L’univers des Lettres à Lucilius se nourrit de nombreuses représentations sociales. Ce vaste ensemble de 124 lettres, que trop peu de chercheurs ont l’habitude de considérer dans son unité et son intégralité, présente certes des raisonnements philosophiques, mais en se nourrissant surtout des éléments vécus par les deux protagonistes, Sénèque et Lucilius. Il ne faut en effet jamais oublier que l’écriture épistolaire relève, à Rome, d’une habitude sociale qui structure à de nombreux niveaux l’organisation socio-politique de la cité. C’est donc sans surprise que nous retrouvons, au sein de cet espace énonciatif créateur d’une forme de sociabilité, des passages qui évoquent le bain, les thermes et la baignade. Le rapport des Romains à l’eau est de fait un élément structurant de leur manière d’être et de penser1. Plus précisément, la pratique de la baignade, activité connue par les Romains mais qu’ils développèrent au contact des Grecs, servait à renforcer des relations de sociabilité au fondement du monde politique romain2. Les représentations de la baignade au sein des Lettres à Lucilius vont alors recouvrir différentes stratégies rhétoriques et philosophiques : confier un moment intime pour créer une situation de proximité avec son destinataire, nourrir un discours moral qui fait la critique des mœurs de l’Empire, ou encore présenter cet espace comme révélateur d’un certain rapport au monde et à soi-même. Motif littéraire en même temps qu’habitude sociale, la baignade peut ainsi être considérée comme un référent essentiel de la pensée romaine.
Nous tenterons de décrypter les usages du motif de la baignade dans les Lettres à Lucilius et ce sujet nous permettra de révéler une des particularités de l’écriture de Sénèque. Ni tout à fait esclave de la représentation du réel, ni toute entière tournée vers le sens symbolique et métaphorique, la pratique littéraire de Sénèque se nourrit des représentations sociales pour défendre toutefois une échelle de valeurs qui lui est propre, ou plutôt qui est propre à sa secte. Le stoïcisme peut ainsi avant tout se définir comme une entreprise de libération de l’homme par le renouvellement de son système de représentations mentales et sociales. Mais, paradoxalement, si Sénèque, en tant que philosophe stoïcien, défend un nouveau système de valeurs, l’analyse de l’utilisation du motif de la baignade dans son œuvre épistolaire nous révèle aussi les habitudes typiquement romaines dont il essaie de se défaire et, se faisant, nous renseigne sur un espace de représentations constitutif de la romanité, là où l’étude d’autres œuvres, satiriques ou romanesques, présenterait la baignade sous des traits sans doute trop caricaturaux pour pouvoir servir efficacement une approche sociopoétique.
Notre étude se donne en effet pour objectif de renseigner le lecteur sur les représentations sociales associées à la baignade dans l’Antiquité, mais aussi de comprendre comment ces représentations influencent les choix d’écriture de Sénèque3 qui, pour des raisons autant rhétoriques qu’éthiques, choisit d’utiliser à certains endroits stratégiques de sa correspondance le motif du bain. Cette focalisation sur une œuvre, certes vaste mais en tout point cohérente et très nettement structurée, nous a paru la méthode d’investigation la plus apte à l’émergence d’une analyse sociopoétique. Tout se passe comme si les représentations de la baignade mises en scène par Sénèque lui permettaient d’affirmer non seulement une certaine forme d’individualité, un certain rapport à soi, mais également une méthode d’écriture et de pensée qui, à bien des égards, prend l’allure d’un exercice spirituel.
