Le droit des contrats face aux risques

DOI : 10.52497/revue-cmh.2725

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Texte intégral

Parmi les matières relevant du droit privé, comment ne pas faire la part belle au droit des contrats à l’occasion d’un tel colloque ? Rappelons pour commencer que l’article 1101 du Code civil définit le contrat comme un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes, destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations, et que l’article 1103 ajoute que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. En somme, le contrat sert à prévoir, à encadrer des situations.

Or, le risque, lui, est défini comme l’ « éventualité d’un évènement futur, incertain ou d’un terme indéterminé, ne dépendant pas exclusivement de la volonté des parties et pouvant causer la perte d’un objet ou tout autre dommage1 ».

A priori, risques et contrats ne font donc pas bon ménage dès lors que l’un vise à limiter les obligations à ce qui relève de la volonté des cocontractants, tandis que l’autre porte sur ce qui dépasse la volonté des parties et ne peut pas être nécessairement prévu. La réalisation du risque pourrait en effet aller à l’encontre des obligations prévues par le contrat et en empêcher la bonne exécution. Ce faisant, l’irruption du risque dans la relation contractuelle viendrait bouleverser ce que Demogue désignait comme correspondant à un microcosme au sein duquel chacun œuvre dans un but commun2. Le risque vient alors fragiliser la relation contractuelle qui ne peut plus fonctionner selon les seules règles prévues au contrat. La réalisation d’un risque peut conduire à l’éclatement de ce qui faisait le but commun poursuivit initialement, les intérêts des cocontractants ne se rejoignent plus et le contrat ne produit donc plus les effets escomptés, en dépit de la force obligatoire qui le caractérisait.

Pour éviter qu’un évènement extérieur fasse obstacle à l’exécution du contrat, les cocontractants peuvent prévoir diverses clauses visant à encadrer la bonne exécution des obligations stipulées. Ainsi les cocontractants peuvent prévoir ce qu’il adviendra des obligations prévues au contrat si une condition de sa bonne exécution n’est pas remplie. Un risque extérieur peut alors être contractualisé pour ne pas affecter le contrat outre mesure.

Toutefois, les risques, par essence, ne peuvent pas toujours être anticipés. Si certains sont identifiables a priori et peuvent conduire au développement de stratégie de gestion du risque, faisant l’objet de certaines clauses contractuelles, d’autres ne pourront être identifiés qu’a posteriori, lorsqu’ils auront causé un dommage, pouvant dans certains cas, être lié à une inexécution contractuelle. Alors, bien que la conclusion de tout contrat comporte un risque endogène d’inexécution, la réalisation de certains risques exogènes, c’est‑à‑dire de risques n’ayant aucun lien avec les modalités du contrat, pourra avoir pour conséquence une mauvaise exécution du contrat, voire une inexécution de celui‑ci.

La recherche de la maîtrise des risques contractuels peut impliquer que les parties puissent déroger à la répartition par défaut de la charge de ces risques. Le principe de liberté contractuelle permet effectivement aux cocontractants de choisir de modifier la distribution des risques en insérant au contrat des clauses de gestion des risques contractuels3.

Cela étant, à l’occasion de ce colloque portant sur les outils de minimisation des risques en droit privé, nous allons préférer nous concentrer sur l’appréhension des risques en droit des contrats, en dehors des hypothèses de clause de gestion du risque. En somme, nous allons évoquer certains outils de droit des contrats, mobilisés par l’une ou l’autre des parties lorsqu’un risque vient faire obstacle à la bonne exécution du contrat. En ce sens, la période de crise sanitaire a permis de voir les juges dégager quelques lignes directrices en la matière4, les risques d’inexécution des contrats ayant vu leur potentialité de réalisation s’accroître à la suite de la réalisation d’un risque exogène : le déclenchement d’une pandémie affectant l’économie mondiale, et plus généralement, l’ensemble des pans de la vie en société.

Pour évoquer différentes possibilités offertes par le droit privé, en matière contractuelle, face à la réalisation de risques, nous allons donc nous appuyer sur des notions phares du droit des contrats, ainsi que sur la jurisprudence récente pour voir, dans un premier temps, les mécanismes relevant du droit commun qui peuvent être déployés face aux risques, avant de traiter très rapidement dans un second temps certains mécanismes du droit des contrats spéciaux, en prenant l’exemple des baux commerciaux qui ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante et importante.

