Habiter la frontière marine/maritime : franchissement et affranchissement 

Living in the marine/maritime border: cross to be free

DOI : 10.52497/sociopoetiques.1646

Résumés

Résumé : À partir d’un corpus de la migration clandestine qui met en scène le franchissement de la mer comme étape incontournable de cette mobilité, est questionné l’habiter en mer lorsque cette dernière est érigée en frontière fermée et interdite. Le topos actualisé de la traversée maritime donne une représentation tragique de cette étape majeure voire ultime de la mobilité contemporaine. S’il souligne la vulnérabilité de l’homme dans la mondialisation, il dévoile aussi comment se construit un nouveau rapport à soi et à l’autre. L’altérité en soi, sous les aspérités de l’être de surface, révèle une autre façon de concevoir l’identité. La traversée de la mer interdite, « nomad land » plutôt que « no man’s land », devient une métaphore de « l’esprit migrateur » dans les textes de Kébir Ammi, Stéphane Coste, Louis-Philippe Dalembert, Assya Djoulaït et Émile Ollivier.

Abstract: From a corpus of clandestine migration that stages the crossing of the sea, we review the living at sea when it is erected as a closed border. The updated topos of the sea crossing underlines the vulnerability of man in contemporary globalization but also reveals how a new relationship to oneself and to the other is constructed. The otherness in itself reveals, under the asperities of the being, another way of conceiving the identity. The crossing of the forbidden sea, "nomad land" rather than no man’s land, becomes a metaphor for the "migratory spirit".

Index

Mots-clés

Littérature francophone, topos, réécriture, migration contemporaine, traversée maritime

Keywords

French Literature, topos, rewriting, contemporary migration, sea crossing

Plan

Texte

La problématique « Habiter la frontière maritime » est traitée ici à partir de l’examen de représentations littéraires de la traversée maritime effectuée par des migrants jugés « indésirables » par les lois européennes. Ceux-ci abordent la rive nord de la Méditerranée après un long périple, coûteux, dangereux et sinueux. Leur trajet migratoire, que la littérature s’efforce de restituer dans sa dimension concrète et tragique, est marqué par des lieux à parcourir et des temps de halte, forcée ou voulue, nécessaire au repos ou imposée par la violence de la mobilité, l’obligation de travailler pour payer la suite du trajet et la (p)réparation du bateau… Ce trajet périlleux et imprévisible est ainsi jalonné par cette alternance de cheminement et de pause, alternance qui semble se résorber ou fusionner dans l’épreuve du franchissement de la mer : l’étape, en effet, conduit le migrant à vivre une expérience singulière de cheminement à bord d’un bateau sur lequel, soumis au bon vouloir du capitaine, démuni et désemparé, il n’est en apparence plus maître de son destin et de sa trajectoire. C’est cet épisode qui est mis en exergue dans l’actualisation du topos de la traversée maritime interdite. Par sa récurrence dans les écritures contemporaines, cette étape ne donne-t-elle à voir que le franchissement de la mer de façon illégale par des personnages qui rêvent de l’Eldorado qu’est l’Ailleurs ? Ne questionne-t-elle pas aussi un inconscient collectif ?

Définitions et corpus 

Nous entendons d’abord par « topos de la traversée maritime » une réécriture transculturelle d’un ancien motif littéraire. La traversée maritime constitue, en effet, un motif récurrent et puissant de la littérature, présent dès les textes fondateurs qu’ils soient religieux (il se cristallise d’ailleurs sous la forme de figures telles que celles de Jonas et de Noé), épiques (L’Odyssée se structure sur ce topos qui marque les différentes étapes du voyage d’Ulysse), exiliques (que l’on songe à son importance dans les écrits d’Ovide qui élaborent des éléments du topos comme marqueur du récit d’exil) et au-delà, dans des genres fictionnels divers (roman d’aventures contes des 1001 nuits…). L’actualisation du topos, qui correspond à la prise en compte des phénomènes migratoires du xxie siècle, met en exergue l’idée que la traversée est interdite, empêchée et qu’elle constitue ainsi une transgression (dans le sens juridique du terme d’abord). Ce voyageur sur mer – clandestin, réfugié, migrant, exilé ?  – se rendrait coupable d’effectuer ou de tenter d’effectuer une traversée des eaux dont des gardiens autoproclamés condamnent férocement l’accès. Le terme topos est utilisé dans notre travail autant dans son sens de thème nécessaire à l’inventio, tel que conceptualisé par Aristote et utilisé notamment à des fins d’argumentation dans la rhétorique1 que dans un sens plus narratif et poétique, comme configuration narrative repérable, récurrente et collective2. Le topos de la traversée maritime interdite3 se manifeste bien ainsi à travers de nombreuses productions contemporaines qui l’exploitent autant sous une forme brève que sous une forme expansée. Dans le premier cas, il peut même, à force d’être répété d’un texte à un autre, se manifester sous la forme d’un syntagme lexicalisé proche d’un idiolecte (« brûler la frontière », « faire l’aventure », « passer l’eau », « tenter sa chance » étant les plus fréquents) ou comme un simple vocable souvent allusif (c’est le cas des verbes : partir, passer, tenter et fuir qui, par inférences intra- et extratextuelles, ramènent aux éléments sémiques du topos). Ces termes qui connotent le franchissement des eaux interdites sont souvent présents dès le titre des ouvrages : Il était parti dans la nuit4, Aller simple5, Tu ne traverseras pas le détroit6… Dans le second cas, le topos expansé contribue à forger la structure du roman : la traversée offre au romancier un schéma diégétique et narratif souvent extrêmement élaboré ; par exemple, Le Passeur de Stéphane Coste7, Mur Méditerranée de Louis-Philippe Dalembert8 tissent des récits différents et entremêlent des fils narratifs divers ; se télescopent alors des chronologies et des voix qui densifient le message et l’expérience du franchissement. Le topos peut aussi marquer structurellement le récit en délimitant un avant et un après dans la trame diégétique de même que dans l’expérience exilique.

Dans notre corpus figure un ensemble d’œuvres fictives, narratives le plus souvent, qui mettent en scène un ou des individus qui tentent au péril de leur vie de traverser la mer pour atteindre l’autre rive où ils espèrent se construire une vie meilleure. Cette étape constitue alors un des moments forts de cette littérature contemporaine de la mobilité qu’Hakim Abderrezak appelle « l’illitterature »9 (pour y intégrer la dimension d’interdit). Le topos fonctionne ainsi comme un marqueur de généricité, il permet d’identifier des textes de la mobilité contemporaine qui interrogent tout autant le droit à l’exil que l’exil comme expérience et condition.