Style du bain en eau froide : affirmer son identité littéraire au sein du stoïcisme
Quel rapport Sénèque entretenait-il avec la baignade ? Lorsque le sage stoïcien revient sur ses années d’apprentissage de la philosophie auprès d’Attale4, il compte parmi les preuves de sa conversion son renoncement aux bains5 (balneum), à ses yeux symbole de la dépravation de ses contemporains6. Cependant le bain apparaît aussi dans la correspondance comme une méthode ancestrale de la médecine romaine7. Mais s’il serait tentant de restreindre le point de vue de Sénèque à une critique historique – du cabinet de bain privatif des villas, qui prendra plus tard le nom de balneum par emprunt au grec, aux piscines des thermes (thermæ) populaires et impériaux, il n’y aurait qu’une lente et vicieuse dégénérescence –, une brève étude lexicale suffit à dépasser cette vision restrictive pour embrasser la riche complexité des images méditatives sénéquiennes. Le philosophe stoïcien n’utilise en effet qu’une seule fois thermæ dans un passage d’une des dernières lettres8 au sein duquel il énumère des comportements qui s’opposent à l’impératif stoïcien de « suivre la nature » (naturam sequi). Or, à ce moment, Lucilius est déjà avancé sur le chemin de la sagesse et son attitude ne se confond plus avec les vices de ses contemporains. Dans tous les autres cas, même lorsqu’il s’agit de « thermes » au sens architectural, Sénèque utilise le mot balneum ou, au pluriel, balnea. Tout se passe dès lors comme si le philosophe stoïcien construisait poétiquement une image qui prend un sens profond dans la formation intellectuelle et spirituelle de son correspondant. Certes la terminologie est mouvante dans d’autres sources9, mais, dans le cadre des Lettres à Lucilius, Sénèque semble choisir sciemment un terme qui évoque, dans l’imaginaire collectif, une plongée s’effectuant dans un but hygiénique, curatif et rituel10. En refusant l’emploi de thermæ, le philosophe stoïcien coupe également son correspondant, alors engagé dans la vie politique romaine de par ses fonctions de procurateur en Sicile, de la pompe impériale qui avait investi les thermes pour en faire un lieu de propagande11. Lui préférant balneum, il tisse plus aisément l’image d’une sociabilité élective, justement au fondement de l’enseignement philosophique stoïcien12.
Nous pouvons trouver une première justification de cette hypothèse à la lecture de la lettre 83. Le philosophe, en effet, pour répondre à l’exigence de son destinataire qui l’exhorte à rendre compte de ses activités journalières, évoque les exercices physiques qui sont venus scander ses occupations principales partagées entre « la méditation et la lecture13 » et, après avoir fait le récit d’une pittoresque course à pied avec son esclave Pharius, mentionne le bain qui s’ensuivit :
À la suite de cet exercice ou, pour mieux dire, de cette fatigue, je me suis mis dans l’eau froide : ainsi appelle-t-on céans l’eau à peine échauffée. Moi qui, grand amateur de bains froids, qui ne manquais pas, au matin du 1er janvier, d’aller saluer la pièce d’eaux des Thermes, moi qui avais coutume d’inaugurer l’année non seulement par une lecture, une composition écrite, un discours, mais par un plongeon dans l’eau Vierge, j’ai opéré un recul stratégique d’abord sur le Tibre, puis en cette baignoire qui, lorsque je me sens bien vigoureux et que tout s’exécute en conscience, n’a pour la tempérer que le soleil. Encore un pas, et je suis au régime des bains à étuve14.
Plusieurs éléments essentiels apparaissent d’ores et déjà dans cet extrait. Premièrement, la température de l’eau semble être un facteur capital. Sénèque se présente ici comme un baigneur en eau froide, selon l’usage ancien, c’est-à-dire en accord avec le mos maiorum, mais le philosophe n’en reste pas là et fait l’historique de sa pratique de la baignade. Ainsi, l’aspect ritualisé du bain transparaît dans l’évocation de sa « coutume » de baignade le 1er janvier, un rituel en grande partie social, qui laisse progressivement place à la description d’une pratique devenue solitaire ; l’eau commune des Thermes d’Agrippa, de l’Aqua Virgo et du Tibre se transformant en baignoire de villa individuelle. Cette évolution est d’ailleurs, en grande partie, présentée comme une déchéance progressive, Sénèque clôturant son paragraphe par l’évocation des bains chauds, image sans équivoque de dégénérescence physique et morale.
