Habiter l’ailleurs

Live the elsewhere

DOI : 10.52497/sociopoetiques.1732

Résumés

Résumé : Être habité par l’ailleurs, c’est aller vers l’inconnu, hors des sentiers battus. C’est vivre à l’orée du monde un cheminement géographique et spirituel. Alexandra David-Neel et Sylvain Tesson nous font part de leurs expériences à travers « le pays des neiges », dans l’abnégation et le dépassement de soi.

Abstract:To be inhabited by the elsewhere, is to go towards the unknown, off the beaten track. It is to live on the edge of the world a geographical and spiritual journey. Alexandra David-Neel and Sylvain Tesson share with us their experiences through the “land of snow”, in self-denial and surpassing oneself.

Index

Mots-clés

Ailleurs, bouddhisme, cheminement, habiter, taoïsme

Keywords

Elsewhere, Buddhism, journey, living, Taoism

Plan

Texte

Habiter l’ailleurs, est-ce habiter un désir d’altérité que l’on porte depuis toujours au plus profond de soi ? L’ailleurs serait-il un lieu idéal pour mettre le monde en question, ou, au-delà d’un cheminement géographique, serait-il aussi un cheminement spirituel ?

Le mot pourrait cumuler deux origines : habitare et habere, « deux voies parallèles du maintien (manière d’être) et de l’occupation (être là)1. Habiter, c’est garder, c’est avoir longtemps en soi, et la durée est fondamentale. C’est en fait l’habitude d’avoir, d’avoir un lieu et d’être un lieu. L’habitude, habitus, peut se définir comme une disposition physique et morale qui ne se dément pas, un état d’esprit qui définit à la fois une manière d’être et d’avoir. Habiter une chose, habiter un lieu, c’est le vivre, le porter en soi. Habiter l’ailleurs, l’altérité, peut s’inscrire dans cette double acception de l’être et de l’avoir dans le définitif.

Analysant deux personnalités, et deux expériences, à la fois proches et lointaines, nous allons tenter de comprendre ce que veut dire être habité par l’ailleurs. D’une part, avec Alexandra David-Neel, grande orientaliste, d’autre part avec Sylvain Tesson, célèbre écrivain vagabond à l’affût du monde et de lui-même, escaladant, dévorant l’espace, nous entraînant tous deux sur des « chemins hors du monde ».

Habiter ailleurs implique rythme, souvent saisonnier, confort, convivialité, activité codée d’une élite qui aime se retrouver dans un entre-soi pour le plaisir. Habiter l’ailleurs, c’est tout le contraire. Cela implique l’aléatoire, l’abnégation, la solitude, l’itinérance, la souffrance physique dans un corps souvent meurtri, le cheminement spirituel. Nous ne sommes pas dans des lieux codés et privilégiés, dans des « Espaces de civilité », de villégiature, mais au contraire, seuls, dans une forme de non-socialité, face à des mœurs totalement différentes, dans des lieux déserts, hostiles, inconnus, hors de l’espace et du temps. Habiter l’ailleurs c’est vivre en rupture à l’orée du monde.

Alexandra David-Neel part pour treize années consécutives dans un Orient qu’elle porte en elle depuis toujours. Sylvain Tesson fait des bonds réguliers dans l’ailleurs, steppes herbeuses, jungles humides, pics neigeux, falaises abruptes, partant et revenant dans un va-et-vient incessant qui n’admet de ruptures qu’en apparence. Que nous proposent-ils dans l’apparente diversité de leurs expériences ?

Deux voyageurs dans l’ailleurs

Appelons-les voyageurs, même s’ils ne le sont pas au sens traditionnel, ou cheminants. Comment se nomment-ils eux-mêmes ? Alexandra se dit « reporter orientaliste », et Sylvain Tesson « wanderer », en souvenir de Goethe :

Le jeune poète qui n’apaise les brûlures de son feu intérieur que dans la poussière des routes, sera surnommé par ses amis le wanderer, mot allemand qu’on est embarrassé de traduire en français. Il s’agit de quelque chose entre le voyageur classique à l’affût des merveilles du monde et l’errant libre de toute entrave. C’est à la figure du wanderer que je pense souvent en battant mes chemins. Seuls peuvent vivre comme le vrai wanderer ceux que nul lien n’attache, capables de répondre à l’appel du dehors sans accorder un regard à ce qu’ils abandonnent. Il ne s’agit pas de savoir couper les amarres mais plutôt de ne pas en avoir2.

Alexandra David (1868-1969) est née à Paris dans le déchirement d’un couple mal assorti. Le père, Louis David, protestant, ancien instituteur, journaliste, militant républicain, proche des milieux anarchistes, lui insufflera l’esprit de révolte. La mère, Alexandrine Borgmans, étroitement catholique, n’aimera pas cette fille qui ressemble tant à son père. Adolescente, Alexandra fait plusieurs fugues qui traduisent déjà un besoin viscéral de se sentir loin, ailleurs. Elle étudie à Londres les sciences théosophiques, apprend l’anglais, et au conservatoire de Bruxelles, le piano et le chant. En 1891 à Bénarès, elle reçoit un premier enseignement bouddhique. Elle se retrouve à cette date engagée dans la maçonnerie, protestante, bouddhiste, féministe et libertaire.

De retour d’Inde, vers 1895, elle se lance dans l’art lyrique. Dotée d’une belle voix, elle est remarquée par Massenet, chante des opéras, à Hanoï, à Athènes, à Tunis, et c’est là qu’elle séduit un certain Philippe Neel, ingénieur dans la Compagnie des chemins de fer. Ils se marient en 1904, mais elle n’est pas faite pour cela. Elle l’expliquera rapidement à son mari, redoutant le modèle parental. En 1911, d’un commun accord, elle quitte l’Europe, part en Orient pour quelques mois, dit-elle, elle y restera treize ans. Elle a 43 ans et commence à vivre.

Ses nombreux ouvrages, livres de spiritualité et récits de voyages, ne permettent pas de cerner en profondeur la personnalité de celle qui se dit « être née sauvage et solitaire ». C’est essentiellement dans la correspondance adressée à son mari, « son cher mouton », entre 1904 et 1906, qu’elle livre de précieuses informations sur elle, sa famille, son enfance, son inaptitude au mariage, puis à partir de 1912, dans ses lettres d’Orient. Écrites sur place, ces lettres disent son affection sincère envers son mari, et un quotidien difficile, souvent très différent des descriptions faites dans ses récits écrits a posteriori3. « Je suis peut-être folle, ingrate, égoïste, tout ce que tu voudras, et la chimère comme tu dis, me mangera. C’est possible, mais je ne peux pas lutter, je ne puis me reprendre, retourner en arrière, abandonner ces études, ce voyage, ce je ne sais quoi qui me pousse en avant » (Gangtok, 1er septembre 1912). Elle dira souvent qu’elle ne peut « s’arracher au Tibet », « qu’elle est emportée par quelque chose…par quelque chose qui est fait de la force de mes désirs concentrés, accumulés pendant tant d’années », qu’elle a « le feu sacré de l’aventure, la joie d’être en route hors des chemins battus » (4 mai 1912).

