« Je pleure sur le sort des abeilles. Elles sont martyrisées par les armées qui s’affrontent1. »
De par sa passion la figure de l’apiculteur est une figure de la marginalité. Cette marginalité qui est coupure d’avec le reste des hommes plonge l’apiculteur dans une solitude qui l’amène à l’introspection. Celle-ci, le dialogue avec soi, engage l’apiculteur (du moins celui des romans) dans l’écriture, une écriture intime, personnelle et privée qui l’amène à dissimuler ses carnets dans une ruche, à l’abri des regards indiscrets.
Le secret de l’apiculteur est un thème récurrent. Dans La Leçon d’apiculture de Hubert Nyssen2, Jean Mouratov trouve dans une ruche les carnets de son père défunt et découvre sa double vie menée par la passion. Sa marginalité s’affiche dans l’étrange foulard noué sur la tête pour que les abeilles ne se prennent pas dans ses cheveux, ce qui le fait ressembler à un chef apache, à Geronimo3. Aussi hérite-t-il de sobriquets comme celui de fieffé comédien ou d’hurluberlu d’apiculteur4 et le narrateur de mentionner ce qu’il y a d’égoïste dans sa solitude apicultrice : « Impossible d’oublier l’homme enturbanné qui réservait à ses abeilles des soins qu’il n’accordait pas à sa famille5 ». Dans Les Abeilles d’hiver de Norbert Scheuer, l’apiculteur ne cesse d’écrire ses pensées personnelles et intimes dans ses carnets sur les abeilles. « Les choses les plus importantes sont en sécurité avec mes notes quotidiennes, cachées dans le fond double d’une de mes ruches6 ». Repli secret en raison de pensées dangereuses à l’époque du nazisme : « Oui, il est dangereux et difficile d’écrire la vérité. Mais je dédie ces notes aux seules abeilles, car je sais qu’elles me comprennent et ne me trahiront jamais7 ». On sait aussi que des messages clandestins pour l’exfiltration des Juifs à la frontière belge sont enfouis dans un des livres de la bibliothèque de la ville. Cette inclination au secret est aussi respect de l’autre, du père envers le fils pour Nyssen et envers les persécutés en danger pour Egidius Arimond. Aussi au-delà de cette marginalité, voulue ou non, assumée ou non, la figure de l’apiculteur est également celle d’un humaniste. De par son contact avec la société des abeilles et le soin qu’il apporte à ses ruches, il témoigne d’une empathie et d’une tendresse qu’il lui arrive de reporter sur les humains et qui naît également de sa propre introspection.
Mais en temps de guerre, il n’est pas facile d’aimer les hommes. Sans être véritablement misanthrope, l’apiculteur devient pessimiste, mélancolique et taciturne. Le héros du roman de Lefteri sentant l’odeur de miel qui flottait dans le magasin pense : « c’est ce que sentirait le monde s’il n’y avait pas d’humains8 ».
Il semble intéressant de se pencher sur quelques romans dans lesquels l’apiculteur est confronté à la guerre9. Mais avant d’en venir aux deux romans principaux qui retiendront l’attention, celui de l’Allemand Norbert Scheuer (Les Abeilles d’hiver) et celui du Tunisien Yamen Manaï (L’Amas ardent), il faut tout d’abord citer le roman du Suédois Lars Gustafsson, La Mort d’un apiculteur. Il s’agit là non d’un événement historique comme la dernière guerre mondiale ou le terrorisme des frères musulmans, mais d’une guerre intérieure qui est d’une importance universelle, celle du combat avec la mort.
Écrit par Lars Gustafsson (1936-2016) en 1978, le roman commence par la fiction de carnets retrouvés après la mort de l’auteur et publiés dans un ordre approximatif. Dans trois carnets, le « carnet jaune », le « carnet bleu » et le « carnet déchiré », Lars Lennart Westin, maître d’école à la retraite, livre ses réflexions, celles d’un homme atteint d’un cancer et promis à la mort. Le désordre de ses réflexions, leur caractère discontinu et de plus en plus entrecoupé ont fait dire à Carl-Gustaf Bjuström, le traducteur du roman, qu’il s’agissait d’un « roman composé un peu à la manière de la Symphonie des Adieux de Haydn, où les divers instruments quittent un à un l’orchestre, jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne10. »
La vie et la maladie ont rompu successivement les liens qui le rattachaient à la vie. Avec une retraite anticipée, il a perdu le contact avec la société. Son divorce l’a privé d’une compagne et les souvenirs qui s’effilochent l’enfoncent dans l’idée tragique de la perte.
S’il s’efforce de mener une vie normale dans sa solitude (il a triché avec la lettre de l’hôpital contenant ses analyses et son diagnostic qu’il a brûlée sans l’ouvrir), il essaye de résister à cette guerre intérieure en la niant, résistant à la souffrance de manière selon lui nietzschéenne, citant le philosophe allemand : « Ce qui ne me détruit pas me rend plus fort11 ».