I. Les outils du droit commun des contrats face aux risques

Lorsqu’un risque qui ne pouvait être prévu se réalise et perturbe la bonne exécution du contrat, certains mécanismes du droit commun peuvent être mobilisés pour éviter au contractant qui ne parvient pas à exécuter ses obligations de voir sa responsabilité contractuelle engagée. Ainsi, dans certaines situations, le juge pourra appliquer la théorie de l’imprévision, consacrée à l'article 1195 du Code civil (A), ou reconnaître l’existence d’un cas de force majeure défini à l’article 1218 du même Code (B).

A. L’application de la théorie de l’imprévision par le juge

En 1876, dans le célèbre arrêt connu sous le nom « canal de Craponne », le juge rejetait l’application de la théorie de l’imprévision en affirmant :

Dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse apparaître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants5.

Rendue au visa de l’article 1134 du Code civil, cette décision marquait la prépondérance de la force obligatoire du contrat sur tout évènement qui pouvait affecter sa bonne exécution. Cette position reposait sur un important besoin de sécurité juridique dans la relation contractuelle et visait à éviter que le juge ne puisse s’immiscer dans les dispositions contractuelles. Ainsi, face à un déséquilibre contractuel engendré par un changement de circonstances qui n’était pas prévisible au moment de la conclusion de contrat, le juge ne devait pas s’immiscer dans la relation contractuelle et ne pouvait pas imposer la renégociation du contrat aux parties. Dans l’arrêt « Canal de Craponne », il s’agissait d’un contrat qui avait été conclu en 1560, concernant les prix qui avaient été fixés trois siècles avant le litige, lesquels ne correspondaient plus aux frais effectivement déboursés pour l’entretien du Canal. Les propriétaires du Canal demandaient une hausse de la redevance versée par leurs cocontractants pour bénéficier d’un droit d’arrosage. On voit donc qu’au fil des générations de propriétaires du Canal, un risque s’est développé, celui que l’équilibre économique du contrat soit bouleversé. Une fois réalisé en raison de l’évolution des circonstances, les propriétaires du Canal se retrouvent finalement contraints de supporter seuls la charge de ce risque réalisé, l’équité du contrat n’ayant pas à être assurée par le juge.

Malgré les réticences historiques puis contemporaines à l’application de la théorie de l’imprévision6, le législateur français a suivi le mouvement initié par ses voisins européens7 et permis une harmonisation du droit sur ce point, en introduisant l’imprévision dans le Code civil, avec l’article 1195, par l’ordonnance du 10 février 2016 en admettant que :

Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle‑ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe.

Dans ces conditions, l’application de la théorie de l’imprévision permet de modifier certains éléments du contrat, lorsqu’un évènement extérieur affecte sa bonne exécution en la rendant excessivement onéreuse. Comme le nom de la théorie l’indique, il est toutefois nécessaire qu’un tel évènement puisse être qualifié d’imprévisible, au moment de la conclusion du contrat.

Par ailleurs, pour que le déséquilibre contractuel engendré par un évènement puisse être qualifié d’imprévision, il est indispensable que le contrat ne traite pas spécifiquement de l’existence d’un aléa économique :

L’aléa assumé chasse donc la lésion et dans sa foulée, l’imprévision tout autant8.

En effet, il est possible que certains contrats contiennent une clause au sein de laquelle une partie accepte de supporter le risque d’un bouleversement contractuel, empêchant alors de réclamer la renégociation ou la révision du contrat par le juge.

Ainsi, lorsque les parties identifient l’existence d’un risque de déséquilibre économique du contrat, celui‑ci peut faire l’objet d’une clause d’acceptation du risque par l’un des contractants. Cela permet d’empêcher que le juge ne puisse s’immiscer au sein de la relation contractuelle.

Toutefois, lorsque les parties n’anticipent pas une telle potentialité de bouleversement économique et que les circonstances extérieures engendrent un important déséquilibre rendant l’exécution excessivement onéreuse, les cocontractants pourront renégocier le contrat, ou à défaut d’entente, demander au juge la révision ou l’anéantissement du contrat afin que le contractant affecté par le déséquilibre ne supporte pas, seul, le poids de la réalisation du risque.

Cependant, il convient de souligner que l’article 1195 n’a qu’un caractère supplétif : les parties peuvent prévoir, par le biais de dispositions contractuelles, d’écarter l’application de cette disposition du Code civil afin d’empêcher toute immixtion du juge.