Notre corpus transnational, majoritairement francophone, fait se répondre des textes produits des deux côtés de la Méditerranée10. En effet, ce corpus sans frontières situe le plus souvent la traversée dans les eaux méditerranéennes, et met en résonance les productions de Laurent Gaudé et de Tahar Ben Jelloun, de Mahi Binebine et de Maylis de Karengal, d’Arno Bertina et de Boualem Samsal, mais aussi d’Erri De Luca et de Beyrouk et de bien d’autres encore11. La Méditerranée, cette mer commune « matricielle12 », au sein de laquelle se déroule la tragédie migratoire de notre début de siècle, est alors revendiquée comme la « mer de personne13 » pour la rendre à son ouverture originelle. Nous n’excluons pas pour notre part d’élargir notre corpus méditerranéen pour y inclure des traversées maritimes transatlantiques, de questionner aussi l’expérience malheureuse des boat people haïtiens, ou les efforts désespérés des candidats à l’exil s’élançant depuis les Comores ou Madagascar, comme nous y invitent Mustapha Kébir Ammi dans sa nouvelle « Je vivais sur un morceau de lune14 » et Carl de Souza décrivant la longue traversée de boat-people chinois dans Ceux qu’on jette à la mer15. Le motif de la traversée interdite permet alors de mettre en relation et en perspective des textes du pourtour méditerranéen avec ceux produits par des auteurs francophones et anglophones d’ailleurs : Émile Ollivier16 et Edwidge Danticat17 n’évoquent-ils pas des migrants partis de l’île d’Haïti sur des embarcations de fortune semblables à celles des Harragas du Maghreb ? Par son œuvre romanesque marquée constamment par la thématique des « partances » de « l’autre côté de la mer »18, Dalembert nous offre encore des raisons d’établir de telles relations entre des traversées différemment situées, dans la mer méditerranéenne et dans d’autres mers et océans. Cette question de la mobilité périlleuse marquée par l’étape de la mer à franchir finit par s’imposer comme une image incontournable de la mondialisation. Dans tous les cas, la traversée maritime se vit comme l’étape majeure dans la quête d’un mieux-être qui se réalise à travers celle d’un ailleurs, le plus souvent fantasmé et, surtout, toujours situé de l’autre côté de la frontière fermée. Ces fictions ramènent alors toutes à l’idée que, quels que soient les lieux de départ pour le personnage et d’écriture pour l’écrivain, les politiques migratoires de fermeture des frontières transforment les eaux, mer ou océan, non pas en lieu de villégiature mais en « seametry19 ». C’est d’ailleurs sur cette opposition figurée par la différence entre l’embarcation de fortune du migrant Younès et le paquebot de croisière de Rose que Marie Darrieussecq construit son roman La Mer à l’envers20.

Que signifie alors « habiter la frontière maritime », notamment quand cette étape se déroule dans un espace maritime interdit et que le traverser constitue la transgression d’une frontière ? C’est d’abord considérer la mer, dont le symbolisme est prolifique et ambivalent, comme une « frontière ». Ce terme a été abondamment renseigné dans son paradoxe sémantique : à la fois, ou concurremment, limite qui enferme (pour protéger ou pour exclure) ou seuil qui ouvre sur un ailleurs, la frontière océane renvoie ainsi au limes et au limen. Si elle est d’abord concrète et spatiale, voire naturelle d’un point de vue géographique21, elle n’en traduit pas moins des réalités politiques, sociales, culturelles22, et incarne ce mur tangible ou symbolique contre lequel l’étranger se heurte et subit un temps de halte. Empêchant le passage, cette frontière liquide fait vivre à soi et à l’autre la disjonction : la séparation des terres marquée par l’eau établit un hiatus irrémédiable entre le Même et l’Autre et l’immobilisme du migrant figure des identités figées. Cette frontière liquide et naturelle peut aussi désigner un différentiel, économique et démocratique, entre les rives nord et sud de la Méditerranée ; d’aucuns diront même que l’éloignement géographique marqué par la Méditerranée correspond à une irréductible différence culturelle, linguistique, religieuse23. C’est contre cette idée délétère que s’érigent des œuvres issues des deux rives qui proposent plutôt, selon la formule de Léonora Miano, d’« habiter la frontière24 » :

La frontière, telle que je la définis et l’habite, précise l’auteure, est l’endroit où les mondes se touchent, inlassablement. C’est le lieu de l’oscillation constante : d’un espace à l’autre, d’une sensibilité à l’autre, d’une vision du monde à l’autre25.

La frontière, ainsi éprouvée et parcourue, s’incarne en lieu de rencontres et non de rupture, et engendre une pensée et des identités non binaires et non linéaires. Sur un autre registre, les géographes et les juristes26 introduisent une distinction qui repose sur un couple de mots différents : la frontière n’est plus (seulement) limite ou seuil mais ligne ou zone. Cette distinction terminologique, marquée d’ambivalences à nouveau, permet de questionner la frontière comme frange, marche. La zone ainsi désignée peut être « no man’s land », ce « néant bleu27 », vide, dans lequel les candidats à l’immigration se noient avec leurs rêves d’une vie meilleure. Elle peut aussi être pont et zone de passage, lieu d’un cheminement, un espace commun en partage, pour ce peuple de la mer que deviennent les migrants. Dans ce « NOMAD LAND » qu’explore le personnage d’Anima Motrix28, le migrant ne vient plus de « là-bas » mais de « nulle part » (qui n’est pas « n’importe où » comme nous l’apprend Alexis Nouss29). Dans l’espace-temps de l’étape maritime, cet être polytopique singulier qu’est le migrant est ainsi mis à l’épreuve, en danger mais il se construit aussi une biographie sans cesse renouvelée dans un déplacement spatial qui est déplacement en soi et dans sa relation à l’autre.

Peut-on, enfin, « habiter » cette frontière maritime interdite ? Habiter, en tant que condition de « l’être-au-monde » (Heidegger) et, sans doute aussi propre de l’humain, désigne dans cet article « une relation intime et constitutive, à la fois matérielle et idéelle, des hommes avec leur(s) espace(s) de vie, un champ de pratiques et d’expériences traversé par l’histoire et par le social et ouvert à l’action et à la transformation30 ». Mais l’habiter dans la frontière maritime exige aussi que l’on prenne en compte la mobilité et le transitoire. L’acte s’écarte ainsi du demeurer et de la permanence qui caractérisent l’habiter dans son sens premier conforme à l’étymologie ; c’est un habiter où l’individu en déplacement est « hors de son propre », et de ses habitudes. Nous prendrons donc appui sur le sens propre du verbe « habiter » (c’est-à-dire investir un lieu dans lequel on se construit, l’habiter étant une expression de l’Être qu’il nous faut questionner ici dans une « mobilité dans l’élément mobile31 » figurée par la traversée des mers) et sur un sens figuré et symbolique (qui autorise les expressions « habiter la langue » et « habiter la frontière »). Il s’agit alors d’examiner le topos au prisme de la question des nouvelles constructions identitaires, ces identités nomades et circulaires qui donnent à penser que l’étranger et l’étrangeté sont devenues des notions caduques32. Nous verrons ainsi que l’étape de la traversée, centrale dans le parcours du migrant de même que dans la diégèse, désigne une expérience paroxystique qui pousse paradoxalement le « brûleur de frontière » à éprouver sa vulnérabilité puis à la transcender. En s’efforçant d’habiter la frontière interdite, l’être est bousculé dans ses habitudes, mais, désorienté et démuni, il se dépasse et s’affranchit.

