« Entre la nature et nous, il n’y a ni égalité, ni symétrie, ni même proportion. Elle est tout, nous ne sommes rien, en tout cas rien sans elle, rien en dehors d’elle. Relation non d’égalité, mais d’appartenance1 ».
Introduction
L’évocation d’une « justice pour l’eau conduit à interpeller le terme même. Pour Platon (La République), la justice est la vertu majeure qui concourt avec les trois autres (sagesse, courage, tempérance), mais de manière déterminante, à la vertu de la Cité. Pour Spinoza (L’Éthique), il y a nécessité de lois « qui modèrent et contraignent l’appétit du plaisir et les passions sans fin ». La justice vise aussi à prévaloir l’autorité du droit. Il résulte d’une construction spatio-temporelle avec des textes évolutifs et contingents. Certains sont qualifiés de droits fondamentaux, à portée universelle, ils structurent l’humanité dans son essence, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Entre droits universels et droits contingents, la coexistence est permanente, plus ou moins bien caractérisée suivant les régimes en vigueur. Seuls les juges quand ils sont indépendants, dans leur intime conviction, rendent la sentence en se déterminant sur l’un ou/et l’autre.
La justice pour l’eau laisse entendre que l’eau, cet élément essentiel à la vie, bénéficie d’un environnement juridique tel, que nous les humains avons juridicisé son approche, jusqu’à la rendre justiciable. Elle est intégrée par des conventions internationales, régionales, le droit régional, les lois et règlements, les juges en garantissant l’application en cas de méconnaissance, sachant que des institutions en assurent la gestion et que des moyens opérationnels sont mis en œuvre pour assurer la réalisation des objectifs fixés par la société.
L’eau et les milieux aquatiques constituent encore un élément naturel que l’homme occidental perçoit au regard de son utilité et moins pour lui-même. Il est admis à la fois qu’un écosystème aquatique puisse être détruit, moyennant pour certains projets seulement, l’intervention d’une compensation2, comme est admise désormais la réparation du préjudice écologique dès lors qu’il y a « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement »3. Même s’il y a bien réparation, la vision anthropocentrée est caractérisée.
De manière générale, comme l’essentiel des éléments de l’environnement, l’eau et les milieux aquatiques font l’objet d’une approche « utilitaire », ils constituent des attributs pour l’humain, nécessaires à la réalisation des objectifs de croissance.
Alors s’il existe une justice pour l’eau, elle ne pourra être perçue que pour l’intérêt intrinsèque de l’eau et des milieux aquatiques elle-même, et non pour les avantages, économiques ou financiers que l’espèce humaine peut tirer de cet élément. Ce qui pourrait aussi signifier qu’ayant conscience de cette valeur unique, l’espèce humaine se comporte de manière telle qu’elle préserve ce patrimoine si précieux. De plus, les préoccupations relatives à l’eau tant d’un point de qualitatif que quantitatif, sont renforcées par les effets du changement climatique4.
Par ailleurs, nous savons aujourd’hui que la survie de nombreux êtres humains est déterminée par l’absence de disponibilité de l’eau et de système d’assainissement. L’eau est devenue un enjeu des droits de l’Homme, un enjeu de survie pour des millions d’êtres humains5. Il ne s’agit pas ici de déterminer des usages de l’eau, il s’agit d’apprécier sa fonction vitale essentielle pour tout être vivant, pour tout humain.
À ce titre, l’espèce humaine s’est adaptée d’un point de vue géographique aux conditions climatiques, des Inuits aux nomades du désert, elle démontre cette capacité. L’eau potable est devenue pour des millions d’humains un enjeu de survie. Il y a donc un défi majeur à poser les conditions de la satisfaction des besoins fondamentaux, de garantir la dignité humaine, c’est tout l’enjeu du droit à l’eau. Dans une sorte de schéma inversé, c’est la capacité de nos sociétés, non plus à préserver un environnement partagé, mais à garantir à chacune et chacun un minimum vital6, l’eau, indissociable de la vie elle-même dont il est l’un des éléments.
Il existe bien un corpus normatif significatif, tant aux plans international, européen que national, relatif à l’eau dans la diversité de ses manifestations. Ce corpus normatif est le produit des humains, de manière générale, l’approche est marquée par un anthropocentrisme caractérisé. Ce premier volet permet de situer les rapports de l’humain à l’eau dans sa fonction utilitariste. Il apparaît à ce titre que l’humain, plutôt prédateur, n’est pas en mesure encore de produire une justice pour l’eau qui devient une nécessité. Dans le même temps, l’humain de ne peut vivre sans eau : l’eau est devenue un enjeu même de sa survie, fournir à chaque être humain un minimum vital, quelle que soit sa situation, constitue bien un défi. Ici l’eau devient un vecteur de justice pour l’Humain. La perspective d’une justice pour l’eau impose de relever un défi : la justice pour l’Humain lui-même.
I. La nécessité d’une justice humaine pour l’eau
La question des rapports de l’Homme à l’eau est exacerbée avec les évolutions liées au changement climatique. Ainsi, plusieurs pays européens ont connu une période de sécheresse sans précédent, plusieurs États américains sont en situation de stress hydrique, l’Afrique du Sud a connu une crise grave, le Moyen-Orient connaît une situation particulièrement tendue renforcée par un contexte spécifique où de manière récurrente les Palestiniens sont privés d’eau7. En France, le déficit hydrique a été caractérisé jusqu’à l’automne 20188. Sur toute la planète, aux questions quantitatives s’ajoutent les problèmes qualitatifs9.
Dans ce contexte, afin de déterminer les conditions d’une justice pour l’eau, l’analyse doit s’attacher à déterminer en quoi les sociétés humaines sont en capacité de préserver l’un des éléments essentiels à la pérennité de la vie sur la terre. Pour ce faire, nous identifierons en quoi les règles en vigueur contribuent à une approche permettant d’abord de préserver le potentiel écologique de l’eau et des milieux aquatiques, dont l’un des objectifs est de répondre aux besoins humains. Ce faisant, s’il existe une justice pour l’eau, il est opportun d’identifier ses éléments caractéristiques.
À ce titre les règles en vigueur nous permettront de constater que nous sommes confrontés à une impasse déterminée par l’approche utilitariste, dont le dépassement peut intervenir avec une approche dite « inclusive ».
A. De l’impasse de l’approche utilitariste
La construction normative relative à l’eau et des milieux aquatiques place l’être humain et ses besoins au‑dessus de la nature dont il peut disposer sans limites au besoin par des procédés technologiques. La gestion équilibrée permet de répondre à l’urgence de la consommation humaine, elle conduit ensuite à concilier les exigences biologiques avec les divers usages10. En pratique, l’artificialisation des milieux pour répondre aux besoins croissants constitue l’un des éléments caractéristiques de la gestion contemporaine de l’eau, notamment pour satisfaire les demandes de l’agriculture industrialisée11. De manière générale, l’évolution des règles en vigueur conduit à identifier un cadre juridique marqué par l’objectif de répondre aux défis à court terme, mais les évolutions les plus récentes conduisent à des fléchissements significatifs.
