La signification de la notion d’enquête semble évoluer avec la qualification qu’on lui accole. L’enquête scientifique se distinguerait de l’enquête judiciaire, préliminaire ou de l’enquête parlementaire. En se cantonnant au seul champ du droit administratif, les adjectifs foisonnent : l’enquête est administrative, publique, juridictionnelle, parcellaire, fiscale ou encore technique ; elle peut aussi être de moralité ou de sécurité. Aussi la notion d’enquête se laisse‑t‑elle difficilement saisir de manière isolée, tant les réalités qu’elle est susceptible de désigner sont nombreuses. Au‑delà de la seule approche nominale, l’enquête peut se dissimuler derrière d’autres termes, comme la vérification, le contrôle, l’investigation, etc., rendant périlleuse toute entreprise de définition.
Cette nature polymorphe de l’enquête a constitué le point de départ de l’étude récemment menée par le Conseil d’État à la demande du Premier ministre sur Les pouvoirs d’enquête de l’administration parue en 20211. Soulignant l’indétermination de la notion, l’éparpillement des textes et l’hétérogénéité des dénominations, l’étude identifie l’enquête à partir d’une approche résolument finaliste, les pouvoirs d’enquête étant ceux utilisés par les autorités administratives :
Pour réunir des preuves ou établir et caractériser des faits, afin de recouvrer des prélèvements obligatoires, de contrôler le respect de la réglementation, de rechercher et de constater des manquements ou des infractions dans certains domaines ou encore de réguler certaines activités2.
Ainsi appréhendée, l’enquête diligentée par les personnes publiques renvoie au sens communément attribué à l’occurrence « enquête », dénotant la recherche de preuves, que l’on cantonne généralement à la procédure civile et, surtout, à la procédure pénale. Analysée à l’aune du droit administratif, l’enquête correspondrait plutôt à « la procédure préalable à certaines opérations administratives et destinée à recueillir les prises de position des intéressés et les informations nécessaires à l’exécution de ces opérations », renvoyant prioritairement aux enquêtes parcellaires et, surtout, aux enquêtes publiques3.
De prime abord, l’enquête en droit administratif désigne alors deux processus distincts. Le premier caractérise un « mode de preuve4 », une mesure d’instruction ou de vérification mise en œuvre par une autorité administrative ou par le juge administratif dans le cadre d’une procédure juridictionnelle. Dans une acception large, ce procédé pourrait accueillir les enquêtes dirigées vers les candidats à certains postes de la fonction publique. Le second désigne la collecte d’informations préalable à la réalisation d’un projet, prenant parfois la forme d’une consultation du public. Incluant principalement l’enquête publique ou d’utilité publique, l’enquête environnementale et l’enquête parcellaire, ce dernier volet apparaît comme le plus « intuitif », comme étant celui qui ressortirait le plus naturellement de l’association entre « enquête » et « droit administratif ». Cette dichotomie repose ainsi sur une différence fondamentale relative au sujet de l’enquête – l’administré ou le projet –, traduisant par‑là une divergence de nature dans les relations entre l’administration et l’administré. Plus vertical, voire autoritaire, le premier type place l’administré en situation de destinataire de l’enquête. Créant une relation plus égalitaire – implication attendue de la consultation du public –, le second type offre à l’administré le statut de participant à l’enquête.
Alors que le premier type s’inscrit dans une acception originelle de l’enquête, et dépasse par conséquent le seul champ du droit administratif, le second se révèle spécifique à la matière (ce qui explique peut‑être qu’il représente, quantitativement, la terre d’élection des études relatives à l’enquête en droit administratif). L’un et l’autre intègrent donc le champ du signifiant « enquête », sans que l’hypothèse d’un pont entre les deux, voire d’une structure commune, soit véritablement envisagée. Peu accessible depuis le droit positif, tant les textes régissant l’enquête s’avèrent parcellaires ou sectoriels, c’est néanmoins cette piste que nous nous proposons d’emprunter au cours des lignes qui suivront, pour tenter d’éprouver l’existence d’une notion d’enquête en droit administratif.
Mais identifier une notion suppose qu’il existe, selon les mots de William Dross, « un contenant immuable dont le contenu évolue5 ». Il ne s’agit pas de conceptualiser l’enquête, d’en bâtir les fondations, mais de partir à la recherche de cette part d’immuable qui en caractériserait les différentes manifestations. Autrement dit, la question émergeant en creux est celle de savoir si nos rencontres avec les illustrations de l’enquête correspondent à des déclinaisons d’une seule et même notion qui en rassemblerait les traits communs.