Franchir la mer interdite : une étape paroxystique et paradoxale

Le migrant effectue un trajet d’exil qui se déroule dans la durée – brève ou longue – et l’étendue de lieux multiples et des haltes incontournables. La traversée maritime occupe une place centrale dans le périple polytopique du clandestin de même que dans l’œuvre littéraire : elle est l’étape la plus redoutée par les migrants, la dernière – croient-ils – pour atteindre l’Eldorado. Annoncée dans les textes par l’appréhension des personnages, l’épreuve constitue une situation paroxystique et « hyperbolique », que les auteurs transforment souvent en morceau de bravoure par le choix des procédés énonciatifs, stylistiques et poétiques. L’expérience de l’extrême qu’elle constitue justifie un traitement particulier pour souligner l’épreuve, l’obstacle que représente la navigation hauturière en particulier. Dans les eaux de la haute mer, l’homme perd de vue les rives, la terre, le décor familier et devient ainsi « étranger » avant même d’avoir atteint l’Europe, l’intrus qui s’aventure dans un environnement hostile.

Placée à l’acmé du récit, la traversée a donné lieu en amont à de nombreux préparatifs, autant nécessaires à la réussite de la navigation qu’à la conjuration du mauvais sort toujours possible en mer. Le temps qui précède l’embarquement est en effet capital pour le succès de la traversée, laquelle implique des précautions tant matérielles que spirituelles. Les détails descriptifs liés aux provisions de nourriture qui seront embarquées avec les passagers (et qui révèlent, du reste, l’origine culturelle et sociale du candidat à l’exil ou parfois son caractère33) jouxtent ceux des rites de départs (bénédiction des parents, formules d’amitiés presque ritualisées et prières). Dans Passages, Brigitte Kadmon relate avec émotion cet amont de la traversée au cours duquel est même sollicitée la bienveillance des morts :

Nous étions début novembre. La semaine avait passé à réjouir nos morts […] Il le fallait aussi pour obtenir leur bénédiction et entreprendre cette grande aventure sous les meilleurs auspices34.

Les rituels d’accompagnement sont nombreux comme pour signifier la participation affective de tout l’entourage familial et social du migrant à l’entreprise périlleuse, laquelle est ainsi associée à un rite de passage (dans le sens anthropologique du terme) ; et ces rituels concernent jusqu’à l’embarcation que l’on place également sous la protection de Dieu.

Dans tous les récits, l’embarcation – habitat provisoire – fait justement l’objet de nombreuses descriptions, que les focalisations diverses contribuent à rendre inquiétantes. Dans la nouvelle de Kébir Ammi, le candidat à l’exil monte « sur un radeau grand comme la poche trouée de [s]on vieux plastron […]. Il promet de prendre l’eau de partout à la moindre embardée ». Les auteurs accentuent le caractère tragique de l’épreuve pour suggérer ce que tous (personnages et lecteurs) redoutent : « les échouages hideux » dont parle le Sindbad désabusé de Salim Bachi35. Asya Djoulaït, dans Noire précieuse, efface le narrateur pour laisser directement la parole au migrant ; revenu en vaincu au village parce qu’il a échoué à « passer l’eau », celui-ci décrit l’embarcation pour se justifier aux yeux des autres qui ne voient en lui que lâcheté et trahison : « Bateau là, dit-il, même jouets d’enfants est plus en forme que ça. On est montés à cent cinquante dans un truc en plastique et puis on est partis […] Bateau là, c’est comme cercueil avec tous nos rêves dedans36. » Les « barques de la mort37 », rafiots ou zodiacs, pateras ou pirogues font pourtant parfois l’objet de soins et de calculs longs et minutieux avant le départ. Dans Passages, Amédée, aidé par les membres de sa communauté, travaille longtemps à construire « La Caminante » pour en faire une embarcation « capable d’abriter hommes, femmes, enfants, sur laquelle on pourrait charger vaches, cochons, cabris et autres victuailles, assez pour nourrir la presque centaine de personnes que nous serions, pendant la traversée38 ». Et, jusqu’au dernier jour, avec acharnement et ferveur, ils ont « encore peigné, poncé, épissé, gratté, cousu39 ». Toutes ces précautions n’empêchent pas la navigation de se transformer en calvaire pour ces nouveaux habitants des mers. Partant, tantôt « arches » que l’on espère protectrices, tantôt barques de pêcheurs détournés de leur usage premier, ces bateaux sont toujours des embarcations précaires qui se révèlent frêles et sans résistance face à la violence et à la voracité de la mer.

Sur ce qui n’est finalement que radeau dérisoire40, le migrant mis en scène dans ces récits de franchissement ne peut que subir la loi de la mer : celle-ci dotée d’une vie propre, élevée au rang de divinité (Toutia dans Partir41, Agoué dans Passages, mais aussi Téthys dans de nombreux récits), est une puissance protéiforme, le liquide devenant mur, montagne mais aussi animal ou monstre vivant que toutes les métaphores descriptives utilisées par les auteurs rendent féroces et invincibles. L’homme se heurte contre cette masse vivante et surpuissante, se révélant alors, lui, dans toute sa fragilité, mais aussi dans son impuissance doublée d’une ignorance tragique : « ces gens habitués à vivre en sédentaire sur leur lopin de terre » sont « ignorants des choses de la mer et […] conscients de leur ignorance42 ». La vulnérabilité de l’homme est mise en exergue dans l’étape maritime qui ne lui laisse que peu de moments de répit. Le temps de la navigation est du reste marqué par une alternance tragique et imprévisible43 : à la tempête, au cours de laquelle l’embarcation est réduite à n’être qu’un fétu de paille, succède une lente dérive sur une mer étale, au cours de laquelle les passagers ne trouvent aucun abri pour se protéger d’un soleil de plomb. Les textes décrivent un combat inégal entre la mer dévoratrice, ogresse difficile à rassasier et l’homme, impuissant et aux ressources insignifiantes. Celui-ci n’est en somme que « vie sans levain,/du pain envoyé sur les visages des eaux44 ». Que la mer soit agitée ou apaisée, qu’importe en somme, l’individu est de toute façon malmené, broyé dans cette confrontation aux éléments naturels. Les personnages sont vite éprouvés par l’obscurité, le roulis, l’acharnement des vagues et la violence des trombes d’eau auxquels s’ajoutent les dangers du pont ou l’obscurité de la soute. L’épreuve est décrite dans Mur Méditerranée avec des termes crus qui laissent percevoir le désespoir des uns, les corps malades, les esprits abîmés. L’étape du franchissement des eaux relatée avec force images et métaphores qui en accentuent la difficulté est assimilée à l’expérience de la traversée de l’Achéron. « Enfer » est le mot récurrent dans la bouche même des personnages pour traduire autant la difficulté de l’épreuve que la proximité avec la mort qu’elle instaure. La mer, maîtresse des fortunes et des vies, devient ce lieu hors normes où sont perturbés les repères de temps et d’espace de l’individu et où son/l’humanité même semble se dissoudre.

