Stratégies des marques face à leur appropriation par un artiste : Analyse réalisée à partir d’œuvres appartenant au mouvement du pop art et à ses héritiers

Brand Strategies in the Face of their Appropriation by Artist: Analysis Based on Artworks Belonging to Pop Art and its Descendants

DOI : 10.52497/kairos.810

Résumés

Cette recherche s’intéresse au rapprochement entre le monde commercial des marques et celui de l’art, deux mondes a priori distincts. À cet égard, essentiellement depuis le xxe siècle, la sphère artistique tend à être de plus en plus enchevêtrée avec celle des marques, ces dernières pouvant être exploitées pour des produits, des services, des enseignes de distribution, des organisations, des zones géographiques, des individus… L’essor de cet enchevêtrement peut s’expliquer par la propagation du postmodernisme dans les sociétés occidentales depuis la deuxième moitié du xxe siècle, ses dimensions fragmentation, acceptation de la différence, juxtaposition paradoxale des oppositions et hyperréalité jouant un rôle particulièrement important. Cet enchevêtrement occasionne deux types de relations. En effet, certaines peuvent être instaurées par des marques, et en général, elles donnent lieu à des collaborations, alors que d’autres peuvent être initiées par des artistes sans sollicitation de la marque. Les premières relations ayant suscité des recherches nombreuses, cet article va se concentrer sur les secondes qui sont moins souvent appréhendées. Il propose plus précisément de répondre à la question suivante : quelle(s) stratégie(s) une marque peut-elle adopter face à son appropriation par un artiste ? Pour répondre à cette question, cette recherche débutera par une revue de littérature consacrée à l’art destinée non seulement à expliciter l’appropriation dans le domaine de l’art mais aussi à exposer les mouvements artistiques les plus susceptibles de procéder à une telle appropriation (pop art, néo pop art, hyperréalisme, street art et art urbain). La mise en exergue des mouvements s’avère, en effet, être un préalable à la mise en place des stratégies qui seront détaillées dans la seconde partie. La conclusion suggèrera quelques apports, limites et voies de recherche.

This research focuses on the rapprochement between commercial world of brands and that of art, two worlds that are a priori distinct. Indeed, essentially since the 20th century, the artistic sphere tends to be more and more intertwined with brands that can be used for products, services, retail chains, organizations, geographical areas, individuals... The rise of this intertwining can be explained by the spread of postmodernism in Western societies since the second half of the 20th century, its dimensions of fragmentation, acceptance of difference, paradoxical juxtaposition of opposites and hyperreality playing a particularly important role. This intertwining causes two types of relations. Indeed, some can be initiated by brands, and in general, they give rise to collaborations, while others can be instigated by artists without having solicited the brand. The first relationships having generated to numerous researches, this article will focus on the second ones which are less often studied. Specifically, it proposes to answer the following question: what strategy(ies) can a brand adopt when faced with its appropriation by artists? To answer this question, this research will begin with a literature review dedicated to art intended not only to explain appropriation in the art field, but also to present the artistic movements most likely to realize such appropriation (pop Art, neo-pop Art, hyperrealism, street art and urban art). The highlighting of movements turns out, indeed, to be a prerequisite for the implementation of the strategies which will be detailed in the second part. In conclusion, some contributions, limitations and future research directions will be outlined.

Index

Mots-clés

marque, appropriation, stratégies, pop art, street art, hyperréalisme

Keywords

brand, appropriation, strategies, pop art, street art, hyperrealism

Plan

Texte

Introduction

Aujourd’hui, une marque, qui correspond à « un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin ou toute autre caractéristique qui différencie les biens ou services d’un vendeur de ceux des concurrents1 » peut être apposée sur des entités multiples et diverses. En effet, une marque peut être exploitée aussi bien pour des produits, que pour des services, des organisations (entreprises, associations, clubs sportifs, musées, universités…), des zones géographiques (villes, régions, pays…), des individus (sportifs, designers, artistes…) (Heilbrunn, 2017). Essentiellement depuis le xxe siècle, les marques et l’art, deux univers a priori intrinsèquement distincts multiplient les rapprochements (Lehu, 2011) qui tendent à les enchevêtrer (ex. : une marque fait appel aux services d’un artiste pour réaliser un visuel publicitaire, un artiste détourne une marque). Cette évolution peut s’expliquer par la propagation du postmodernisme dans les sociétés occidentales depuis la deuxième moitié du xxe siècle (Cova, 1996). À l’origine, le mouvement postmoderne est apparu dans l’architecture durant les années 1970, en réaction aux approches académiques imposées par le mouvement moderne, afin de la réenchanter (Pradel, 1999). Le postmodernisme refusant de privilégier une perspective spécifique, cette architecture se caractérise alors par la présence de juxtapositions opposées et décousues (ex. : assemblage possible du rococo, du roman, du moderne…) (Firat et Venkatesh, 1995). Plus généralement, une synthèse des recherches menées par Brown (1994), Firat (1991, 1992) et Firat et Venkatesh (1995) permet d’établir que le postmodernisme peut être caractérisé par sept dimensions, les quatre premières contribuant tout particulièrement à l’enchevêtrement des mondes de l’art et des marques (Tableau 1).

Tableau 1 : Les différentes dimensions du postmodernisme.

Brown (1994) Firat (1991, 1992) Firat et Venkatesh (1995)
– Fragmentation – Fragmentation
– Suppression des différenciations – Acceptation de la différence
– Pastiche – Juxtaposition paradoxale des oppositions
– Hyperréalité – Hyperréalité
– Anti-universalisme – Détachement vis-à-vis des méta-récits
– Décentralisation du sujet
– Inversion entre la production et la consommation

La fragmentation fait référence à la gamme désordonnée des images générées par les médias, à la désintégration de la connaissance, de la vie sociale et politique… et à celle du soi (Brown, 1994). La fragmentation peut être accrue par un postmodernisme libératoire qui désigne la prolifération de pratiques micro-émancipatrices mises en place par des individus pour pouvoir se libérer de la domination du marché. Ces pratiques sont susceptibles d’occasionner une résistance (Holt, 2002) pouvant prendre la forme d’une déconsommation, d’une rébellion contre les objets et le système de consommation, de leur rejet (Cova, 1996). Plus précisément, la résistance désigne un « état motivationnel qui […] pousse [un consommateur/un individu] à s’opposer à des pratiques, des logiques ou des discours marchands jugés dissonants et conduisant à […] des formes de réponses déclenchées par cet état – les manifestations de résistance – qu’il oppose à ces pratiques, logiques ou discours marchands jugés dissonants » (Roux, 2007 : 70). La résistance peut être exprimée de manière passive (ex. : arrêt des relations avec un prestataire) ou active (ex. : lutte, révolte, détournement culturel également appelé culture jamming, boycott, activisme anti-marque) (Roux, 2007 ; Cambefort, 2016). Elle peut concerner le système commercial/marketing (ex. : actions relevant de l’anti-consumérisme) ou des cibles plus précises (ex : mouvements antipublicité aussi appelés adbusting) (Lee et al., 2009).