Sylvain Tesson est lui aussi happé par ce « je ne sais quoi ». Né à Paris en 1972 de parents journalistes, il dévore tout jeune une littérature de voyages. Ses études de géographie seront déterminantes : il rêvera le monde à partir des cartes de l’IGN à toutes les échelles et n’aura de cesse d’aller sur le terrain comme s’il se devait d’effectuer quelques poétiques et géographiques vérifications sur l’état du monde. Sa folie des hauteurs lui sera fatale. En 2014, il tombe d’un toit : vingt fractures et quatre mois d’hôpital : « Je m’étais cassé la gueule d’un toit où je faisais le pitre […]. J’étais tombé du rebord de la nuit, m’étais écrasé sur Terre. » Il fera sa rééducation physique et psychique, traversant la France en diagonale4.

Quand l’ailleurs est ici dans « les Himalayas »

Comment nos deux cheminants ont-ils parcouru le même espace géographique ? Pour tous deux, mais non exclusivement, cet espace parcouru se situe de part et d’autre de la chaîne himalayenne. Au sud, Sikkim, Bhoutan, Népal, au nord, Tibet et plus au nord encore, steppes de Mongolie. Ce sont, dit Alexandra, « les Himalayas », de « Hima, la neige et de Laya, la demeure », autrement dit : la demeure des neiges. Alexandra a traversé la partie sud des steppes herbeuses des plateaux de Mongolie à la frontière nord du Tibet, puis le Tibet oriental. Sylvain Tesson a sillonné ces steppes en plusieurs traversées et arpenté les contreforts sud de la chaîne. Ce sont des espaces de quasi-solitude, déserts brûlants, déserts glacés, où errent de noirs troupeaux de yacks. Tout se situe entre 2000 et 5000 mètres d’altitude. Après un deuxième séjour en Inde, Alexandra va d’abord traverser et vivre dans les pays du versant sud de l’Himalaya en 1912, puis, entre 1917 et 1918, elle fera de courts séjours en Corée, au Japon, et en Chine. Entre 1918 et 1924, elle ira enfin presque d’une seule et longue traite de Pékin à Lhassa. Si Alexandra fait des boucles, Sylvain Tesson va par bonds à travers l’Asie centrale, les steppes, les jungles et les terres glacées, jusqu’au dernier bond, au Tibet, en 2018. Habiter l’ailleurs, c’est abolir le temps et l’espace. C’est en fait s’approprier un autre espace dilaté, éclaté, sans bornes ni limites temporelles et géographiques.

Nos voyageurs partagent tous deux le goût du défi : rien ne les arrête. S’approprier, c’est défier les frontières humaines. L’abolition des frontières, des interdits politiques et administratifs, devient un jeu, une ruse, une satisfaction personnelle. Sylvain Tesson mentionne de nombreux récits de contournements de postes-frontière, de longs détours, souvent périlleux, pour passer coûte que coûte. Il en est de même pour Alexandra et elle arrivera justement à Lhassa parce que les Anglais n’ont pas voulu la laisser entrer au Tibet par le Sikkim. « J’ai pour principe de ne jamais accepter une défaite, de quelque nature qu’elle puisse être et qui que ce soit qui me l’inflige ».

Marcher, c’est redessiner ses propres frontières, être libre de ses confins, se faire sa propre géographie. Cartographier leurs déplacements de manière précise est impossible, on ne peut imaginer qu’un vague itinéraire avec quelques points de repère. Leurs haltes sont temporaires. L’important, c’est d’être libre de séjourner ou de partir. À la différence de Sylvain Tesson, qui voyage souvent seul, Alexandra voyage presque toujours en petite escorte, avec quelques mules, yacks, et lourds bagages. Tout est alors beaucoup plus compliqué. C’est pourquoi la dernière étape vers Lhassa se fera à pied avec son fidèle Yongden. Nos voyageurs ne mesurent ni les étapes et encore moins les chemins à prendre. La notion même de chemin est ambiguë. Il devient un tracé personnel que l’on doit se frayer comme au Moyen Âge : iter facere, iter habere, faire sien le tracé, s’approprier un itinéraire. C’est une route mais au sens précis du terme : via rupta, une voie à ouvrir sans cesse. Très rarement, ils empruntent un temps, un vrai chemin, ce qui veut dire un passage plus large, plus facile, mais beaucoup plus dangereux car emprunté par les hommes : brigands, militaires, et autres voleurs justement dits de grand chemin. « Route signifie un chemin non carrossable, une piste de dixième ordre. C’était là l’une des grandes voies de Lhassa dans l’Inde » (lettre du 20 avril 1912). Très souvent attaquée, Alexandra a l’art de brandir théâtralement ses revolvers, ou de passer pour une « ta-ren », une personne « qui a fait religion », dit-on ici, drapée dans sa robe safran de lama, agitant son collier de rondelles de crânes autour de son cou, et donc respectée. Alors, faire son chemin soi-même à chaque étape, est le plus sûr, quitte à grimper dans la boue.

Entre Pékin et le monastère de Kum-Bum dans le Tibet oriental, où elle arrive en novembre 1918, il y a environ 3000 kms, qu’elle parcourt en huit mois, en train, en charrette, à pied. Le monastère est célèbre pour être un haut lieu du bouddhisme lamaïste. Bien logée, bien accueillie, elle y travaille jusqu’en janvier 1921, traduisant les textes sacrés. Elle quitte le monastère en février, et arrive à Jakyendo le 17 septembre 1921. Elle a mis encore huit mois pour parcourir cette distance, mais c’est bientôt octobre et il faut traverser à 4000 mètres d’altitude. Elle reste donc là, où elle rencontrera le général anglais George Pereira. Il connaît très bien la région, lui donne des cartes, et elle construit à sa guise son dernier itinéraire5. Elle part de Jakyendo en juin 1923 et arrivera à Lhassa fin février 1924. Ensuite, ce sera le retour en France. Voyager est donc une appropriation de l’espace et du temps, proche de celle de l’explorateur dans la jungle qui va vers l’inconnu à coups de machette, du pèlerin ou du marchand médiéval pour qui le chemin est tout simplement le lieu par où l’on peut passer.

Arpenter les Himalayas, c’est se confronter à de nombreux obstacles naturels : sommets vertigineux, dénivelés de plus de mille mètres, températures entre -15 et -30. Cela ne les atteint guère. Comme Alexandra, Sylvain Tesson aime le froid, il écrit :

Parfois l’âme, devant un paysage, se gonfle d’une émotion inexpliquée. Elle reconnaît un lieu comme si elle lui était prédestinée. Les lieux de mon âme sont les montagnes aux formes et aux couleurs pétries de gel. Le froid m’invite à vivre. Le chaud m’incite à fuir6.

Ce qui les intéresse, c’est le dépassement de soi dans la beauté d’une solitude glaciale ou désertique.

Dans les steppes kazakhes où les chevaux courent aussi vite que le vent, « ce vent qui pour souffler a besoin d’espace et de temps », Sylvain Tesson circule en vélo avec 130 kilomètres par jour dans les mollets. C’est l’homme des extrêmes. « Le vent contraire ni la chaleur ne faiblissent. J’avance pris en étau entre la mâchoire du ciel et celle de la piste. Même l’observation du paysage ne m’est d’aucun secours7 ». Cet « océan herbeux », il le connaît bien pour l’avoir sillonné plusieurs fois, tentant de revivre les itinéraires torturés des échappés du goulag, ou de comprendre ce qui l’attire à suivre les pipelines : « La steppe est une immensité carcérale. L’horizon barre le passage. Entre ces murs ouverts jamais je ne me suis senti aussi vivant. » Il est tout aussi familier des steppes brûlantes que des déserts de glace : deux observatoires extrêmes pour parler du monde.