En effet, l’embarcation constitue un espace de vie en commun, propice à l’examen du comportement de l’homme. L’épreuve de la mer révèle des attitudes et des agissements multiples, qui donnent au migrant une figure plus contrastée que ne le laissent supposer les termes génériques migrant, exilé ou clandestin. Hommes, femmes, enfants, jeunes et vieux, malades ou sains, riches ou pauvres, tous sont réunis dans ce voyage périlleux où ils doivent apprendre à faire communauté. Rassemblés malgré eux et parfois par hasard sur le même bateau, ils perdent très vite le contrôle de leur destin individuel, car seul le capitaine sait où il va et possède l’expérience de la mer45. L’épisode est décrit ainsi dans Le Passeur à partir du point de vue du capitaine :

Je maintiens encore le cap. Je ne pense qu’à la vibration de ma main sur le gouvernail crachotant. Tant que ça vibre, on avance. Notre destin à tous est réduit à ma poigne sur la barre. Je ne pense pas à la mort. Encore moins à la vie. Seul mon bras décide. Il s’est désolidarisé de mon cerveau. Quand les nuées se calment brièvement, je scotche mon regard aux étoiles et à la lune. Zaher est accroché à la coque, les yeux exorbités. Sa peur comme la mienne, ne scrute que le firmament. Un cri plus fort que le vent troue la tempête. Je vois à peine le mec tomber. Il a déjà été avalé par la mer ogresse. Puis un autre. Et combien encore ? Le bateau se vide, et comble l’appétit de la reine mer. Mais je suis toujours le maître à bord. Et toutes les bêtes faméliques encore vivantes, qui n’ont plus rien d’humain que leurs yeux, se tournent vers moi. Ce n’est plus l’Italie leur Eldorado, mais moi. Je suis une île, je suis leur dieu. Tous ces yeux affamés de liberté s’en remettent à moi. Des bonnes femmes, malgré le bateau à la dérive, prient en me tendant leurs gosses. Des mecs rampent encore pour me baiser les pieds, comme si ça pouvait influer sur les éléments46.

Tout au long du voyage, la vulnérabilité des individus et la promiscuité qu’impose le « remplissage » du bateau sont en outre régulièrement soulignées ; liées aux conditions matérielles propres à cette étape transitoire et éphémère de la migration clandestine, elles ne sont pas sans rappeler bien sûr celles des autres étapes de transit et d’« encampement » décrites notamment par Michel Agier47. Mais l’expérience de la mer ajoute un risque de plus en ce qu’elle place l’homme à la merci de la mer qui terrifie autant par sa férocité que par l’inconnu qu’elle incarne. Dans la frontière interdite que les migrants traversent dans la nuit et dans des conditions de grande précarité, les passagers ressentent alors l’affolement ou l’abattement que donnent les cataclysmes. Comme chaque fois que la sécurité n’existe plus et que l’ordre des choses est bouleversé, l’homme confronté à la colère océane semble d’abord se perdre et échouer à conserver des principes. Enfermées dans la soute d’un chalutier vétuste, Chochana et Semhar découvrent en elles et en « leurs compagnons de galère » cette incapacité d’abord à rester dignes dans l’adversité extrême qu’impose la traversée clandestine. Rescapées du désert et de l’enfer libyen où elles ont subi faim, chaleur, viols et violences, elles comprennent pourtant que sur mer « le pire n’avait pas de fond48 ». Dans Le Passeur, également, l’épisode de la traversée relate cette dégradation de l’homme qui semble presque inéluctable :

Le magma de formes entassées les unes sur les autres geint d’une seule voix épuisée, moquée par les rafales. Des bras et des jambes s’agitent dans le bordel, en quête d’espace et de respiration. Toujours les mêmes gestes inutiles entamant le processus habituel. L’asphyxie ne fait que commencer, et avec elle, une fois en mer, viendront la panique, les piétinements, les affrontements, la loi du plus fort, les premiers morts balancés par-dessus bord. À ce stade, la notion d’humain aura aussi été balancée dans les tréfonds marins. Scénario maintes et maintes fois rejoué, même montée dramatique, même clap de fin49.

Mais le bateau peut aussi ouvrir un espace-temps favorable au rapprochement et à la solidarité des passagers, tous étant tendus vers la réussite de la même entreprise. Dépendant les uns des autres, recréant une arche où ils prennent soin des plus fragiles, ils se soudent pour maintenir le bateau à flot ou pour encourager les plus éprouvés à résister au désespoir. Dans Mur Méditerranée, les prisonniers de la cale trouvent finalement dans la solidarité la force de se révolter et de partir, tous ensemble, à l’assaut de l’écoutille :

Leurs poumons crachaient l’espoir, leurs poings nus tapaient, déterminés, contre la trappe. Leurs poings nus cognaient en quête d’air et de liberté […] Le chant porté par ces centaines de poitrines était une arme létale, plus forte que les flots et les vents. Plus dangereuse que la Méditerranée même50.

Cette force collective – qui est partage d’une même colère et mise en relation du même souffle d’espérance – ramène au-devant du texte, la métaphore du « mur » annoncée dans le titre du roman, mur/frontière de la forteresse européenne interdite qui tombera, comme l’enceinte de Jéricho. La solidarité « sauve » les passagers (de façon concrète et souvent aussi spirituelle, le radeau devenant planche de « salut » dans cette double acception) ; le souci de s’assister repose du reste sur la prise de conscience de leur égalité à tous. Dans le « Récit de quelqu’un » d’Erri De Luca, une voix relate cette découverte qui intervient au pire moment de l’épreuve de la navigation : « Nos visages blanchissent la nuit, la fièvre de la soif,/À l’aube nous léchons la rosée sur la toile, sur le bois. /Nous sommes égaux, la plus stricte égalité, jusqu’à la dernière goutte de buée51. » Dans l’épreuve extrême de la traversée, où les passagers sont parfois même conduits à faire alliance avec les morts52, c’est finalement le Nous qui triomphe ; le collectif extrait paradoxalement les migrants de cette « masse » informe, ce « tas de corps », « ces silhouettes » que le lecteur percevait au début du récit. Il impose aux yeux de tous l’image de leur indéfectible dignité et humanité53.

S’affranchir et s’inventer autre dans la frontière liquide

Alors que le personnage embarqué ne peut agir sur la mer, la mer, elle, déchainée ou étale, agit sur lui. Elle contribue par son rythme propre, son immensité verticale et horizontale, ses multiples manifestations sonores et matérielles à brouiller la perception et l’esprit du voyageur. Elle seule semble décider de la direction ou de la dérive de l’embarcation et du cours de la vie des passagers ; elle ouvre un espace-temps fait d’incertitudes et de peurs mais aussi d’inconnu, même pour des marins aguerris comme l’est Amédée qui « avait connu toute la gamme des humeurs océanes » et qui sait seulement qu’il doit « compter avec l’inconnu54 ». Déstabilisé physiquement par les manifestations matérielles de la mer, le migrant éprouve, avec angoisse et impuissance, la perte de ses repères temporels. Sur « La Caminante », « toute trace du réel s’est effacée ; nous étions nulle part. Nous avions dormi sur le pont, d’un sommeil profond, jumeau de la mort, échoué sur une mer immobile. Combien de temps ? je ne saurai vous le dire », raconte Brigitte. D’ailleurs, poursuit-elle, « Les journées se répètent monotones : une seule et même journée, s’étendant à l’infini55 ». Les récits de traversée soulignent combien l’expérience trouble l’esprit et la mémoire des passagers qui « ne savaient plus ni quelle heure ni quel jour on était56 » ou qui ressentent le temps comme dilaté par la frayeur : « Dans la réalité de la cale d’un bateau en lutte avec une mer démontée, on aurait dit un siècle57. » Pour Seyoun, au cœur de son combat avec la mer, quand son compagnon et un zodiac sombrent dans les eaux, son premier commentaire concerne le temps : « Le temps que je me redresse, et jauge la situation, Andarg et le zodiac ont disparu dans les vagues carnassières. Ils font déjà partie du passé. L’avenir n’existe pas non plus. Le présent donc, tout entier, me fait face58. » Tout s’accélère, le danger place le personnage dans l’instant, et dans une forme de « présentisme » caractéristique des situations de précarité que rencontre le migrant en transit, voire de l’encampement à nouveau. L’instinct de survie commande les actes, oblige à la rapidité et à l’immédiateté, force l’individu pris au piège de la mer à mobiliser toutes ses ressources, pour en réchapper, lui, mais aussi ceux qui lui ont confié leur sort et leurs espoirs.