  • La suppression des différenciations (acceptation de la différence) renvoie à la disparition des hiérarchies traditionnellement établies (ex. : culture « élitiste » et culture « populaire ») et à une rencontre, plus ou moins fusionnelle, entre des domaines clairement cloisonnés (ex. : science et religion) (Brown, 1994).
  • Le pastiche (juxtaposition paradoxale des oppositions) désigne la juxtaposition de tout (Firat, 1991 ; Firat et Venkatesh, 1995) puisqu’il correspond à un amalgame entre des styles passés ou entre des codes existants (Brown, 1994). Les domaines susceptibles de faire l’objet d’un pastiche doivent être très typés et connus des individus auxquels il est adressé (Riou, 1999). Le pastiche doit être distingué de la parodie avec laquelle il est souvent confondu. En effet, même s’ils impliquent tous les deux l’imitation, et même plus précisément le mimétisme, le pastiche constitue une pratique neutre, une parodie qui a perdu son sens de l’humour (Jameson, 1983).
  • L’hyperréalité (Baudrillard, 1981) fait référence à l’essor du monde de la simulation dans lequel les images n’entretiennent aucun rapport avec la réalité et l’artifice est plus attrayant que la chose réelle. L’authenticité tend à disparaître (Brown, 1994) et le recyclage remplace la création (Cova, 1996). Plus précisément, l’hyperréalité « représente une réalité différente de la réalité objective – matérielle – perceptible qui conduit à ne plus pouvoir faire la différence entre le « vrai » et le « faux ». Cette réalité différente est générée par un processus, celui de simulation, qui remplace le réel par les signes du réel, par une construction du réel…. » (Graillot, 2005 : 51). Certains artistes deviennent alors des manipulateurs de signes, plus que des producteurs d’objets d’art, et les spectateurs, des lecteurs actifs de messages plutôt que des contemplateurs passifs d’une esthétique (Foster, 1985).
  • L’imbrication des mondes des marques et de l’art conduit à la création de relations qui peuvent être de deux types :
    • certaines peuvent être initiées par des marques, et en général, elles donnent lieu à des collaborations (ex. : logo Chupa Chups créé par Salvador Dalí). Ces relations peuvent s’expliquer par les objectifs économiques souvent assignés aux marques qui doivent contribuer à la croissance des organisations qui les détiennent. Les marques peuvent aussi poursuivre des objectifs d’images. Dans ce cas, elles cherchent à s’approprier des symboles artistiques qui peuvent s’avérer nécessaires pour élaborer une stratégie de différenciation et de séduction et plus généralement d’esthétisation (Michel et Borraz, 2015).
    • D’autres peuvent être occasionnées par des artistes sans sollicitation de la marque (ex. : Campbell’s Soup Cans (Warhol, 1962)). Ces relations relèvent de la cocréation non collaborative (Kristal et al., 2018). En intégrant une (ou plusieurs) marque dans une œuvre, un artiste peut désirer se rapprocher du réel (Michel et Borraz, 2015), dénoncer des situations sociales, politiques (Baumgarth, 2018)… Cette pratique d’intégration peut être qualifiée d’appropriation de marque(s) par un artiste.

Les premières relations ont suscité des recherches nombreuses puisque leurs résultats intéressent directement les marques. Ces recherches se sont, par exemple, intéressées aux effets de l’infusion de l’art qui fait référence à un impact positif non seulement des arts classiques sur l’évaluation d’une marque (Hagtvedt et Patrick, 2008) mais aussi des arts urbains (street art et graffiti) sur l’évaluation des produits (Baumgarth et Wieker, 2020). Les secondes relations étant moins souvent appréhendées (Kristal et al., 2018), cet article propose d’enrichir ce champ de recherche en répondant à la question suivante : quelle(s) stratégie(s) une marque peut-elle adopter face à son appropriation par un artiste ?

Les œuvres considérées dans cet article relèvent des arts plastiques et plus exactement des arts visuels (peinture, dessin, collage, pochoir…) et de façon moindre de la sculpture. De plus, seules les œuvres produites depuis les années 1950 et appartenant au mouvement du pop art et à ses successeurs sont examinées en raison des rapports qu’ils entretiennent avec le quotidien et la culture de consommation même si l’insertion de marques dans des œuvres peut s’observer dans des mouvements antérieurs (ex. : Portrait du père de l’artiste en train de lire « L’Évènement » (Paul Cézanne, 1866)) (Michel et Borraz, 2015). En outre, les artistes mentionnés figurent sur au moins l’une des plateformes numériques dédiées au marché de l’art (Artsper, Artnet, Artsy) et/ou sont représentés par l’une des galeries d’art contemporain internationales (ex. : Gagosian, Perrotin, David Zwirner) et/ou sont cités sur l’un des sites de maison de vente aux enchères (ex. : Christie’s, Sotheby’s, Phillips) et/ou sur le site d’un musée (ex. : Centre Pompidou, MOMA).

Pour répondre à la question posée, une première partie se composera d’une revue de littérature consacrée à l’art destinée non seulement à expliciter l’appropriation dans ce domaine mais aussi à exposer les mouvements artistiques les plus susceptibles de procéder à une telle appropriation. Cette mise en exergue des mouvements s’avère, en effet, être un préalable à la mise en place des stratégies qui seront détaillées dans la seconde partie. La conclusion suggèrera quelques apports, limites et voies de recherche.

Le phénomène d’appropriation des marques par des artistes

La stratégie d’appropriation consiste pour des artistes à puiser leurs modèles dans une imagerie appartenant à la culture populaire, publicitaire, cinématographique, médiatique ou à la peinture (Edwards, 2004). L’histoire de l’art considère que l’appropriation désigne des procédés introduits par des mouvements du xxe siècle, comme le dadaïsme ou le pop art…, conduisant à créer une œuvre en utilisant des objets ou des images appartenant souvent au monde de la consommation (Derlon et Jeudy-Ballini, 2015). Un artiste ne demande alors aucune autorisation pour s’approprier quelque chose qui ne lui appartient pas (Uzel, 2019).

Les marques pouvant représenter des images susceptibles d’être appropriées, ce paragraphe va s’intéresser à l’origine de l’appropriation et aux démarches qu’elle suscite dans le domaine artistique puis aux principaux mouvements la mobilisant.

Origine et démarches d’appropriation dans le domaine de l’art

Le ready-made est à l’origine de l’appropriation

Le phénomène d’appropriation entretient des relations avec le ready-made. En effet, ce dernier a participé à l’introduction et à la diffusion du banal et du quotidien dans l’art comme vont le préciser les développements suivants.

Le ready-made a été initié par Marcel Duchamp lorsqu’il a exposé dans un musée des objets banals (Ruhrberg, 2005), c’est-à-dire des produits industriels préfabriqués (Schneckenburger, 2005). Ces objets ont alors acquis un statut d’œuvre d’art à l’instar de Fontaine (Duchamp, 1917) (Ruhrberg, 2005) qui correspond à un urinoir que Duchamp a renversé, a signé R. Mutt et auquel il a attribué une date et un titre Fontaine. Ces différents actes ont fait disparaître la valeur d’usage de cet objet du quotidien et l’ont transformé en œuvre d’art. En s’emparant d’objets manufacturés (ex. : roue de vélo, urinoir…), Duchamp souhaite montrer que l’art correspond seulement à une convention et qu’il est déterminé par le spectateur (Schneckenburger, 2005). Duchamp a exercé une influence majeure sur l’art contemporain en Europe et aux États-Unis et notamment sur le pop art qui « faisait entrer des « objets finis » dans le tableau » (Ruhrberg, 2005 : 131). Plus généralement, cet artiste a introduit la transgression, l’effacement des limites, la notion d’objet d’art. Il a favorisé la participation du spectateur au projet artistique… (Ruhrberg, 2005). Ces contributions incitent à rapprocher Duchamp du mouvement Dada qui a remis en cause la hiérarchie des valeurs (Schneckenburger, 2005), rejeté les contraintes esthétiques et effacé les frontières entre les différentes formes d’art (Gouyette, 2021).

Le ready-made est fondamentalement lié à l’humour qui était particulièrement recherché à l’époque de son apparition (Marcadé, 2014). Il s’est développé durant les années 1960 en même temps que son successeur qui correspond à l’assemblage (Schneckenburger, 2005). Le ready-made a participé à l’apparition d’artistes de l’objet (Schneckenburger, 2005) et d’artistes souvent provocateurs et subversifs qui utilisent/recyclent tous les matériaux à leur disposition (Gouyette, 2021).

Les démarches d’appropriation dans le domaine de l’art

L’appropriation, en conduisant des artistes à emprunter des images et/ou des objets liés à la culture visuelle du spectateur, permet de mettre en place un système de références et de signes. Elle soulève donc la question de l’originalité d’une œuvre d’art (Trespeuch, 2013).