Une autre solution est également offerte aux cocontractants, comme une sorte d’entre‑deux, permettant l’intervention du juge mais l’encadrant : l’insertion d’une clause dite de « Hardship9 ». Il s’agirait alors d’écarter les dispositions de l’article 1195 du Code civil, tout en réservant la possibilité d’une renégociation, voire d’une intervention du juge, pour une liste précise d’évènements défavorables pouvant caractériser un changement de circonstances, et dont les conséquences seraient identifiées. Lorsque certains risques sont identifiés au préalable par les parties, celles‑ci peuvent prévoir que le juge pourra intervenir dans le cas où des conséquences préjudiciables pour la bonne exécution du contrat seraient apparues. Dans ces conditions, le rôle du juge est encadré par les parties qui conservent une importante maîtrise de la relation contractuelle. La clause de « Hardship » permettrait alors, pour les contractants, de prévoir l’imprévisible10.

Outre cet outil de l’imprévision, dont l’utilisation par le juge devra être regardée de près dans les prochaines années, pour comprendre de quelle manière les juridictions vont se saisir de cette possibilité de réviser le contrat11, il ne faut pas oublier qu’une autre théorie, intimement liée à la notion d’imprévisibilité d’un évènement, est déjà bien connue des civilistes, quand bien même son champ d’application demeure limité : la théorie de la force majeure.

B. La reconnaissance du cas de force majeure

Selon l’article 1218 du Code civil, issu de l’ordonnance de 2016, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. Alors que le rapport au président de la République pointait les difficultés liées à l’absence de définition législative de la force majeure et le caractère flou des contours de cette théorie12, dessinés par la jurisprudence, la réforme entrée en vigueur en octobre 2016 permet d’éclaircir les conditions d’admission de la force majeure : l’évènement qui s’est réalisé doit être non seulement imprévisible au jour de la conclusion du contrat, mais également irrésistible dans sa survenance et dans ses effets. À l’inverse de l’imprévision qui vise plus spécifiquement le bouleversement économique du contrat, la force majeure concerne plus largement les cas dans lesquels un évènement, de cause naturelle ou humaine, empêche le débiteur de s’exécuter. Ce faisant, la théorie de la force majeure semble pouvoir être mobilisée dans le cas où la réalisation de divers risques entraverait la bonne exécution du contrat.

Dans ces conditions, un premier constat doit être effectué : seul le débiteur d’une obligation peut être exonéré de sa responsabilité contractuelle s’il ne s’exécute pas en raison d’un cas de force majeure13.

Un deuxième élément dégagé par la jurisprudence doit être mentionné : le caractère irrésistible de la force majeure forme, en principe, un obstacle à sa caractérisation dans les cas où l’obligation est une obligation de somme d’argent14.

A fortiori, lorsque ces deux éléments sont combinés, c’est‑à‑dire, dans l'exemple d’un contrat de bail, lorsque le preneur est celui qui invoque la force majeure pour échapper à son obligation de payer le loyer, la force majeure ne peut être caractérisée s’il l’invoque, comme dans les arrêts rendus par la Cour de cassation le 30 juin 2022, en qualité de créancier qui n’a pas pu profiter de sa contrepartie et non en qualité de débiteur qui ne peut pas s’exécuter15. Pour certains, une telle solution ne paraît pas acceptable, compte tenu du poids qu’elle fait peser sur le créancier en termes de répartition du risque16.

Un troisième point mérite d’être soulevé aujourd’hui, à l’aune des divers éléments qui ont affecté le quotidien de notre société ces dernières années, et notamment l’exécution des contrats conclus avant mars 2020. La crise sanitaire et ses conséquences peuvent‑elles être qualifiées d’évènements de force majeure ? D'une part, il est indispensable de rappeler que l’appréciation de la force majeure doit se faire in concreto. Tous les évènements affectant l’ensemble de la planète ne peuvent pas être systématiquement qualifiés de cas de force majeure. Toutes les épidémies ne peuvent pas non plus l’être. Quant à la Covid‑19, se pose la question de savoir si l’infection par le SARS‑CoV‑2 constituerait un évènement extérieur à la personne du débiteur17. En outre, il conviendrait probablement de s’intéresser plus précisément à l’ensemble des symptômes subis par chaque débiteur qui invoquerait la force majeure comme condition d’exonération, certains n’ayant pas ou très peu de symptômes, tandis que d’autres ont passé des mois en réanimation. S’agissant du caractère imprévisible de la pandémie, il semble que pour les contrats conclus avant le début de l’année 2020, la survenue d’un tel évènement n’était pas prévisible. Toutefois, comme le relève le professeur Mekki, pour un contrat conclu avec des partenaires chinois après le 2 février 2020, c’est‑à‑dire après l’annonce de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) relative à la situation internationale, le caractère imprévisible ne pourrait pas raisonnablement être caractérisé18.