1. Un cadre évolutif
Si l’on considère l’objet « eau » auquel nous intègrerons les milieux aquatiques, force est de constater que le droit international y occupe une place marginale. La première convention sur les zones humides12 révèle une prise de conscience sur des milieux aquatiques fragiles. La Convention de New York développe une approche à la fois internationalisée, « souverainiste » et utilitariste de l’eau, les États s’engageant à prendre « toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres États du cours d’eau », les États s’engageant à une utilisation de l’eau « équitable et raisonnable13 ». La Convention d’Helsinki, devenue universelle, présente une approche plus écosystémique, centrée sur la préservation de l’eau et des milieux aquatiques, son protocole intéresse les questions centrales d’environnement et de santé humaine14.
Le droit européen présente un dispositif d’ensemble avec la directive-cadre (DCE) portant essentiellement sur les aspects qualitatifs de la gestion, par bassins et sous-bassins, indissociable d’un ensemble de textes sectoriels15 (activités dangereuses, produits dangereux, préservation des écosystèmes aquatiques, des espèces avec Natura 2000, complété par la gestion des eaux marines, des eaux résiduaires urbaines, des pollutions d’origine agricole ou des eaux de baignade) ; le droit français met en œuvre ces règles16.
Si cet ensemble a permis d’améliorer la gestion globale de l’eau, les objectifs qualitatifs (bon usage écologique de l’eau) de la DCE n’ont pas été atteints17.
Mais de manière plus globale, aucune règle n’a enrayé l’utilisation de substances dangereuses portant durablement atteinte à l’eau. La mise en œuvre de la directive nitrate apparaît particulièrement lacunaire. Le cas des pesticides, avec notamment le glyphosate, est révélateur des renoncements successifs18. Le modèle de production, notamment agricole, devenu industriel avec qui plus est l’installation d’usines d’élevage est reconduit et encouragé par l’Union européenne et la France. Les mesures agroenvironnementales ont un effet marginal. Ainsi, l’agriculture biologique fait l’objet de mesures contrastées, si la reconduction des aides à la reconversion est acquise, le maintien de cette production est remis en cause19.
Les coûts générés par les pollutions sont exorbitants, ils concernent d’abord les exigences liées à la potabilisation des eaux destinées à la consommation humaine, mais il intéresse aussi les coûts des dépollutions et l’impact sur certaines activités comme le tourisme20.
Au-delà de ces aspects, les règles économiques en vigueur supportent le modèle de développement choisi qui est devenu un dogme reposant sur les exigences de croissance et de compétitivité21. Ce modèle génère de facto une pression croissante sur les ressources naturelles, il conduit à accélérer leur dégradation.
Alors même que l’évolution de l’état de l’eau et des milieux aquatiques exige des contrôles et des sanctions renforcées, les autorités politiques font expressément le choix d’alléger les contrôles (cf. supra), donnant même instruction aux services de moins intervenir22 et en même temps, les conditions d’accès aux juridictions sont restreintes, tant au regard des installations dangereuses que de la mise en œuvre des projets23.
De plus, circonstances aggravantes, alors que des règles de protection devraient être renforcées, ce processus global s’accompagne de fléchissements substantiels des contrôles avec des conséquences tant sur la gestion quantitative que qualitative.
2. Des fléchissements substantiels
L’intégration des éléments essentiels de la nature, comme l’eau et les milieux aquatiques au patrimoine commun de la nation24, semble indiquer que leur préservation est essentielle. Mais les évolutions les plus récentes du droit de l’environnement tendent à atténuer les mesures préalables de prévention, tout en privilégiant les enjeux économiques et financiers au détriment des exigences environnementales.
En effet, l’évolution des règles en vigueur tend à favoriser le développement de projets répondant à un productivisme sans limites et prédateur (cas avec les pesticides, perturbateurs endocriniens Europe 2017), porté par des enjeux financiers, voire des lobbies. Il en résulte un assouplissement significatif et désormais constant des règles avec notamment :
- La modification significative des contrôles préalables. Ainsi les nomenclatures qui permettent d’identifier les projets les plus impactants pour l’environnement ont été réformées, les règles en vigueur conduisant à relever le seuil des projets soumis à contrôles, faisant ainsi échapper nombre d’entre d’eux à l’application du principe de prévention ou à alléger les contrôles pour d’autres25. Ces évolutions conduisent concomitamment à réduire le champ de l’évaluation environnementale et de la participation, puisque pour les dossiers relevant du « cas par cas », le préfet seul de détermine le niveau de contrôle, d’évaluation et de participation26 ;
- L’évaluation environnementale : outre que certains projets ne sont soumis à évaluation que s’ils relèvent de l’autorisation environnementale, le champ de cette dernière étant réduit, l’évaluation environnementale elle-même a été réformée en assouplissant les seuils de mise en œuvre27. Dans le seul domaine de l’eau, des projets IOTA jusqu’alors relevant d’un document d’incidence, sont désormais classés pour nombre d’entre eux dans l’évaluation au cas par cas et il en résulte que la plupart ne sont pas soumis à évaluation28.
- Le droit dérogatoire. Nous avions pour habitude d’avoir quelques exceptions aux règles instaurées. Ainsi, tant pour le droit européen qu’interne, la question des « raisons impératives d’intérêt public majeur29 » justifie que soit porté atteinte à un site Natura 2000. Toutefois, un ensemble de textes, dits « expérimentaux », engagent un processus dérogatoire généralisé. Il en est ainsi d’un premier décret qui instaure une expérimentation de dérogation aux règles en vigueur dans tous les secteurs majeurs des activités humaines locales, y compris l’environnement30. Il a été suivi de deux autres dispositions intéressant les outre-mer, territoires très fragiles, avec le décret relatif à l’évaluation environnementale31 et celui relatif au transfert à certaines collectivités de compétences aux enjeux environnementaux majeurs, comme l’exploitation minière offshore dans les départements d’outre-mer32.
Ce processus affecte aussi la participation. En effet, tout d’abord notons les effets directs de l’examen au cas par cas qui subordonne aussi l’intervention de l’enquête publique à la volonté du préfet33. Mais le législateur a engagé une remise en cause de fond de l’enquête publique, en autorisant une expérimentation qui permet de la remplacer par une consultation électronique34.
Le domaine de l’eau révèle des évolutions peu en phase avec un objectif de préservation. Outre la modification des nomenclatures, le Ministère donne lui-même des consignes d’allègement des contrôles en raison du manque de moyens, pour les dossiers soumis à déclaration IOTA35. D’un point de vue opérationnel, la mise en œuvre de la cartographie des cours d’eau a fait apparaître des pratiques catastrophiques, avec une administration soumise au dictat des lobbies agricoles36. De même, les exceptions adoptées sur les continuités écologiques marquent un fléchissement majeur des objectifs avec les ouvrages qualifiés de « moulins à eau » existants qui bénéficient désormais d’une exception générale aux exigences inhérentes aux cours d’eau de deuxième catégorie, dans le cadre de la production d’énergie « renouvelable37 », tandis que la mise en conformité des installations existantes sur les cours d’eau de la même catégorie est reconduite pour 5 ans supplémentaires38.
Ces régressions significatives s’inscrivent pourtant dans un contexte marqué par l’intervention de décisions juridictionnelles tendant vers une justice pour l’eau et les milieux aquatiques. La décision de la Cour Internationale de justice en 1997 constituait un premier indicateur39, une dernière décision constitue une avancée significative avec l’obligation pour un État de réparer « la dégradation ou la perte de biens et services environnementaux40 ». En France, c’est une décision de 2002 qui ouvre la voie à cette approche41. Désormais, les juridictions civiles appliquent bien le principe de la réparation42, la Cour de cassation sanctionnant une Cour d’appel qui, tout en constatant l’existence d’un préjudice écologique, n’a pas engagé le processus d’indemnisation, y compris en diligentant une expertise43. Une commune est fondée à se constituer partie civile « pour solliciter l’indemnisation de tout préjudice subi du fait des infractions portant atteinte à l’intérêt collectif environnemental de son territoire44 ». En revanche, les juridictions administratives ne souhaitent pas franchir le pas, elles se réfèrent à leur cade juridique45.