Dans la sphère artistique, plusieurs démarches d’appropriation peuvent être distinguées :

  • la copie : elle consiste à reproduire fidèlement un tableau existant (ex. : D’après Van Eyck (Andrea Ravo Mattoni, 2018) réalisé à la bombe est une copie de L’Homme au turban rouge (Jean Van Eyck, 1433)) (Gouyette, 2021) ;
  • outre la « copie soucieuse de fidélité », le kitsch représente une autre forme de copie. En effet, il correspond à une « copie avec variations » de valeurs « acceptées sans examen comme belles » (Wahl et Moles, 1969 : 108). Il consiste à copier, à imiter de manière caricaturale et à reproduire industriellement un style passé, géographique, culturel…, autrement dit sans respecter ses codes (Sterckx, 2009). Il représente un phénomène social universel caractéristique d’une société de masse et il incarne une négation de l’authentique. De plus, un objet kitsch possède plusieurs propriétés : des contours régis par des courbes qui sont liées, des surfaces remplies (principes d’entassement et de décoration), une combinaison de couleurs, des formes aux dimensions irréelles (Moles, 1971). Actuellement, le kitsch se répand car il répond à la quête d’hédonisme. Il « impose son esthétique surchargée et éclectique ». Il fait l’objet d’une réhabilitation et devient légitime. Aujourd’hui, deux types de kitsch se côtoient : un kitsch de premier degré avec ses couleurs et son faste et un kitsch de second degré décalé, intentionnel, affirmé, qui assume son mauvais goût et qui prend notamment la forme du bling-bling (Lipovetski et Serroy, 2013 : 313) (ex. : Ushering in banality (Jeff Koons, 1988) mobilise le style « saint-sulpicien » du xixe siècle (Pinguet, 2020), les sculptures de Sylvie Fleury (Lipovetski et Serroy, 2013)) ;
  • la citation : elle consiste à insérer dans un travail des éléments figurants dans des œuvres antérieures (ex. : La Flagellation du Christ (Ernest Pignon Ernest, 1990) représente en noir et blanc le Christ à la colonne présent dans La Flagellation du Christ (Caravage, 1607)) (Gouyette, 2021) ;
  • le pastiche : il désigne une œuvre dans laquelle un style est imité, l’objectif étant de passer pour authentique (ex. : Les Vendanges (Onie Jackson, 2021) pastiche le style de Picasso en réalisant notamment des corps disproportionnés, des visages déstructurés…) (Gouyette, 2021) ;
  • la parodie : elle consiste à tourner en dérision une œuvre antérieure (ex. : Untitled (Blu, 2018) parodie David (Michel Ange, 1501-1504) et Vénus de Milo (environ 100 av. J.-C.) pour caricaturer la société de consommation axée sur l’apparence) (Gouyette, 2021) ;
  • la mise en abyme : elle consiste à insérer une image dans l’image (ex. : Whitewashing Lascaux (Banksy, 2008) met en abyme l’art pariétal préhistorique et actuel) (Gouyette, 2021) ;
  • le détournement : le détournement de sens a été initié par le mouvement Dada et s’observe tout particulièrement dans les ready-mades de Duchamp (ex. : Last Supper (Icy & Sot, 2016) détourne le message de La Cène (Léonard de Vinci, 1495-1498) pour dénoncer un monde gouverné par un nouveau Dieu qui est l’argent) (Gouyette, 2021).

Principaux mouvements artistiques pratiquant l’appropriation de marques

Le développement de l’appropriation des marques par des artistes résulte de l’intérêt porté par l’art au quotidien et au banal en intégrant leurs matériaux et leurs objets comme l’ont mentionné les développements précédents.

Le pop art et ses différents courants

L’expression pop art a été introduite en 1955 par le critique d’art Laurence Alloway pour faire référence à des œuvres exploitant la culture populaire de masse en intégrant des marchandises/objets et des images appartenant à la vie quotidienne (Pradel, 1999).

Le pop art s’est développé durant les années 1950. Il est le descendant non seulement du ready-made mais aussi du happening. Ce dernier constitue un art de la performance (Pradel, 1999) inventé par Allan Kaprow (Ruhrberg, 2005) (ex. : 18 happenings in 6 parts (Allan Kaprow, 1959)) (Fricke, 2005). Il combine différentes formes d’expression et « bouscule les catégories esthétiques et les hiérarchies culturelles traditionnelles » (Pradel, 1999 : 39). Il correspond à une extension de l’assemblage (Schneckenburger, 2005).

Deux versions du pop art peuvent être distinguées (Ruhrberg, 2005) :

  • un pop art britannique qui cherche à « gomme[r] les frontières entre l’art et le quotidien, l’art et le kitsch » pour concevoir « un art pour tous sans barrières culturelles ». Lors de son apparition, deux tendances ont exercé une influence importante : une admiration pour l’American way of life (Ruhrberg, 2005 : 305) et la société de consommation américaine (Schneckenburger, 2005) et une fascination pour l’univers de Duchamp. Par la suite, l’enthousiasme fut moins prégnant, cette évolution favorisant la réflexion critique (Ruhrberg, 2005). Un tel changement s’observe notamment dans l’une des premières œuvres du pop art qui est un collage intitulé Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing? (Richard Hamilton, 1956) (Pradel, 1999). Ce collage illustre la thématique de la culture triviale américaine en présentant une « collection de symboles statutaires de la prospérité » tels une pin-up, une boite de conserve de pâté, une plaque Ford, une sucette agrandie sur laquelle est apposé le mot « POP », un aspirateur, une télévision, un tableau d’aïeul… (Ruhrberg, 2005 : 306). Très schématiquement, le pop art britannique présente trois caractéristiques :
    • la manifestation d’une fascination et d’une ironie face aux symboles de la société d’abondance américaine. Le recours au détournement permet de critiquer la société de consommation et ses idoles ;
    • l’utilisation du collage ;
    • la communication d’allusions et d’ambiguïtés réalisée par une composition raffinée qui s’oppose à la trivialité du sujet (Ruhrberg, 2005).
  • Un pop art américain qui s’inspire en partie de la publicité et qui s’intéresse à la réalité. De plus, il entretient des relations avec Duchamp et ses ready-mades et avec le mouvement de l’action painting. Ce dernier désigne l’action picturale spontanée (Ruhrberg, 2005). Il recourt notamment au dripping, cette technique consistant à laisser couler la peinture au travers de trous percés dans un pot, à la propulser à l’aide d’une seringue, d’un pinceau, d’une brosse… (ex. : Blue Poles, Number 11 (Jackson Pollock, 1952) (Pradel, 1999). Deux artistes sont perçus comme ayant particulièrement contribué à l’avènement du pop art américain : Jasper Johns et Robert Rauschenberg (Marcadé, 2014). Johns s’intéresse aux images de la vie quotidienne (Pradel, 1999) et aux choses simples et banales car elles sont impersonnelles et neutres (ex. : cibles, drapeau américain, cartes géographiques) (Ruhrberg, 2005). Il les reproduit sans projeter d’expression personnelle (Pradel, 1999). En outre, il fait intervenir la réalité extérieure dans la réalité de l’œuvre en intégrant des objets du quotidien comme des journaux, du fil de fer… (ex. : Painted Bronze (Jasper Johns, 1960)) (Ruhrberg, 2005). Pour sa part, Rauschenberg réalise des combine paintings qui assemblent peinture, références culturelles et médiatiques, objets insolites (Pradel, 1999) pouvant être contradictoires, collages… car il considère qu’une œuvre tend à être plus réelle quand elle comporte des morceaux de la réalité (ex. : Coca-Cola Plan (Robert Rauschenberg, 1958)). Les œuvres Painted Bronze et Coca-Cola Plan sont annonciatrices des thèmes qui seront exploités par la suite par le pop art américain :
    • la valorisation du trivial aux dépens du sublime ;
    • l’utilisation et la représentation des matériaux et des images du quotidien ;
    • la combinaison entre original et reproduction ;
    • la disparition de la frontière entre la peinture et « l’art de l’objet » (Ruhrberg, 2005 : 313).

