Heinrich Zille (1858-1929) était un peintre, dessinateur, caricaturiste et photographe allemand. Le milieu du petit peuple berlinois était son terrain de prédilection, qu’il arpenta sans relâche, avec bienveillance et humour, au tournant du xixe et du xxe siècle.
Le texte suivant date de juin 1926. Il est tiré de la préface écrite par Zille pour son recueil de dessins Rund um’s Freibad (Berlin, Selle-Eysler, 1926, réédité par les éditions Fackelträger Verlag, Hanovre, 1997, p. 3-10).
Fig. 1 : Heinrich Zille, Autoportrait, [1922].
Pinceau sur crayon, papier velin (20 x 22 cm)
Source : domaine Otto Nagel, Domaine public.
En rassemblant mes illustrations pour ce livre, bien des souvenirs de ma jeunesse au sujet de la baignade me reviennent à l’esprit. La baignade. Il s’agit désormais d’un moyen pour acquérir force et beauté. Considérée depuis quelques années comme le sport le plus sain, la baignade garantit au travailleur l’hygiène corporelle nécessaire. Oui – se baigner ! Certes, dans le passé, il arrivait que les gens se baignent : « Se baigner, se baigner, c’est beau – tout le monde devrait aller se baigner de temps à autre », comme le dit une chanson1 des années 1890.
[…]
Même le vieil empereur Guillaume Ier (qu’on appelait « le sage ») voulut un jour se baigner. C’est pourquoi ses serviteurs ont traîné une baignoire depuis l’Hôtel de Rome situé en face, de l’autre côté de la rue « Unter den Linden », jusqu’au Palais. Le lendemain, l’information figurait dans le journal et les citoyens furent rassurés.
Ce que nous appelons depuis 1907 « le bain en plein air », les garçons et les filles de l’est de Berlin le connaissaient déjà. Les emplacements en bois et en pierre le long de la Spree, avec une berge en pente, étaient peu onéreux.
Les rares bains de la Spree étaient des boîtes sombres, fermées en haut. Sans lumière, sans air, sans soleil et surpeuplées, porteuses de maladies. […] Et qui n’a pas appris à nager avec un baluchon de liège et une vessie de porc, l’a appris à l’armée.
[…]
Mais depuis 1907, nous avons désormais trouvé le remède, et ce dans toute l’Allemagne : il s’agit des bains en plein air. Le soleil, l’air, l’eau, les prairies et les forêts odorantes redonnent aux gens de la force physique et mentale après une semaine de travail difficile. Bien sûr, dans la grande ville, il y a encore des milliers et des milliers de personnes qui n’ont pas les moyens de s’offrir cette médecine naturelle. La pauvreté, trop d’enfants, le chemin de fer trop cher, sans parler de ceux qui ne peuvent physiquement pas supporter les longues distances. Enterrés dans des appartements obscurs et peu aérés donnant sur des cours grisâtres aux murs éternellement sombres et emplies d’effluves de cuisine et de poubelles (comme le disent les propriétaires : « La cour est un peu étroite mais elle est belle et haute ! »). Les enfants ne sont pas autorisés à s’ébattre sur l’herbe du terrain, il leur est seulement permis de courir derrière la voiture-arroseur. Il existe bien quelques plans d’eau pour barboter mais les chemins pour y accéder sont longs pour de jeunes enfants. La moitié des enfants ne connaissent pas le lever ni le coucher du soleil, n’ont jamais entendu d’oiseau chanter ni d’eau s’écouler, pas plus qu’ils n’ont vu de grenouilles ni d’escargots.
Même si on le met dans la baignoire juste après sa naissance, le jeune être humain doit être familiarisé avec l’eau, l’air et le soleil, les éléments de la vie, et ce le plus tôt possible. Une génération vigoureuse devrait donc désormais pouvoir renaître.
Ainsi, maintenant, vous tous qui êtes jeunes, et que nous regardons avec espoir, précipitez-vous au soleil, en plein air, dans l’immensité, dans les dangers – car ce n’est pas dans une baignoire qu’on apprend à nager !
Heinrich Zille, juin 1926.
Fig. 3 : Heinrich Zille, Am Wannsee, 1913.
Aquarelle, plume et encre de Chine sur papier, 9 x 13,8 cm.
Domaine public.