Une manière de survivre après son divorce, son abandon de l’enseignement et toute velléité de gagner de l’argent a été l’acquisition de trente ruches.
Dans son activité d’apiculteur, il doit mener une autre guerre, celle du froid. Passant en revue toutes ses ruches, il constate avec satisfaction qu’un seul essaim est mort de froid, bien qu’il ait versé du sirop dans chacune des ruches. Mais celle-là ne le surprend pas, il avait remarqué bien avant qu’elle filait un mauvais coton dans leur travail. « Sales coquettes ! Je suis content qu’elles soient mortes de froid. Cet été elles auraient sûrement été prises par la fièvre d’essaimage et elles se seraient tuées de toute façon. L’idée de la révolution permanente pour ainsi dire.12 » Ce qui l’amène à une réflexion sur la mort des abeilles comparée à celles des armées napoléoniennes.
Marengo, Austerlitz, Leipzig… Je connais peu de choses invitant à ce point au césarisme que le fait d’avoir des abeilles. On peut vivre toutes les sensations d’un Napoléon sans être cruel envers les chevaux et sans voir mourir un seul homme. À la place, on voit mourir pas mal d’abeilles13.
Ce qui intéresse Lars Lennart Westin dans ce lien avec l’Empereur14, ce n’est ni le goût du miel, ni le goût du pouvoir ni la passion apicultrice au propre comme au figuré, mais l’image de la mort à travers celle des abeilles. S’il a pu être négligent vis-à-vis de ses ruches comme envers la lettre de l’hôpital, c’est par un certain fatalisme inconscient.
Il aurait fallu faire tant de choses aux ruches cet automne […] seulement je n’ai jamais eu le courage de m’y mettre. Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi. Pour je ne sais quelle raison obscure, j’ai dû être incroyablement engourdi et passif. […] Le bois des ruches est trempé, le papier goudronné du toit est déchiré en plusieurs endroits. Les ruches vont tout bonnement se retrouver disloquées par le gel. Ainsi, pour me punir de ma paresse de cet automne, je perdrai trois ou quatre essaims15.
Il ne déplore pas la perte financière de cette négligence, mais l’idée de la mort qu’elle provoque : « des êtres vivants vont mourir et d’une certaine façon, cela me fait mal16 ». Il s’ensuit la réflexion philosophique la plus intéressante quant à ce que signifie la mort de l’individu et les raisons que les abeilles offrent d’en juger autrement. Car entre l’essaim et l’abeille se joue le drame du collectif et de l’individu. Partant de l’observation que « quand un essaim meurt, il se passe à peu près la même chose que lorsque meurt un animal. C’est tout un être qui vous manque, un peu comme un chien ou tout au moins un chat », la mort de l’abeille est indifférente : « devant une seule abeille morte : on la balaie, un point c’est tout ». D’ailleurs les abeilles elles-mêmes sont indifférentes à la mort des autres. « Si en remettant un cadre en place j’en écrase deux ou trois parce que je ne fais pas très attention, les autres les enlèvent à peu près comme s’il s’agissait de pièces mécaniques cassées17. » Aussi c’est l’essaim qui a l’individualité, l’intelligence, la personnalité (il note que certains sont des paresseux, d’autres des travailleurs, des agressifs ou des doux). Quant à l’abeille, en tant qu’individu elle a « aussi peu de personnalité qu’un boulon ou une vis dans un mouvement d’horlogerie18 ».
L’un des rêves qu’il fait témoigne de l’angoisse d’une telle constatation envers la mort et du désir d’échapper à la triste leçon donnée par les abeilles.
Ces derniers temps, j’ai souvent fait un rêve bizarre. Il concerne une des ruches. Je soulève le couvercle et je commence à nettoyer les cadres pour y prélever le miel. Au moment précis où je vais repousser une abeille qui se tient sur le rebord du cadre, je découvre qu’elle a un drôle d’air avec de curieux reflets bleuâtres. D’abord je ne comprends pas du tout de quoi il s’agit, ensuite je regarde de plus près et je découvre que pas une seule des abeilles n’est une abeille.
Il s’agit d’une espèce absolument différente. Des êtres très intelligents, très avancés techniquement, qui arrivent du fin fond de l’espace, d’une galaxie très éloignée. Ils ont tout bonnement occupé la ruche – Dieu sait ce que sont devenues les abeilles ordinaires, mais apparemment ces êtres-là sont eux aussi habitués à vivre dans une sorte de cellule en cire.
Ils parlent avec moi sans la moindre difficulté et sans que je comprenne très bien comment cela se passe. Ils viennent d’une civilisation d’insectes intelligents. […] Leurs cuirasses brillantes luisent comme une espèce d’armure.
Que disent-ils ?
ON RECOMMENCE. ON NE SE REND PAS19.