Outre les pop arts britannique et américain, il peut être fait référence au mouvement français de la figuration narrative, apparu au milieu des années 1960. En effet, il est appréhendé comme constituant un pop art français intégrant une dimension satirique2. Les artistes appartenant à ce mouvement s’intéressent notamment au banal, aux objets du quotidien et à la réalité. Cependant, à la différence des pop artistes américains, ils ne se contentent pas d’emprunter à la culture populaire en préférant inventer et produire des récits plutôt que des inventaires. Les œuvres sont distancées et critiques (Pradel, 1999) et se caractérisent par une contestation de la société de consommation (Legrand, 2017).

Le pop art propose donc un dialogue avec la société de consommation (Crubilé, 2018). Il exploite la thématique du quotidien et il introduit le trivial dans l’art. Il accorde une importance particulière aux couleurs (Ruhrberg, 2005) (Tableau 2).

Tableau 2 : Exemples d’œuvres intégrant des marques et/ou certains de leurs personnages iconiques.

Pop art britannique Pop art américain Pop art français
(= figuration narrative)
Peter Blake
Some of the sources of Pop Art VI (2007) (Coca-Cola, Mickey)
James Rosenquist
Be Beautiful (1964) (Noxzema)
Erró
Foodscape (1964) (M&M’s, Nestlé, Dole, Coca-Cola, Green Giant, Baby Ruth, Knorr…)
Derek Boshier
Pepsi falling (1962) (Pepsi) Special P (1975) (Kellogg’s)
Andy Warhol
Coca-Cola (1962) (Coca-Cola) Campbell’s Soup Cans (1962) (Campbell’s) Kellogg’s Corn Flakes Box (1964) (Kellogg’s)
Gérard Fromanger
Paramount cinéma (1971) (Paramount)
Tom Wesselmann
Great American Nude #26 (1962) (Coca-Cola, Beefeater) Still Life #30 (1963) (7-Up, Dole, Kellogg’s, Breakstone’s)
Bernard Rancillac
Sainte Mère la Vache (1982) (Vache qui rit)
– Peter Saul Peter Saul vs pop art (2012) (Campbell’s)

Ces développements consacrés au pop art seraient incomplets sans mentionner le court métrage d’animation français Logorama (2009) qui met en scène environ 3 000 logos de marques sans avoir demandé l’autorisation à leur propriétaire. Pour le critique S. Kahn, Logorama représente « une œuvre pop… où le mauvais esprit et le détournement règnent en maîtres3 ». Pour sa part, Michel (2015 : 101) considère que ce film ne célèbre ni ne critique les marques et qu’il « rend hommage » à leurs logos et à leurs mascottes. Elle ajoute que les propriétaires ne se sont pas opposés à la diffusion car la présence de leur logo dans le film le fait accéder au statut d’objet culturel.

Les descendants du pop art

Les développements suivants vont faire référence à trois mouvements qui constituent des descendants du pop art : le néo pop art, l’hyperréalisme, le street art/art urbain.

Le néo pop art utilise les méthodes du pop art et s’est développé à New York à la fin des années 19804. Pour Guilbert (2009), il est possible de rapprocher de ce mouvement des artistes qui adoptent une attitude warholienne en procédant à une appropriation pop art de logos et de symboles du shopping. Leurs œuvres sont plus spécifiquement qualifiées de « marketo-arty » (89) (Tableau 3).

L’hyperréalisme, aussi appelé photoréalisme, s’est propagé au début des années 1960 (Pradel, 1999). Comme les œuvres du pop art, celles de l’hyperréalisme mettent en scène le quotidien et/ou intègrent des objets du quotidien pour offrir un autre regard sur la réalité et/ou l’interroger (Graillot, 2005). Pour évoquer la « vacuité des significations », les œuvres portent un regard neutre et objectif sur la réalité, mettent en avant le décor et l’apparence, soignent tout particulièrement les détails (Pradel, 1999 : 70). Le traitement en apparence neutre d’un sujet notamment lié à la société de consommation lui « confère un statut de témoin oculaire de notre temps et renforce son message. L’effet réaliste est porteur de vérité » (Gouyette, 2021 : 214) (Tableau 3).

Tableau 3 : Exemples d’œuvres intégrant des marques et/ou certains de leurs personnages iconiques.

Néo pop art Hyperréalisme Street art
Art urbain
Auguste
Bardot is Puzzle (2020) (Coca-Cola, Starbucks)
Robert Cuttingham
Joseph’s Liquors (1981) (7Up)
Banksy
Napalm (2004) (Mickey, Ronald McDonald’s) Burger King (2006) (Burger King)
Ron English
Last Supper with MC Supersized (2008) (McDonald’s, Mickey…)
Richard Estes
Lovell’S Lunch (1978) (Coca-Cola)
Blu
Untitled (2018) (Chanel, Prada, Versace…)
Sylvie Fleury
Chanel Shopping Bag (2008) (Chanel)
Ralph Goings
Double Ketchup (1996-1997) (Heinz)
EZK
Dans quel monde Vuitton ? (2018) (Vuitton)
Fringe
Gucci Vuitton (2020) (Gucci, Louis Vuitton)
Duane Hanson
Supermarket Lady (1969) (Purina, Coke….)
Speedy Graphito
Fragrance of heroes (2010) (Rolex, Paypal, WiFi, Paramount, Apple, NASA, Chupa Chups, KFC, Paramount…)
Ben Frost
Botox Forbidden Fruit (2015) (Botox)
Icy & Sot
Molotov (2014) (Coca-Cola)
Timothy Gatenby
Kanye Yeezus Last Supper (2020) (McDonald’s)
Kaws
Untitled (DKNY) (1997) (DKNY)
Jeff Koons
The Empire State of Scotch, Dewar’s (1986) (Dewar’s)
Alec Monopoly
Richie and Monopoly Each Holding $ Bag Hermes (2022) (Hermès, Rich Uncle Pennybags)
Richard Orlinski
Land of Gifts (2022) (Chanel, Vuitton, Dior, Givenchy, Versace, Hublot, Hermès…)
Trust.iCon
Honeypot (2019) (Playboy) Statue of Obesity (2020) (KFC, McDonald’s)
Dave Pollot
Shelf Life I (Painting) (2020) (Campbell’s, Nutella, Barilla, Chef Boyardee, Spam…)
Zevs
Visual Attack Yves Saint Laurent (2001) (Yves Saint Laurent) Visual Kidnapping – Pay Now (2002) (Lavazza) Liquidated Coca-Cola (2006) (Coca-Cola)
Tom Sachs
Hermès Value Meal Big Mac (in 4 parts) (1995) (Hermès)
Ai Weiwei
Han Dynasty Urn with Coca-Cola Logo Paint (1994) (Coca-Cola)

Le street art s’est répandu au cours des années 1990 et a pour origine le graffiti. Ce dernier correspond à l’apposition d’une inscription sur une propriété privée en l’absence de l’accord de son propriétaire. Il est un « art de la signature » qui relève du vandalisme et d’un mouvement anti-art. Son objectif est de ne signifier rien d’autre que lui-même (Armstrong, 2019 : 12). Le passage du graffiti au street art s’explique en partie par l’adaptation de la loi face à l’essor des graffitis et par le désir de graffeurs de pouvoir pratiquer une activité artistique rémunérée. Tout comme le graffiti, le street art est souvent investi d’une rébellion, d’une colère et il adopte fréquemment un positionnement anti-art et anticapitalisme. Cependant, à la différence du graffiti, le street art s’adresse au grand public. Pour ce faire, il emprunte des techniques mises en œuvre dans le cadre de la publicité et de la stratégie de marque qui sont compréhensibles par tous même s’il revendique leur rejet. De plus, le street art se consacre essentiellement aux illustrations, au design, aux personnages, aux portraits et moins aux signatures et aux lettrages comme le fait le graffiti (Armstrong, 2019). Aujourd’hui, deux types de street artistes existent :

  • ceux qui acceptent l’institutionnalisation de leur art. Leurs œuvres deviennent alors des décors de rue ;
  • ceux qui retiennent la rue comme support pour protester, se rebeller, subvertir, contester… Le street art représente alors un « mélange de résistance et de rébellion » (Armstrong, 2019 : 149).