Il faut apprécier à leur juste mesure, dans un contexte culturel donné, la reconnaissance de la personnalité juridique à des écosystèmes aquatiques46. Même si cette perspective pourrait être envisagée ailleurs, elle paraît éloignée d’une culture généralisée fondée sur une croissance exponentielle, donc une prédation constante sur les ressources pour répondre d’abord aux besoins humains, d’où les artifices utilisés : réserves d’eau, barrages, puisages en couches géologiques profondes, dessalement des eaux de mer.
Nonobstant ces dernières perspectives, sur le fond, le droit français de l’eau et plus généralement le droit de l’environnement, connaissent des régressions successives. Oui, il existe bien une difficulté structurelle à préserver effectivement l’environnement, mais aussi à faire appliquer les règles en vigueur. La justice pour l’eau est bien à construire.
En pratique, le modèle de développement fondé sur la croissance et la prédation constantes des ressources naturelles conduit à l’impasse dont les révélateurs sont le changement climatique, la perte de biodiversité ou les pollutions des sols, de l’air ou de l’eau.
D’un point de vue juridique, le modèle en vigueur repose sur l’utilitarisme de la nature, une approche essentiellement anthropocentrique. Si l’objectif est bien de préserver l’eau et les milieux aquatiques pour mieux pérenniser la vie sur la Terre, dont celle des humains, une autre logique doit prévaloir, portée par l’effectivité des règles instaurées avec une démarche inclusive.
B. Aux exigences d’une démarche inclusive
Comment répondre à cette exigence posée par la Convention sur la biodiversité que « la conservation de la diversité biologique exige essentiellement la conservation in situ des écosystèmes et des habitats naturels ainsi que le maintien et la reconstitution de populations viables d’espèces dans leur milieu naturel », et qui concerne aussi le milieu marin47 ?
Cette formulation repose sur l’écosystème défini comme « le complexe dynamique formé de communautés de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leur interaction, forment une unité fonctionnelle »48.
Il s’agit bien de replacer l’humain, l’espèce humaine dans cet ensemble, la biodiversité qui comporte un ensemble d’éléments, d’écosystèmes d’espèces animales et végétales. L’espèce humaine n’est pas « hors système », elle fait partie de ce tout, de la Terre. Parmi les sources du changement climatique, il est avéré que cette espèce est la seule qui contribue à faire évoluer celui-ci de manière significative, la qualification de l’anthropocène permet d’identifier le changement intervenu49.
La mesure de l’impact humain est établie avec l’empreinte écologique, elle peut intervenir globalement, par pays au niveau de chaque individu50. Ainsi est établi un état des lieux planétaire déclinable par région, puis par État, situant à la fois l’empreinte écologique et la capacité limite de charge des écosystèmes51. Un tel bilan a été réalisé pour la francophonie avec une déclinaison pays par pays52.
En matière d’eau plus précisément, le type de culture ou d’élevage, comme les modes de consommation, sont déterminants. Ainsi, en matière de production de viande ou de maïs par exemple53.
Pour répondre à l’objectif d’une justice pour l’eau, il s’agit donc de rechercher comment établir une évaluation et des actions permettant de répondre aux exigences de préservation de l’eau et des milieux aquatiques, tout en prenant en considération sa capacité limite. Pour ce faire, il est nécessaire de modifier l’approche en vigueur, de partir de l’écosystème aquatique pour tendre vers ce subtil équilibre au sein de la biosphère dont l’eau constitue un indicateur majeur. L’objectif est d’instaurer une matrice nouvelle, la capacité limite de charge de l’écosystème assortie d’un dispositif opérationnel.
1. Une matrice nouvelle : la capacité de charge
Ce sont les capacités limites de la Terre qui obligent l’humanité à repenser ses rapports à l’environnement ; l’exemple de l’eau est emblématique. L’ONU s’interroge sur un changement de paradigme, en partant de l’écosystème et non des besoins humains54.
Avec l’empreinte écologique, nous savons en quoi l’humanité porte atteinte de manière significative à l’eau et aux milieux aquatiques. Il en résulte que :
- Nous ne pouvons occulter les conditions d’occupation du sol et de l’espace et l’artificialisation continue des sols, qui portent atteinte à l’eau et aux milieux aquatiques ;
- Certains modes de culture, certaines cultures sont particulièrement prédatrices et attentatoires à l’environnement, comme certains types d’élevage ont un impact majeur sur les écosystèmes ;
- Le modèle dominant, en prédation exponentielle sur l’eau et les milieux aquatiques, doit être interrogé, le dogme de la croissance le supporte. Pour le domaine de l’eau, l’Agenda 21 en situe dès 1992 les enjeux en précisant que l’ensemble de la population devait disposer de l’eau en préservant les écosystèmes, « en adaptant les activités humaines à la capacité limite de la nature et en luttant contre les vecteurs des maladies liées à l’eau »55 ;
- À l’appui de ces logiques, nous ne pouvons échapper à l’examen de la question démographique et à l’impact de l’humanité sur l’eau et les milieux aquatiques : ainsi les évolutions depuis les années cinquante conduisent au constat que de 2,5 milliards en 1950, nous sommes passés à 7,7 milliards en 2017, nous serons 9,8 milliards en 205056. La corrélation entre la croissance de la population et l’augmentation exponentielle des besoins est bien établie, en particulier pour l’eau57.
L’approche par l’écosystème permet de replacer l’environnement au centre de l’analyse. L’écosystème global permet de situer précisément les limites de la capacité de charge. Cette approche n’est pas inconnue du droit interne, par exemple en urbanisme les auteurs des documents d’urbanisme déterminent « la capacité d’accueil » des espaces urbanisés58, expliquée comme devant déterminer « ce que le territoire peut supporter comme activités et usages sans qu’il soit porté atteinte à son identité physique, économique, socioculturelle et aux équilibres écologiques »59. Au-delà de ces aspects techniques, l’identification de la capacité de charge repose sur :
-
- la réduction et l’élimination des modes de production et de consommation non viables, la promotion de modes viables60 ;
- l’identification des mesures opérationnelles pour lutter contre le changement climatique61 ;
- la préservation impérative des écosystèmes ou la prit en compte du rôle de la biodiversité comme élément déterminant pour la Terre, car l’approche reste essentiellement anthropocentrée62.
L’objectif est de déterminer jusqu’où un écosystème63 peut être affecté par l’humain, quelle que soit la modalité d’intervention, sachant que tous les écosystèmes sont concernés, qu’ils soient terrestres, marins, côtiers, de surface ou souterrains/sous-marins.
La mesure de la capacité limite de charge d’un écosystème permet d’identifier à partir de quel moment la dégradation est telle que celui-ci a perdu ses équilibres structurels. Il s’agit bien de mesurer les limites exigées à l’impact humain. Le référant en la matière pourrait être celui de la restauration des écosystèmes, où la dégradation est définie comme se rapportant « à des changements subtils ou graduels qui réduisent l’intégrité et la santé écologique », complété par le degré ultime la destruction puisqu’« un écosystème est détruit lorsque la dégradation ou le dommage supprime toute vie macroscopique, et généralement abîme l’environnement physique64 ».