Malgré la diversité apparente de l’enquête en droit administratif, la construction d’une notion unique aurait ainsi pour ambition de désigner un ensemble matériel juridiquement uniforme ou compréhensible comme tel, grâce à un socle définitionnel qui pourrait, malgré d’irréductibles différences, fonder les manifestations de l’enquête (I). Inversant la démarche, un détour par son régime conforte le lien unissant l’enquête aux finalités qu’elle poursuit, faisant obstacle à l’élaboration d’un cadre juridique propre à la notion (II).
I. La nature instrumentale de l’enquête en droit administratif
La nature de l'enquête peut être révélée en recourant à une image, simple mais évocatrice, qui est celle d’un maillon intégré à une chaîne, chaîne constituant, par assemblage, l’action administrative. Cette métaphore permet d’insister sur le fait que l’enquête ne semble jamais devoir constituer une fin en soi, peu importe la forme qu’elle prend. Sa nature instrumentale transcende ses émanations : l’enquête est utilisée pour réaliser des objectifs qui la dépassent, elle représente un « moyen » au service d’une fin, elle fait partie d’un « processus » plus global.
En ce sens, l’enquête peut d’abord constituer un instrument obligatoire ou, a minima, utile à l’administration dans la préparation d’un acte ou d’une action administrative.
Pour préparer une décision administrative, l’administration peut par exemple avoir recours à l’enquête publique, dans sa formule générale figurant dans le Code des relations entre le public et l’administration6 prévoyant que « les observations et propositions recueillies au cours de l’enquête sont prises en considération par l’administration compétente avant la prise de décision », quelle qu’elle soit. De manière plus sectorielle, l’enquête publique prévue par le Code de l’expropriation constitue une étape préalable, obligatoire cette fois‑ci, à la déclaration d’utilité publique7. De même, l’enquête parcellaire précède l’adoption d’un arrêté de cessibilité8. Ces deux enquêtes, possiblement conjointes9, donnant lieu à des actes administratifs, participent également à l’opération plus vaste d’expropriation. Enfin, les projets, plans et programmes ayant une incidence sur l’environnement devront faire l’objet d’une enquête publique, les propositions issues étant « prises en considération par le maître d’ouvrage et par l’autorité compétente pour prendre la décision10 ». Cette exigence retentit sur bon nombre de documents d’urbanisme, dont le processus d’adoption intègre désormais l’enquête publique11.
Dans l’ensemble de ces hypothèses, l’enquête représente un instrument facultatif – mais bénéfique – ou obligatoire pour l’adoption d’une décision (en l’occurrence d’une décision d’espèce ou d’un acte réglementaire) en vue d’un projet ou d’une opération (bien souvent complexe).
Lorsque l’enquête est mobilisée en cours d’élaboration d’une décision individuelle, elle se déploie de deux manières. D’une part, elle peut épouser les traits précédemment tracés de l’enquête publique, lorsque la consultation du public s’avère nécessaire à la poursuite du projet. Ce cas de figure se présente essentiellement en droit de l’urbanisme, l’étape de l’enquête conditionnant parfois l’octroi d’un permis de construire12. D’autre part, et en dehors de cette hypothèse spécifique, l’enquête précédant l’adoption d’une décision individuelle porte généralement sur la personne destinataire de la mesure ; elle est alors qualifiée d’enquête administrative. En ce sens, elle constitue un procédé utilisé préalablement à l’octroi de certaines décisions favorables telles que l’accès à des sources, le recrutement, l’affectation, la titularisation, l’autorisation, l’agrément, l’habilitation à exercer des emplois, le plus souvent liés à l’exercice de missions de souveraineté de l’État ainsi qu’aux emplois publics ou privés relevant du domaine de la sécurité ou de la défense13. Dans leur ensemble, ces enquêtes administratives permettent d’ouvrir une porte supplémentaire vers l’administration14. Inversement, l’enquête administrative peut être mobilisée par l’administration dans le cadre d’une procédure disciplinaire15, afin de recueillir et consolider des éléments factuels. Elle fait, en revanche, partie intégrante de la procédure de traitement de faits signalés dans le cadre du dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction publique16. Dans ces hypothèses, l’enquête administrative est donc susceptible d’aboutir au prononcé d’une décision défavorable à la personne visée. S’épanouissant dans les relations hiérarchiques, l’enquête administrative peut néanmoins concerner, plus marginalement, les administrés. Elle sera par exemple mobilisée lors de la délivrance, du renouvellement ou du retrait d’un titre ou d’une autorisation de séjour17. D’autres types d’enquête, à la lisière de la matière pénale, peuvent enfin être diligentés à l’encontre de l’administré mis en examen18 ou faisant l’objet d’une mesure d’assignation à résidence sous surveillance électronique19.