Parmi les romans de la résilience, L’Apiculteur d’Alep de Christy Lefteri20 montre la guerre qui éclate et ravage tout, jusqu’aux précieuses ruches de Nuri. Sa femme Afra ne veut plus bouger de chez elle. Pourtant ils doivent partir, quitter Alep, une ville de miel, l’une des plus sensuelles et des plus somptueuses cités de l’Orient. L’arrivée des djihadistes sème la terreur et l’horreur. La destruction des ruches est celle de la société idéale que formaient les abeilles, « un petit paradis au milieu du chaos21. » La guerre suspend cette harmonie entre l’apiculteur et ses ruches : « Nous passions tellement d’heures en compagnie des abeilles qu’à la fin nous pensions comme elles. Nous mangions du pollen mêlé de miel pour tenir le coup sous le soleil aride22 ». Après l’incendie des ruches, il ne reste que les souvenirs, celui du vrombissement des abeilles qui était le bruit de la paix, l’odeur du miel qui se mêle à celui des cendres et non plus la vibration collective, mais un son unique, une abeille sans ailes de fait, « un bourdon gras et duveteux les poils doux avec de larges bandes jaunes et noires et une longue trompe enroulée sous le ventre23 ». Il s’avance sur le dos de son poignet et se blottit dans sa main. Le bourdon est non seulement l’unique et improductif rescapé du massacre, mais il souffre du virus des ailées déformées. Il ne reste plus qu’à le ramener au dehors, mais « il ne survivra pas longtemps comme ça : il a été banni de sa colonie parce qu’il n’a pas d’ailes24 ». Nuri qui avait décidé de devenir apiculteur contre la volonté paternelle25 se sent pareil aux abeilles26 : « Je pense que nous ressemblons aux abeilles. Nous sommes aussi vulnérables qu’elles27 ».
La résilience permet à Nuri de reconstruire sa vie en Angleterre et d’enseigner l’apiculture à des réfugiés. « Les abeilles représentent la vulnérabilité, la vie et l’espoir » dans ce roman où l’amour vient éclairer les ténèbres. La romancière trace ici un destin parmi d’autres semblables, par exemple à celui d’Ibrahim Gezer, kurde dont les Turcs pendant les troubles de la guerre l’avaient dépouillé de tout. Il ne lui reste que son amour des abeilles et sa foi indestructible dans les individus, quelle que soit leur origine. Au bout d’une longue odyssée marquée de privations, l’apiculteur tente de vivre dignement en Suisse, grâce à sa passion pour l’élevage des abeilles28.
Abeilles d’hiver abeilles de guerre
Le roman de Norbert Scheuer est rédigé, sous la forme d’un journal qui s’étend de l’hiver 1944 à l’hiver 1945, par Egidius Arimond, un professeur licencié prématurément de l’enseignement et menacé d’euthanasie en raison de son épilepsie par le régime nazi. S’il n’a été que stérilisé, et non exécuté, c’était grâce au renom de son frère aviateur, héros du national-socialisme. Le fait même d’avoir été exclu de la dernière mobilisation alors qu’on recrutait des enfants et des vieillards témoigne de sa fondamentale marginalité au sein de la société. Ce personnage vit dans une contrée obscure de l’Eifel en élevant des abeilles dont il vend les produits, miel, bougies à base de cire d’abeille et produits à base de miel, liqueurs. En cela il suit les traces de son père apiculteur qui, se souvient-il, dessinait les abeilles, très en détail « comme s’il s’agissait d’un individu à part entière29 ». De lui, il a donc hérité cette empathie pour les abeilles et dès l’enfance quand il ne pouvait dormir, il trouvait déjà l’ultime réconfort auprès d’elles :
Je parlais à nos abeilles, je posais mon oreille contre la ruche et j’attendais leur réponse. J’écoutais le bourdonnement sourd qui montait et qui peu à peu se transformait en un doux murmure à la pulsation harmonieuse qui me semblait familier et réconfortant30.
Sous la fiction du manuscrit retrouvé, le journal donne un ton de réalité et d’authenticité d’autant plus intense que l’écriture journalière permet de nombreuses répétitions qui ancrent d’un ressort dramatique puissant l’existence de cet apiculteur original, dont la vie est scandée par le bruit des bombardiers. En outre, le journal offre un tableau historique et social documenté de la guerre vécue dans une petite cité à laquelle Hitler (affublé du dérisoire surnom de Jupp) n’accorda qu’une seule et brève visite, progressivement meurtrie jusqu’à la défaite.