L’impact humain conduit à des destructions irréversibles. Il est établi que cet impact génère parfois la reconstitution éventuelle de l’écosystème, qualifiée de résilience. Mais cette dernière varie dans l’espace et dans le temps, entre une rivière polluée sur quelques mètres et les fonds marins, la reconstitution peut aller de quelques semaines à des centaines d’années, les pollutions radioactives se mesurant en millions d’années.
Ainsi, un sous-bassin-versant affecté par une rupture tel un barrage, doit être apprécié non au regard du projet lui-même, mais de ses impacts globaux et de l’existence d’autres activités et implantations sur cet espace : circulation des espèces, des sédiments, équilibres globaux, pollutions, alimentation en sable des plages, etc., de même que l’impact sur une tourbière par exemple ne peut être réellement apprécié qu’au regard de ses fonctions écologiques, du temps nécessaire à sa constitution et à sa capacité de résilience en cas d’atteinte.
Dès la conférence de Johannesburg, les chefs d’État et de gouvernement se sont engagés à « promouvoir le développement économique et social dans les limites de la capacité de charge des écosystèmes »65.
La mesure de cette limite permet de déterminer des critères de calcul de ce qui est dénommé la « biocapacité », qui est calculée pour chacun des cinq grands types d’usages : cultures, pâturages, zones de pêche (eaux marines et intérieures), forêts, terrains bâtis66. Des analyses démontrent la pertinence de certains modes de production au regard de la capacité limite de charge67.
D’un point de vue pratique, l’impact humain fait désormais l’« objet d’une approche intégrant cet aspect, c’est le cas avec l’évolution urbaine qui allie évolution des populations et territoires. Pour la première fois sur la planète, au xxie siècle, plusieurs mégalopoles s’engagent à limiter leur population et leur expansion immobilière68.
Il apparaît en effet qu’au-delà de l’énoncé, il est nécessaire de tendre vers une approche opérationnelle de ce nouveau processus.
2. Une exigence opérationnelle
L’approche anthropocentrée développée jusqu’ici révèle ses limites, voire son impasse. De plus, nous constatons un mouvement porté par des replis nationaux caractérisés69, alors même que l’état de la terre exige coopération et multilatéralisme. Cette approche est peu compatible avec la mise en œuvre d’une approche fondée sur la capacité limite de charge qui exige une vision globale, une volonté politique claire et l’émerge de décisions répondant aux défis posés tant au plan local que global.
Il s’agit donc de rechercher le processus qui permet de répondre à une justice pour l’eau, une justice fondée sur l’enjeu que représente cet élément non pour un État, mais pour la Terre elle-même, pour toutes les espèces, donc pour l’humanité dont elle constitue un élément de survie.
Le fondement d’une réponse adaptée peut résulter de plusieurs voies d’un point de vue juridique. Il peut s’agir :
- dans un cadre multilatéral, de l’adoption d’une résolution internationale, à l’instar de celle relative au pacte mondial pour l’environnement70. La reconnaissance de l’écosystème comme matrice de tout développement d’implantation humaine et d’activité, la détermination de tout développement à la prise en considération de la capacité limite de charge de tout écosystème peut être adoptée en reposant sur une exonération de sanctions à toute règle en vigueur susceptible d’en limiter la portée et reposant sur le principe de la responsabilité commune, mais différenciée71 ;
- de l’engagement pris par un groupe d’États, de collectivités ou de peuples dits d’« avant-garde » permettant une application immédiate sur la planète de la préservation des écosystèmes, quels qu’ils soient, en s’appuyant sur la règle de la capacité limite de charge, exclusive de toute condition économique et financière72 ;
- d’une initiative de la société civile, soutenue par les ONG internationales des droits de l’environnement et des droits de l’Homme73.
Ces interventions peuvent être conjuguées, coordonnées, complémentaires, elles ne sont pas exclusives les unes des autres.
De manière générale, l’objectif central est d’instaurer un dispositif permettant d’évaluer la capacité limite de charge des écosystèmes afin de préserver les seuils d’équilibre et donc la limite à toute anthropisation susceptible de les rompre.
Ce processus exige une évaluation permettant de conditionner toute implantation humaine, toute croissance de population à la capacité limite de charge des écosystèmes et de manière globalisée de la biosphère. Ceci doit permettre de s’appuyer sur les pratiques locales répondant déjà à ces objectifs, de s’inspirer de certaines sociétés ayant établi des rapports de composition avec la nature qu’elles ont intégrés à leur culture.
Il s’agit de manière opérationnelle d’identifier une unité de mesure. Celle-ci a été développée avec la mesure d’un hectare biologiquement productif pondéré par la productivité74. Ainsi, l’approche scientifique permet d’exprimer l’impact des humains sur la Terre, d’une région donnée ou d’un écosystème local, ainsi que le seuil possible pour satisfaire les besoins fondamentaux afin de préserver la pérennité de toute vie.
En partant de cette approche, l’indicateur relatif à la capacité limite de charge reposera sur la combinaison de deux éléments :
- d’une part, sur le calcul de l’empreinte écologique stricto déjà disponible. Il permet de mesurer l’impact de toute occupation du sol et de l’espace par tout humain, avec une approche planétaire reposant sur les neufs indicateurs permettant d’en suivre l’évolution globale75, que sont l’ozone l’atmosphérique, la population, l’eau douce, les forêts, les captures de pêche, les zones mortes maritimes, les espèces vertébrées, l’émission de CO2, le changement de température et population. Il est décliné au plan local, jusqu’au niveau d’un individu, afin de déterminer le niveau de perturbation des écosystèmes faisant l’objet d’un impact humain ;
- d’autre part, le calcul de la capacité limite de charge, par écosystème. Cet indicateur permet d’évaluer les limites supportables d’un écosystème, le niveau d’artificialisation, l’état des sols, de l’eau, de la biodiversité, des espaces boisés, le niveau des intrants utilisés, la pollution de l’air, le niveau de prélèvement de la pêche ou de la chasse, la production de déchets, l’utilisation de tout produit chimique76, d’« icides », la pollution de l’air, de l’eau et des sols. Compte tenu des données, cet indicateur déterminera la limite de capacité de charge à ne pas dépasser. L’objectif est de maintenir la biocapacité de tout écosystème et de la biosphère.
Ce processus impose, du niveau global au niveau local, de s’appuyer sur les préconisations des scientifiques77. L’objectif sera donc de revenir progressivement, pour chaque État et/ou région, à l’équilibre des ressources produites par la nature en un an78. L’évaluation de la capacité limite de charge devient de ce fait l’outil majeur visant à pérenniser la biosphère, donc l’humanité, en rassemblant les nations et les dirigeants pour soutenir cet objectif vital.
Comme en matière de climat avec le GIEC, ce processus sera évalué par une expertise indépendante, tant au niveau global que local. Ceci implique un cadre institutionnel avec, une autorité mondiale de référence en associant les autorités locales : un Institut Terrestre, porteur des seuls intérêts de la vie sur la planète, missionné par l’Assemblée générale des Nations Unies. Dans ce cadre, il sera relayé à chaque échelon par une seule autorité publique responsable. Dans le domaine de l’eau, l’approche globale vise le bassin d’eau douce international ou national (eaux côtières, de surface, souterraines), les eaux marines avec la colonne d’eau), mais aussi tout biote. Chacun de ces éléments exige une expertise adaptée, car autant leur capacité de charge que leur résilience sont très variables (un cours d’eau, une tourbière, les fonds marins, etc.).