La qualification de force majeure, ou non, concernant la pandémie est une chose. La même recherche de qualification quant aux conséquences de celle‑ci, notamment en ce qui concerne les mesures administratives adoptées, en est une autre. Cela étant, aucune réponse certaine et unanime n’a été apportée. Il faudra suivre la jurisprudence ces prochains mois et prochaines années pour connaître la position du juge selon les litiges qui lui seront soumis.

Pour finir, nous pouvons évoquer très rapidement certains outils relevant davantage du droit des contrats spéciaux, pour montrer qu’ils pourraient être déployés lorsqu’un risque empêche la bonne exécution du contrat, mais que leur utilisation demeure circonscrite à des hypothèses relativement précises. C’est le cas notamment en matière de bail commercial.

II. Le droit des contrats spéciaux face aux risques : l’exemple du bail commercial

Pourquoi choisir les baux commerciaux pour exposer certains mécanismes relatifs aux risques en matière contractuelle ? La réponse à cette question se trouve dans l’abondance de la jurisprudence en la matière depuis la sortie de crise. Cela s’explique assez aisément : la bonne exécution des contrats de baux commerciaux a été particulièrement entravée par la crise sanitaire, laquelle a entraîné une limitation drastique de l’exercice de l’activité commerciale.

En effet, certaines mesures administratives adoptées par le gouvernement dès le mois de mars 2020 ont pu constituer un frein à la destinée commerciale, industrielle ou artisanale des locaux loués. Certains contractants, et plus particulièrement les preneurs, ont tenté d’obtenir gain de cause quant à leur absence de paiement des loyers dus, en invoquant des manquements émanant de leurs cocontractants, liés aux mesures gouvernementales adoptées.

Toutefois, l’application stricte de certains outils a conduit à exclure les mécanismes qui auraient pu leur permettre de ne pas supporter, seuls, la charge de la réalisation d’un risque tel que celui de l’arrivée d’une pandémie. Deux mécanismes qui ont été sollicités peuvent être évoqués : la notion de perte de la chose louée (A) et le manquement à l’obligation de délivrance (B).

A. La perte de la chose louée

Selon les dispositions du Code civil en matière de perte de la chose louée :

Si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut demander ou une diminution du prix ou la résiliation même du bail19.

Les juges ont déjà eu l’occasion de relever que la perte de la chose louée peut s’entendre au sens matériel et économique, c’est‑à‑dire, pour une chose qui ne pourrait plus être exploitée comme prévu, à cause de la nécessité d’effectuer des travaux dont le coût serait excessif notamment20.

La référence à la notion de cas fortuit fait immédiatement écho à la notion de risque, en l’occurrence de risque imprévisible qui se serait réalisé avec la survenue de cette pandémie. Les arrêts rendus par la Cour de cassation le 30 juin 2022 portaient sur cette notion21. Certains preneurs demandaient une diminution du prix sur le fondement de la perte économique de la chose louée, invoquant l’impossibilité d’exercer leur activité commerciale telle qu’elle avait été prévue, en raison des mesures administratives adoptées par le gouvernement. Les juges n’ont toutefois pas suivi ces arguments et ont considéré que, ni la pandémie, ni les mesures administratives en découlant n’avaient empêché les commerçants d’accéder à leurs locaux, ni d’en avoir la jouissance.

B. Le manquement à l’obligation de délivrance

Dans la même veine, les preneurs avaient également fondé leur pourvoi sur le manquement à l’obligation de délivrance, sans toutefois obtenir un meilleur résultat devant les juges. En effet, si le manquement à l’obligation de délivrance est caractéristique du risque qui pèse sur la relation contractuelle en matière de baux commerciaux, il n’en demeure pas moins que les juges peuvent en avoir une appréciation stricte. En l’occurrence, c’est d’ailleurs un risque extérieur à la relation contractuelle qui s’est réalisé, la survenue d’une pandémie, et qui a eu pour conséquence des mesures administratives particulièrement restrictives pour les commerces, mais non imputables aux bailleurs. Les juges ont refusé d’adopter l’argumentaire des preneurs allant sur le terrain de l’exception d’inexécution pour justifier l’absence de paiement des loyers dus.