Le monde vu de l’ailleurs : regard d’un ermite critique

En 2010, Sylvain Tesson va vivre pendant six mois, seul dans une cabane, au bord du lac Baïkal, dans l’hiver sibérien au contact des animaux sauvages, des beautés de la nature, dans le rythme des saisons. Il réalise un vieux rêve, vivre « en conversation amicale avec les êtres vivants », car « une bête est un dieu, c’est-à-dire l’incarnation d’un mystère ». Il va partager aussi, avec quelques rares voisins, la marginalité du monde.

À l’orée, dans ces franges inhabitées, il analyse le monde. Il se déclare « ermite des taïgas », ou « vagabond des steppes ». La solitude est sa compagne : « La neige tombe dru à présent. Ce masquage du monde décuple la morsure de la solitude. Qu’est-ce que la solitude ? Une compagne qui sert à tout8. »

Un ermite ne menace pas la société des hommes. Tout juste en incarne-t-il la critique […]. L’ermite se tient à l’écart, dans un refus poli. Si la société disparaissait, l’ermite poursuivrait sa vie d’ermite. Les révoltés, eux, se trouveraient au chômage technique. L’ermite ne s’oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité […]. L’ermite, passeur des mondes9.

Il a beaucoup parcouru les territoires de l’ex-URSS, parlant assez de russe pour écouter les gens, s’arrêter, vivre un temps avec eux « dans ces décors de désespérance ». Vivre cet ailleurs, c’est vivre l’altérité absolue, aux antipodes d’une enfance sans risques. Il s’en explique, évoquant Chatou, sa ville natale, « ville douce dans une boucle du fleuve […]. Puis je découvris la Russie, c’est-à-dire les antipodes. Le pays m’électrisa. Il incarnait ce que Chatou n’était pas : la vie dangereuse et les plaines sans murs10 ».

Parcourir le monde russe, c’est découvrir une terre souvent souillée et une population marginale fortement imbibée de vodka, de pétrodollars et de nostalgie. À cet égard son Éloge de l’énergie vagabonde en fait particulièrement un triste bilan. En 2006, sur les terres désolées d’Asie centrale, il se fait lui aussi un itinéraire « par les chemins de l’énergie ». Il a la passion des pipelines et des oléoducs. Dans l’Ouzbékistan, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, il cherche à revivre un imaginaire de la steppe par l’évocation des hordes séculaires qui l’ont traversée.

Mais sa critique dépasse celle des pays aux lacs gelés, aux steppes brûlantes, aux carcasses rouillées abandonnées au bord des sites pollués. Son regard va bien au-delà de ce délabrement. Ces paysages sont le point de départ d’une réflexion globale, mondiale :

Personne ne veut initier le grand chantier du ralentissement. La modernité repose sur le principe de la rivalité mimétique. La consommation nous adjoint d’accroître nos possessions, non pas pour profiter de leurs bienfaits, mais pour nous maintenir au même niveau relatif de jouissance que nos voisins […]. Décroître, oui, mais pas seul. Et personne ne commencera11.

L’ailleurs spirituel : du cheminement à l’affût

C’est dans la solitude des lieux extrêmes, cheminant, méditant, à l’affût du monde et d’eux-mêmes, que nos deux voyageurs vont poursuivre leur chemin intérieur, leur Tao. Habiter l’ailleurs, c’est suivre la Voie au plus profond de soi. Ils incarnent les deux aspects complémentaires de la figure du sage de l’Inde, du Japon et de la Chine ancienne : le lent cheminement et la longue méditation, la marche et l’immobilité, la pénétration du monde par sa contemplation, et sa mise à l’écart, figure contrastée à la fois du moine pèlerin allant de monastère en monastère, et de l’ermite immobile méditant dans sa grotte glaciale. Cette figure du sage, errant, méditant, en route et immobile, domine l’art et la littérature orientale ancienne, bouddhiste et taoïste, littérature de la route, produit d’un lent colportage12.

Ils partagent tous deux cette conception de la Sagesse qui consiste à quitter, à aller, à se défaire, soit pour se délivrer de ses souffrances, soit pour embrasser le cosmos dans un éternel va-et-vient entre ce qui est et ce qui n’est pas, à l’origine du Tout. Le cheminement géographique n’est plus alors que la manifestation superficielle d’un cheminement intérieur profond, une Voie, indistincte, indéfinissable, rude et lisse, facile et difficile comme le souligne le Tao13. Sylvain Tesson écrit : « Quelle que soit la direction prise, marcher conduit à l’essentiel14. » Et cet essentiel amène progressivement au retour sur soi15.

Leurs cheminements spirituels sont à la fois différents et semblables. Sylvain Tesson va accéder au but progressivement, passant de sa fougue juvénile à un affût méditatif. Alexandra va, dès le départ, en ligne plus continue, cheminer dans une quête spirituelle permanente qui confine à l’abnégation totale de soi. À un siècle d’intervalle, ils vont se retrouver tous deux au Tibet, elle en mendiante, lui à l’affût. Peu importe par où on est passé précisément, l’essentiel, c’est le lieu spirituel où l’on est arrivé, où l’on devait un jour arriver. Et leur cheminement va devenir appropriation d’un autre espace non géographique : l’espace intérieur, leur espace intérieur, car là est la vraie Voie.

Dès son premier voyage de jeunesse à Bénarès en 1891, l’ailleurs qui habite Alexandra est un ailleurs spirituel : il s’inscrit dans la loi de l’impermanence. Chemin faisant, dès 1912, elle va vivre ces enseignements, au plus profond d’elle-même : dans ses premiers campements entre 3000 et 5000 mètres, lacérée par la neige et le froid, tout en étant en contact étroit avec des lamas, des sages, « des êtres vêtus d’espace », qui lui donnent des informations et proposent des modes de vie ascétiques16. Mais cela ne lui suffit pas. Ce qu’elle veut, c’est réformer le bouddhisme tibétain17.

Si Alexandra suit depuis sa jeunesse un cheminement bouddhiste, dans son corps et dans son âme, Sylvain Tesson va progressivement suivre un cheminement taoïste. Dans sa jeunesse, il escaladait avec fougue tout ce qu’il trouvait, et courait le monde à la fois avec frénésie et réflexion. Mais comme Ignace de Loyola, il a eu sa chute, sa conversion, ses exercices spirituels qui s’amorcent en 2015 sur les chemins noirs de la France. Il repartira encore après, mais pas de la même manière.

En 2018, il est au Tibet avec son ami Vincent Munier, photographe animalier mais surtout artiste. Il a, dit Sylvain Tesson « le syndrome de Moby Dick dans sa forme pacifique et continentale ». Objectif du voyage : voir et photographier l’insaisissable panthère des neiges. Il rentre dans l’affût.

Il va entreprendre un long périple initiatique, autour des sources du Mékong, entre 3000 et 5000 mètres d’altitude :

Au nord, les piémonts des monts Kunlun dessinaient un ourlet. Le soir, les sommets rougeoyaient et se détachaient du ciel. Le jour, leurs glaces s’y confondaient. Au sud, vibrait l’horizon du Chang Tang inexploré.

Sait-il qu’il arrive, un siècle plus tard, et en avion, via Chengdu, à Jakyendo (actuellement Yushu) où Alexandra est restée quelques mois avant de s’élancer, comme lui, vers les hauts plateaux du Chang Tang ? Leurs destins se croisent, se conjuguent à travers le temps et l’espace glacé d’un ultime pays des neiges. Ils disent leur même quête : un ailleurs inaccessible, sans géographie précise, sans repère, mais sur la même Voie intérieure.