Un indice cependant demeure dans l’extrait précité et permet de cerner les enjeux sociopoétiques du motif de la baignade dans les Lettres à Lucilius. Le bain est en effet évoqué comme l’activité rituelle15 concurrente de la « lecture » ou de la « composition écrite » pour inaugurer le début de l’année. On pourrait croire qu’il s’agit d’une coïncidence mais, dans ce cas, la réalité sociale et les représentations qui l’accompagnent se doublent d’une réflexion sur l’acte littéraire. Tout se passe en fait comme si la baignade permettait de révéler un certain rapport à l’activité littéraire. Ce passage de description des habitudes de baignade de Sénèque fonctionne en fait comme un seuil au sein de la lettre 83 permettant de passer de l’examen de conscience rapporté auquel se livre le philosophe dans les paragraphes 1 à 816 à une réflexion sur la manière d’écrire la philosophie. L’examen, certes partagé, mais avant tout personnel des habitudes de baigneurs auquel il se livre lui permet de comprendre que le temps de l’écriture publique est fini. Dans les paragraphes 6 et 7 suivants, le philosophe va ainsi décrire la quiétude qu’il arrive à obtenir en ne prêtant pas attention aux bruits extérieurs et parasites, aux « inintelligibles sons17 » (ceteris sine intellectu sonantibus), qui explosent à Rome durant la journée. Le bain, même s’il n’est plus effectué avec la même attitude vigoureuse qu’autrefois, met en avant la beauté du discours philosophique intérieur.
Ce nous semble être en tout cas le seul moyen de comprendre la transition avec le thème introduit dans le paragraphe 8 :
Comment des esprits, du reste si éclairés, ont-ils bien pu imaginer pour les vérités les plus importantes des démonstrations si faibles, si embrouillées, qui, à les supposer vraies, présentent toutes les apparences du mensonge18 ?
Et Sénèque de s’en prendre par la suite aux syllogismes de Zénon, « fondateur d’une secte entre toutes courageuse et vénérable » (huius sectae fortissimae ac sanctissimae conditor). Tout se passe comme si le rapport de son examen de conscience et plus encore de son expérience du bain permettait à Sénèque de développer une véritable réflexion sur la nécessité de cultiver un discours intérieur, personnel, qui prend même ses distances vis-à-vis du stoïcisme le plus orthodoxe. Remarquons toutefois que cette distance est avant tout énonciative et esthétique, Sénèque ne pouvant, à notre avis, jamais être défini comme un penseur hétérodoxe. D’après Gretchen Reydams-Schils, la revendication d’indépendance de style et d’esprit correspondrait même à l’attitude fondamentale de toute la tradition stoïcienne19.
L’expérience du bain a permis un recentrement de l’être sur lui-même qui se matérialise dans le texte par une réflexion sur l’écriture de la philosophie. Pour mieux dire, la description de cet espace intime permet paradoxalement une transition efficace avec un des actes les plus universels qui soient : l’écriture. C’est ainsi une méthode de pensée et d’écriture qui suit l’épisode du bain dans la lettre 83, passage que le philosophe stoïcien oriente sur le thème de l’ivrognerie et au cours duquel il pose la question : « si tu veux prouver que l’homme de bien ne doit pas s’enivrer, pourquoi procèdes-tu par syllogismes20 ? ». Et la suite présente une série de structures impératives, toutes en lien à la fois avec la méditation et la composition littéraire, dont l’une révèle particulièrement l’ambiguïté de cette deuxième personne que Sénèque utilise massivement dans les paragraphes 18 à 27 : « Rappelle l’exemple d’Alexandre de Macédoine » (Refer Alexandri Macedonis exemplum). À qui s’adresse donc Sénèque ? Faut-il voir derrière cette deuxième personne Lucilius, destinataire des lettres, progressant sur la voie de la sagesse au rythme de son activité d’écriture ? Ou bien Sénèque engage-t-il ici le dialogue avec Zénon lui-même, la figure d’Alexandre le Grand, contemporain du fondateur de la secte stoïcienne, servant d’indice textuel particulièrement efficace ? Mais peut-être ne faut-il pas choisir, et estimer plutôt que Sénèque souhaite conserver cette riche ambiguïté ; et c’est justement l’étape du bain au sein de son examen de conscience qui lui permet de faire le lien entre le passé et le présent, entre Zénon et Lucilius, entre le syllogisme et une écriture plus dynamique et visuelle de la philosophie, qui ne soit pas simplement « banales déclamations21 » (declamationes istas). Focalisant l’attention sur les bains froids, Sénèque fait d’ailleurs écho à une représentation qui rappelle autant la réalité des gymnases grecs22 que les origines de la baignade romaine23.