La commercialisation du graffiti et du street art a contribué à faire apparaître un art urbain qui se développe sur le marché de l’art contemporain. Cependant, contrairement au graffiti et au street art, l’art urbain prend souvent la forme d’un art d’intérieur (sur toile) générant des séries et fréquemment mis en vente (Armstrong, 2019). Certains street artistes, après avoir débuté dans un environnement urbain (ex. : rue, métro), peuvent donc par la suite se consacrer exclusivement ou ponctuellement à ce support, voire même l’abandonner. Les artistes mentionnés dans cet article ont suivi des trajectoires différentes (Tableau 3).

Stratégies à adopter par les marques face à leur appropriation par des artistes

Même si toutes les marques destinées au grand public peuvent être appropriées par des artistes, les plus concernées sont internationales ou au moins nationales. De plus, elles disposent d’un taux de notoriété élevé. Il apparaît, en effet, que les marques peu connues ou reconnues intéressent peu les artistes (Lehu, 2011). En outre, l’examen d’un nombre relativement élevé d’œuvres pour mener cette recherche conduit à préciser que les marques appropriées appartiennent plus particulièrement à certains secteurs :

  • luxe : Chanel, Hermès, Louis Vuitton, Dior, Versace, Prada…
  • alimentaire : Coca-Cola/Coke, Pepsi-Cola, 7-Up, Campbell’s, Kellogg’s, Heinz, Chupa Chups…
  • restauration rapide : McDonald’s, KFC…
  • divertissement : Disney (au travers de ses personnages iconiques que sont Mickey, Picsou…), Monopoly, Netflix, Marvel et DC Comics (au travers de leurs super-héros)…
  • streetwear et sportswear : Supreme, Nike…
  • automobile : Ford, Porsche…

L’appropriation des marques par des artistes n’étant pas anecdotique (Lehu, 2011), celles qui sont confrontées à ce phénomène, ou qui sont susceptibles de l’être, doivent pouvoir disposer de stratégies. Or, ces dernières doivent notamment être adaptées en fonction de l’objectif poursuivi par une appropriation. Les développements suivants vont donc examiner ces objectifs avant d’exposer les stratégies envisageables.

Objectifs poursuivis par une appropriation de marque

L’appropriation d’une (ou de plusieurs) marque(s) par un artiste peut s’inscrire dans un contexte de détournement culturel (culture jamming). Ce dernier concept désigne une protestation sociale contre une culture articulée autour de la consommation et l’influence des médias de masse commerciaux (Kristal et al., 2018). Il a pour origine l’Internationale situationniste qui l’a notamment pratiqué en réutilisant et en assemblant des éléments préexistants pour générer de nouvelles significations (Milstein et Pulos, 2015). Il mobilise la logique de l’appropriation (Lekakis, 2017) pour tenter d’inverser et de transgresser le sens de codes culturels cherchant à persuader des individus d’acheter quelque chose ou d’être quelqu’un (Jordan, 2002).

Ce détournement peut occasionner l’altération et la redéfinition de marques emblématiques et prospères en tant que symboles culturels (Kristal et al., 2018). D’après Thota (2020), un tel détournement de marque (brandjacking) constitue une forme d’activisme. Il correspond à une parodie commerciale d’une publicité destinée à saboter et à se réapproprier son message en dehors de son contexte originel afin de communiquer des informations concernant la marque. Elle ajoute que ce détournement poursuit toujours des objectifs négatifs, ce qui n’est pas le cas de toutes les parodies commerciales. Pour leur part, Siano et al. (2021 : 118) adoptent une conception plus large puisqu’ils considèrent que le détournement désigne « une utilisation non autorisée et/ou une transformation de la marque qui se manifeste sous des formes de cocréation de marque non collaborative ». Ainsi, il peut conduire à exploiter, réinterpréter, défier ou attaquer la marque. Pour Kristal et al. (2018), le détournement peut être ludique, quand la marque est intégrée dans une farce pour l’inviter à changer, ou hostile, quand elle est associée à des significations contradictoires pour la détruire. De même, selon Lehu (2011 : 172), l’intégration d’une marque dans une œuvre peut lui offrir de nombreux avantages mais elle peut aussi devenir « l’otage involontaire d’une critique… volontaire ou non ».

Même si l’interprétation d’une œuvre n’est pas toujours aisée, un artiste ne communiquant pas systématiquement ses motivations (Lehu, 2011), les propos précédents révèlent qu’il peut poursuivre différents objectifs quand il s’approprie une (ou plusieurs) marque(s). Les développements suivants vont les détailler en distinguant, d’une part, ceux susceptibles d’occasionner des conséquences neutres ou bénéfiques pour la marque appropriée, et d’autre part, ceux pouvant générer des conséquences préjudiciables pour elle.

Objectifs aux conséquences neutres ou bénéfiques pour la marque appropriée

Plusieurs objectifs peuvent donner lieu à des conséquences neutres ou bénéfiques pour une marque appropriée :

  • réactiver des souvenirs (ex. : Paris, Paris (Auguste, 2014)) ;
  • agrémenter une œuvre pour égayer un environnement (ex. : Super City (Speedy Graphito, 2018)) ;
  • témoigner d’une affection à l’égard de la marque (ex. : Chanel No.5 (Warhol, 1985)) (Lehu, 2011), d’un attachement à la marque, celui-ci attestant d’un lien émotionnel et affectif intense développé par un consommateur à l’égard d’une marque (Lacœuilhe et al., 2021) ;
  • attirer l’attention du public (Tormented Self-Portrait (Susie at Arles) (Ashley Bickerton, 1987-1988)) (Lehu, 2011) ;
  • exploiter une marque pour profiter indirectement et opportunément de sa réputation, de son image, de ses valeurs… Plus précisément, l’artiste cherche à retirer un profit économique, une visibilité (Siano et al., 2021), à acquérir une reconnaissance… La marque peut constituer une valeur ajoutée contribuant à la notoriété de l’artiste (ex. : The Everyday Life of a Goddess (Alan MacDonald, 2006)) (Lehu, 2011). Cet objectif peut être comparé à celui poursuivi par une marque qui s’associe avec un artiste pour pouvoir bénéficier d’un effet d’infusion de l’art (Hagtvedt et Patrick, 2008 ; Baumgarth et Wieker, 2020). Dans le cas de l’artiste, cet effet concernerait la marque (effet d’infusion de la marque) ;
  • jouer avec une marque en se moquant gentiment d’elle, en recourant à l’humour. Dans ce cas, elle nourrit une farce, une parodie (Kristal et al., 2018) (ex : Warhol avec Campbell’s) (Baumgarth, 2018) ;
  • ancrer une œuvre dans la réalité, accroître son réalisme (Lehu, 2011 ; Michel et Borraz, 2015) (ex. : Gordon’s Gin (Estes, 1968)) (cet objectif peut également entraîner des conséquences préjudiciables selon la réalité évoquée) ;
  • conférer une dimension évocatrice autrement dit intégrer dans une œuvre des codes et des symboles accessibles au plus grand nombre (comme les marques) pour permettre aux spectateurs de décrypter plus aisément le message véhiculé et au-delà inviter à la réflexion (ex : Warhol avec Coca-Cola) (Lehu, 2011) (cet objectif peut aussi provoquer des conséquences préjudiciables en fonction du message communiqué (ex. : Less Vanity (Trust.iCon, 2019)).

Ces différents objectifs peuvent produire des conséquences neutres ou positives pour la marque appropriée en participant notamment au développement de sa valeur (Kristal et al., 2018).

D’autres conséquences peuvent être envisagées en raison du rapprochement possible de l’appropriation de marque de la technique du placement de produit même si cette dernière ne relève pas d’une décision de la marque. Ainsi, un tel placement non sollicité peut potentiellement procurer à une marque trois avantages (Lehu, 2011) :

  • influence positive sur son image en la faisant profiter d’une montée en gamme culturelle. Cet impact n’est cependant pas systématique, tout dépend de la signification de l’œuvre ;
  • contribution de la caution de l’artiste à son image ;
  • augmentation de sa notoriété. Cette opportunité est d’autant plus intéressante quand la marque concerne une catégorie de produits soumise à des contraintes publicitaires (ex. : tabac, alcool) (Lehu, 2011).