Ces deux exemples de mécanismes de droit des contrats spéciaux permettent de montrer, au prisme de la jurisprudence relative à la période de crise sanitaire, que l’appréciation jurisprudentielle est relativement restrictive. Lorsqu’un risque extérieur au contrat se réalise, complexifiant la bonne exécution contractuelle, les outils existant en matière de baux commerciaux ne semblent pas particulièrement favorables au débiteur qui bénéficiait matériellement de son local commercial, mais qui ne pouvait pas l’exploiter comme il le souhaitait. À défaut de règles spéciales leur étant bénéfiques, les preneurs ont parfois tenté de se tourner vers le droit commun, et notamment vers la théorie de la force majeure, qui, du fait des limites préalablement énoncées, ne leur a pas permis de trouver sort plus favorable.

En définitive, bien que le droit des contrats offre quelques mécanismes qui pourraient être mobilisés lorsqu’un risque extérieur à la relation contractuelle se réalise et a pour conséquence une mauvaise exécution du contrat, les résultats ne semblent pas à la hauteur des espérances de certains cocontractants.

Le droit des contrats, en tant que tel, ne permet pas de minimiser les risques pouvant se réaliser. Néanmoins, il permet parfois aux parties d’échapper à l’engagement de leur responsabilité. Seules quelques clauses permettant de procéder à une répartition des risques particulière peuvent être mobilisées.

1 Définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL).

2 René Demogue, Le Traité des obligations en général, Paris, Arthur Rousseau, 1923, vol. 6, n° 3, p. 9.

3 V. not. : Alexis Downe, La gestion des risques contractuels par le contrat, Étude du droit français à la lumière du droit anglais, Toulouse

4 Infra.

5 Cass. Civ. 6 mars 1876, Canal de Craponne, D., I, 1876, p. 193.

6 Pascal Ancel, « Imprévision, Approche historique et comparative », Rép. Droit civil, § 12 sq.

7 Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016‑131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général

8 Philippe Stoffel‑Munck, « L’imprévision et la réforme des effets du contrat », RDC, n° Hors‑série, 2016, 112z5, p. 30.

9 Louis Thibierge, « La clause de Hardship », Revue Droit civil, n° 161, 2018, p. 37.

10 Jérôme Rivkine, « [Le point sur…] Clauses de “hardship” : prévoyez l’imprévisible ! », La lettre juridique, n° 425, 2011.

11 Marc Fredj, « [Le point sur...] L'imprévision dans la réforme des contrats », Lexbase Affaires, n° 499, 2017, [En ligne] URL : https://www.lexbase

12 Rapport au président de la République, op. cit. : « Il n'existe pas dans le Code civil actuel de définition de la force majeure, dont les contours

13 V. not. : Sandrine Tisseyre, « Force majeure : l’impossibilité d’exécuter pour le débiteur n’équivaut pas à l’impossibilité de profiter pour le 

14 V. not. : Hugo Barbier, « Le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en 

15 Cass. Civ. 3e, 30 juin 2022, nos 21‑20.190, 21‑20.127 et 21‑19.889, Dimitri Houtchieff, « Loyers et Covid‑19 : la délivrance des bailleurs », D.

16 V. not. : Géraldine Machinet, Philippe Riglet, « Du bail commercial aux stratégies d’“asset light”, le constat de la rigidité du modèle du bail

17 Mustapha Mekki, « De l’urgence à l’imprévu du Covid‑19 : quelle boîte à outils contractuels ? », AJ Contrat, n° 4, 2020, p. 164.

18 Ibid.

19 Art. 1722 du Code civil.

20 V. not. : Cass. Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17‑11.439 ; Cass. Civ. 3e, 9 déc. 2009, n° 08‑17.483 ; Cass. Civ. 3e, 6 mars 1984, n° 82‑15.817.

21 Op. cit.

Notes

1 Définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL).

2 René Demogue, Le Traité des obligations en général, Paris, Arthur Rousseau, 1923, vol. 6, n° 3, p. 9.

3 V. not. : Alexis Downe, La gestion des risques contractuels par le contrat, Étude du droit français à la lumière du droit anglais, Toulouse, Presses de l'Université Toulouse 1 Capitole, coll. « Thèses de l’IFR », 2020, p. 401 sq.