Si le combat avec la mer brouille les repères du passager clandestin, il le plonge aussi dans une sorte de chaos aqueux similaire à celui d’avant la Création qu’évoquent les textes religieux : la traversée de la mer, que des auteurs n’hésitent pas à rapprocher par de nombreuses métaphores à la traversée du Jourdain ou de la mer Rouge, mène à une renaissance. De même, comme Jonas qui doit mourir dans le corps du monstre marin pour accéder à la liberté et au salut, le migrant des temps modernes s’affranchit de son passé, de son identité et de ses origines en tentant le franchissement des eaux fermées. Pauvre, opprimé, démuni, il ose monter sur des épaves et des radeaux annonciateurs de naufrages afin de conjurer le déterminisme social et historique qui le fige à une place définitive, sur sa terre natale. Dès lors, quand le migrant « brûle la frontière », c’est pour s’affranchir d’un destin assigné, la décision de partir devenant même la seule issue possible et digne ainsi que le traduit Brigitte Kadmon :

Amédée et les douze hommes se sont alors regardés et chacun, dans les yeux de l’autre, voyait déjà l’embarquement, le moutonnement des vagues, le vent claquant dans les voiles. Il fallait partir, puisqu’il n’était plus possible de s’agripper à la terre, de protéger leur communauté, d’échapper à mille et une infortunes ; puisqu’ils refusaient, eux, les plus rudes, les plus honorables, les plus orgueilleux, de redevenir esclaves59.

La traversée de la mer interdite consiste autant en une fuite (sur le modèle de l’exode biblique toujours en filigrane des textes) qu’en un affrontement pour échapper à l’oppression et à l’humiliation que ces hommes et ces femmes subissent dans leurs sociétés et milieux d’origine et que leur imposent aussi des lois internationales qui clôturent les espaces et réduisent les chances d’une vie meilleure. En partant à l’assaut du « mur méditerranéen », ce « peuple en marche » que décrivent les poèmes d’Erri De Luca renverse donc l’ordre établi par les puissants de ce monde. Le topos devient métaphore d’« une échappée de la vie », une « expression de la révolte d’êtres fuyant l’inexorable60 ».

La traversée maritime sur un bateau de fortune ouvre une parenthèse dans laquelle l’individu n’est finalement pas en suspens ou en attente d’un destin, mais mobilisé pleinement dans le désir de se construire ailleurs. Et ce désir, comme on peut le voir dans Là où le soleil ne brûle pas par exemple, prend autant la forme d’un combat inégal et incertain que le personnage mène contre les forces extérieures – naturelles et sociales – que d’un combat avec ses propres démons. Aussi, dans cette étape ultime se déroulant dans la frange marine met-il davantage que ses économies, son énergie, ses rêves et ses dernières forces : il engage tout son être dans une épreuve qui doit lui permettre de « franchir l’infranchissable seuil du paradis61 ». Affronter la mer et son inconnu consiste alors aussi en une lutte avec soi-même, pour affronter ses peurs et ses fragilités. Pour le voyageur sur mer, un face à face avec soi-même s’engage au cours de la traversée, face-à-face qui est dépassement de ses propres limites et preuve d’une forte volonté. Dans Mur Méditerranée, Chochana en proie à ses angoisses et à ses souvenirs d’enfance et Dima victime de ses préjugés, de son égoïsme et de son éducation finissent par se découvrir autres dans l’adversité que leur impose la tempête en mer. D’une autre façon, Brigitte qui sa vie durant a combattu l’instinct de rivalité féminine et le sentiment de jalousie, découvre ou plutôt pressent l’infidélité d’Amédée :

J’avais l’impression de glisser sans pouvoir m’arrêter. Un vide profond m’emplissait et je n’avais aucune envie de lutter contre lui. Atroce, exécrable, le soupçon s’insinua dans mon esprit. L’idée qu’Amédée avait entrepris une relation durable avec Noelzina traversa, blessa à vif les plis et les replis de mon être. […] L’idée d’une liaison durable m’était intolérable. Sans ce voyage, j’aurais pu continuer à croire à mon bonheur, enveloppée dans mon amour, chenille dans son cocon. Je ne regrette pas de l’avoir entrepris, il a brisé les apparences. Je sais, à présent, la désillusion […] J’étais envahie par une émotion inconnue de moi jusque-là62.

Plus généralement les épreuves de l’errance en mer ouvrent le temps de la lucidité et de la clairvoyance : se révèlent les préjugés ancrés en soi, les artifices que l’on construit toute une vie pour masquer ses fragilités et s’épargner un duel avec ses démons intérieurs. Les personnages découvrent des émotions et parties d’eux-mêmes dont ils s’étaient déconnectés et auxquelles ils ne voulaient faire face. La traversée s’éprouve comme une période de transition similaire à une crise de l’être et de l’identité, dans le sens psychologique du terme. Recentrés sur l’instant présent, intense et violent, les personnages sont en proie à leurs pensées, leurs émotions, leurs sensations qu’ils accueillent sans l’écran de la raison et des normes de leurs milieux d’origine. L’expérience est ainsi propice à un approfondissement de l’être, un accroissement de sentiments et d’émotions. Le passeur, Seyoun, traduit cette expérience comme une renaissance : « J’étais mort à l’intérieur depuis des années, mais aujourd’hui un truc bizarre, comme un moignon, repousse dans mon corps et vit63. » Dans le roman de Dalembert, la succession d’épreuves que constitue l’étape dans la frontière interdite rend possible également l’aventure intérieure qui révèle le Je « hypogé » de chaque personnage. Au moment du plus grand danger et du plus grand dénuement s’établit un lien sororal, entre Chochana, Semhar et Dima que tout séparait pourtant. Terrorisées par l’épreuve de la cale autant que par la violence des eaux qui menacent d’avaler le bateau, elles trouvent en elles-mêmes des richesses qu’elles ne soupçonnaient pas et dévoilent une résistance extrême, doublée d’une dignité inaliénable. L’épreuve qui est rencontre de l’autre et de l’autre en soi s’éprouve comme une mue : ce voyage au cours duquel « la frayeur est à elle seule une transhumance (…) déplace ou défait les centres de gravité, (…) fait se lever des épaisseurs de peau64 ».