Dans l’exercice du pouvoir de décision unilatérale, l’enquête est donc amenée à jouer des rôles fluctuants au gré de ses qualificatifs. Même si elle n’est pas exclusivement liée à ce mode d’élaboration de l’acte administratif, elle pénètre plus rarement la matière contractuelle et n’en concerne alors que des pans résiduels. Il en va ainsi de la passation des marchés de défense ou de sécurité20, des demandes de concession pour l’exploitation des cultures marines soumises à une enquête administrative et à une enquête publique21, ou encore des concessions de plage, objets d’une instruction administrative et d’une enquête publique22.
Enfin, pourraient également figurer dans la catégorie des enquêtes préalables à l’édiction d’un acte, celles utilisées par le juge pour préparer la décision juridictionnelle. Bien qu’elle existe même sans texte23, l’enquête est prévue par le Code de justice administrative :
La juridiction peut, soit sur la demande des parties, soit d’office, prescrire une enquête sur les faits dont la constatation lui paraît utile à l’instruction de l’affaire24.
Dénuée de toute vocation définitive, l’enquête revêt, ici aussi, une dimension intrinsèquement préliminaire.
L’enquête comme instrument préparatoire à l’adoption d’un acte, juridictionnel ou administratif, unilatéral ou contractuel, se caractérise donc par un aspect temporel : elle intervient comme un préalable à la prise de décision, cristallisant un moment particulier dans l’élaboration de l’acte.
Ensuite, l’enquête peut s’analyser selon un prisme plus matériel, en tant qu’outil utile à l’administration pour l’exercice de ses missions.
Ainsi observée, l’enquête revêt principalement deux caractéristiques. D’une part, elle est principalement dirigée vers les administrés ; d’autre part, elle repose sur une dimension finaliste potentiellement plus ténue que dans la catégorie d’enquête précédemment distinguée. À cet égard, plusieurs degrés de connexité entre l’enquête et l’identification d’un but défini peuvent être dégagés. Au bas de l’échelle, se trouvent les enquêtes menées pour l’exercice d’une mission, sans autre finalité prédéterminée25. Les illustrations abondent dans le secteur de la régulation. Par exemple :
Les agents de la Commission de régulation de l’énergie habilités à cet effet par le président procèdent aux enquêtes nécessaires pour l’accomplissement des missions confiées à la Commission26.
Dans des formulations similaires, un pouvoir d’enquête est aussi dévolu à l’Autorité de régulation des transports27, à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse28 ou encore aux membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés29. Au gré de ces mentions, le pouvoir d’enquête se rencontre sous une forme neutre, qui ne nécessite pas d’autre justification que l’exercice d’une mission de régulation, alors même qu’il se concrétise par des mesures relativement invasives, fondant par exemple, un droit à demander communication de documents généralement étendu. À un stade intermédiaire, le pouvoir d’enquête est utilisé pour procéder à des vérifications, l’autorité administrative s’assurant par exemple que les obligations assignées à l’administré sont bien remplies (au regard des aides accordées, des déclarations fiscales, des traitements automatisés, etc.). Dans son contrôle, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique procède à ce type d’enquête pour vérifier que les obligations de déclaration patrimoniale sont satisfaites30. Enfin, au sommet de la relation finaliste, l’administration dispose parfois d’un pouvoir d’enquête pour constater des manquements et rechercher des infractions. Naissant d’un soupçon, l’utilisation de l’enquête sert un dessein spécial. Un tel pouvoir est par exemple reconnu à l’administration fiscale « pour rechercher les manquements aux règles de facturation auxquelles sont soumis les assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée31 », ou encore à l’Agence française de lutte contre le dopage32.
Évolutifs, les liens de corrélation qui unissent l’exercice du pouvoir d’enquête à l’identification d’une finalité précisée peuvent aussi s’entremêler lorsqu’une autorité dispose de pouvoirs transversaux. Il en va par exemple ainsi de la Commission de régulation de l’énergie, qui dispose de pouvoirs d’enquête pour l’accomplissement des missions qui lui sont confiées33, ou encore, sur autorisation et sous le contrôle du juge des libertés et de la détention et en présence d’un officier de police judiciaire, pour la recherche et la constatation d’infractions aux dispositions du Code de l’énergie relatives au marché et au service public de l’électricité et du gaz34. De même, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse bénéficie d’un pouvoir d’enquête générique35, d’un pouvoir de visite et de saisie sous le contrôle du juge des libertés et de la détention36 et de celui de rechercher et constater les infractions aux dispositions du Code des procédures civiles d’exécution37.