L’écriture diariste au jour le jour adopte un ton neutre, objectif, lapidaire, loin de tout pathos, laissant au seul lecteur le soin de deviner et de prendre sur lui les possibles émotions. L’acte d’écrire pour le narrateur est en outre un acte de survie, l’effort de conserver le souvenir de la vie, que ce soit la sienne, celles des abeilles, des femmes qu’il baise ou des personnes fuyant la barbarie nazie. Mais le geste est tragique, car les pertes de mémoire sont fréquentes en raison de son épilepsie et le journal est fragmenté, fait de silence, de blanc et d’oubli, dans cette guerre intérieure qu’il mène contre sa maladie. Des notes qu’il consigne au jour le jour, il dit qu’elles le maintiennent en vie : « elles sont mon unique souvenir ». Cette fonction mémorielle a une fonction testimoniale dont témoignent également les pages du manuscrit de son ancêtre Ambrosius, un moine bénédictin du xve siècle dont il recopie les fragments de sa vie, entrelardés de sa propre histoire. Il retrouve dans le passé le mythe chrétien de l’abeille et s’il compare la vie dans un monastère à celle d’une ruche, c’est qu’Ambrosius lui-même vénère le miel et les abeilles dont il aurait introduit dans l’Urftland l’espèce Carnica. Arimond pense que ses abeilles sont les mêmes, l’apis mellifera carnica, que celles d’Ambrosius, ce qui induit au sein même de l’aspect décousu offert par le journal l’idée d’une continuité et par-delà la contingence celle d’une éternité sourde, d’une immortalité transcendant le temps, avec la perpétuation des abeilles dont « la colonie serait aussi parfaite et immortelle que l’âme humaine à l’état pur » ; car l’abeille serait la seule créature à être passée telle quelle du paradis à notre monde sans le stigmate du péché originel31.
L’histoire qui débute en janvier 1944 se passe alors que les bombardiers alliés ne cessent de sillonner le ciel de l’Eifel, région frontalière de l’Allemagne avec la Belgique. Arimond s’occupe de ses abeilles et va l’après-midi à la bibliothèque, où il a dispersé astucieusement ses propres livres pour les cacher au lieu de les brûler comme l’aurait voulu la Gestapo et où il a entrepris de traduire les manuscrits du moine Ambrosius qui racontent le retour du cœur de saint Cusanus conservé dans du miel. Il entretient plusieurs aventures avec des femmes du village dont les maris sont au front. La nuit, il transporte des clandestins juifs à la frontière belge dont les transferts lui sont indiqués anonymement par un code marqué dans un des ouvrages de la bibliothèque reliés en cuir de vache listant la quantité de minerai de plomb extrait et les salaires des ouvriers certaines années et qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de consulter. À la fin, le médicament contre l’épilepsie venant à manquer, ses crises sont de plus en plus fréquentes tandis que la situation générale est de plus en plus catastrophique.
L’apiculteur Arimond est un personnage complexe. Il prend grand soin de ses abeilles pour qu’elles passent le mieux possible l’hiver, car elles doivent assurer la pérennité de la ruche. La cohésion de la ruche s’oppose symboliquement à la barbarie destructrice nazie. S’il s’occupe à faire passer des juifs la nuit, grâce à des transports de ruches, c’est autant pour marquer sa résistance au régime nazi, que pour l’argent lui permettant de se procurer les médicaments antiépileptiques. Ni salaud, ni héros, l’homme est pris dans les engrenages de l’existence. Ainsi en est-il pour les nombreuses femmes avec lesquelles il couche profitant de l’absence de leurs époux32, « faisans dorés » (terme désignant les fonctionnaires nazis) ou simples soldats, pour lesquels il n’éprouve guère de compassion tout comme son absence de commisération pour les Juifs qu’il cache ou ces jeunes qui partent au front. Son absence d’émotion devant les immeubles en ruines, les cadavres des civils et les horreurs de la guerre font de lui un homme sans qualité et dont l’indifférence ne cesse que lorsqu’il s’intéresse aux abeilles. Mais sans doute cette froide indifférence est-elle le seul moyen d’une nécessaire résilience dans cette vie de l’arrière avec la description des effets de la guerre, cette guerre qui « peut surgir à tout moment pour profaner aveuglément la nature et ses créatures33 ». Sombres tableaux que sont les changements apportés à la nourriture qui se fait de plus en plus rare : le café d’orge, gâteau à base de carottes et de pommes de terre, le Konsum aux étagères vides, l’absence de farine, la mauvaise chicorée, mais aussi à la vie des gens : l’annulation des congés des soldats, les déplacements de population, les invalides de retour du front, la disparition de la population juive, la présence de nombreux travailleurs forcés (« il n’y a pratiquement plus que des femmes et des enfants, des fonctionnaires, des sentinelles, hormis les Polonais, les Russes et les Ukrainiens détenus qui travaillent dans la cimenterie, dans l’usine Zeiser ou dans les fermes des villages environnants34 »), le reflet rouge des villes en feu à l’horizon35 et surtout les cercueils vides de ceux qui sont tombés en Russie ou en Afrique qu’on enterre. Et ces enfants qui hissent le drapeau avec la croix gammée ignorant encore du sort qui les attend :
Les nouvelles de ceux qui sont tombés à la guerre n’en finissent plus […]. Une fois de plus, un de mes élèves est tombé, Friedrich, il n’avait pas dix-huit ans. On entend sonner le glas, il y a tellement d’enterrements qu’ils ne sont plus aussi solennels qu’au début de la guerre, ils sont trop nombreux.