L’étape du franchissement des eaux agit donc comme révélateur de soi : ce n’est ni un temps de latence ni un temps de suspension de soi, c’est, au contraire, l’étape du « grand jour » et du « non-retour65 ». Le personnage d’Asya Djoulaït en sait quelque chose, lui que sa famille renie et que sa société blâme parce qu’il a rebroussé chemin au moment de franchir les eaux. Sa vie se transforme alors au quotidien en un chemin de rédemption pour faire oublier qu’il n’a pas su défier les eaux et le destin. La traversée caractéristique de la mobilité clandestine impose un « aller simple » (titre du recueil d’Erri De Luca) à ces « voyageurs sans retour » (titre d’un chapitre de Passages). On peut évidemment souligner les connotations tragiques que ces termes associent à l’expérience de la traversée mais ce serait occulter l’idée que la traversée désigne aussi un départ existentiel et que ce départ ramène au-devant de l’être, l’ignoré en soi, l’inconnu de l’altérité qui dort en chacun. Le trajet en mer s’il est géographique, concret, matériel désigne ainsi métaphoriquement le « passage » dans un chemin de vie jalonné de mort et de renaissance ; il rappelle que l’individu se construit dans un cheminement au cours duquel l’être constamment s’affranchit du passé pour s’inventer autre et ailleurs. Dans la trame diégétique de Passages, Émile Ollivier tisse justement les sens propre et figuré de « l’aller simple » qu’implique le franchissement des eaux. Les passagers de « La Caminante » (littéralement « celle qui marche ») sont justement « des passants appliqués à passer66 » comme l’indique la citation en exergue empruntée à Rougeur des Matinaux de René Char. L’auteur haïtien présente ainsi l’identité comme processus soumis à une exigence de renouveau et à une urgence à vivre. L’exilé incarne cette exigence, lui qui invente sa vie et se réinvente à chaque départ. La transgression que symbolise la violation de l’espace interdit lui permet, ainsi que l’énonce l’éternel Sindbad de Salim Bachi, de « n’avoir d’engagement qu’avec soi67 ». Aucun personnage ne sort indemne de cette expérience du franchissement qui renvoie à une mise à l’épreuve du sensible et de l’intime, qui est acceptation et affrontement du risque. Si parfois l’exilé termine son déplacement en « ombre », en « zombie », comme le Somalien d’Arno Bertina, le plus souvent il incarne l’humain qui ose passer outre l’interdit et, comme Icare68 (plutôt qu’Ulysse), il soumet son être à une épreuve fatale pour mieux s’affranchir de toutes les frontières qui le contiendraient.

 

Le corpus contemporain de la migration d’Afrique vers l’Europe met en scène des êtres prêts à tout pour atteindre l’Eldorado. Une étape de leur parcours revêt en particulier une dimension tragique et paroxystique : la traversée maritime. Effectuée sur un bateau de fortune, elle ouvre une parenthèse paradoxale dans la trajectoire géographique et existentielle du migrant : l’épreuve qu’elle impose résonne comme une situation d’encampement et d’impasse. Mais soumis aux lois et colères marines, tout l’être du migrant se révolte et s’affranchit des contraintes. Dans cette étape, la halte devient cheminement intérieur et rencontre de et avec l’autre.

Le topos de la traversée maritime qui prend en charge la complexité de cette étape migratoire figure une façon singulière d’habiter l’élément marin dont les auteurs entretiennent l’ambivalence. La mer, tantôt espace de mort et d’anéantissement tantôt source de vie et de résilience, offre un décor hors normes à l’exilé qui s’arrache à la terre natale pour « donner dos à ce pays de malédiction » ; ce faisant, il choisit « Plutôt la mort que cette vie, l’échine courbée, cette vie mouvement gratuit, somme nulle69 » que serait la sédentarité et l’enracinement. Il opte pour la posture de l’être « pollen » plutôt que « minéral ». La frontière maritime ne se transgresse alors que dans une expérience extrême qui traduit métaphoriquement une crise de l’être mais aussi la capacité de renouvellement que l’on porte en soi en prenant des chemins de traverse. En affrontant (en se mesurant à) la mer, l’homme prend la mesure de l’homme.

Le topos, qui draine des éléments récurrents et identifiables depuis les textes les plus anciens (le combat avec la mer et avec soi en particulier) s’actualise dans la définition qu’elle pose de l’identité comme trace d’un « esprit migrateur70 » caractéristique de l’humain dans la mondialisation. Certes le topos est reconfiguré en lien avec l’actualité mais la lecture géocritique que l’on en fait – et qui du reste est légitimée par la poéthique que pratiquent les auteurs – ne rend pas compte de tout son potentiel sémantique. Une lecture (socio)poétique de l’expérience permet de repérer, dans la permanence et l’actualisation du topos, la proximité de celui-ci avec un archétype : la traversée de la mer interdite comme un symbole primitif, universel, appartenant à l’inconscient collectif, traduit le désir de surpassement de l’homme, la prise de conscience de la mort et surtout sa réaction à cette prise de conscience.

1 Voir Francis Goyet, Le sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 1996, p. 24

2 Voir les travaux de la SATOR : Michèle Weil, « Avant-propos » in Homo narrativus : Recherches sur la topique romanesque dans les fictions de langue

3 Topos donc considéré sous ces deux aspects définitoires, qui correspondent à la distinction qu’établit François Rastier entre topoï argumentatif et

4 Youssef Amghar, Il était parti dans la nuit, Paris, L’Harmattan, coll. « Lettres du monde arabe », 2004.

5 Erri De Luca, Aller simple, suivi de L’Hôte impénitent, traduit de l’italien par Danièle Valin, édition bilingue, Paris, Gallimard, coll. « Poésie 

6 Salim Jay, Tu ne traverseras pas le détroit, Paris, Mille et une Nuits, 2000.

7 Stéphanie Coste, Le Passeur, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2020.

8 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, Paris, éd. Sabine Wespieser éditeur, 2019.

9 Voir Hakim Abderrezak, « Burning the Sea: Clandestine Migration across the Strait of Gibraltar in Francophone Moroccan “Illiterature” »

10 Ce qui pose du reste la question d’une méthodologie qui s’affranchirait en partie des règles et du cadre des études postcoloniales francophones

11 De nombreuses œuvres collectives produites en réponse à la crise migratoire illustrent bien ce phénomène d’écritures plurielles mises en résonance

12 « Cette mer fut matricielle et porta en elle la plénitude civilisatrice ». Edgar Morin, « Penser la Méditerranée et méditerranéiser la pensée »

13 Erri De Luca, Aller simple, op. cit., p. 21.

14 Mustapha Kébir Ammi, « Je vivais sur un morceau de lune », in L’Écriture de la migration dans la littérature et le cinéma contemporains pour

15 Carl de Souza, Ceux qu’on jette à la mer, Paris, éd. De l’Olivier, 2001.

16 Émile Ollivier, Passages, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1991.

17 Edwidge Danticat, « Children of the Sea » in Krik? Krak!, New York, Vintage, 1995.

18 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, Paris, Stock, 1998.