Le bain de Scipion : exemple historique et écriture satirique
Si l’expérience du bain, relatée dans la lettre 83 et exposant les nombreuses représentations sociales associées à cette pratique à Rome – espace public ou privé, température de l’eau, pratique rituelle et thérapeutique –, entraînait une réflexion générale sur l’écriture de la philosophie, Sénèque utilise parfois la matière balnéaire pour renforcer des points plus précis de sa discipline éthique et esthétique. Ainsi emploie-t-il le motif de la baignade pour nourrir sa pratique de l’exemple historique, motif rhétorique réorienté de manière traditionnelle par la philosophie antique à des fins éthiques. De fait, l’exemplum, dans les Lettres à Lucilius, donne à voir le mécanisme d’élaboration et de diffusion d’une représentation sociale se trouvant modélisée par un caractère, une posture morale, qui s’est incarnée dans l’histoire gréco-romaine. Le plus souvent dans la correspondance, et les dialogues, il s’agit de Caton ou Socrate, mais les lettres sont également remplies d’autres figures fortes24, dont Scipion l’Africain, vainqueur de Carthage lors de la seconde guerre punique. La lettre 86 met en effet en scène le philosophe stoïcien investissant la villa du célèbre général.
La description de son attitude à l’égard du domaine de Scipion commence par une notation particulièrement pieuse. Sénèque effectue en effet un geste rituel de prosternation devant le monument funéraire du général romain ce qui, d’après Paul Veyne25, est moins à mettre en relation avec un phénomène social répandu qu’avec une pratique codifiée du stoïcisme, celle du culte rendu aux grands hommes. Il faut par conséquent imaginer que le philosophe stoïcien effectue quasiment un pèlerinage doctrinal, les qualités de Scipion revenant à la mémoire de Sénèque au fur et à mesure qu’il investit la villa, « lieu de mémoire, lieu symbolique habité par l’âme virile d’un héros de la gloire romaine26 », dont la description se clôt de manière significative sur « un cabinet de bain étroit, ténébreux, selon la coutume du vieux temps27 ». À quoi Sénèque ajoute : « Il fallait l’obscurité à nos ancêtres pour qu’ils se sentissent bien au chaud28. » Or cette remarque va engendrer un long passage de condamnation morale, dans lequel le philosophe s’insurge contre les mœurs décadentes de son temps ; décadence visible dans le luxe qui orne les cabinets de bain contemporains :
Je pris un très vif plaisir à considérer la manière de vivre de Scipion par rapport aux habitudes d’aujourd’hui. Dans ce réduit la terreur de Carthage, le héros à qui Rome doit de n’avoir été qu’une fois prise, baignait son corps fatigué de rustiques travaux ; car il peinait aux champs et, comme un citoyen des âges antiques, conduisait lui-même la charrue. Le grand homme a tenu sous ce plafond sordide ; voici le vil pavé qu’ont foulé ses pas ! À présent, qui souffrirait de se baigner dans de semblables conditions ? On se regarde comme pauvre et crasseux, si les parois de la salle de bains ne diffusent l’éclat de larges disques de marbres incrustés, si des marbres de Numidie ne s’incrustent, pour les faire ressortir, dans les marbres d’Alexandrie, si le tout n’est entouré d’un encadrement recherché, multicolore comme si c’était de la peinture, si du verre ne cache la voûte, si le marbre de Thassos, jadis pièce rare, curiosité de quelque sanctuaire, ne revêt les piscines où nous étendons nos corps dont une transpiration prolongée a déjà exprimé toutes les humeurs, si l’eau ne coule de robinets d’argent. Et je ne parle encore que de la tuyauterie des gens de peu. Si je décrivais les bains de nos affranchis ! que de statues, que de colonnes qui ne portent rien, et que l’on a plantées là par goût de la dépense, pour le décor ! Toute cette eau qui ruisselle en assourdissante cascade ! Nous sommes arrivés à ce point de délicatesse que nous ne voulons plus marcher que sur des joyaux29.