Contrairement à l’enquête préalable à l’édiction d’un acte administratif, celle mobilisée dans le cadre plus large de l’action administrative ne traduit pas forcément une relation temporelle ou transitoire ; elle ne constitue pas forcément un préalable ni une étape vers une autre opération. Autrement dit, dans la temporalité de l’action administrative, l’enquête peut aussi se concevoir en tant que telle – quand bien même aboutirait‑elle, in fine, au prononcé d’une sanction.
Malgré ses variations d’intensité, selon que l’enquête est au service de l’élaboration d’un acte administratif ou de l’exercice de l’action administrative, la dimension instrumentale constitue bien un premier point de convergence, contribuant à identifier la notion d’enquête. De ce constat émerge alors la proposition selon laquelle l’enquête fait partie des « moyens utiles à l’administration pour mener à bien ses activités », qu’elles soient normatives ou matérielles. Plus précisément, l’enquête constitue un moyen d’information, permettant de collecter des informations, des preuves ou, plus simplement, d’établir des faits ; elle intègre plus globalement un processus de recherche de la vérité et constitue donc un moyen d’accès à la connaissance38. En tant que moyen, l’enquête traduit donc l’exercice d’un pouvoir administratif39, variable dans son étendue – plus ou moins sectorielle40 –, son intensité – pouvoir de contrôle ou de sanction – et sa destination – pouvoir hiérarchique voire pouvoir disciplinaire41, ou pouvoir exercé à l’égard des administrés. Multiples, ces combinaisons découvrent l’enquête comme un moyen dont dispose l’administration, lié à un pouvoir administratif et exercé à l’égard des agents ou des administrés.
La relation d’information ne se réalise toutefois pas toujours de manière verticale ni à sens unique – du destinataire de l’enquête vers l’administration –, en particulier lorsqu’elle se noue autour de l’enquête publique. Dans ce cas, elle permet non seulement de recueillir des renseignements à partir des observations fournies par le public, mais elle constitue aussi un outil de démocratie administrative. L’enquête publique vise alors « à assurer l’information et la participation du public42 », contribuant alors à la « légitimité démocratique » de la décision publique43. En tant que moyen d’information, l’enquête profiterait ici à la fois aux administrés (devenant une garantie), mais aussi à l’administration (éclairant la prise de décision).
À l’issue de ces observations, la notion se précise autour d’un socle définitionnel commun à ses différentes manifestations : l’enquête correspond à un moyen d’information dont dispose l’administration dans l’exercice de ses pouvoirs. En renversant la démarche, l’étude du régime juridique de l’enquête peut également fournir des pistes d’analyse supplémentaires.
II. L’appréhension en miroir du régime de l’enquête
L’identification d’un régime commun à l’enquête pourrait permettre de déduire une notion correspondante ou, a minima, de contribuer à la cerner. Le champ du régime juridique demeure relativement en friche, peut‑être parce que :
Le perfectionnement de la procédure de sanction est venu justifier le désert procédural de l’enquête44.
C’est donc essentiellement en fonction de la relation causale qui lie l’enquête à la décision finale que son régime juridique s’appréhende, variant selon le degré d’étanchéité des frontières qui sont tracées autour du « moment enquête ».
Lorsque l’enquête est requise pour élaborer une décision, elle intègre le champ de la procédure administrative, devenant un élément de l’acte administratif et une condition à part entière de sa légalité. Un vice tenant à l’absence ou à l’irrégularité d’une enquête publique – un vice de procédure donc – rend l’acte final illégal, quand bien même la voie de la neutralisation ou de la régularisation serait ouverte. Au‑delà de cette première hypothèse, le régime juridique de l’enquête se brouille : soit l’exercice du pouvoir d’enquête ne donne lieu à aucune décision particulière, se bornant à alimenter l’information de l’autorité administrative, auquel cas le cadre juridique qui l’accompagne demeure lacunaire ; soit il représente un préalable à une décision de sanction, laquelle concentrera alors toute l’attention. Dans cette dernière branche, l’enquête constitue bien un élément de l’acte, évoluant dans le spectre de la procédure administrative non contentieuse, sans qu’elle se fonde nécessairement dans le moule contentieux utilisé par le juge. Interrogeant incidemment les garanties qui doivent accompagner le recours à l’enquête, cette zone grise absorbe des tendances contraires.