L’aveuglement des uns, le défilé des jeunesses hitlériennes et l’idolâtrie nazie sont confrontés à la réalité des morts : « Il n’y a pas de famille où un fils, un père ou un parent proche n’ait été tué36 ». Mais tout cela est rapporté par un narrateur qui parle de manière indifférente, sur un ton abstrait, froid, sans empathie à l’inverse de l’affection qu’il porte aux abeilles.
Des abeilles en effet il en parle avec précision au point que l’ouvrage, par ses évocations, prend parfois l’allure d’un traité poétique d’apiculture.
Je reste assis à la fenêtre devant ma machine à écrire, je rêve, j’ai hâte de voir de nouveau les abeilles s’envoler, s’en aller butiner le nectar et le pollen, hâte de voir de nouveau leurs petits corps briller au soleil, d’écouter leur bourdonnement, assis sur un tabouret à côté de leurs trous de vol37.
Le lecteur est informé de nombreux détails propres à l’élevage des abeilles38 et les travaux nécessaires afférents, la réparation des cadres, aux soins de la ruche, l’essaimage, la ponte de la reine, les opercules, la longévité, la nosémose, les parasites et les maladies dont il parle à Karl von Frisch, et surtout la manière qu’elles ont de se tenir chaud l’hiver.
Les inspections des ruches, le souci de voir comment les colonies ont passé l’hiver39 et le souhait « si seulement les abeilles pouvaient avoir aussi chaud que moi40 » est touchant.
Après le petit déjeuner j’inspecte quelques ruches dans le jardin. Les colonies sont encore agglutinées, la toile de jute sur les cadres à peine réchauffée. Le nid du couvain doit donc être assez petit. En soulevant les cadres, le poids me montre que je n’ai pas besoin de les nourrir maintenant. Je cache le carnet entièrement rempli de mes notes dans une des ruches, je suis soulagé chaque fois que je le sais enfin en sécurité sous la garde de mes abeilles41.
Cette fonction protectrice des abeilles s’avère efficace lorsqu’elles participent directement au sauvetage des Juifs. Les fugitifs, cachés dans les ruches, sont affublés de bigoudis empruntés à ses conquêtes féminines et dans lesquelles il a emprisonné des reines de sorte qu’au moindre danger les abeilles viennent recouvrir le passager d’un inoffensif manteau qui le dissimule aux yeux de la police militaire.
Hier soir, j’ai discrètement subtilisé un des bigoudis de Maria […]. Ils conviennent parfaitement bien comme moyen de transport pour les reines et on peut facilement les attacher aux vêtements des fugitifs avec une épingle de sûreté. Pour chaque fugitif j’ai généralement besoin de quatre bigoudis que j’équipe d’une reine chacun (…) cela suffit pour couvrir tout le corps d’un bouquet d’abeilles comme une robe de perles sonores mordorées.
Une reine dans le bigoudi, voilà qui témoigne de la proximité des abeilles et des femmes, ce que le père d’Arimond lui avait autrefois appris : « Mon père était persuadé que notre amour pour les femmes et les abeilles remontait à ses ancêtres ». Il se souvient d’ailleurs non seulement du moine défroqué, mais aussi des ruches égyptiennes dans les bateaux (Mellifera lamarcki42) associées au souvenir d’une femme, de Virgile et plus loin encore.
Femme, mère, berceuse, le chant des abeilles est pour l’apiculteur une douce mélodie dont il sait apprécier les nuances :
Je vais voir les abeilles, je mets à nouveau mon oreille contre les ruches et je les entends fredonner très doucement, chaque ruche a une mélodie qui lui est propre. Elles vont bien, les bombardements ne semblent pas les déranger du tout43.
Lorsque les crises s’aggravent, il voudrait se souvenir du chant de ses abeilles, mais le grondement et le sifflement de chasseurs-bombardiers vient interférer ses efforts.
L’un des traits stylistiques du journal de l’apiculteur est la coexistence de notes hétérogènes, mêlant côte à côte abeille, femme, guerre. En particulier une coïncidence remarquable est établie entre le vrombissement des avions anglais et américains et le bourdonnement des abeilles. Si les abeilles sont observées avec précision, les avions ne le sont pas moins ; aussi sont-ils énumérés et décrits : « Des bombardiers Martin-B26 Marauder, des bombardiers Lightning, Maryland et Lancaster. Je les reconnais à leur bruit de moteur […] Ce sont de gros avions de chasse qui lâcheront leurs bombes au-dessus des villes et des installations industrielles de la Ruhr ». Mais les abeilles sont bien au contraire une image de la vie, elles sont pacifiques, non agressives et la colonie est vue comme « un organisme qui inspire au printemps, expire en été et se repose en automne et en hiver44 ».
Il y a sans doute un parallèle possible entre la guerre des hommes et celle des abeilles. D’abord lorsqu’il y a du brouillard, les avions-alliés attendent au sol tandis que les abeilles restent dans la ruche : « sans soleil, elles sont désorientées, et les fleurs ont de toute façon fermé leurs calices45 ».