Comme Alexandra, qui en route vers Lhassa marche parfois dans la neige jusqu’aux genoux, lui, par -25 ou -30 degrés, va vivre à l’affût pendant de longues heures la quête « d’une bête invisible ». Ces heures de vigie ne ressemblent pas à celles de ses nombreux bivouacs antérieurs : « C’était la première fois que je me tenais si calmement posté, dans l’espérance d’une rencontre. Je tenais l’immobilité pour une répétition générale de la mort18. » Outre l’immobilité, l’affût impose une philosophie de l’instant : « L’affût commande de tenir son âme en haleine. » Ce n’est pas une halte journalière, c’est une installation insolite et temporaire dans l’espace et le temps, avec comme but, l’attente :

Ces heures de vigie se situaient aux antipodes de mon rythme de voyageur. À Paris, je butinais des passions désordonnées. « Nos vies hâtives », avait dit un poète. Ici, dans le canyon, nous scrutions les paysages sans garantie de moissons. On attendait une ombre en silence, face au vide. C’était le contraire d’une promesse publicitaire : nous endurions le froid sans certitude d’un résultat. Au « tout, tout de suite » de l’épilepsie moderne, s’opposait le « sans doute rien, jamais » de l’affût. Ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable !19.

Un affût n’est pas une cabane. Ce n’est pas celle de Sibérie, dans laquelle il a vécu assez confortablement pendant plusieurs mois, « comme un fœtus », dans « son lieu du pas de côté ». Mais il a fait déjà une première expérience : « Au fond de la taïga, je me suis métamorphosé. L’immobilité m’a apporté ce que le voyage ne me procurait plus. Le génie du lieu m’a aidé à apprivoiser le temps. Mon ermitage est devenu le laboratoire de ces transformations20. »

Habiter l’ailleurs, c’est aussi habiter l’instant. L’affût est un lieu sommaire et temporaire d’expérience extrême et totale, d’attente, de patience, de méditation : il n’y a rien d’autre à faire que d’habiter l’instant. C’est ce qu’il se disait déjà dans sa cabane : « S’il veut garantir sa santé mentale, un anachorète jeté sur un rivage doit habiter l’instant. » À l’affût, on ne vaque à aucune occupation quotidienne qui rythme la journée. L’affût, c’est aussi le temps de l’ermite dans sa grotte glacée. C’est le temps du retour impératif et obligé sur soi-même, pendant que « gèlent même l’encre et les rêves » et que passent lentement au loin des troupeaux de chèvres bleues.

Depuis son accident, ne pouvant plus porter de lourdes charges, il est condamné à ne porter que l’essentiel : ce sera le Tao Te King. Dans un abri sous roche, il en lit des passages à ses camarades et médite le Wu Wei, le non-agir.

J’ouvris de la moufle, mon exemplaire du Tao : Agir sans rien attendre. Je me demandais : « attendre, n’est-ce pas déjà agir ? ». L’affût n’était-il pas une forme d’action puisqu’il laissait libre voie aux pensées et à l’espoir ? Dans ce cas, la Voie du Tao aurait recommandé de ne rien attendre de l’attente, pensée qui m’aidait à accepter de demeurer là, assis dans la poussière21.

La source du Mékong, à 5000 mètres d’altitude, c’est le Tao : « Pour l’instant, une nappe gelée cimentait les graviers. C’était la source, le Tao du Mékong, point zéro […]. Le destin prenait naissance ici. » Tout en imaginant la vie du fleuve, de ce fleuve qui sourd « comme un ruisselet couleur de lune », il sait que tout remonte un jour à sa source, comme dit le Tao : « Le retour est le mouvement de la Voie ».

Enfin, un jour, la panthère vint, cette Saâ tibétaine, « née de ce substrat, elle était devenue montagne ». Il la voit à plusieurs reprises mais, « comme les dieux, elle régnait et n’avait donc pas besoin de se montrer pour exister ». L’imaginaire de la panthère qu’il développe associe étroitement la philosophie du bouddhisme à celle du Tao. L’invisible est devenu visible :

Moi qui avais demandé au voyage de me pourvoir tant de surprises « follement épris de la variété et du caprice », je me contentais d’un versant gelé dans une enchâssure. M’étais-je converti au Wu Wei, art chinois du non-agir ? Rien ne vaut trente degrés sous le zéro pour vous plier à ce genre de philosophie. Je n’espérais rien, n’agissais pas. Tout mouvement laissait pénétrer dans le dos un coulis de froid, qui ne prédispose pas aux grands projets. Oh certes, si une panthère avait surgi devant mes yeux j’en aurais été comblé, mais rien ne remuait et dans cette hibernation éveillée, je n’en concevais aucun dépit. L’affût était un exercice de l’Asie. Il y avait le Tao dans cette attente d’une des formes de l’unique. Il y avait aussi un peu de l’enseignement de la Bhagavad-Gita hindoue, négation du désir […]. « Demeure égal dans le succès comme dans l’insuccès », nous rassurait Krishna au chant II. Je me disais que cette science de l’affût à laquelle m’avait initié Munier, était l’antidote à l’épilepsie de mon époque22.

L’une des dernières phrases de l’ouvrage de cet impavide de l’espace fait l’éloge de la patience : « Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c’était que nous n’avions pas su regarder. » Profonde sagesse, ne rien désirer, comme Krishna, profond enseignement du Tao, ne rien attendre, enseignement qui nous dit : « Le Il y a » est issu du « Il n’y a pas23 ».

Le 28 février 1924, avec son fidèle Yongden qui deviendra en France son fils adoptif, Alexandra arrive à Lhassa. Cette étape finale n’a pas été pensée dès le début. Elle est venue en cours de route, dictée par son farouche esprit de ne pas être entravée et d’aller toujours jusqu’au bout. Ils ont fait la dernière étape à pied dans des conditions extrêmes. Quand elle arrive, elle n’est que l’ombre d’elle-même, en haillons, la peau sur les os, tous deux sont au bord de la peste pulmonaire, crachant du sang. Elle s’en réchappera encore une fois. Elle écrit à cette date à son mari : « Sache seulement, aujourd’hui, que je suis arrivée à Lhassa réduite à l’état de squelette. » Jacques Brosse souligne dans sa biographie, qu’il lui restait à affronter la dernière étape de sa vie de renonçante : mesurer son endurance et vivre comme une nonne mendiante, une bhikkum, comparable à ce que furent les premiers disciples de Bouddha dans le détachement complet, dernier acte de leur cheminement vers l’Éveil.

Pour parvenir au bout de la sainte errance, elle a enduré beaucoup de souffrances physiques qui s’achèvent là, comme en un Golgotha, aux pieds de la cité aux toits d’or, où elle mendie, en guenilles, se mêlant incognito à la foule. La cité, déjà sinisée, la décevra. Pourquoi tant de souffrances ? Elles ont flétri son corps comme un cilice mais ont exalté son âme. Elles ressemblent à des blessures volontaires qu’elle s’est infligées comme pour expier quelque faute enfouie au plus profond d’elle-même.