En s’appuyant sur les dernières décisions de la CIJ et la mise en œuvre de la responsabilité environnementale79, il est possible d’envisager désormais une réelle régulation juridictionnelle. Entre saisine élargie de la CIJ et extension de la responsabilité environnementale à la CPI, un saut qualitatif est possible.
La capacité limite de charge des écosystèmes apparaît bien comme un possible indicateur de référence permettant de poser un cadre au regard de l’objectif du maintien des équilibres tant globaux que locaux, il y a là à la fois une question relative à la pérennité du groupe vivant ici, « espèce humaine », et les supports de son identité80. En ce sens, elle permet de contribuer à l’émergence d’une justice pour l’eau.
En inversant le processus, en partant de l’écosystème et ses limites, l’humanité franchirait un pas qualitatif, mais elle doit rendre ce processus opérationnel avec un cadre juridique déterminant et déterminé.
II. L’eau : vecteur de justice pour l’humain
En raison même de son caractère vital pour l’ensemble du vivant sur la planète, et parce qu’elle est devenue un enjeu de survie pour de nombreux humains, l’eau constitue aussi un vecteur de justice pour l’humain.
La nécessité de disposer de quantité d’eau suffisante pour répondre aux besoins fondamentaux comme celle de récupérer les eaux usées repose sur un élément majeur, la reconnaissance du droit à l’eau. Il s’agit bien de l’intégration concomitante des questions d’eau potable et d’assainissement. De ce point de vue, il paraît nécessaire en préalable de bien distinguer accès à et droit à l’eau.
Le droit à l’eau, tel que défini par les diverses résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies et le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, constitue un droit fondamental de l’humain, il comporte deux éléments81 :
- d’une part, la mise à disposition, pour tout être humain, d’une quantité d’eau suffisante pour satisfaire à ses besoins fondamentaux ;
- d’autre part, la disponibilité d’un équipement garantissant un assainissement de base, avec au moins la récupération des eaux usées.
Quelles que soient les techniques utilisées, le droit à l’eau permet de répondre aux besoins fondamentaux de chaque être humain, il s’inscrit dans le cadre des Droits fondamentaux de l’être humain. Ce droit en tant que droit humain fondamental est régi par les règles inhérentes aux droits de l’Homme, il vise la santé, la dignité, l’hygiène, le droit à la vie. En cas de méconnaissance, il peut être sanctionné à ce titre de manière spécifique, par des Cours des Droits de l’Homme (CEDH, CIDH, CADH) ou même par la Cour pénale internationale (art. 7 Crimes contre l’humanité).
En revanche, l’accès à l’eau répond de manière précise à d’autres considérations. Il vise expressément la souveraineté d’un pays sur les ressources en eau. Il concerne aussi les techniques de maîtrise de l’eau (pompage, barrages, dérivation). Il vise aussi les moyens techniques qui contribuent à acheminer l’eau pour la consommation (canalisations, puits, sources, compteur, robinet, bouteille, etc.).
L’accès à l’eau concerne aussi les gestions quantitative (répartition des usages) et qualitative (conditions d’utilisation), avec les contrôles administratifs qu’elles exigent.
De ce point de vue, le droit de l’eau régit l’accès à l’eau tant au niveau international (Conventions de New York, d’Helsinki), européen (DCE et autres directives), que national ou local82. Ainsi le droit français précise : « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous83 ». Cet article vise expressément l’accès à l’eau potable en subordonnant celui-ci à un coût économiquement acceptable. Il ne s’agit donc pas de la reconnaissance d’un « droit à l’eau », d’autant que cet accès est subordonné à une condition économique, ce qui est incompatible avec la réalisation d’un Droit de l’Homme. De plus, ce texte n’évoque pas l’assainissement. Il fixe un cadre pour la gestion de l’eau et des milieux aquatiques, l’accès à l’eau en constitue un élément.
Cette approche est confortée par l’article L. 211-1 de ce même Code énonce que « II. - La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population ».
Il apparaît en effet que l’utilisation du terme « accès à l’eau » génère une confusion de fond, et que cette formulation ne répond pas aux exigences posées par la définition énoncée par les textes adoptés à différents niveaux par les Nations Unies reconnaissant le « droit à l’eau ».
L’eau ne peut être un vecteur de justice pour l’humain sans une reconnaissance du droit à l’eau comme droit fondamental, celui-ci étant assorti de mesures opérationnelles de réalisation. À ce titre, si le contexte général a été favorable à de substantielles évolutions conduisant à une reconnaissance effective, la France se distingue dans le concert des nations par de coupables réticences.
A. Un processus constructif
L’affirmation et la mise en œuvre du droit à l’eau répondent à un contexte majeur. Au plan international, le constat est sans appel : près d’un milliard de personnes ne disposent pas d’eau potable, plus de 2,6 milliards ne disposent d’aucune installation sanitaire. Il en résulte que chaque année meurent en raison de leur situation au regard de l’eau (manque, pollutions, maladies, etc.), plusieurs millions de personnes, majoritairement des enfants84.
Le droit international a très tôt intégré la nécessité de fournir à chaque être humain les éléments essentiels à la vie comme le logement, l’eau, un équipement d’assainissement, la nourriture, l’éducation, la santé. Nous pouvons observer que le processus de reconnaissance du droit à l’eau a d’abord été intégré par des approches sectorielles, avant de devenir une question à traiter de manière spécifique justifiant des interventions adaptées pour une reconnaissance sans ambiguïté.
1. Des approches sectorielles
L’identification de la problématique de l’eau potable et de l’assainissement résulte de deux processus :
- D’une part, une intégration diversifiée :
Ainsi, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, en son article 25-1, exprime l’exigence que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habitat, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». Elle donne ainsi sens à la dignité humaine, en énonçant que « toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la Sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays »85.
Au-delà de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, comme l’exigence de dignité, est rappelé par le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels86, tandis que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit « la torture […] des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants87 ».
- D’autre part, la question de l’eau et de l’assainissement est intégrée de manière plus directe par un ensemble de conventions sectorielles, l’objectif étant de préserver l’être humain en satisfaisant ses besoins fondamentaux et assurer sa dignité.
Il en est ainsi avec :
- la convention sur les droits des prisonniers de guerre88 dont l’article 26 impose que « de l’eau potable en suffisance soit fournie aux prisonniers de guerre », tandis que pour l’article 29 « les prisonniers de guerre disposeront jour et nuit d’installations conformes aux règles d’hygiène et maintenues en état constant de propreté » ;
- la convention sur droit de l’enfant89, qui précise en son article 24 que les États prennent les mesures appropriées pour « lutter contre la maladie et la malnutrition, y compris dans le cadre des soins de santé primaires, grâce notamment à l’utilisation de techniques aisément disponibles et à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable, compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel » ;
- la convention sur le droit des femmes90, dont l’article 14 h) dispose que les États parties assurent le droit « de bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l’assainissement, l’approvisionnement en électricité et en eau, les transports et les communications » ;
- la convention sur les droits des handicapés91 qui précise en son article 28 que « les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille… » et qu’ils prennent des mesures pour « assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux services d’eau salubre… » ;
- la convention concernant l’hygiène dans le commerce et les bureaux92, qui concerne en fait l’ensemble des activités.