19 Hakim Abderrezak, art. cit., p. 461.

20 Marie Darrieussecq, La Mer à l’envers, Paris, P.O.L., 2019.

21 La mer Méditerranée constitue en cela une « frontière physiographique », voir Claude Raffestin, « Éléments pour une théorie de la frontière »

22 La mer Méditerranée se présente ici comme « frontière anthropogéographique ». Ibid.

23 Voir l’article de Beate Burtscher-Bechter, « Rive interdite, rêve inassouvi, renaissance littéraire : Frontières infranchissables et mondes clos

24 Léonora Miano, Habiter la frontière, Montreuil, L’Arche éditeur, 2012.

25 Ibid., p. 144.

26 Claude Raffestin, art.cit.

27 Rachid El Hamri, Le Néant bleu, Paris, L’Harmattan, coll. « Écritures arabes », 2005.

28 Arno Bertina, Anima Motrix, Paris, Gallimard, coll. « Verticales », 2006, p. 399.

29 Alexis Nouss, « Europe, nulle part,… », Revue Po&sie, vol. 162, n° 4, 2017, p. 51-61 [En ligne] DOI :https://doi.org/10.3917/poesi.162.0051 (cons

30 Christine Delory-Momberger, Jean-Jacques Schaller, « Habiter en étranger. Lieux mouvements frontières », Le Sujet dans la Cité, vol. 1, n° 2, 2011

31 Mobilis in mobile devise du Nautilus de Jules Verne.

32 Cette conception se nourrit bien sûr de la pensée d’Achille Mbembe qui prolonge, par de nombreux aspects, celle d’Édouard Glissant.

33 Voir dans Cannibales (Mahi Binebine, Cannibales, Paris, éditions Fayard, 1999) comment chaque passager trahit son origine par ses provisions. De

34 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 99 ; les passagers se livreront encore à des rituels pendant la traversée pour apaiser la colère d’Agoué la

35 Le roman de Salim Bachi Amours et aventure de Sindbad le Marin (Paris, éditions Gallimard, 2010) réactualise la figure de Sindbad en migrant

36 Asya Djoulaït, Noire précieuse, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2020, p. 106

37 Titre du roman de Mohamed Teriah, Les « harragas » ou les barques de la mort, Casablanca, éditions Afrique Orient, 2002.

38 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 101.

39 Ibid., p. 107.

40 Le vocable revient souvent, et sont fréquentes les allusions au tableau de Théodore Géricault et à la sculpture de Jason de Caires Taylor, Le

41 Les candidats à la traversée interdite « l’ont surnommée “Toutia”, un mot qui ne veut rien dire, mais entre eux ils savent que c’est l’araignée

42 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 142

43 Voir Jacinthe Mazzocchetti, Là où le Soleil ne brûle pas, Louvain-La-Neuve, éditions Academia-L’Harmattan, 2019, p. 70 : « Elle a cru que s’en

44 Erri De Luca, op. cit., p. 47.

45 Il peut être expérimenté ou pas, honnête ou pas. Les textes sont nombreux qui montrent la duplicité du passeur/capitaine. Dans Rachid El Hamri, Le

46 Stéphanie Coste, Le Passeur, op. cit.,p. 116-117.

47 Michel Agier (dir.), Un Monde de camps, Paris, La Découverte, 2014.

48 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p. 64.

49 Stéphanie Coste, Le Passeur, op. cit., p. 111-112.

50 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p. 280.

51 Erri De Luca, Aller simple, op. cit., p. 45.

52 Ibid., p. 45.

53 Dans Passages, de façon similaire, les migrants arrivent enfin sur la rive « plus maigres qu’au départ, émaciés même, les paupières tuméfiées par

54 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 146.

55 Ibid., p. 152.

56 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p.14.

57 Ibid., p. 198.

58 Stéphanie Coste, Le Passeur, op. cit, p. 115.

59 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 31.

60 Ibid., p. 185.

61 Mustapha Kébir Ammi, op. cit.

62 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 166-167.

63 Stéphanie Coste, Le passeur, op. cit., p. 104.

64 Arno Bertina, op. cit., p. 396.

65 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p. 17.

66 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 183

67 Salim Bachi, op. cit., p. 85.

68 C’est bien la métaphore de l’envol que développe l’auteur de Passages, Émile Ollivier, op. cit., p. 3 et p. 185.

69 Ibid., p. 142.

70 L’expression est empruntée à Pierre Ouellet qui, dans son essai L’Esprit migrateur, développe l’idée suivante : « Une autre éthique de la

Notes

1 Voir Francis Goyet, Le sublime du « lieu commun ». L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 1996, p. 24.

2 Voir les travaux de la SATOR : Michèle Weil, « Avant-propos » in Homo narrativus : Recherches sur la topique romanesque dans les fictions de langue française avant 1800, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2001 [En ligne]. URL : http://books.openedition.org/pulm/1307 DOI : https://doi.org/10.4000/books.pulm.1307 (consulté le 31 août 2020).

3 Topos donc considéré sous ces deux aspects définitoires, qui correspondent à la distinction qu’établit François Rastier entre topoï argumentatif et narratif (François Rastier « Topoï et interprétation », Études françaises, vol. 36, n° 1, 2000, p. 98-99 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.7202/036172ar).

4 Youssef Amghar, Il était parti dans la nuit, Paris, L’Harmattan, coll. « Lettres du monde arabe », 2004.

5 Erri De Luca, Aller simple, suivi de L’Hôte impénitent, traduit de l’italien par Danièle Valin, édition bilingue, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 2021.

6 Salim Jay, Tu ne traverseras pas le détroit, Paris, Mille et une Nuits, 2000.

7 Stéphanie Coste, Le Passeur, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2020.

8 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, Paris, éd. Sabine Wespieser éditeur, 2019.

9 Voir Hakim Abderrezak, « Burning the Sea: Clandestine Migration across the Strait of Gibraltar in Francophone Moroccan “Illiterature” » Contemporary French and Francophone Studies, vol. 13, n° 4, 2009, p. 461-69 et Ex-centric Migrations: Europe and the Maghreb in Mediterranean Cinema, Literature, and Music, Bloomington, Indiana University Press, 2016.

10 Ce qui pose du reste la question d’une méthodologie qui s’affranchirait en partie des règles et du cadre des études postcoloniales francophones afin de « méditerranéiser les études francophones » Edwige Tamalet Talbayev, « Méditerranéiser les études francophones », Revue des Sciences humaines, n° 330, avril-juin 2018, p. 61-82.

11 De nombreuses œuvres collectives produites en réponse à la crise migratoire illustrent bien ce phénomène d’écritures plurielles mises en résonance dans le même espace textuel.

12 « Cette mer fut matricielle et porta en elle la plénitude civilisatrice ». Edgar Morin, « Penser la Méditerranée et méditerranéiser la pensée », Confluences Méditerranée, n° 28, Hiver 1998-1999, p. 33.

13 Erri De Luca, Aller simple, op. cit., p. 21.

14 Mustapha Kébir Ammi, « Je vivais sur un morceau de lune », in L’Écriture de la migration dans la littérature et le cinéma contemporains pour adultes et pour enfants : frontières, passages, errances et figures du tragique moderne, Anne Schneider, Magali Jeannin, Yann Calvet et Marie Cleren (dir.), Rome, Université de Rome, coll. « Voix de la Méditerranée », 2022.

15 Carl de Souza, Ceux qu’on jette à la mer, Paris, éd. De l’Olivier, 2001.

16 Émile Ollivier, Passages, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1991.

17 Edwidge Danticat, « Children of the Sea » in Krik? Krak!, New York, Vintage, 1995.

18 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, Paris, Stock, 1998.