Sa correspondance propose une réponse. Il est difficile de comprendre son ailleurs sans s’y reporter. Grâce aux confessions qu’elle donne dans les toutes premières lettres à son mari entre 1904 et 1906, dès leur mariage, on saisit les formes du traumatisme profond de son enfance qui expliquent son impossibilité d’aimer : absence d’amour maternel, impossible chaleur d’un foyer familial malgré la marque paternelle, modèle parental qu’elle rejette. Comme pour s’excuser, elle écrit à son mari : « Mon ami, si tu savais la terreur que j’ai d’une existence comme celle de mes parents : deux statues qui sont restées plus de cinquante ans en face l’une de l’autre, aussi étrangères maintenant que le premier jour de leur rencontre » (lettre du 11 novembre 1904). Elle poursuit, dans une lettre du 25 septembre 1906, évoquant son besoin d’expiation :

Je ne puis, contrainte que je suis par mon éducation religieuse, imaginer que de telles choses restent sans sanction. La raison me dit qu’il convient de m’en prendre plus à moi qu’à autrui et qu’on est soi le véritable auteur des maux qui nous viennent d’autrui. Et si ce n’est pas toi le coupable, et si c’est moi qui le suis, c’est moi qui dois expier. Il y a dans l’expiation une certaine satisfaction, « on fait quelque chose » et vaguement, faussement aussi, l’on se donne le change, on s’imagine avoir supprimé le passé. C’est le christianisme qui nous a fait cette mentalité absurde.

Son ailleurs s’inscrit donc dans la quête d’une expiation de ses souffrances : n’avoir pas été aimée, ne pouvoir donc aimer. Seul l’ascétisme bouddhique, vécu jusqu’au bout, jusqu’à son dernier stade de mendiante, semble lui avoir permis de vivre sur le chemin de la délivrance, une paix enfin retrouvée. À chacun sa panthère.

Écrire l’ailleurs : une poétique du monde

Faut-il avoir vécu l’ailleurs pour le traduire, et si oui, quelles sont les modalités de son écriture ? Victor Segalen a écrit Thibet sans y être allé, même s’il déclare avoir vécu le bouddhisme de l’intérieur24. Bien loin d’un imaginaire du Tibet, nos voyageurs vont transcrire ce qu’ils ont vécu réellement dans leur corps et dans leur âme.

Avec Alexandra, nous sommes en face de deux types de discours différents et complémentaires : sa correspondance et ses récits de voyages. Nous ne parlerons pas de ses ouvrages de spiritualité25. On dispose d’une part, d’un discours épistolaire intime, direct, qui relate sentiments et aventures au jour le jour, et d’autre part, de récits de voyage, discours publics, textes écrits a posteriori qui enjolivent et romancent souvent la réalité. Sylvain Tesson n’écrit pas non plus un ailleurs fictionnel. Tout ce qu’il écrit a été vécu. Tous les soirs, ou dès qu’il le peut, il rédige des notes sur de petits cahiers. C’est comme un journal intime : il met de l’ordre dans son vécu.

Tout ce qui reste de ma vie ce sont les notes. J’écris un journal intime pour lutter contre l’oubli, offrir un supplétif à la mémoire […]. J’archive les heures qui passent. Tenir un journal féconde l’existence. Le rendez-vous quotidien devant la page blanche du journal contraint à prêter meilleure attention aux événements de la journée – à mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément26.

De retour à Paris, les précieuses notes serviront à rédiger ses livres. Les notes sont proches des lettres, pensées intimes sans destinataire autre que soi-même. Il y consigne son ressenti, sa sensibilité, tout autant que les événements du jour. Un ouvrage entier, écrit comme un journal intime, sera un hymne à la technique du bloc-notes :

Qu’est-ce qu’un bloc-notes ? Un herbier. Sur le chemin on cueille une aimable vision, dans un livre, on rafle une pensée […]. Ces copeaux, tombés de la roue du temps, sont jetés sur le carnet de notes. Plus tard, à la table de travail, il s’agira d’ordonner la moisson27.

Pour Alexandra le but est double : donner et recevoir des nouvelles. Elle rappelle souvent à son mari de garder précieusement ses lettres, car « elle en aura besoin. Elles sont mon seul journal de voyage ». Ce sont un peu l’équivalent des notes des cahiers de Sylvain Tesson, le destinataire en plus, même si écrire et envoyer une lettre à quelqu’un, ce n’est pas écrire des notes sur un cahier.

Elle évoque souvent ses lectures : Jules Verne qui, entre quelques atlas, a bercé ses rêves d’aventures lorsqu’elle était enfant, puis Colette, Edgar Poe, les grands orientalistes qu’elle a côtoyés, comme Sylvain Lévi, le géographe anarchiste Élisée Reclus, mentor de son jeune esprit rebelle, ami de son père, et son poète préféré, Jean Richepin, le poète des gueux, qu’elle cite plusieurs fois. Sylvain Tesson aussi a beaucoup médité les leçons de la pensée libertaire et anarchiste d’Élisée Reclus, très présent dans sa démarche, il l’évoque lorsqu’il est dans sa cabane en Sibérie. Avec Alexandra, c’est un de leurs points communs. Ils partagent avec le géographe anarchiste le refus d’obéissance, et l’idée « qu’habiter joyeusement des clairières sauvages vaut mieux que de dépérir en ville ».

Dans ses récits, Alexandra présente les mœurs des habitants, des anecdotes surprenantes, des contes, des croyances, avec une distance objective mêlée souvent d’humour ou d’interrogation. Elle complète les éléments de ses lettres par des recherches approfondies dont elle donne de nombreuses références.

L’Inde où j’ai vécu, synthèse de ses divers séjours en Inde est, dit-elle, « une série de tableaux présentant la vie mentale, encore plus que la vie matérielle ». Elle décrit de nombreux rituels, notamment ceux de la crémation à Bénarès et à Calcutta.

Râm ! Râm ! …ouvre dans un autre monde un bienheureux asile à ceux dont les membres noircissent et se recroquevillent dans les flammes des bûchers. Voir incinérer un cadavre est un spectacle que peu d’Occidentaux ont contemplé. Les fours crématoires de nos cités dérobent à la vue des familles, les contorsions auxquelles se livre le défunt avant d’être consumé. En Orient, au contraire, et tout particulièrement à Bénarès, c’est là un tableau quotidien et banal qui n’émeut aucun des passants28.

Ses lettres diront comment elle se situe face à la mort : « une formalité à remplir. »

Lire Sylvain Tesson, c’est aborder un autre rivage d’écriture. Certes, il décrit lui aussi les mœurs, s’interroge sur le monde, sur les comportements des êtres qu’il rencontre et avec lesquels il partage un temps leur quotidien, mais son écriture de l’ailleurs ne ressemble pas tout à fait à celle d’Alexandra. Pour comprendre cette différence, il semble devoir invoquer sa formation de géographe, sa personnalité, une forme spécifique de sensibilité à la nature qui induit une totale communion, et une autre époque : ils ne sont pas du même siècle. Dans un parcours bien taoïste, Tesson va en fait cheminer de la contemplation de la nature sauvage à la communion profonde, comme le peintre de la Chine ancienne doit longuement se pénétrer du paysage avant de le peindre29.

De géopoliticien il devient géopoéticien. En s’appropriant la nature, il va la réécrire, et cet ailleurs qu’il nous livre, est un espace bien au-delà de la réalité géographique : c’est une poétique du monde.