La marque peut également enregistrer un accroissement de sa visibilité car elle bénéficie d’une forme gratuite de publicité sur de nouveaux supports susceptibles d’atteindre et de séduire de nouvelles cibles. Ces nouveaux supports peuvent être les murs des rues, des métros, des galeries d’art, des espaces accueillant des manifestations d’art… sur lesquels sont exposées des œuvres.

Objectifs aux conséquences préjudiciables pour la marque appropriée

Deux types d’objectifs sont susceptibles d’occasionner des conséquences préjudiciables pour une marque appropriée :

  • dénigrer une marque particulière : à cet égard, deux démarches sont identifiables :
    • subvertir la publicité de la marque (Armstrong, 2019) (subvertising). Cette subversion consiste à changer le sens des messages publicitaires en reproduisant la forme et le design originaux tout en se réappropriant le message pour déstabiliser le maintien des valeurs corporatives dans les espaces publics (Chesters et Welsh, 2011) (ex. : Untitled (Maidenform) (Kaws, 1999) ; affichages réalisés par Combo en 2012 à Tchernobyl5) ;
    • saboter la marque, cette expression désignant une forme générale d’agression hostile commise délibérément par des consommateurs ou non cherchant à nuire à la marque, à lui causer des préjudices en altérant de manière négative ses significations (Kähr et al., 2016). Le sabotage peut être rapproché de l’attaque de marque qui consiste à la détourner pour aboutir à une redéfinition négative de ses significations (Baumgarth, 2018 ; Kristal et al., 2018) (ex. : Kool Skull of Skeleton (pink) (Zevs, 2019)) ;
  • décrier un phénomène sociétal : l’artiste dénonce, conteste, critique… la société de consommation, le consumérisme, la mondialisation, des pratiques d’entreprise… en intégrant dans l’œuvre une (ou plusieurs) marque(s) emblématique(s) du phénomène critiqué (Baumgarth, 2018). Cette pratique fait écho à la question pouvant être soulevée d’une relation inhérente que la marque entretiendrait avec la société de consommation (Heilbrunn, 2017) (ex. : Caramia Caramello (Mel Ramos, 2008)).

Les conséquences préjudiciables potentiellement provoquées par ces objectifs peuvent impliquer tous les publics et pas uniquement les consommateurs/clients de la marque appropriée. L’ampleur de ces conséquences sera fonction de la notoriété de l’artiste, et donc de l’importance de son champ d’influence, de sa réputation, de la viralité de la diffusion de l’œuvre et des supports utilisés. Ces conséquences peuvent prendre plusieurs formes :

  • génération d’interrogations sur les pratiques et les valeurs de la marque ;
  • recherche d’informations complémentaires sur les pratiques et les valeurs de la marque ;
  • remises en cause des pratiques et des valeurs de la marque ;
  • dégradation de la réputation de la marque (Siano et al., 2021) ;
  • influence négative sur les perceptions d’une image pouvant aboutir à sa dilution (Kristal et al., 2018) ;
  • altération, voire même destruction, de la signification de la marque (Kristal et al., 2018) ;
  • effet négatif sur les attitudes envers la marque (Thota, 2021) ;
  • déclenchement de comportements anti-consommation (Zavestoski, 2002 ; Iyer et Muncy, 2009 ; Lee et al. 2009), de résistance (Penaloza et Price, 1993 ; Roux, 2007 ; Cambefort, 2016), d’évitement de la marque (Lee et al., 2009), de rejet de la marque (Sandikci et Ekici, 2009).

Des stratégies de veille et des stratégies conditionnées par le type de conséquences susceptibles d’affecter une marque appropriée

Étant donné les conséquences d’une appropriation, il est conseillé aux marques de surveiller et de suivre ses premiers signes (Kristal et al., 2018). Elles sont donc invitées à mettre en œuvre une démarche globale composée de deux catégories de stratégies complémentaires :

  • des stratégies de veille pour pouvoir déterminer si des appropriations ont déjà eu lieu et/ou si elles sont probables ;
  • des stratégies dictées par le type de conséquences susceptibles d’affecter une marque appropriée.

Des stratégies de veille reposant sur une extension du social listening à la sphère artistique

Face au développement du phénomène d’appropriation, des stratégies de détection doivent être déployées. Elles consistent à étendre à la sphère artistique le social listening mis en place dans le cadre de la veille informationnelle, du suivi de l’e-réputation, des influenceurs… Plus précisément, cette extension signifie :

  • de repérer et d’examiner des publications intégrant des hashtags comportant des mots faisant référence aux mouvements artistiques mentionnés auparavant et/ou à la marque pour identifier d’éventuelles appropriations et leur auteur. Ces publications peuvent être créées par des artistes, des amateurs, des influenceurs dans les domaines de l’art, du design, de la culture…, des galeristes, des organisateurs de manifestations artistiques… ;
  • de s’abonner aux comptes ouverts sur les principaux médias sociaux (ex. : Instagram) par des artistes présentant certaines caractéristiques : appartenance à l’un des mouvements exposés antérieurement, nombre important d’abonnés, fréquence élevée de publications, nombre élevé d’interactions suscitées par les publications, propension à l’appropriation évaluée à partir de l’examen des publications antérieures… Les publications de ces artistes doivent être examinées et suivies pour :
    • détecter les éventuelles appropriations (de la marque et/ou d’autres marques concurrentes ou non) ;
    • appréhender l’objectif des éventuelles appropriations de la marque qui sont repérées ;
    • étudier le nombre d’interactions enregistrées par les publications montrant une appropriation ;
    • analyser le contenu des commentaires accompagnant les publications comportant une appropriation…

Ces différentes informations peuvent être complétées par un examen des propos véhiculés et des œuvres affichées non seulement sur le site personnel des artistes répertoriés précédemment (s’il existe) mais aussi sur ceux qui leur sont dédiés exclusivement ou partiellement par des galeristes les représentant éventuellement, par des manifestations d’art contemporain (ex. : salons, foires, festivals), par des musées les exposant (si tel est le cas), par des maisons de ventes aux enchères (si pertinent), par des plateformes spécialisées dans l’art (ex. : Artsper, Artnet, Artsy, Artprice, Mutualart)…

Plus globalement, Kähr et al. (2019) suggèrent d’améliorer les systèmes de contrôle des médias sociaux pour pouvoir détecter efficacement et rapidement le déclenchement d’un comportement hostile. Ils convient alors d’aider les organisations à paramétrer des algorithmes pour surveiller ces médias sociaux (ex. : focalisation sur des mots-clés à définir de la manière la plus exhaustive et la plus précise possible). Cette recommandation, formulée dans le contexte d’un sabotage de marque, est parfaitement transposable pour une appropriation de marque par un artiste, quel que soit son objectif.

Des stratégies à définir en tenant compte des conséquences susceptibles d’affecter la marque appropriée

Quand une appropriation de marque est mise en évidence, l’organisation concernée est invitée à réagir en mettant en place des stratégies. Cette invitation repose sur une généralisation de la préconisation de Siano et al. (2021) qui indique que, dans le cas d’un détournement de marque, plusieurs stratégies peuvent être envisagées. Ils précisent également qu’elles doivent être adaptées au type de détournement et qu’elles peuvent aller du déni à la reconstruction. En outre, il apparaît qu’une appropriation de marque peut générer des significations susceptibles de concurrencer celles construites à l’origine par la communication officielle et d’occasionner notamment une dilution significative de l’évaluation de l’image de la marque. Des stratégies de contrôle et de gestion des appropriations doivent donc être mises en œuvre, ces stratégies étant d’autant plus indispensables quand les conséquences sont préjudiciables (Kristal et al., 2018).

Les stratégies que les marques peuvent adopter face à leur appropriation effective (ou éventuelle) vont donc dépendre des conséquences pour elles de l’objectif poursuivi par l’artiste.