La description du bain, pénétrée par toutes les représentations sociales passées et présentes qui lui sont attachées, offre la possibilité à Sénèque de donner corps à son exemplum et de lui faire dépasser le simple statut d’ornement rhétorique30. Il devient ainsi la clef de voûte de tout le discours de philosophie morale qui se déploie, mettant en scène un véritable renversement des valeurs : là où la lettre 86 s’ouvrait sur une note de piété rituelle à l’égard de Scipion, qui trouvait son illustration dans l’ascétisme de son balneum, les bains contemporains de Sénèque ne sont que luxe et trompe-l’œil ; là où la pénombre du lieu offrait la chaleur intime nécessaire au bain rustique, la température des établissements plus modernes offre une excessive sudation ; et, enfin, là où des êtres exceptionnels comme Scipion, dont les actes glorieux sont rappelés sous la forme de périphrases, acceptaient de cultiver leur jardin et de laver leur corps héroïque dans une eau parfois boueuse, les affranchis du temps de Néron montrent un raffinement tel dans la constitution de leurs cabinets de bain qu’on les prendrait pour des sanctuaires orientaux. Derrière ces notations, emplies de realia, l’objectif rhétorique et philosophique est perceptible : Sénèque veut défendre, à travers Scipion, un certain rapport à soi, une hygiène de vie philosophique.
Pour preuve, le philosophe stoïcien passe directement ensuite de la description de bains privés à celle d’établissements thermaux publics :
Dans ce bain de Scipion il y a, au lieu de fenêtre, des meurtrières taillées en plein mur pour laisser entrer la lumière sans nuire à la défense du castel. Aujourd’hui on appelle trous à mites les bains qui ne sont pas agencés de façon à recevoir par d’immenses fenêtres le soleil toute la journée, qui ne permettent pas de se tremper et de se hâler la peau dans le même temps, où l’on n’a pas vu, de sa baignoire, sur la campagne et la pleine mer. C’est ainsi que ces mêmes thermes qui, lors de l’inauguration attiraient la foule et passaient pour des merveilles, semblent déshonorants, sont relégués aux antiquailles, quand le luxe mondain a imaginé quelqu’une de ces nouveautés qui lui servent à s’éclipser lui-même. Jadis les bains publics étaient rares et sans aucune décoration. À quoi bon décorer un endroit où l’on entrait pour un quart d’as et dont l’invention était due non pas au plaisir mais au besoin ? L’eau ne se répandait point par-dessous, perpétuellement renouvelée comme le jet d’une source chaude. Les hommes d’alors ne croyaient pas devoir tant regarder à la transparence de cette eau qu’ils allaient salir. Mais, ô dieux ! quel plaisir de pénétrer dans ces bains sombres et grossièrement crépis, dont on aurait su qu’un édile comme Caton, comme Fabius Maximus, comme l’un des Scipions en avait réglé de sa main la chaleur ! C’était une attribution, c’était une fonction de ces illustres édiles, qui l’exerçaient tout comme une autre : ils visitaient les lieux où le peuple avait accès, ils y faisaient régner avec la propreté une bonne et saine température, non point celle à laquelle on a imaginé de nous soumettre depuis peu, température d’incendie, telle qu’il n’y a qu’à baigner vif l’esclave convaincu d’un crime : bain d’eau bouillante, bain d’eau chaude, je ne vois plus de différence31.