Devant la ruche dans l’herbe, il y a des mâles tués et mutilés. Partout dans les couloirs sombres des ruches, les ouvrières ont commencé le carnage. Couchés sur le dos, les anciens favoris de la reine tentent de repousser les attaques furieuses, mais en vain. On leur arrache leurs ailes fines, crève leurs yeux qui scintillent comme des éclats de diamant. Ils sont impitoyablement attaqués et tués, comme des envahisseurs extraterrestres n’appartenant pas à leur peuple46.
Mais il existe en dépit du rapprochement possible, une différence de nature lorsqu’il croit entendre la nuit « les cris plaintifs des jeunes reines ; ce sont les cris sinistres qui proviennent de l’intérieur de leurs cellules, par lesquelles elles appellent la vieille reine à se battre47 ». Si les ouvrières ne les laissent pas encore sortir de leurs prisons, c’est dans le cycle de la nature établi depuis des millions d’années, « bien avant que les hommes ne s’établissent dans le Urftland48 ». Le narrateur met en relief la fausseté de l’analogie car si les abeilles sont cruelles, c’est pour leur survie et la continuité de l’espèce alors que la folie destructrice des nazis est animée par la misanthropie et la haine (à l’exemple du pharmacien refusant de vendre le précieux médicament antiépileptique à Arimond, qu’il considère comme un dégénéré inutile).
Aussi la juxtaposition de l’insecte et de la machine fait-elle ressortir l’abîme qui sépare la nature et la mécanique, le temps linéaire des aviateurs et le temps de la nature, de même que l’organisation sociale collective des ruches s’oppose à celle du régime nazi et plus généralement sans doute de toute société qui dresse les hommes les uns contre les autres.
Arimond partage sa connaissance des avions à leur bruit avec son frère Alfons devenu aviateur, ayant réalisé son désir de vol et qui rêve de devenir un jour « pilote d’étoiles ». Si l’apiculteur trouve dans son métier un refuge et un équilibre, c’est dans un avion de chasse que son frère trouve un soulagement dans le fait d’échapper à l’attraction terrestre. Les deux hommes ont depuis l’enfance rêvé de trouver la sécurité dans les grottes de la mine désaffectée et de son lac souterrain où Arimond cache maintenant les fugitifs qu’il aide à s’échapper.
Les abeilles d’hiver donnent à l’apiculteur un sentiment de sécurité et de sérénité car les abeilles qui « vivent dans un monde différent, apparemment pacifique, et ne s’intéressent pas à la guerre » ne lui sont pas hostiles, parce qu’elles pensent qu’il fait partie de leur colonie. Arimond rêve de partir, mais personne ne s’occuperait alors des abeilles et elles seraient perdues. La société apicole lui apparaît comme un monde différent. Il s’interroge sur la manière mystérieuse qu’ont les abeilles de communiquer, celle de la reine avec les larves, et sur leur danse énigmatique : « je me demande ce que les abeilles me disent exactement de leur monde lorsqu’elles dansent sur leurs rayons dans l’obscurité de la ruche49 ». Ce ballet qui intrigue Karl von Frisch reste encore incompréhensible, « un monde pour nous plonger dans l’obscurité50 ». Ce qui n’empêche pas la tentation de s’identifier aux abeilles et à cet autre monde :
Le bruit des attaques ne semble pas déranger les abeilles ; elles vivent dans un monde différent, apparemment pacifique, et ne s’intéressent pas à la guerre. Elles rentrent de leurs vols de butinage chargées de pollen blanc, de chardons, de lis, de conifères et de camomilles provenant des prairies et des jardins environnants51.
Lorsqu’il fait calme et qu’il n’entend que les abeilles, Arimond se demande s’il n’est pas déjà dans cet autre monde qui hante ses rêves.
Dans la nuit je rêve que mes abeilles m’ont réchauffé, m’ont complètement enveloppé et que je suis devenu une part d’elles-mêmes. Elles essaiment avec moi et nous planons dans le ciel bleu, telles des myriades de parcelles d’or qui dansent, étincelantes […] plus tard, je me couche dans la prairie, je les regarde, désincarné, je suis un pur esprit, car toutes, chacune d’entre elles, ont emporté un peu de moi avec elles dans le ciel, je suis sauvé52.
S’il rêve que la vie des abeilles se confondra un jour avec la sienne, la douleur subsiste cependant : « Je rêve d’abeilles, je leur parle, j’ai parfois l’impression d’être moi-même une abeille, je me blottis contre mes sœurs pour me réchauffer ; mais je sens leurs piqûres, les dards brûlants et leur venin53 ». Il reste alors le fantasme de s’évader définitivement vers une planète inconnue et pacifique. Si Lars Gustaffson évoquait des espèces intelligentes venues de l’espace, l’invention allemande de grosses nouvelles fusées pourrait signifier là encore une évasion de science-fiction vite cependant démentie par Arimond :
Mon frère croit qu’un jour il sera possible d’aller sur la Lune avec de telles fusées. Mais leurs objectifs ne sont pas des planètes lointaines qu’elles seraient censées explorer, ce sont les grandes villes de Belgique, de France et d’Angleterre, où elles tuent des milliers de personnes d’un coup.