Au niveau régional, les conventions s’appuient sur la dignité humaine et la préservation de la personne humaine93.
Au sein du Conseil de l’Europe, la Convention européenne des Droits de l’Homme défend l’affirmation et la pérennité d’une société démocratique garantissant les droits fondamentaux de l’être humain. À ce niveau, le droit à l’eau constitue l’un des éléments de la dignité de la personne humaine dont la violation est sanctionnée par les juridictions94, même s’il ne fait encore l’objet d’une reconnaissance explicite dans les textes.
2. Une affirmation sans ambiguïté
Les premières formulations pour un droit à l’eau apparaissent avec une recommandation de la Commission des droits de l’homme de l’ONU pour adopter une résolution relative à « la reconnaissance du droit à l’eau, avec sa composante indissociable »95. Puis c’est le Conseil économique et social des Nations Unies qui va engager le processus de reconnaissance spécifique du droit à l’eau et à l’assainissement avec l’adoption d’une observation générale relative au droit à l’eau en 200296. Malgré les réticences de nombreux États, les travaux vont être approfondis dans le cadre de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU. Ainsi deux rapports vont contribuer à faire évoluer de manière significative le processus de reconnaissance du droit à l’eau. Le premier intervient en 2003 vise à déterminer les droits et obligations en matière d’approvisionnement en eau potable et assainissement97. Le second permet de préciser les conditions de formulation et de mise en œuvre du droit à l’eau et à l’assainissement98.
La reconnaissance effective du droit à l’eau intervient avec l’adoption d’une résolution de référence du 28 juillet 2010, sans opposition et une quarantaine d’abstentions99. Cette résolution constitue la première formulation expresse établissant à ce niveau le rapport entre droit de l’homme et droit à l’eau, intégrant l’assainissement. Cette déclaration énonce en son point 1 :
Déclare que le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ». Deux mois plus tard, les Nations Unies adoptent une deuxième résolution énonçant que « le droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement découle du droit à un niveau de vie suffisant et qu’il est indissociable du droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, ainsi que du droit à la vie et à la dignité100.
Lors de la Conférence de Rio + 20, les États adoptent la Déclaration qui précise : « Nous réaffirmons les engagements pris en faveur du droit à l’eau potable et à l’assainissement, qui doivent être réalisés progressivement pour nos peuples dans le plein respect de la souveraineté nationale101 ».
Les ODD adoptés en 2015 conduisent à préciser que les États s’engagent pour « un monde où les engagements que nous avons pris concernant le droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement soient tenus et où il y ait une meilleure hygiène102 ».
Lors de la 70e session en 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies rappelle l’enjeu de la reconnaissance du droit à l’eau, les engagements des États en 2010 pour ce faire, tout en appelant les États à « assurer la réalisation progressive des droits fondamentaux à l’eau potable et à l’assainissement pour tous sans discrimination, tout en éliminant les inégalités d’accès, notamment pour les personnes appartenant à des groupes à risque ou des groupes marginalisés103… », fondées sur la race, le sexe, l’âge, le handicap, l’appartenance ethnique, la culture, la religion, la nationalité et l’origine sociale ou sur tout autre motif, et avec l’objectif de réduire progressivement les inégalités découlant de facteurs tels que les disparités entre les zones urbaines et rurales, le fait de résider dans un bidonville, les niveaux de revenu et d’autres éléments pertinents. Le cadre politique et juridique posé, il s’agit d’apprécier comment les États, notamment la France, mettent en œuvre ce droit.
Plus récemment encore, l’AG des Nations Unies adopte le 19 décembre 2017104, avec le soutien de la France, une nouvelle résolution, rappelant la nécessité pour les États de reconnaître ce droit fondamental et précisant qu’il leur appartient “j) de prévoir des mécanismes de responsabilisation efficaces pour tous les fournisseurs d’eau et de services d’assainissement, notamment ceux du secteur privé, pour faire en sorte qu’ils respectent les droits de l’homme, ne soient pas à l’origine de violations de ces droits ou d’atteintes à ces droits, ou n’y contribuent pas”, et « 9. d’assurer la pleine réalisation de l’ensemble des droits de l’homme et de s’attacher à prendre toutes les mesures qui sont à leur portée, individuellement et dans le cadre de l’assistance et de la coopération internationales, en particulier de la coopération économique et technique, pour parvenir progressivement à la pleine réalisation des droits à l’eau potable et à l’assainissement par tous les moyens appropriés, notamment l’adoption de mesures législatives ».
L’Union européenne n’a pas reconnu le droit à l’eau comme droit de l’humain, la réforme de la directive sur l’eau potable n’intègre pas expressément cette reconnaissance ; malgré une initiative citoyenne et une résolution du Parlement en ce sens, la Commission refuse de l’intégrer expressément105.
Plusieurs États ont reconnu le droit à l’eau, soit au niveau de la Constitution (Zambie, Kenya, Afrique du Sud, Bolivie), soit au niveau de la loi (Argentine, Niger, Paraguay, Burkina Faso).
À noter qu’en Europe, la Slovaquie a intégré le 17 novembre 2016 dans sa Constitution un article ainsi formulé : « L’approvisionnement en eau de la population est assuré par l’État via les collectivités locales, directement et de façon non lucrative », précise ce texte. « Les ressources en eau sont un bien public géré par l’État. Elles sont destinées en premier lieu à assurer l’approvisionnement durable en eau potable de la population, et ne sont à ce titre pas une marchandise ».
Même si la France a soutenu diverses initiatives au plan international, elle n’a pas à ce jour reconnu le droit à l’eau comme un droit de l’Homme.
B. Les réticences françaises
Alors même que la France a soutenu l’adoption de la résolution des Nations Unies de juillet 2010, qu’elle a même proposé à l’Organisation mondiale de la santé l’adoption d’un texte « Eau potable, assainissement et santé106 » précisant que le droit humain à l’eau et à l’assainissement « habilite chacun, sans discrimination, à disposer pour son usage personnel et domestique d’une eau et d’un assainissement qui soient suffisants, sans risque, acceptables, accessibles physiquement et abordables », elle exprime au plan interne un positionnement moins constructif.
Force est de constater que la France connaît un équipement général en services d’eau potable et d’assainissement globalement cohérent, avec une couverture territoriale significative. Mais la progression des inégalités et de la pauvreté sont telles que la satisfaction des besoins fondamentaux n’est pas garantie pour chacune et chacun, y compris ceux ou celles disposant d’un travail et d’un logement. Ainsi, près d’un million de ménages n’ont accès à l’eau qu’à un prix considéré comme excessif par rapport à leurs revenus. Un consensus existe pour considérer que le coût est excessif lorsque la facture dépasse 3 % des revenus. Le droit à l’eau n’est pas effectif non plus pour plus de 300 000 personnes qui n’ont pas un accès direct ou permanent à l’eau et à l’assainissement : SDF, personnes vivant en habitat précaire… Ces chiffres sont malheureusement en augmentation, huit millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, le socle de la pauvreté étant le logement et les charges afférentes dont l’énergie et l’eau, essentiellement107.
C’est dans un contexte de nécessité et dans un cadre juridique clairement identifié que la France révèle une situation on ne peut plus intenable entre des pratiques condamnées et un renoncement récurrent.