Les mêmes éléments se retrouvent en effet de la condamnation des bains privés fastueux à celle des thermes : luxe, chaleur et, déjà, une forme de vain consumérisme. Scipion, et son cabinet de bain austère, deviennent le symbole de droiture morale qui seule peut amener au bonheur. Plutôt que se focaliser sur ce que Sénèque condamne, il est à ce titre significatif de s’intéresser à ce qui a de la valeur à ses yeux. Dans sa pratique balnéaire, Scipion est érigé en modèle de l’homme libre, opposé aux « esclaves » assujettis aux bains chauds. Il est également le garant d’une certaine piété morale et politique, dans un passage qui le rapproche de manière spectaculaire de Caton, l’exemplum récurrent des Lettres à Lucilius. Enfin, ce passage par la description des thermes sert avant tout à montrer que le problème ne repose pas sur une simple opposition entre les espaces privés et publics : même au sein d’un lieu partagé par tous et accessible à chacun, la vertu peut être cultivée. En affirmant la force de l’exemple moral qu’est Scipion, Sénèque défend en fait une attitude morale qui s’apparente au « souci de soi32 » identifié par Michel Foucault au cours de ses derniers travaux et, de manière plus évidente encore, à la « citadelle intérieure33 » constituée par les Stoïciens, d’après Pierre Hadot, pour orienter leur représentation du monde et se protéger contre les revers de fortune.
En plongeant dans le bain de Scipion, Sénèque souhaite rendre compte d’un « frisson (Schauder) », selon les termes de Gregor Vogt-Spira34. Une expérience à la fois historique et littéraire qui lui permet de prendre ses distances vis-à-vis des mœurs de son temps et de construire un discours philosophique novateur, autant rhétorique que satirique. C’est du moins l’argument de Victoria Rimell lorsqu’elle indique que, dans la lettre 86, le bain est le lieu où la pratique stoïcienne de l’examen de soi côtoie la plus forte expérimentation littéraire35. En témoignent les paragraphes 11 à 13, qui présentent une véritable galerie polyphonique devant beaucoup au genre mêlé de la satire ; passage dans lequel, d’ailleurs, la deuxième personne est massivement utilisée comme pour signifier que cette expérience littéraire à teneur satirique vise à affirmer le message parénétique à destination de Lucilius. Dans cet extrait, le moraliste stoïcien s’en prend en outre à un nouvel élément, la propreté :
Quelle était, à ton avis, l’odeur de ces gens-là ? Ils sentaient la guerre, le labeur, toutes odeurs viriles. Depuis l’invention de ces bains si propres, l’homme est plus sale. Quand Horace veut peindre un infâme, décrié pour ses raffinements sensuels, que dit-il ?
« Bucillus sent le savon parfumé36. »
De Bucillus introduit parmi nous, on dirait : il sent le bouc, et il tiendrait la place de ce Gargonius qu’Horace lui oppose37.
Notons toutefois que l’objectif semble être toujours le même : prouver la décadence des mœurs et montrer à Lucilius que la méditation philosophique permet d’aller au-delà des apparences. Or, l’efficacité de cette méditation repose en grande partie sur le ton satirique de ce commentaire et Sénèque livre en citant Horace un indice évident pour qui souhaite décoder son texte. Le processus de citation ici à l’œuvre révèle d’ailleurs une méthode d’appropriation, pratiquée ailleurs dans la correspondance. Nous assistons en effet à une reprise non seulement de l’énoncé, mais également de l’énonciation, du propos d’Horace. De fait, il ne réoriente pas la citation, mais la fait sienne en tenant compte de la dégénérescence morale de son époque. La lettre philosophique sénéquienne est un genre protéiforme qui se nourrit de tonalités et de postures diverses pour rendre compte par les mots d’une pratique philosophique codifiée, à propos de laquelle Jean-Marie André parlait de « méditation historique38 ». Le discours ainsi constitué révèle alors toute sa richesse et sa complexité ; aussi, dans la lettre qui nous occupe, le choix du motif de la baignade apparaît-il comme porteur de tout un imaginaire satirique particulièrement efficace pour la leçon que Sénèque souhaite transmettre à son correspondant. Les représentations sociales, dans la lettre 86, apparaissent donc clairement comme des éléments dynamiques dans la création littéraire39.
Une plongée dans le mythe : le sage, acteur et spectateur de la baignade
Cette volonté d’expérimentation littéraire à des fins philosophiques se rencontre dans deux autres lettres, toutes deux issues du livre VI de la correspondance, les lettres 53 et 56. Dans les deux cas, la représentation du bain et de la baignade se trouve comparée, ou confrontée, à l’univers épique de l’Énéide et de l’Odyssée alors que le point de vue est totalement différent : dans un cas, la lettre 53, Sénèque se fait acteur de la baignade en effectuant un plongeon en pleine mer, tandis que, dans la lettre 56, le philosophe est spectateur, et même victime, du voisinage bruyant d’un établissement thermal.