4 Infra.

5 Cass. Civ. 6 mars 1876, Canal de Craponne, D., I, 1876, p. 193.

6 Pascal Ancel, « Imprévision, Approche historique et comparative », Rép. Droit civil, § 12 sq.

7 Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016‑131 du 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : « La France est l'un des derniers pays d'Europe à ne pas reconnaître la théorie de l'imprévision comme cause modératrice de la force obligatoire du contrat. Cette consécration, inspirée du droit comparé comme des projets d'harmonisation européens, permet de lutter contre les déséquilibres contractuels majeurs qui surviennent en cours d'exécution, conformément à l'objectif de justice contractuelle poursuivi par l'ordonnance. »

8 Philippe Stoffel‑Munck, « L’imprévision et la réforme des effets du contrat », RDC, n° Hors‑série, 2016, 112z5, p. 30.

9 Louis Thibierge, « La clause de Hardship », Revue Droit civil, n° 161, 2018, p. 37.

10 Jérôme Rivkine, « [Le point sur…] Clauses de “hardship” : prévoyez l’imprévisible ! », La lettre juridique, n° 425, 2011.

11 Marc Fredj, « [Le point sur...] L'imprévision dans la réforme des contrats », Lexbase Affaires, n° 499, 2017, [En ligne] URL : https://www.lexbase.fr/article-juridique/38024664-l-imprevision-dans-la-reforme-des-contrats [consulté le 20/12/2023].

12 Rapport au président de la République, op. cit. : « Il n'existe pas dans le Code civil actuel de définition de la force majeure, dont les contours et les effets ont été dessinés par la jurisprudence de la Cour de cassation, et ce de façon parfois inconstante. »

13 V. not. : Sandrine Tisseyre, « Force majeure : l’impossibilité d’exécuter pour le débiteur n’équivaut pas à l’impossibilité de profiter pour le créancier », D., n° 2, 2021, p. 114 ; Patrice Jourdain, « Le créancier ne peut invoquer la force majeure à son profit », RTD Civ., n° 1, 2021, p. 152 ; Dimitri Houtchieff, « Le créancier ne peut invoquer la force majeure : qui ne profite pas paye quand même ! », AJDI, n° 2, 2021, p. 118 ; Mustapha Mekki, « Payer le prix sans profiter du droit : le sort du créancier en cas de force majeure - Cour de cassation, 1re civ. 25 nov. 2020 », AJ Contrat, n° 12, 2020, p. 554.

14 V. not. : Hugo Barbier, « Le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure », RTD Civ., n° 4, 2014, p. 890 ; Jérôme François, « Force majeure et exécution d’une obligation monétaire », D., n° 38, 2014, p. 2217.

15 Cass. Civ. 3e, 30 juin 2022, nos 21‑20.190, 21‑20.127 et 21‑19.889, Dimitri Houtchieff, « Loyers et Covid‑19 : la délivrance des bailleurs », D., n° 28, 2022, p. 1445 ; Sandrine Tisseyre, « Épidémie de Covid‑19 : en cas de fermeture de son commerce, le locataire reste tenu du paiement des loyers », D., n° 28, 2022, p. 1398 ; Jean‑Pierre Blatter, « Covid‑19 et paiement des loyers : la Cour de cassation a tranché ! », AJDI, n° 9, 2022, p. 605 ; Fabien Kendérian, « Épilogue de la saga judiciaire sur le sort des “loyers Covid” : les loyers sont dus ! », RTD Com., n° 3, 2022, p. 435.

16 V. not. : Géraldine Machinet, Philippe Riglet, « Du bail commercial aux stratégies d’“asset light”, le constat de la rigidité du modèle du bail commercial hôtelier », JT, n° 269, 2023, p. 33.

17 Mustapha Mekki, « De l’urgence à l’imprévu du Covid‑19 : quelle boîte à outils contractuels ? », AJ Contrat, n° 4, 2020, p. 164.

18 Ibid.

19 Art. 1722 du Code civil.

20 V. not. : Cass. Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17‑11.439 ; Cass. Civ. 3e, 9 déc. 2009, n° 08‑17.483 ; Cass. Civ. 3e, 6 mars 1984, n° 82‑15.817.

21 Op. cit.

Citer cet article

Référence électronique

Élise ROUMEAU, « Le droit des contrats face aux risques », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 20 décembre 2024, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=2725

Auteur

Élise ROUMEAU

Maître de conférences en droit privé, Université Grenoble Alpes, CRJ ; membre associée, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital (CMH) UR 4232, F 63000 Clermont‑Ferrand, France

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