En 2004, il explique comment il voyage, avec des livres dans son sac. Mais parce qu’ils sont lourds, il a déjà opté pour une solution : « La solution, il m’a fallu dix ans pour parvenir à l’évidence, est dans la poésie. Dire des vers en marchant. Rythmer la récitation. Accorder la stance à la cadence nomade30. » Psalmodiant des poèmes sur les pistes herbeuses et les chemins détournés, il rejoint l’essence même du moine oriental qui marche en récitant.

Dans tous ses ouvrages, Sylvain Tesson donne à lire, à méditer, à rêver. Alpinistes, historiens et géographes, romanciers (particulièrement russes), romantiques allemands, poètes, grands aventuriers solitaires, anachorètes, philosophes et moralistes de tous les pays, de toutes les époques, tous sont plus ou moins des penseurs attentifs et rebelles, ayant posé leur vie en marge du monde pour mieux le saisir. En Sibérie il emporte soixante livres pour six mois31.

Sur les chemins de la Haute-Provence, il évoque Flaubert à propos d’une politique des territoires visant à supprimer en France l’hyper-ruralité, prônée par « une batterie d’experts, c’est-à-dire, des spécialistes de l’invérifiable » :

Ce que nous autres, pauvres cloches romantiques, tenions pour une clef du paradis sur Terre – l’ensauvagement, la préservation, l’isolement – était considéré dans ces pages comme des catégories du sous-développement. Le rapport se faisait rassurant, les auteurs étaient de confiants prophètes : « Courage, citoyens campagnards ! nous arrivons ». Bientôt, grâce à l’État, la modernité ruissellerait dans les jachères. Le Wi-Fi ramènerait les bouseux à la norme. Au lieu d’écrire Par les champs et par les grèves, le futur Flaubert qui traverserait ces étendues, pourrait se fendre d’un « Par les ZUP et par les ZAC32 ».

À Pierrelatte, il traverse le Rhône, méditant Fernand Braudel, qu’il porte dans son sac, et Peter Sloterdijk. En une phrase, il résume la définition de l’historien qui, analysant « le temps du monde », pense : « qu’une civilisation est un espace, une aire culturelle à laquelle s’ajoute une permanence dans le temps ». Et notre voyageur poursuit :

Une centrale atomique, le souvenir d’Hannibal : c’était là l’accumulation braudélienne, une compression d’images sur un même arpent de terrain. « L’espace a été inventé pour que tout ne se trouve pas au même endroit », écrivait dans son journal de 2012, cette vieille chouette de Peter Sloterdijk qui avait toujours l’air d’avoir été tiré de son sommeil par ses propres pensées33.

Avec les pistes oubliées marquées d’un fin trait noir, les drailles de la transhumance, il trace son chemin, « vadrouillant dans le silence », redessinant « la cartographie du temps perdu ». Dans un bel ouvrage consacré à la Méditerranée et à Homère, il écrit : « Le génie des lieux nourrit les hommes. Je crois à la perfusion de la géographie dans nos âmes34. »

À l’origine de la poésie des paysages, il y a celle de la géologie. Fouler du calcaire n’est pas fouler du schiste ou du granit. Vivre sur l’un n’est pas vivre sur l’autre. Passer de l’un à l’autre, c’est, dit-il, « changer d’héraldique ». « Je me savais influencé par la géologie. Le calcaire, le schiste, la lave dictaient mes humeurs ». Les formes du relief soulèvent son âme de géographe dans des élans de partage voire de communion. La Provence qu’il traverse en 2015 est celle de Jean Giono ou de René Char : seule la beauté donne un sens à l’âpreté de la terre, à un relief tragique, torturé, souvent « anorexique », qu’il convient de décrire dans un « style ascétique ». La tectonique, dit-il, « est l’opium du paysage ». 

Au cap de la Hague, son cheminement sur les chemins noirs de la France prend fin :

La mer battait son écume sur les platiers noirs. Les échancrures laissaient deviner des caches : replis de chouans ou alcôves pour vieille maîtresse entraînée par Barbey. Une flore saline, épineuse, s’accrochait au vide, résistait avec une modestie admirable35.

La démarche de Sylvain Tesson semble conjuguer les figures de quelques grands poètes marcheurs : Bashô, Lorand Gaspar, Kenneth White.

Frugalité, vie simple dans la nature, détachement du monde, poésie en marche, caractérisent le grand poète japonais. Bashô écrit des poésies en marchant, lui se les récite. On peut imaginer notre voyageur vêtu de peu, dormant sous les arbres, toujours taquiné par le vent et lavé par la pluie. Depuis les moines errants, colporteurs de culture, le Japon a élaboré une littérature et particulièrement une poésie de la route, incarnée par Bashô. Sylvain Tesson est l’héritier de cette démarche, conjuguant les formes du haïku dans sa poétique vision du monde36. Poète, médecin, photographe, Lorand Gaspar, lui aussi est un homme des frontières mouvantes. Il a parcouru le monde méditerranéen et le Moyen-Orient faisant corps avec le paysage. C’est la même géopoétique37. Quant au grand aventurier de la poésie nomade, Kenneth White, Sylvain Tesson lui doit beaucoup. Il lui doit ce nomadisme intellectuel qui l’habite, mouvement qui engendre des « géopoètes », voire des « géosophes », comme White le souligne dès 1930. Il s’agit d’opposer à l’univers urbain des civilisations concentrationnaires, une pensée errante, ouverte sur la nature. Il lui doit aussi la fascination pour « Le monde blanc » qui lui permet d’échapper « au bruit multicolore de notre civilisation » et de « trouver un nouveau dire prônant la recherche d’un autre être-au-monde ». Il lui doit enfin « une textonique », ce même déchiffrement poétique de la tectonique, « contorsions et convulsions géologiques », et la même prédilection pour les terrains abrupts et les franges littorales du monde38. La vraie moisson d’un poète nomade ne peut se faire que dans des lieux périphériques, brisant les frontières, supprimant les catégories, réécrivant le monde.

Errants, vagabonds, ermites critiques, wanderers, taoïstes, adeptes de Bouddha, tels sont nos deux voyageurs, poètes marcheurs plus qu’écrivains voyageurs, habités par un ailleurs existentiel qu’ils ont en eux, et qui les dépasse. « Je marche donc je suis » : tel est le cogito formulé par Sylvain Tesson qu’Alexandra serait loin de renier39.

Or, chacun de son côté, ils ont forgé un mot qui les désigne : chemineau. Au XIXe siècle, il est synonyme de vagabond, d’errant, de marginal. En 2014, Sylvain Tesson est sur son lit d’hôpital et rêve : « Je m’étais vu sur les chemins de pierre ! J’avais rêvé aux bivouacs, je m’étais imaginé fendre les herbes d’un pas de chemineau40. » C’est Alexandra qui l’utilise le plus. « Les moines, encore plus que les marchands, sont l’élément voyageur du Tibet. Sans bagages, sans argent, ces chemineaux cléricaux s’en vont par milliers, de-ci, delà, à travers le Tibet et les régions voisines41 ». Dans une lettre du 27 juillet 1912, elle cite Jean Richepin, s’élançant vers l’espace :

Il y a toujours quelque chose plus loin…La terre est ronde – et c’est vers ce « plus loin » que l’on tend les bras. Y a-t-il quelque chose de plus fascinant que deux rails de chemin de fer qui s’allongent vers l’horizon, qu’une route qui s’en va, s’en va…Ah ! le chemineau que je suis ! et je crois bien que les fées qui présidèrent à ma naissance m’ont, elles aussi, dit la fatidique parole si bien chantée par Richepin : « Va chemineau, chemine ! ».