L’ouverture de cette dernière est d’ailleurs souvent citée par les études qui cherchent, dans l’œuvre de Sénèque, des témoignages fiables sur les realia du monde impérial :
Que je meure, si le silence est aussi nécessaire qu’il le paraît au recueillement et à l’étude. Me voici au milieu d’un vrai charivari. Je suis logé juste à côté d’un établissement de bains ; et maintenant représente-toi tout ce que peut la voix humaine pour exaspérer les oreilles. Quand les champions du gymnase s’entraînent en remuant leurs haltères de plomb, quand ils peinent ou font comme s’ils peinaient, je les entends gémir ; chaque fois qu’ils renvoient le souffle retenu, ce sont des sifflements, un halètement des plus aigres. Si je suis tombé sur quelque baigneur passif qui ne veut rien de plus que le massage du pauvre, j’entends le bruit de la main claquant sur les épaules avec un son différent, selon qu’elle arrive à creux ou à plat. Mais qu’un joueur de balle survienne et se mette à compter les points, c’est le coup de grâce. N’oublie pas le chercheur de querelles, le filou pris sur le fait, l’homme qui trouve que dans le bain il a une jolie voix. N’oublie pas la piscine et l’énorme bruit d’eau remuée à chaque plongeon. Outre ces gens qui, à défaut d’autre chose, ont des intonations naturelles, figure-toi l’épileur qui reprend sans cesse un glapissement en fausset, afin de signaler sa présence, et ne se taisant que pour écorcher les aisselles et faire crier un autre à sa place. Puis, c’est le marchand de boissons avec ses appels sur diverses notes, le marchand de saucisses, le confiseur et tous ces garçons de taverne qui ont chacun pour crier leur marchandise une modulation caractéristique40.
Et si certes rien ne manque, en apparence, à la description de la foule des personnages qui fréquentent ce lieu41, il nous semble peu probable que Sénèque ait rédigé son texte dans le seul but de livrer un cliché représentatif des thermes de son temps. Remarquons, en revanche, les nombreux indices que le philosophe a laissés pour orienter la bonne réception de son texte par Lucilius. Le destinataire est en effet invité à intégrer mentalement tous les détails de la scène sur laquelle Sénèque lui demande de méditer (propone tibi « représente-toi », cogita « figure-toi ») ; les procédés rhétoriques, en particulier l’hypotypose, servent ainsi l’objectif spirituel de la lettre, conçue comme un entraînement philosophique in absentia.
En restant dans le voisinage de l’établissement thermal, Sénèque, et son correspondant, expérimentent ainsi la nuisance sonore. Or cette focalisation sur le domaine sonore sert un objectif philosophique précis : enjoindre à Lucilius de cultiver un dialogue intérieur, apprendre à faire taire les voix autour de soi pour laisser la place à la seule qui compte :
Au reste, je me suis dorénavant si bien aguerri à toutes ces misères que j’endurerais jusqu’à la voix terriblement stridente d’un chef de manœuvre marquant aux rameurs la mesure. Je force mon âme à être attentive à elle seule, sans diversion vers l’extérieur42.
Observons d’ailleurs que Sénèque, bien qu’il prenne ses distances vis-à-vis du tumulte des bains, continue de tisser sa matière littéraire et philosophique autour de l’élément aquatique. L’entraînement de l’esprit est ainsi évoqué sur le mode d’une traversée, une navigation, d’autant plus dangereuse qu’elle présente des voix enchanteresses qui cherchent à nous maintenir sous la servitude des apparences.