1. Des pratiques condamnées
La situation des populations les plus démunies est prise en considération en France par un ensemble de dispositions. C’est le droit au logement qui fonde principalement les dispositions en vigueur108. De ce point de vue, le droit français comporte deux types de règles :
- D’une part, une obligation de fournir un logement « décent »109, c’est-à-dire comportant « 2. Une installation d’alimentation en eau potable assurant à l’intérieur du logement la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l’utilisation normale de ses locataires » et « 5. Une installation sanitaire intérieure au logement comprenant un W.-C., séparé de la cuisine et de la pièce où sont pris les repas, et un équipement pour la toilette corporelle, comportant une baignoire ou une douche, aménagé de manière à garantir l’intimité personnelle, alimenté en eau chaude et froide et muni d’une évacuation des eaux usées. L’installation sanitaire d’un logement d’une seule pièce peut être limitée à un w.-c. extérieur au logement à condition que ce W.-C. soit situé dans le même bâtiment et facilement accessible » ;
- D’autre part, une protection des personnes en difficulté dans le cadre du droit au logement. Le Code de l’action sociale et des familles :
- instaurant un dispositif de prise en charge avec une procédure d’alerte. En effet, l’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles dispose qu’« en cas de non-paiement des factures, la fourniture d’énergie, d’eau ainsi que d’un service téléphonique restreint est maintenue jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande d’aide ». Il résulte de cette disposition que la coupure est possible une fois que la demande a été traitée, le texte ne préjugeant pas de l’issue de cette saisine. En cas de non-paiement de facture d’eau ou d’assainissement, le fournisseur saisit impérativement les services sociaux. Dès lors qu’elle relève de leur compétence est engagée la procédure de solidarité via le fonds départemental pour le logement ;
- interdisant diverses coupures du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante auxquelles les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale. Cette interdiction s’applique aux distributeurs d’eau pour la fourniture d’eau tout au long de l’année, depuis 2007110 ;
- avec, enfin, une expérimentation instaurée par la « loi Brottes » du 15 avril 2013111 et son article 28, qui a rendu possible le financement des aides au Fonds de solidarité pour le logement (FSL) par le budget propre des collectivités et l’expérimentation d’une tarification différenciée. Si elle a permis d’anticiper un processus d’accompagnement des personnes en difficulté, elle a été limitée.
Le volet « social » de la gestion du service d’eau potable est à souligner, il ne constitue en aucune manière la reconnaissance d’un droit de l’eau comme droit fondamental. Circonscrite à l’eau potable, elle ne permet pas de situer les enjeux en termes d’assainissement.
Il résulte de ces dispositions que les coupures d’eau sont interdites en France. Cependant de nombreux fournisseurs ont ignoré cette l’interdiction, ils ont procédé sur le territoire à de nombreuses coupures. Les personnes concernées, soutenues par des ONG, ont saisi les tribunaux pour préserver la satisfaction de leurs besoins fondamentaux. Les juridictions ont condamné ces pratiques de manière constante112. Saisi sur le point de la constitutionnalité des coupures, le Conseil constitutionnel a validé l’interdiction légale de coupure en fondant sa décision sur l’exigence relative à la fourniture d’un logement décent113.
Face à ces condamnations successives, certains opérateurs ont engagé à l’égard des usagers en difficulté des opérations de baisse du débit de fourniture d’eau, une opération qualifiée de « lentillage ». Saisies sur la portée de ces procédés, les juridictions ont analysé la baisse de débit comme une coupure déguisée, car elles conduisent in fine à priver les usagers de suffisamment d’eau pour leurs besoins et elles les ont condamnés114.
Dans son rapport de 2010, le Conseil d’État souligne que plusieurs pays ont interdit les coupures d’eau, comme l’Irlande, l’Autriche, la Norvège ou encore la Suède. Certains pays quant à eux « assortissent la coupure de la fourniture d’un volume d’eau minimal correspondant aux besoins vitaux », comme la Suisse et l’Afrique du Sud.
Au-delà de ces aspects techniques, liés au logement lui-même, la question de l’eau vecteur de justice pour l’humain repose sur la reconnaissance du droit à l’eau comme droit de l’Homme. De ce point de vue nous sommes face à un renoncement.
2. Un renoncement récurrent
Comme l’ont montré divers rapports, plusieurs milliers de personnes vivent encore en France dans des conditions inhumaines115. C’est le cas notamment des sans domicile fixe, des personnes et familles sans logement, y compris des personnes ayant une activité professionnelle, des personnes logées dans des conditions indécentes, notamment au regard de l’eau potable et de l’assainissement, des personnes vivant en habitat précaire y compris de nombreux migrants (forêts, bas-côtés d’autoroutes, friches industrielles, etc.), mais aussi des réfugiés, des gens du voyage, des Roms, etc. Ces personnes éprouvent des difficultés à s’alimenter en eau potable du fait de l’absence de bonnes fontaines et d’insuffisance dans l’équipement sanitaire. À deux reprises, des experts des droits de l’Homme de l’ONU mettent en demeure la France de satisfaire les besoins fondamentaux des migrants vivant dans la nature116.
Depuis les années 2000, plusieurs propositions de loi ont été présentées au Parlement, elles n’ont pas abouti. Il en est ainsi en 2012 avec une proposition visant à instaurer un dispositif curatif d’accompagnement des plus démunis117 ; proposition de loi du 28 janvier 2013 conduisant à instaurer un système de tarification progressive et un mécanisme de solidarité dans le cadre des redevances existantes dans le domaine du service de l’eau118.
Dès 2012, plusieurs ONG nationales, dont France Libertés et la Coordination Eau, se sont mobilisées et ont proposé un texte permettant la mise en œuvre du droit à l’eau, en application de la résolution des Nations Unies de 2010. Il va en résulter un texte consensuel, fondé sur la reconnaissance d’un droit fondamental que plusieurs partis politiques vont s’approprier. Ainsi, ce texte va faire l’objet d’une première présentation avec une proposition de loi soutenue par plusieurs parlementaires, déposé à l’Assemblée nationale en 2015119. Après discussion en Commission de développement durable, le texte fera l’objet de quelques adaptations pour être présenté en discussion avec un rapporteur désigné120.
Après discussion en commission, l’Assemblée nationale examine le 14 juin 2016 la proposition de loi qui sera adoptée en première lecture121. Adopté avec quelques nuances significatives notamment sur la reconnaissance expresse du droit à l’eau et sa garantie, ainsi que sur le financement du dispositif, le texte a été transmis au Sénat où, malgré sa validation par la Commission de développement durable, l’obstruction parlementaire n’a pas permis dans le temps imparti une adoption qui aurait pu être définitive122.
En décembre 2017 a été déposée une proposition de loi constitutionnelle relative à « l’accès à l’eau123 ». Outre la formulation inappropriée, ce texte intègre des problématiques de statut et de compétences peu en phase avec l’objectif poursuivi. Elle a été rejetée.
Afin de mettre en œuvre de manière opérationnelle le droit à l’eau, il s’agit donc de garantir à tout être humain, notamment les personnes les plus vulnérables, la continuité du service d’eau potable, en assurant à chacun les quantités d’eau potable nécessaires à la satisfaction de ses besoins fondamentaux ainsi qu’une hygiène, une intimité et une dignité avec une installation de récupération des eaux usées.