Le roman se termine par la fin du rêve ou son accomplissement, lorsque, après la fin de la guerre, Egedius Arimond « avec son costume blanc et son chapeau d’apiculteur […] ressemble à un astronaute qui aurait erré dans un avenir lointain sur une planète inconnue [rentrerai] maintenant de son expédition dans son vaisseau spatial en ramenant une espèce étrange et inconnue ». Là le récit s’arrête, car Egedius se trouve sur un champ de mines, rattrapé par l’histoire.
Un amas ardent
Avec le roman de Yamen Manaï, L’Amas ardent54, nous avons le portrait original d’un apiculteur tunisien menant aux abords du village de Nawa une existence d’ascète, sereine, en parfaite harmonie avec la nature, loin des hommes, à l’écart de l’actualité de la Tunisie contemporaine, auprès de ses abeilles qu’il appelle ses « filles » et pour lesquelles il donnerait sa vie sans hésitation.
Ses filles. C’est ainsi qu’il appelait ses abeilles. Tout Nawa le savait et connaissait l’amour qu’il leur vouait. À l’heure des récoltes, les villageois pouvaient mesurer cette passion et s’en délecter, après avoir pointé chez le Don au chant du coq pour chercher leurs pots de miel. L’environnement était idéal et un tel nectar était la juste récompense de cette harmonie entre l’homme et la nature. Dans leur terre, les paysans ne répandaient que de la bouse de vache et sarclaient à la main les mauvaises herbes. Il n’y avait dans le village aucun druide et on ne savait diluer que du sucre dans le thé. Loin de l’agriculture massive, de ses champs uniformes et de ses pesticides mortels, les abeilles butinaient toutes sortes de pollen, s’aventurant même dans les bois au pied de la montagne. C’est cette nature épanouie que le cœur épris du Don mettait en pot55.
Don, cet homme discret, de nature plutôt taciturne découvre un matin les corps mutilés et sans vie, éventrés, coupés en deux, de ses chères abeilles « au corps aussi fin et doux qu’un pouce de bébé » (26). Trente mille abeilles déchiquetées, ouvrières, butineuses, gardiennes.
Le cœur de la ruche n’avait pas été épargné. Ce mal n’avait pas de limite et il s’était faufilé jusqu’aux quartiers les plus sacrés. Les cellules étaient profanées, les opercules déchirés et les larves arrachées à la chaleur de leurs cocons… Le miel ? plus une goutte, disparu, comme bu à la paille ! Et au beau milieu du saccage, la reine… Mortellement blessée, les pattes adressant au ciel comme une dernière prière. Une colonie complète anéantie et pillée en l’espace de deux heures. Un massacre56.
Voilà un champ de bataille victime d’une guerre bizarre, un « mal étrange » et incompréhensible, d’autant plus douloureux qu’il entretenait avec elles une relation fusionnelle, n’en étant jamais piqué. Elle laissait même caresser « leur abdomen strié des lignes d’or et de miel tout dodu ». Il en admirait le fascinant ballet, chorégraphie délicate en qui il voyait la danse de la vie. Pour remédier au mal, Don va dans la forêt avec son âne chercher des reines sauvages pour redonner vigueur à ses ruches lors d’un tableau plein de poésie.
L’attaque mortelle est corrélative de l’arrivée d’une caravane électorale sillonnant l’arrière-pays en distribuant cadeaux et bonne nouvelle à la population illettrée en échange d’un bulletin de vote lors des premières élections libres. Le petit peuple de paysans des campagnes, particulièrement misérable, oublié des politiques, enchaîné dans ses traditions séculaires s’étonne des changements annoncés par le parti de Dieu, de ces hommes barbus, en tunique et parlant un vocable inouï et gobe naïvement les prêches incendiaires des « fous de Dieu ». Après enquête, il appert que ce sont des frelons inconnus jusqu’ici, qui ont attaqué sa ruche. Il s’était décidé à faire le guet et après avoir observé la venue d’un frelon géant, dont le vrombissement lourd et singulier ne présageait rien de bon. Deux heures après il vit alors arriver toute une escouade dont l’attaque prenait des images toutes guerrières. Le bourdonnement d’une folle intensité ressemblait au « son d’un clairon qui annoncerait la guerre » :
La cavalerie sortit du bois […] Une horde de frelons géants jaillissait d’entre les arbres, velus, de noir vêtus, affichant en plein jour leurs intentions assassines. […]
Rapidement, les colonies s’organisèrent en configuration de défense. Les reines regagnèrent les quartiers sacrés, les butineuses et les ouvrières se mirent à l’abri, les faux bourdons se postèrent en nombre sur les planches d’envol et certains d’entre eux volèrent de devant les ruches, formant un premier bouclier.