19 Hakim Abderrezak, art. cit., p. 461.

20 Marie Darrieussecq, La Mer à l’envers, Paris, P.O.L., 2019.

21 La mer Méditerranée constitue en cela une « frontière physiographique », voir Claude Raffestin, « Éléments pour une théorie de la frontière », Diogène, vol. 34, n° 134, 1986, p. 3-21.

22 La mer Méditerranée se présente ici comme « frontière anthropogéographique ». Ibid.

23 Voir l’article de Beate Burtscher-Bechter, « Rive interdite, rêve inassouvi, renaissance littéraire : Frontières infranchissables et mondes clos dans Cannibales de Mahi Binebine », in Clandestins dans le texte maghrébin de langue française, Najib Redouane (dir.), Paris, L’Harmattan, 2008, p. 45-56. L’étude repose sur une distinction entre les distances topographique et topologique.

24 Léonora Miano, Habiter la frontière, Montreuil, L’Arche éditeur, 2012.

25 Ibid., p. 144.

26 Claude Raffestin, art.cit.

27 Rachid El Hamri, Le Néant bleu, Paris, L’Harmattan, coll. « Écritures arabes », 2005.

28 Arno Bertina, Anima Motrix, Paris, Gallimard, coll. « Verticales », 2006, p. 399.

29 Alexis Nouss, « Europe, nulle part,… », Revue Po&sie, vol. 162, n° 4, 2017, p. 51-61 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/poesi.162.0051 (consulté le 31 août 2020).

30 Christine Delory-Momberger, Jean-Jacques Schaller, « Habiter en étranger. Lieux mouvements frontières », Le Sujet dans la Cité, vol. 1, n° 2, 2011, p. 49-53.

31 Mobilis in mobile devise du Nautilus de Jules Verne.

32 Cette conception se nourrit bien sûr de la pensée d’Achille Mbembe qui prolonge, par de nombreux aspects, celle d’Édouard Glissant.

33 Voir dans Cannibales (Mahi Binebine, Cannibales, Paris, éditions Fayard, 1999) comment chaque passager trahit son origine par ses provisions. De même dans Mur Méditerranée les effets des uns et des autres traduisent leur prévoyance, leur imprévoyance, leur naïveté ou leur dénuement extrême.

34 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 99 ; les passagers se livreront encore à des rituels pendant la traversée pour apaiser la colère d’Agoué la divinité marine, p. 148.

35 Le roman de Salim Bachi Amours et aventure de Sindbad le Marin (Paris, éditions Gallimard, 2010) réactualise la figure de Sindbad en migrant clandestin. À l’aube, Sindbad « fuit » sa terre natale comme « les gamins de la ville, las de leur enfer [qui] se mettent à construire les radeaux de leurs échouages hideux », p. 44.

36 Asya Djoulaït, Noire précieuse, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2020, p. 106

37 Titre du roman de Mohamed Teriah, Les « harragas » ou les barques de la mort, Casablanca, éditions Afrique Orient, 2002.

38 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 101.

39 Ibid., p. 107.

40 Le vocable revient souvent, et sont fréquentes les allusions au tableau de Théodore Géricault et à la sculpture de Jason de Caires Taylor, Le Radeau de Lampedusa.

41 Les candidats à la traversée interdite « l’ont surnommée “Toutia”, un mot qui ne veut rien dire, mais entre eux ils savent que c’est l’araignée tantôt dévoreuse de chair humaine, tantôt bienfaitrice parce que transformée en une voix leur apprenant que cette nuit n’est pas la bonne et qu’il faut remettre le voyage à une autre fois ». Tahar Ben Jelloun, Partir, Paris, Gallimard, 2006, p. 13.

42 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 142

43 Voir Jacinthe Mazzocchetti, Là où le Soleil ne brûle pas, Louvain-La-Neuve, éditions Academia-L’Harmattan, 2019, p. 70 : « Elle a cru que s’en était fini, que la tempête les avalerait, eux tous, infimes poussières, et puis le soleil s’est levé sur l’immensité de la mer. Imprévisible. Indomptable. Redevenue calme. Lisse. »

44 Erri De Luca, op. cit., p. 47.

45 Il peut être expérimenté ou pas, honnête ou pas. Les textes sont nombreux qui montrent la duplicité du passeur/capitaine. Dans Rachid El Hamri, Le Néant bleu, op. cit., p. 52 : « Le passeur sourit satisfait. Il avait toujours utilisé la même technique : tromper ses clients afin de mieux les surprendre. Grâce à sa fausse bonhomie, il évitait les révoltes, en attendant le moment opportun pour se débarrasser des migrants. » Parfois un passager doit s’improviser capitaine et n’a que ses espoirs et sa bravoure pour mener le bateau : c’est le cas dans le roman de Jacinthe Mazzechotti.

46 Stéphanie Coste, Le Passeur, op. cit.,p. 116-117.

47 Michel Agier (dir.), Un Monde de camps, Paris, La Découverte, 2014.

48 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p. 64.

49 Stéphanie Coste, Le Passeur, op. cit., p. 111-112.

50 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p. 280.

51 Erri De Luca, Aller simple, op. cit., p. 45.

52 Ibid., p. 45.

53 Dans Passages, de façon similaire, les migrants arrivent enfin sur la rive « plus maigres qu’au départ, émaciés même, les paupières tuméfiées par le sel, les yeux exorbités, vieillis d’avoir vécu l’insupportable. Ils avançaient appuyés les uns contre les autres, rapprochés par l’amitié, la fraternité du malheur commun », Émile Ollivier, op. cit., p. 169. 

54 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 146.

55 Ibid., p. 152.

56 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p.14.

57 Ibid., p. 198.

58 Stéphanie Coste, Le Passeur, op. cit, p. 115.

59 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 31.

60 Ibid., p. 185.

61 Mustapha Kébir Ammi, op. cit.

62 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 166-167.

63 Stéphanie Coste, Le passeur, op. cit., p. 104.

64 Arno Bertina, op. cit., p. 396.

65 Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, op. cit., p. 17.

66 Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 183

67 Salim Bachi, op. cit., p. 85.

68 C’est bien la métaphore de l’envol que développe l’auteur de Passages, Émile Ollivier, op. cit., p. 3 et p. 185.

69 Ibid., p. 142.

70 L’expression est empruntée à Pierre Ouellet qui, dans son essai L’Esprit migrateur, développe l’idée suivante : « Une autre éthique de la subjectivité se dessine, qui ne se fonde plus sur la stabilité ou le maintien du moi, mais sur la mouvance et la migrance du soi, qui entraîne elle-même une nouvelle esthétique basée sur l’instabilité énonciative, de sorte que le migratoire au sens fort définit désormais le mode même de constitution du sujet dans son identité éthique et esthétique, non plus seulement les contingences géopolitiques liées au flux des populations et à la porosité des frontières culturelles ». Pierre Ouellet, L’Esprit migrateur. Essai sur le non-sens commun, Montréal, VLB éditeur, 2005, p. 16-17.

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Référence électronique

Lila LAMROUS, « Habiter la frontière marine/maritime : franchissement et affranchissement  », Sociopoétiques [En ligne], 7 | 2022, mis en ligne le 07 novembre 2022, consulté le 23 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1646

Auteur

Lila LAMROUS

CELIS, Université Clermont Auvergne

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