L’adoption de cette loi serait l’expression de plusieurs valeurs, l’eau devenant ainsi un vecteur de justice pour l’humain :
- une valeur politique : la cohérence entre les positions prises depuis plusieurs années, ayant conduit, entre autres à la résolution de juillet 2010, à la déclaration de Rio en 2012, à la résolution de l’AG de l’ONU de 2017 ;
- une valeur philosophique, car cette reconnaissance place la France dans la continuité de son approche philosophique des droits de l’Homme : un continuum qui s’enrichit au fil des temps, en intégrant les exigences contemporaines ;
- une valeur symbolique, car cet acte politique constituera un encouragement pour d’autres États à reconnaître dans leur législation ce droit, mais surtout à le rendre plus effectif dans le cadre de dispositions juridiques internes ;
- une valeur pragmatique, car avec la reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement, dans une formulation sans ambiguïté, comme droit fondamental de l’Humain, la France démontre ainsi le caractère directement opérationnel de ce droit.
Ce droit vient ainsi conforter les systèmes de solidarité en vigueur (fonds social logement par exemple) afin de répondre à une urgence humanitaire. Le droit à l’eau est interdépendant avec de nombreux droits, comme l’ont rappelé des institutions internationales et Cours régionales, comme le droit à un niveau de vie suffisant, droit à un logement décent, droit à la vie, droit à la dignité de l’être humain…
Comme le précisent les résolutions des Nations Unies portant reconnaissance du droit à l’eau, il appartient à l’État de le reconnaître et d’en garantir la mise en œuvre.
Les Droits de l’Homme relèvent de la compétence première des États, garants devant la société internationale de leur mise en œuvre124, ils sont de ce fait des obligations positives pour créer et maintenir les conditions permettant leur réalisation125. Ensuite, selon l’organisation des États, la responsabilité des autres acteurs publics (États fédérés, collectivités territoriales) peut être associée à la mise en œuvre.
La mise en œuvre du droit à l’eau peut révéler des difficultés matérielles, financières ou techniques. L’État en premier, ainsi que les collectivités territoriales en matière d’eau potable et d’assainissement, ainsi que les sous-traitants gestionnaires de ces services doivent tout mettre en œuvre pour que ce droit fondamental de l’Homme soit effectif.
Pour ce faire, les bénéficiaires de ce droit, ainsi que les associations humanitaires qui accompagnent les populations en difficulté, doivent pouvoir bénéficier de garanties procédurales, administratives et juridictionnelles, permettant de s’assurer que les obligations des autorités compétentes soient remplies.
Dernier argument objecté par certains acteurs, le coût de la mesure de solidarité. Deux logiques peuvent ici prévaloir :
- La logique des services « eau potable et assainissement », elle se situe dans le cadre du cycle fermé d’un seul service. Pour y répondre, une tarification progressive peut permettre de répondre au besoin des moyens nécessaires. L’avantage n’est qu’apparent, car ce système va pénaliser les communes (ou leurs groupements) comportant des pourcentages significatifs de populations connaissant des difficultés sociales (à titre d’exemple, leur pourcentage est très différent entre des communes comme Biarritz, Neuilly et Saint-Denis) ;
- La logique d’une solidarité nationale dans le cadre des fonds existants serait plus logique et conduirait à une véritable péréquation, visant la solidarité recherchée. Dans la proposition de loi de 2015 figurait une taxe additionnelle sur le commerce de l’eau emballée, dont plus de 8 milliards de litres sont vendus en France. Outre le dégagement des moyens nécessaires, cette solution aurait aussi valeur pédagogique pour les consommateurs dont les moyens sont suffisants pour acheter de telles quantités d’eau alors que l’eau au robinet est dans l’ensemble de bonne qualité en France. Ensuite, le financement des besoins de manière opérationnelle serait assuré via le fonds départemental pour le logement.
Patrie des Droits de l’Homme, engagée de manière résolue dans le processus d’adoption des résolutions de l’AG de l’ONU, la France doit donner l’exemple sur le plan de l’Union européenne, et s’honorerait d’adopter une loi portant reconnaissance du droit à l’eau.
Pour tendre vers l’eau comme vecteur de justice pour l’homme, la France doit se conformer à ses soutiens et engagements, l’adoption d’un texte portant reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement comme droit fondamental de l’Homme constitue l’étape décisive pour ce faire.
Conclusion
La perspective d’une justice pour l’eau dans cette double approche, repose sur la prise de conscience du caractère indissociable entre l’état de l’environnement, ici l’eau, et les milieux aquatiques et le vivant, dans la diversité de ses manifestations, dont l’espèce humaine. L’histoire de l’humanité fait apparaître que des civilisations ont disparu pour avoir ignoré ou négligé le rapport à l’eau126. Mais l’espèce humaine a une responsabilité majeure en raison de sa capacité à réguler, organiser, préserver ce qui détermine en fait les conditions de sa propre survie sur une terre qui en tout état de cause pourra survivre à sa disparition.
Dans une première approche, nous devons constater que si l’eau élément essentiel à la vie, doit être préservée pour ses fonctions essentielles, écologiques, au sens scientifique du terme, les règles en vigueur ne permettent pas d’en assurer la pérennité, ce qui concerne autant les eaux douces que les eaux salées.
Bien au contraire, les évolutions les plus récentes conduisent à alléger les contrôles préalables, les évaluations environnementales, l’information et la participation.
À ce stade, pour répondre à l’exigence d’une justice pour l’eau, les questions centrales portent sur les objectifs prioritaires de nos sociétés : intervenir pour préserver les conditions de vie sur la planète, préserver l’espèce humaine avec les autres espèces ? Les choix opérés à ce jour favorisent d’abord une croissance exponentielle assortie d’une financiarisation qui affecte aussi le domaine de l’eau, appuyée sur des besoins en constante progression dont la démographie constitue un indicateur, l’ensemble générant une progression continue de la prédation sans condition sur les ressources. La perspective d’un pacte mondial pour l’environnement, avec la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies qui vient d’ouvrir la voie à la négociation127 renforce l’idée d’une nature enfin prise en compte pour elle-même, mais le processus sera long et interviendra-t-il assez tôt ?
L’eau, élément d’un enjeu majeur pour la vie, ne doit-elle pas constituer un exemple de la capacité de l’espèce humaine à dépasser ses propres exigences pour tendre vers un processus de coexistence viable avec la nature ? À ce titre oui, l’espèce humaine a un devoir de justice vis-à-vis de l’eau dans la diversité des compositions et des situations géographiques. Les usages humains sont bien à concilier avec les enjeux de la vie en général, il s’agit bien « d’adapter les activités humaines à la capacité limite des milieux » selon la formule du Ch. 18 de l’Agenda 21. Les effets du changement climatique renforcent cette urgence. Les questions essentielles telles que les modes de productions et de consommation, la démographie, ne peuvent être ignorées. C’est au fond le destin même de la Terre qui est en jeu128.
Le second aspect de la Justice pour l’eau est relatif à l’humain lui-même. Comment admettre, en raison même du caractère vital de l’eau pour chaque espèce, donc pour l’être humain dans sa constitution physique, mais aussi dans sa construction d’être humain, qu’un seul être humain sur la Terre puisse être privé de ce minimum vital ? En ce sens, le destin de chaque être humain est de même nature que celui des autres espèces qui subissent les effets de notre prédation. En posant les conditions de satisfaction des besoins de chaque élément de la biodiversité, nous tendons aussi à satisfaire, avec le droit à l’eau, ceux de chaque être humain.
La justice pour l’eau devient ainsi un vecteur de justice pour l’humain. Là encore, seuls le courage et la responsabilité sont au cœur du processus de reconnaissance et de mise en œuvre.