Dans une lettre du 10 avril 1915, elle se décrit bercée par le pas lent des yacks, se récitant des extraits de son poète préféré, qu’elle connaît par cœur et qu’elle cite. Elle l’évoque encore le 17 septembre 1921 : « Je m’en vais, comme la caravane chantée par Richepin : “vers l’espace” ». Il n’est pas étonnant de trouver souvent sous sa plume rebelle la référence explicite à la pièce de Jean Richepin, Le Chemineau, jouée le 16 février 1897 à l’Odéon et qui eut un grand succès. Elle qui se complaisait sur les planches entre 1895 et 1904, sous le nom d’Alexandra Myrial, à chanter des rôles de femmes éprises des chemins de la liberté, comme Carmen, Thaïs, Manon, Mireille ou La Traviata, ne pouvait qu’aimer la figure de l’errant au point de partir comme lui « dans le vent de la grand-route42 ».

À cette époque, elle n’est pas qu’une simple rebelle. Tout en chantant l’attrait de la liberté, Alexandra a écrit des articles rassemblés dans Féministe et libertaire, ouvrage préfacé par son mentor, Élisée Reclus. Cet intéressant recueil regroupe trois types de textes : des textes de réflexion politique et sociale concernant la situation de la femme (Pour la vie, Le féminisme rationnel) ; des articles très engagés publiés dans le journal féministe La Fronde en 1902-1903 ; des conférences présentées à divers congrès. Tous sont signés Alexandra Myrial, son nom de scène, et dénoncent l’assujettissement de la femme43.

C’est en fait plus qu’une révoltée, c’est une anarchiste : « L’obéissance, c’est la mort » écrit-elle. Ne voit-elle pas sous la robe safran du refus du monde, les vrais anarchistes de ce bouddhisme qui l’a tant nourrie ? Elle semble avoir renoué avec le refus de l’obéissance cher à son adolescence : les « chemins hors du monde » l’ont menée de l’anarchisme au bouddhisme. Elle le précise très tôt dans une lettre (Gangtok, le 27 juillet 1912) :

L’imbécillité est la grande détresse en ce monde. Il y a bien des siècles que le Bouddha et d’autres l’ont dit. Il est impossible de regarder la comédie humaine sans être saisi – suivant son tempérament – de colère, de mépris, de dégoût ou d’infinie pitié. C’est toute cette colère, ce mépris et ce dégoût que les sannyâsins ensevelissent sous la robe couleur d’aurore qui marque, suivant la racine du mot sanskrit, le rejet de tout ce qui constitue la vie du monde : les observances, les préjugés, les lois, les religions. Oh ! de profonds anarchistes logèrent sous la sainte robe, des vrais, de ceux qui pensent, non de ceux qui, dans leur candeur, imaginent qu’une bombe ou un coup de poignard peuvent changer la lente évolution des choses.

Anarchistes, vagabonds, ermites, chemineaux, ils ont tout quitté pour vivre un ailleurs qu’ils portaient en eux. Mais dans ce cheminement spirituel qu’ils ont vécu, chacun à son rythme et à sa manière, ne peut-on pas penser qu’ils ont, non seulement mesuré l’instant, apprivoisé le temps et l’espace, mais aussi la mort ? Françoise Bonardel le souligne concernant Alexandra, dans l’analyse de son sentiment de l’éphémère et de l’impermanence des choses44. En est-il de même pour Sylvain Tesson pour qui « la vie est un passage » ? Sans doute. Lorsqu’on a frôlé plusieurs fois la mort, vécu l’expérience des extrêmes et la méditation taoïste et glaciale de l’affût, on ne la redoute plus.

1 Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1998, vol. 2, p. 1674, article « Habiter ».

2 Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, Paris, Éditions des Équateurs, 2005, p.55.

3 Des extraits de sa correspondance ont été publiés en deux volumes sous le titre, Alexandra David-Neel, Journal de voyage, Paris, Plon, 1976. L’

4 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2016, p. 16.

5 Les récits détaillés de ses voyages de Pékin vers Kum-Bum, Jakyendo et Lhassa, sont racontés dans Voyage d’une Parisienne à Lhassa, Paris, Plon

6 Sylvain Tesson, Éloge de l’énergie vagabonde, Paris, Éditions des Équateurs, 2007, p. 174.

7 Ibid., p. 51.

8 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, (février-juillet 2010) Paris, Gallimard, 2011, p. 124.

9 Ibid., p. 162

10 Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, Paris, Éditions des Équateurs, 2012, p. 395.

11 Sylvain Tesson, Éloge de l’énergie vagabonde, op. cit., p. 197.

12 Voir Pierre-François Souyri, Nouvelle histoire du Japon, Paris, Perrin, 2010, p. 253, « La naissance d’une culture médiévale ».

13 Lao Tseu, Tao Te King, traduction et commentaire de Marcel Conche, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 232.

14 Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, op. cit., p. 61, « Le bonheur d’être en route ».

15 Lao Tseu, Tao Te King, op. cit., p. 43.

16 Voir Alexandra David-Neel, Mystiques et magiciens du Tibet, Paris, Plon, 2011. Première édition en 1929.

17 Ibid., p. 116, « Les Bouddhas vivants ».

18 Sylvain Tesson, La Panthère des neiges, Paris, Gallimard, 2019, p. 17.

19 Ibid., p. 110.

20 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, op. cit., p.10, « Un pas de côté ».

21 Sylvain Tesson, La Panthère des neiges, op. cit., p.137.

22 Ibid., p.143.

23 Lao Tseu, Tao Te King, op. cit., p. 226.

24 Victor Segalen (1878-1919) a écrit Thibet en 1917 à la bibliothèque française d’Extrême-Orient, à Hanoï, en s’inspirant de divers travaux

25 Le plus accessible semble être : Le Bouddhisme, ses doctrines et ses méthodes, Monaco, Le Rocher, 1947. On pourra se reporter à Mystiques et

26 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, op. cit., p. 150.

27 Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, op. cit., p. 11.

28 Alexandra David-Neel, L’Inde où j’ai vécu, Paris, Plon, 1951, p. 144.

29 Voir François Jullien, La grande image n’a pas de forme ou du non-objet par la peinture, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, chap

30 Magazine littéraire, juin 2004, n° 432, « Les écrivains voyageurs », interview de Sylvain Tesson, p. 40, « Dire des vers en marchant ».

31 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, op. cit., l’auteur donne p. 33 la liste complète des ouvrages qu’il a emportés. On pourra aussi lire

32 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, op. cit., p. 30.

33 Ibid., p. 83.

34 Sylvain Tesson, Un Été avec Homère, Paris, Éditions des Équateurs, 2018, p. 29.

35 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, op. cit., p. 163.

36 Bashô, Journaux de voyage, présentation et traduction du japonais par René Sieffert, Paris, Verdier, coll. « Littérature de voyage », 2016. L’

37 Lorand Gaspar (1925-2019), Journaux de voyage, Encres de Zao Wou-Ki, Paris, Le Calligraphe, 1985.

38 Kenneth White, L’esprit nomade, Paris, Grasset, 1987, et pour la poésie, Les archives du littoral, Paris, Mercure de France, 2011. On pourra voir

39 Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, op. cit., p. 381.

40 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, op. cit., p.17.