Cas des conséquences neutres ou bénéfiques

Il peut être conseillé à une marque d’inciter un artiste, ayant procédé à une appropriation susceptible de donner lieu à des conséquences neutres ou bénéfiques, à nouer des relations contractuelles avec elle. Cependant, ce conseil est valable uniquement si elle partage les messages, l’image et les valeurs qu’il véhicule dans ses œuvres. Les collaborations traditionnelles conclues entre une marque et un artiste peuvent alors être envisagées (les exemples cités ne font pas référence à des collaborations établies par une marque appropriée) :

  • la création publicitaire (ex. : création d’affiches par Henri de Toulouse-Lautrec pour le Moulin Rouge) (Baumgarth, 2014) ;
  • la création/transformation de l’image de la marque (ex : création du Spirit of Ecstasy de Rolls-Royce par le sculpteur Charles Sykes) (Baumgarth, 2014) (ex. : réclame pour Ruinart réalisée en 1896 par Alfons Mucha) ;
  • le co-branding/développement de collections capsules (Michel et Borraz, 2015) (ex : Supreme et Jeff Koons, TAG Heuer et Alec Monopoly) ;
  • l’influence (ex : Pablo Picasso dans la publicité Think different d’Apple) (Baumgarth, 2014) ;
  • l’exposition permanente ou temporaire d’œuvres d’art (l’espace à privilégier par la marque appropriée dépend de son secteur d’activité et/ou de ses projets) :
    • dans les espaces institutionnels de la marque ou situés à proximité (ex. : expositions organisées au sein des locaux d’une organisation ; sculpture Molecule Man (Jonathan Borofsky, 1997) financée par Allianz et installée à Berlin) (Baumgarth, 2014) (ex. : la Maison Pommery à Reims propose de vivre des expériences et d’admirer des œuvres d’art contemporain exposées dans ses caves) ;
    • dans des espaces destinés au commerce exclusif ou non de la marque :
      • points de vente dédiés et plus particulièrement dans les flagship stores (ex. : boutique Guerlain située sur les Champs-Élysées et l’œuvre Le Vol des abeilles (Gérard Cholot) ; œuvres de Kusama dans des boutiques Vuitton en 2023) ;
      • pop-up stores ouverts par la marque à l’occasion d’un évènement (ex. : l’Espace 125 Coca-Cola ouvert à Paris en 2011 à l’occasion des 125 ans de la marque a exposé des œuvres de Ben, Warhol…) ;
      • grands magasins référençant la marque (ex : installations de Kusama chez Harrods à Londres pour le lancement de la collection capsule Vuitton X Kusama en 2023) ;
  • la fondation artistique (Lehu, 2011 ; Michel et Borraz, 2015)/collection d’entreprise : des organisations collectionnent des œuvres d’art et les présentent ou non au public (ex : Deutsche Bank, Vuitton…) (Baumgarth, 2014) ;
  • la mise à disposition de ressources : des organisations mettent à la disposition d’artistes des ressources autres que financières (ex. : sculptures en métal de Richard Serra réalisées en collaboration avec des entreprises industrielles) (Baumgarth, 2014) ;
  • la commande d’œuvres d’art (ex. : La Cène de Léonard de Vinci a été commandée par la famille Sforza) (Baumgarth, 2014) ;
  • le parrainage (Michel et Borraz, 2015)…

La marque peut aussi partager sur les comptes qu’elle a ouverts sur les médias sociaux les publications comportant une appropriation pour éventuellement générer du trafic, du buzz… Il faut toutefois que la marque adhère à l’objectif poursuivi par l’appropriation, aux valeurs, aux messages et à l’image véhiculés par la publication, par l’artiste et/ou l’individu l’ayant postée.

Cas des conséquences préjudiciables

Pour Kähr et al. (2019), l’importance des préjudices causés à une marque par un sabotage et la rapidité de leur survenue liée au caractère potentiellement viral du sabotage doivent inciter les marques à s’intéresser à celui-ci. Ce conseil peut être généralisé à l’ensemble des appropriations poursuivant des objectifs à même d’occasionner des conséquences préjudiciables.

Le rapprochement des démarches managériales évoquées par Kähr et al. (2019) face à un sabotage de marque, par Siano et al. (2021) dans le cas du détournement de marque et par Roux (2007) dans la perspective de la résistance des consommateurs conduit à préconiser la mise en œuvre de deux types de stratégies complémentaires :

  • des stratégies de prévention (Roux, 2007 ; Kähr et al., 2019) destinées à anticiper ou à prévenir la survenue d’une appropriation pouvant donner lieu à des conséquences préjudiciables. Elles vont consister à examiner les discours et les pratiques de la marque et à les réorienter s’ils sont susceptibles de déclencher des critiques, des remises en cause, des subversions, des sabotages… En outre, pour Kähr et al. (2019), ces démarches doivent comprendre un volet stratégique et un volet opérationnel. Au niveau stratégique, ils conseillent à une marque d’éviter de concentrer son positionnement sur des segments spécifiques et de privilégier un positionnement plus diffus ciblant plusieurs segments attractifs tout en faisant le nécessaire pour ne pas heurter les individus ciblés qui seront en plus grand nombre et qui ne seront pas nécessairement clients de la marque. Au niveau opérationnel, la détection de l’imminence d’un comportement hostile doit inciter la marque à prendre contact avec l’artiste pour tenter de désamorcer la situation en proposant une forme de réparation (s’il s’agit d’un client de la marque), de se rapprocher de lui, de se réconcilier avec lui en recourant à des techniques de désescalade. La marque peut aussi essayer de dissuader l’artiste de passer à l’acte en lui exposant les risques d’une telle action pour l’intimider (ex : engagement de poursuites en justice à son encontre). Cependant, une tentative de dissuasion peut se retourner contre la marque et accroître la détermination de l’artiste ;
  • des stratégies de réponse pour contenir au mieux les conséquences préjudiciables. Une appropriation étant exposée dans la sphère publique, plusieurs réponses publiques peuvent être envisagées :
    • chercher l’apaisement ou s’excuser auprès de l’artiste et donc du public (ex. : en postant un message sur les réseaux sociaux) (Kähr et al., 2019) ;
    • diffuser une contre-déclaration traitant objectivement de la situation dénoncée au travers de l’appropriation (Kähr et al., 2019) ;
    • mener une contre-attaque remettant en question l’honnêteté et l’objectivité de l’artiste (ex. : révéler qu’il a proféré de fausses accusations) (Kähr et al., 2019) ;
    • orienter l’attention du public sur les actions positives passées de la marque (Siano et al., 2021) ;
    • repositionner la marque (Siano et al., 2021).

Des démarches mixtes combinant réponse et prévention peuvent aussi être mises en place. En effet, une marque détectant une appropriation dont l’objectif est susceptible d’occasionner des conséquences préjudiciables peut échanger avec l’artiste pour comprendre ce qui a motivé une telle appropriation (si elle n’est pas en mesure d’identifier la raison pouvant déclencher cette réaction de l’artiste). L’identification de l’origine de l’appropriation peut alors permettre à la marque de « désamorcer » d’autres appropriations de ce type en réorientant le discours dénoncé et/ou en révisant la pratique incriminée.

La prise en compte des travaux de Sandikci et Ekici (2009) conduit à suggérer que les préconisations précédentes sont pertinentes uniquement si l’appropriation est provoquée par des pratiques commerciales condamnables imputables à une marque tel, par exemple, le non-respect de principes équitables et éthiques. Cependant, ces préconisations pourraient être moins adaptées si l’appropriation s’inscrit dans le cadre d’un objectif politique (ex. : appropriations contestant la mondialisation) car la marque disposerait de peu de marges de manœuvre si ce n’est d’aucune. À cet égard, Sandikci et Ekici (2009) précisent que trois types d’idéologies politiques peuvent générer des comportements hostiles : la mondialisation peut inciter des individus à rejeter des marques à cause de leur hégémonie et/ou de leur impérialisme culturel, le nationalisme chauvin peut conduire des personnes à refuser des comportements considérés comme étant antipatriotiques et nuisibles à l’économie nationale (ex. : refus de marques étrangères) et le fondamentalisme religieux peut encourager des individus à bannir une marque en raison de ses connotations religieuses et/ou de sa relation perçue avec un intégrisme religieux. La transposition des travaux de Roux (2007) permet d’ajouter que, dans le cas d’une appropriation plus globale telle celle dénonçant un phénomène sociétal (ex. : le système de consommation), l’impact d’une stratégie de prévention serait limité. Toutefois, l’élaboration de stratégies tentant de dépasser la critique du phénomène peut être envisagée. Cependant, ces stratégies doivent être sincères et ne pas relever d’une démarche de « washinisation », le risque étant d’encourager les appropriations à même de produire des conséquences préjudiciables.

