquer la superficialité de la politesse française et son caractère affecté que stigmatise Hogarth, mais que reprend aussi Lichtenberg en Allemagne et qui est incarnée dans la figure du maître de danse.

La légèreté comme stratégie discursive sert aussi bien à l’abbé Galiani qu’à Fontenelle pour rendre accessible des savoirs aussi graves que difficiles. Il s’agit bien de prises de position autant esthétique que philosophique, épistémologique et même moral comme il l’est montré avec le père Castel.

Ce débat entre gravité et légèreté se retrouve également en peinture. « De la légèreté d’un personnage qui franchit un pont chez Hubert Robert » est l’occasion de parcourir les nombreux ponts du peintre et d’en saisir une fragilité qui donne tout son poids à ceux qui les traversent. De même avec Caylus et Diderot, le charme de l’esquisse a-t-il toute sa place, avec la légèreté d’outil qui fait preuve d’une négligence feinte donnant l’illusion de la facilité. La légèreté des formes et des matières se retrouve également dans la mode.

Dans cette riche moisson, il manque sans doute quelques notions qui auraient pu s’y trouver avec raison comme le vaporeux ou encore le gazer, mais ce serait être bien difficile, devant la richesse du présent ouvrage. Sans doute les précieux travaux de Marine Ganofsky sur l’illusion y remédieront-ils ultérieurement.

Les représentations que le dix-huitième siècle s’est construites de lui-même comme celles d’un siècle léger et frivole ont été reprises après la Révolution à partir des années 1830 dans la redécouverte du rococo, du style Régence, ressuscitant tout un imaginaire d’un passé idyllique, ou tout au moins d’une époque libre et libérée des pesanteurs de la modernité, les petits-maîtres et les abbés poupins contrebalançant la figure hideuse du bourgeois ! Avec les Goncourt, avec Octave Uzanne, ce sont anecdotes et bibelots de l’ancien temps qui retiennent l’attention. Ce curieux réinvestissement des valeurs aristocratiques, qui ne va pas sans caricature et ni exagération à la fin du siècle concerne également le commerce des parfums dont la publicité promeut un imaginaire de luxe et de distinction. C’est sur cette dernière fragrance que Erika Wicky clôt ce volume, richement illustré et muni d’une bonne bibliographie.

1 Voir par exemple L’Europe des politesses et le caractère des nations. Regards croisés, Anthropos, 1997, 286 p. ; Le Même et l’Autre. Regards

2 Voir par exemple l’article de Ludwig Kalisch, « Franzosen und Französinnen » paru dans Die Gartenlaube, Leipzig, 1875, Heft 12, 42, p. 197-201, 704

3 La riche analyse de Jean-Alexandre Perras est remarquable à cet égard de l’histoire du cabriolet.

Notes

1 Voir par exemple L’Europe des politesses et le caractère des nations. Regards croisés, Anthropos, 1997, 286 p. ; Le Même et l’Autre. Regards européens, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont II, Collection « Littératures », Clermont, 1997, 278 p. ; Mœurs des uns, coutumes des autres. Les Français au regard de l’Europe. Une anthologie, « Cahiers de Recherches du CRLMC », Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 1995, 314 p. ; Ruth Florack, Tiefsinnige Deutsche, frivole Franzosen. Nationale Stereotype in deutscher und französischer Literatur, Stuttgart / Weimar, 2001.

2 Voir par exemple l’article de Ludwig Kalisch, « Franzosen und Französinnen » paru dans Die Gartenlaube, Leipzig, 1875, Heft 12, 42, p. 197-201, 704-706.

3 La riche analyse de Jean-Alexandre Perras est remarquable à cet égard de l’histoire du cabriolet.

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Alain MONTANDON, « Marine Ganofsky et Jean-Alexandre Perras (dir.), Le siècle de la légèreté. Émergences d’un paradigme du xviiie siècle français », Sociopoétiques [En ligne], 4 | 2019, mis en ligne le 12 novembre 2019, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1080

Auteur

Alain MONTANDON

CELIS, Université Clermont Auvergne

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