41 Alexandra David-Neel, Grand Tibet, Au Pays des brigands gentilhommes, op. cit., p.173.

42 Jean Richepin (1849-1926), poète turbulent et révolté est l’auteur de La Chanson des gueux (1876) qui lui vaudra un emprisonnement de quelques

43 Voir Alexandra David-Neel, Féministe et libertaire, Écrits de jeunesse, Joëlle Désiré-Marchand (éd.), Paris, Les nuits rouges, 2013.

44 Françoise Bonardel, Voyager c’est apprendre à mourir. Les mille et une morts d’Alexandra David-Neel, Lyon, Fage éditions, 2020.

Notes

1 Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1998, vol. 2, p. 1674, article « Habiter ».

2 Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, Paris, Éditions des Équateurs, 2005, p.55.

3 Des extraits de sa correspondance ont été publiés en deux volumes sous le titre, Alexandra David-Neel, Journal de voyage, Paris, Plon, 1976. L’édition intégrale, Correspondance avec son mari (1904-1941), Paris, Plon, 2016, est notre ouvrage de référence pour toutes les citations de ses lettres. La meilleure biographie, utilisée ici, est celle de Jacques Brosse (1922-2008), philosophe, écrivain et moine zen, Alexandra David-Neel, Aventure et spiritualité, Paris, Albin Michel, 1978 et 1991. Elle a été écrite à partir des archives déposées à Digne, et des lettres. Pour une analyse comparée entre ses lettres et ses récits, voir Nathalie Fagot et Marie-Claire Grassi, La Lettre en Europe entre fiction et réalité, Paris, Complicités, 2021, p 337, « La lettre : une écriture de l’instant. Alexandra David-Neel, Karen Blixen ». Alexandra dit que Neel, s’écrit sans accent.

4 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2016, p. 16.

5 Les récits détaillés de ses voyages de Pékin vers Kum-Bum, Jakyendo et Lhassa, sont racontés dans Voyage d’une Parisienne à Lhassa, Paris, Plon, 1927 et 2017, et dans Grand Tibet, Au pays des brigands gentilshommes, Paris, Plon, 1933 et 1980. La rencontre avec le général Pereira est évoquée dans Voyage d’une Parisienne à Lhassa, édition de 2017, p. 169 et par Jacques Brosse, op. cit., p. 231.

6 Sylvain Tesson, Éloge de l’énergie vagabonde, Paris, Éditions des Équateurs, 2007, p. 174.

7 Ibid., p. 51.

8 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, (février-juillet 2010) Paris, Gallimard, 2011, p. 124.

9 Ibid., p. 162

10 Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, Paris, Éditions des Équateurs, 2012, p. 395.

11 Sylvain Tesson, Éloge de l’énergie vagabonde, op. cit., p. 197.

12 Voir Pierre-François Souyri, Nouvelle histoire du Japon, Paris, Perrin, 2010, p. 253, « La naissance d’une culture médiévale ».

13 Lao Tseu, Tao Te King, traduction et commentaire de Marcel Conche, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 232.

14 Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde, op. cit., p. 61, « Le bonheur d’être en route ».

15 Lao Tseu, Tao Te King, op. cit., p. 43.

16 Voir Alexandra David-Neel, Mystiques et magiciens du Tibet, Paris, Plon, 2011. Première édition en 1929.

17 Ibid., p. 116, « Les Bouddhas vivants ».

18 Sylvain Tesson, La Panthère des neiges, Paris, Gallimard, 2019, p. 17.

19 Ibid., p. 110.

20 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, op. cit., p.10, « Un pas de côté ».

21 Sylvain Tesson, La Panthère des neiges, op. cit., p.137.

22 Ibid., p.143.

23 Lao Tseu, Tao Te King, op. cit., p. 226.

24 Victor Segalen (1878-1919) a écrit Thibet en 1917 à la bibliothèque française d’Extrême-Orient, à Hanoï, en s’inspirant de divers travaux notamment de Jacques Bacot et de Fernand Grenard.

25 Le plus accessible semble être : Le Bouddhisme, ses doctrines et ses méthodes, Monaco, Le Rocher, 1947. On pourra se reporter à Mystiques et magiciens du Tibet, op. cit., pour comprendre la différence entre la religion du peuple, fortement marquée par le chamanisme venu par la Mongolie, et le bouddhisme.

26 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, op. cit., p. 150.

27 Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, op. cit., p. 11.

28 Alexandra David-Neel, L’Inde où j’ai vécu, Paris, Plon, 1951, p. 144.

29 Voir François Jullien, La grande image n’a pas de forme ou du non-objet par la peinture, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, chap. « L’esprit d’un paysage », p. 183 et Marie-Claire Grassi, « Le taoïsme dans Comment Wang-Fô fut sauvé », Société internationale d’Études Yourcenariennes, n° 24, 2003, p. 75 [En ligne] URL : https://www.yourcenariana.org/sites/default/files/documents_pdf/Grassi.pdf.

30 Magazine littéraire, juin 2004, n° 432, « Les écrivains voyageurs », interview de Sylvain Tesson, p. 40, « Dire des vers en marchant ».

31 Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, op. cit., l’auteur donne p. 33 la liste complète des ouvrages qu’il a emportés. On pourra aussi lire dans Géographie de l’instant, op. cit., un bel éloge des livres p. 399.

32 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, op. cit., p. 30.

33 Ibid., p. 83.

34 Sylvain Tesson, Un Été avec Homère, Paris, Éditions des Équateurs, 2018, p. 29.

35 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, op. cit., p. 163.

36 Bashô, Journaux de voyage, présentation et traduction du japonais par René Sieffert, Paris, Verdier, coll. « Littérature de voyage », 2016. L’auteur parle de « cheminement hors du temps et de l’espace, une sorte d’intrusion dans l’utopie », p. 17.

37 Lorand Gaspar (1925-2019), Journaux de voyage, Encres de Zao Wou-Ki, Paris, Le Calligraphe, 1985.

38 Kenneth White, L’esprit nomade, Paris, Grasset, 1987, et pour la poésie, Les archives du littoral, Paris, Mercure de France, 2011. On pourra voir aussi, Marie-Claire Grassi, « Poètes marcheurs et vagabonds, de Bashô à Sylvain Tesson », L’Archicube, n° 31, 2021, p. 88.

39 Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, op. cit., p. 381.

40 Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, op. cit., p.17.

41 Alexandra David-Neel, Grand Tibet, Au Pays des brigands gentilhommes, op. cit., p.173.

42 Jean Richepin (1849-1926), poète turbulent et révolté est l’auteur de La Chanson des gueux (1876) qui lui vaudra un emprisonnement de quelques mois pour « apologie de la crapule », de pièces de théâtre et de nombreux romans populaires. À son époque, chemineau est le nom donné aux ouvriers terrassiers itinérants pour construire le chemin de fer. Il est synonyme de vagabond. Ce n’est qu’à partir de 1932, que le mot cheminot le remplacera.

43 Voir Alexandra David-Neel, Féministe et libertaire, Écrits de jeunesse, Joëlle Désiré-Marchand (éd.), Paris, Les nuits rouges, 2013.

44 Françoise Bonardel, Voyager c’est apprendre à mourir. Les mille et une morts d’Alexandra David-Neel, Lyon, Fage éditions, 2020.

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Référence électronique

Marie-Claire GRASSI, « Habiter l’ailleurs », Sociopoétiques [En ligne], 7 | 2022, mis en ligne le 08 novembre 2022, consulté le 26 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1732

Auteur

Marie-Claire GRASSI

Université de Nice

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