Tout d’abord, lorsque l’enquête précède une sanction – disciplinaire ou administrative –, elle appartient à une phase antérieure à la procédure de sanction généralement peu saisie par le droit positif. Le recours à l’enquête n’étant généralement pas soumis à une notification préalable45, c’est la communication des griefs qui déclenche la procédure de sanction et les garanties afférentes. Ce moment représente le point de bascule vers l’accusation46, le premier pas vers la décision défavorable47 et la démarcation à partir de laquelle le principe du contradictoire doit être respecté. Comme l’a récemment énoncé le Conseil d’État :
Les conditions dans lesquelles une enquête administrative est diligentée au sujet de faits susceptibles de donner ultérieurement lieu à l’engagement d’une procédure disciplinaire sont, par elles‑mêmes, sans incidence sur la régularité de cette procédure48.
S’inscrivant dans une jurisprudence classique49, cette décision renforce l’enquête dans une forme d’autarcie contentieuse.
Ce cloisonnement n’est toutefois pas toujours étanche. Parce que l’enquête peut s’analyser comme l’« anti‑chambre du procès50 », elle pourrait bénéficier d’un phénomène de contagion, sous l’effet d’un « exercice de fiction rétrospective51 ». En ce sens, le juge administratif a consacré un droit à communication des témoignages écrits52 et des procès‑verbaux des auditions53 recueillis pendant la phase d’enquête administrative dès lors que cette dernière s’est prolongée par une procédure disciplinaire. Plus encore, une entorse à la séparation tranchée des procédures est réalisée par le juge, lequel s’autorise à regarder vers la phase d’enquête lorsqu’une atteinte irrémédiable aux droits de la défense a été commise, que la procédure ultérieure n’a pas permis de réparer54. Cette soupape, déjà limitée, a toutefois été réduite par un arrêt du 18 novembre 2022, qui qualifie d’inopérant un moyen tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité à un stade antérieur à la procédure disciplinaire55. L’écho des garanties assortissant cette dernière peine de plus en plus à retentir jusqu’à la phase d’enquête.
Porte d’entrée privilégiée de l’étude du régime de l’enquête, la sanction n’offre qu’un prisme déformant et insuffisant pour observer l’ensemble des manifestations de ce régime. En dehors de toute procédure sanctionnatrice, certains textes épars accompagnent en effet l’enquête de précautions supplémentaires, en imposant notamment une nécessité voire une proportionnalité dans le recours à ce pouvoir56. Par exemple, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) exerce son pouvoir d’enquête « de manière proportionnée aux besoins liés à l’accomplissement de ses missions et sur la base d'une décision motivée de sa part57 ». Relayant les standards européens58, la décision de recourir à l’enquête devra, en l’occurrence, faire l’objet d’une notification, assortie des explications de droit et de fait. De même, les agents de l’ARCOM devront respecter une forme minimale de contradictoire dans l’établissement du procès‑verbal issu d’auditions59. En matière de régulation des services en ligne, les garanties se renforcent proportionnellement à l’étendue du pouvoir d’enquête dont bénéficie l’autorité administrative.
Mises à part les obligations légalement prévues, secteur par secteur, celles découlant de la procédure administrative non contentieuse générale ne s’appliquent qu’à la marge au stade de l’enquête. Reposant sur un équilibre subtil, oscillant entre efficacité de l’action administrative et garanties du destinataire, l’enquête intègre donc formellement le champ de la procédure administrative, sans en partager pleinement le régime.
Finalement, la dimension instrumentale de la notion d’enquête retentit sur son régime juridique. L’enquête, comme moyen au service d’une fin plus ou moins précise, s’analyse par référence à ce qui viendra après. Elle est donc pensée grâce à un effort de projection vers une postériorité. Cantonnée formellement et matériellement à un stade préparatoire, l’enquête ne bénéficie d’un régime juridique que par un faible effet de contagion. Envisagé de manière indépendante, le cadre juridique de l’enquête demeure insuffisant, incomplet et imperméable à la reconnaissance de principes véritablement protecteurs des destinataires. En l’absence de garanties transversales, le régime juridique de l’enquête fait figure d’angle mort du droit administratif, soulignant certaines difficultés à faire entendre la voix de la procédure administrative dès lors qu’elle ne s’élève pas au contentieux.