Les pillards étaient sûrs de leur supériorité dans l’art barbare de la guerre et passèrent subitement à l’offensive découpant à coups de mâchoires, transperçant à coups de dard. « Le pilonnage était constant et à très haute fréquence. Les corps s’accumulaient à une incroyable vitesse et commençaient à former un « petit tas au pied de la citadelle57 ». La description des milliers de cadavres agonisants donne l’ampleur de cette mécanique macabre et à l’anéantissement de la ruche par ces impitoyables prédateurs. Don chercha à arrêter cette frénésie meurtrière, en tua un certain nombre et se demanda d’où venaient ces frelons noirs. C’est alors qu’il a l’idée que le frelon n’était pas le fruit d’une évolution opérée par la nature, mais le signe d’une nature détraquée par des hommes inconscients. « Ce déséquilibre dans l’écosystème porte l’empreinte de mes semblables, conclut Don58 ». La découverte du nid des frelons dans la caisse de couvertures apportée par les barbus expliquait l’origine des insectes. Le parallèle établi entre les frelons et les frères musulmans est plein d’ironie. Le mal venu d’ailleurs n’est pas uniquement le frelon asiatique contre lequel les abeilles locales sont sans défense, mais aussi l’obscurantisme des fanatiques (sortes de frelons humains) qui disposent aisément des paysans incultes.
Pour comprendre et savoir, il se rend à la ville et chez des amis, sa filleule dont le mari universitaire trouve dans un livre de la bibliothèque de l’université la description de l’insecte, Vespa mandarinia, ou frelon asiatique géant, description tout à fait effrayante, mais il est aussi noté que seules les abeilles japonaises, les apis mellifera japonica ont réussi à développer une technique de défense efficace, appelée l’amas ardent :
Quand les japonica détectent la présence d’un éclaireur venu marquer leur ruche, elles l’encerclent par centaines puis l’encapsulent, formant de leurs corps une boule dont il est le noyau. Elles vibrent alors collectivement, ailes contre ailes, et font grimper la température de la boule à quarante-cinq degrés Celsius. Au bout de quelques minutes, il meurt rôti au centre de l’amas ardent. Les abeilles quant à elles survivent jusqu’à quarante-huit degrés. Ces trois degrés de différence sont tout l’avantage qu’elles ont sur leurs agresseurs. […] Une fois le frelon grillé, les abeilles reprennent leur aspect distinct, nettoient les tags de phéromones et se remettent au travail59.
L’idée vient alors au couple qui héberge le vieil homme d’aller au Japon chercher des reines pour introduire cette technique de défense aux abeilles de Don. La visite de l’exploitation apicole japonaise leur fait rencontrer un apiculteur qui ressemble à Don avec sa voix harmonieuse, les mêmes gestes de caresser ses filles : « Ils avaient la même silhouette, la même gestuelle et le même amour dans la voix. Tels des frères d’une seule et unique mère, songea-t-elle, Mère Nature60 » et la même générosité dans le don gratuit de vingt reines. Mais la bêtise crasse de l’administration tunisienne (longuement décrite) fait arrêter le mari, le doyen de la faculté des sciences à son arrivée à l’aéroport et le procureur fait détruire les abeilles. Fort heureusement une reine cachée dans un autre endroit échappe au massacre et permet un heureux avenir aux ruches de Don (qui entretemps avait été trouver et dénicher le nid de frelons dans la forêt, qu’il avait ensuite laissé tomber lorsqu’il rencontra des djihadistes ayant commis un massacre sur des soldats. La libération des frelons fut la fin de ceux qui s’étaient livrés à la mort des gardes frontaliers. L’auteur eut sans doute plaisir à faire la satire des absurdes dérives de ses congénères.
De cet apiculteur qui sert à représenter le bon sens traditionnel envers la modernité et la corruption des esprits, nous avons l’image d’un homme fier et indépendant (dégoûté d’avoir mis genou à terre devant le prince alors qu’il était en Arabie saoudite), dégoûté de l’argent et des orgies des puissants buvant de l’alcool et dégoûté devant le manque de vertu des femmes qui trempe leurs corps dans le miel pour y coller ensuite des billets de banque. Courageux et habile, plein de dextérité et vif (grâce au nectar de ses filles) quand il s’attaque aux frelons (mais prudent, car enfilant pour une fois sa combinaison d’apiculteur), Don est un homme religieux sans aucune bigoterie, qui vénère la beauté et la précision de l’œuvre divine dans les abeilles. Le portrait tendre et touchant de l’apiculteur sert une allégorie politique montrant qu’à l’image des abeilles menacées d’extermination, le fanatisme islamiste est porteur d’intolérance et de mort, ce que le narrateur développe avec une ironie cruelle, une vivacité pleine d’humour et une tendresse poétique rappelant l’importance de la nature.