Une dernière stratégie peut consister pour la marque à faire preuve d’opportunisme et à récupérer tout ou partie du travail de l’artiste qui l’a appropriée. Cette stratégie a été adoptée par la marque Nike qui s’est approprié son logo liquéfié par Zevs et qui l’a décliné sur des tee-shirts et des baskets sans demande d’autorisation préalable à l’artiste. L’artiste ne s’est pas opposé à cette appropriation de sa critique du logo car il reconnaît que ces appropriations relèvent d’un jeu et que la marque a participé à ce jeu6. Cette stratégie fait implicitement référence aux travaux de Boltanski et Chiapello (2011). Ils montrent, en effet, que le développement et la survie du capitalisme nécessitent la récupération des critiques qu’il génère pour les déstabiliser. À cet égard, ils identifient deux types de critiques nourris par différentes sources d’indignation :

  • la critique artiste repose, d’une part, sur le désenchantement et l’inauthenticité et, d’autre part, sur l’oppression. Cette critique dénonce la perte de sens et l’uniformisation produites par la standardisation, la massification et la marchandisation généralisée. Elle revendique l’autonomie de l’individu, la singularité, l’authenticité, la créativité, la liberté (Berland et Chiapello, 2004 ; Boltanski et Chiapello, 2011). Les accusations esthétiques proférées à l’encontre du capitalisme associent ses créations avec l’inauthentique, le stéréotype, la copie, le mauvais goût…, autrement dit avec le kitsch (Lipovetski et Serroy, 2013) ;
  • la critique sociale se fonde non seulement sur la misère mais aussi sur l’opportunisme et l’égoïsme (Boltanski et Chiapello, 2011).

Dans le cadre de cette recherche, la critique qui nous intéresse plus particulièrement est la critique artiste, sa récupération pouvant expliquer la marchandisation importante de l’art (et plus particulièrement des œuvres appartenant aux mouvements artistiques examinés), celle-ci consistant à transformer en produits des biens et des pratiques ne relevant pas à l’origine de la sphère marchande. En effet, la marchandisation représente le processus de récupération d’une critique le plus simple dont dispose le capitalisme (Boltanski et Chiapello, 2011). Cependant, pour Lipovetski et Serroy (2013), qui développent la notion de capitalisme artiste, l’introduction généralisée de l’art, des rêves et de l’affect dans la sphère de la consommation s’explique par leur potentiel de rentabilité. Ainsi, selon eux, ce capitalisme encourage l’exploitation de la beauté et de la séduction pour satisfaire une logique commerciale et ne se situe pas dans une perspective de récupération de la critique artiste.

Conclusion

Les stratégies suggérées constituent des opportunités pour les gestionnaires de marque puisque l’art peut activer directement des émotions en affectant les sens des individus et au-delà exercer une influence positive (Crader et Zaichkowski, 2007) ou négative sur leur comportement.

Les conséquences identifiées faisant écho aux polarités des relations que les individus (consommateurs) créent avec les marques, la prise en compte des travaux s’intéressant à ces relations pourrait enrichir la réflexion. À cet égard, Fournier (2009) établit qu’il existe des relations positives et négatives, les premières étant tout particulièrement prises en compte au plan managérial afin d’aboutir à leur renforcement. Or, les relations dysfonctionnelles ne doivent pas être négligées (Fournier, 2009).

Des expérimentations pourraient être mises en œuvre pour tester les effets de l’appropriation d’une marque sur la perception de la marque appropriée et sur son évaluation en fonction des objectifs.

Ce travail, circonscrit à des œuvres appartenant au mouvement du pop art et à ses successeurs, pourrait être étendu à des mouvements pratiquant de façon moindre l’appropriation des marques pour établir si les objectifs poursuivis et leurs conséquences pour une marque sont similaires (ex. : nouveau réalisme : Étalage de Prisunic, Hygiène de la vision n°1 (Martial Raysse, 1961)). L’analyse d’évènements (souvent) éphémères mêlant art, politique et divertissement et s’appropriant des marques pourrait également être menée. Par exemple, en 2015, Banksy a ouvert durant cinq semaines, à Weston-super-Mare, un parc de loisirs : Dismaland – Bemusement Park. Ce parc rassemblait des attractions (ex : « Guerilla Island » pour s’initier au détournement publicitaire) et des œuvres d’art contemporain réalisées par 58 artistes s’appropriant (ou non) des marques (ex. : Your Dreams are My Nightmares (Banksy, 2015)). Les recherches consacrées à ce parc montrent qu’il a procuré aux visiteurs des expériences affectives (Pimentel Biscaia et Marques, 2022). De plus, l’intensité des expériences vécues et le caractère impliquant des images que les visiteurs cocréent en se promenant au sein du parc pourraient contribuer à intensifier leur impact, vraisemblablement négatif, sur les individus (Kristal et al., 2018).

La recherche exposée pourrait aussi bénéficier des apports des études sur l’art politique, engagé, militant (Ballalinski et Mathieu, 2006 ; Gillot-Assayag, 2016), l’artivisme (Danko, 2018).

1  Voir la page consacrée au branding du site de l’American Marketing Association [En ligne] URL : https://www.ama.org/topics/branding/.

2  Page du site du Centre Georges Pompidou consacrée au décès du peintre Bernard Rancillac [En ligne] URL : https://www.centrepompidou.fr/fr/magazine/

3  Stéphane Kahn, « “Logorama” du collectif H5 », Bref cinéma, 01-12-2016 [En ligne] URL : https://www.brefcinema.com/actualites/cahier-critique/

4  Néo pop art, Belairfineart [En ligne] URL : https://www.belairfineart.com/fr/artistes/neo-pop-art/.

5  Attaque de Tchernobyl - par Combo [En ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=m7hY--v0ars.

6  Olivier Granoux, « Comment Zevs est devenu le dieu des vandales », Télérama, 05-10-2016 [En ligne] URL : :https://www.telerama.fr/sortir/

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Notes

1  Voir la page consacrée au branding du site de l’American Marketing Association [En ligne] URL : https://www.ama.org/topics/branding/.

2  Page du site du Centre Georges Pompidou consacrée au décès du peintre Bernard Rancillac [En ligne] URL : https://www.centrepompidou.fr/fr/magazine/article/pionnier-de-la-figuration-narrative-le-peintre-bernard-rancillac-est-decede.

3  Stéphane Kahn, « “Logorama” du collectif H5 », Bref cinéma, 01-12-2016 [En ligne] URL : https://www.brefcinema.com/actualites/cahier-critique/logorama-du-collectif-h5.

4  Néo pop art, Belairfineart [En ligne] URL : https://www.belairfineart.com/fr/artistes/neo-pop-art/.

5  Attaque de Tchernobyl - par Combo [En ligne] URL : https://www.youtube.com/watch?v=m7hY--v0ars.

6  Olivier Granoux, « Comment Zevs est devenu le dieu des vandales », Télérama, 05-10-2016 [En ligne] URL : :https://www.telerama.fr/sortir/comment-zevs-est-devenu-le-dieu-des-vandales,148184.php.

Citer cet article

Référence électronique

Laurence GRAILLOT, « Stratégies des marques face à leur appropriation par un artiste : Analyse réalisée à partir d’œuvres appartenant au mouvement du pop art et à ses héritiers », K@iros [En ligne], 7 | 2023, mis en ligne le 18 janvier 2024, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=810

Auteur

Laurence GRAILLOT

CREGO – CERMAB/PARC, Université de Bourgogne, GIT – AFM

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