C’est ainsi sans surprise que Sénèque va évoquer, dans la suite de la lettre, la voix des Sirènes d’Homère :
Oui, si nous y allons de bonne foi, si nous avons sonné la retraite, si, comme je le disais plus haut, nous avons atteint au mépris des apparences, rien ne nous divertira de notre objet : voix humaines, voix d’oiseaux, nul concert ne rompra le cours de nos bonnes pensées, désormais fermes et bien arrêtées. C’est un esprit léger et qui ne s’est pas encore ramené au-dedans, que celui que dressent aux aguets un son de voix, des faits accidentels. Il a un fonds d’inquiétude, il a quelque chose de cette peur préconçue qui rend l’homme prompt aux alarmes et tel que le montre Virgile : « Et moi que n’intimidaient naguère ni les traits pleuvant sur ma tête ni la masse des bataillons grecs qui me faisaient face, maintenant tous les souffles m’épouvantent, tout bruit me tient en suspens et je tremble également pour celui qui m’accompagne et pour mon fardeau43. »
Je vois d’abord ici le sage que le sifflement des traits, le froissement des armes au fort de la mêlée, le fracas d’une ville qui tombe sous la sape laissent impassible. L’autre est celui que la philosophie n’a point formé. Tremblant pour ce qu’il possède, un craquement l’épouvante ; le moindre bruit de voix devient un murmure menaçant qui le décontenance ; l’agitation la plus légère le fait défaillir. Le paquetage dont il est chargé entretient ses alarmes. Prends qui tu voudras de ces prétendus heureux, qui traînent ou portent tant de richesses, et tu les verras « qui tremblent pour leur compagnie et pour leur fardeau44 ».
Dans cette ultime confrontation aux représentations sociales du désordre et du vacarme liés aux thermes, le philosophe stoïcien semble sortir vainqueur par sa capacité à faire naître un discours intérieur que l’influence poétique vient renforcer45. Sénèque se livre en effet, après la citation virgilienne, à une exégèse qu’il ne faudrait, à notre avis, pas analyser simplement comme une émulation littéraire, mais comme l’aboutissement littéraire de l’exercice spirituel auquel il invite son destinataire. La répétition des termes de la citation, à la fin de l’extrait, sert en effet moins à glorifier de manière fétichiste le texte source qu’à signifier littérairement le processus d’appropriation, à des fins spirituelles et philosophiques, auquel se livre le philosophe stoïcien. Nous ne saurions trop insister sur la place du destinataire dans ce passage. Ce sont en effet ses paroles qui motivent les derniers propos de la lettre, dans un paragraphe encore une fois habité de manière sous-jacente par les représentations sociales et mythiques de la baignade à travers la figure d’Ulysse :
« Mais quoi ! n’est-il pas dans certains cas plus commode de pouvoir échapper aussi au vacarme ? » J’en conviens. Et voilà pourquoi, moi, je déménagerai d’ici. C’est une épreuve, un exercice que je voulais faire. Quelle nécessité de prolonger la torture, quand il est un remède si simple, inventé par Ulysse pour ses compagnons contre les sirènes elles-mêmes46 ?
Par l’intermédiaire des représentations de la baignade, constantes d’un bout à l’autre de la lettre 56, Sénèque livre par écrit un exercice spirituel efficace. L’utilisation du motif de la baignade par le philosophe stoïcien peut donc être considérée comme sociopoétique dans le sens où cela lui permet de naviguer de la trivialité du réel à l’univers du mythe : la construction littéraire de cette lettre mime les objectifs philosophiques de l’épistolier et s’en nourrit ; le sage, comparé à Énée puis à Ulysse, se trouve glorifié.
Les représentations liées à la baignade semblent ainsi utilisées à des fins littéraires et philosophiques dans une optique qui est développée dès la première lettre du livre VI, la lettre 53. Le propos épistolaire, cette fois, est centré autour du récit d’une action qui, sans contredire la vertu du philosophe stoïcien, met en scène le « penchant qui nous porte à oublier si vite nos infirmités47 », physiques ou morales. Pour ce faire, Sénèque s’appuie sur l’anecdote d’un événement récemment vécu, ou du moins décrit comme tel, une tempête en bord de mer :
[T]rop mal en point pour prendre conscience du péril, tourmenté d’une de ces nausées paresseuses et sans effet qui remuent la bile et ne l’expulsent pas, je pressai le pilote et l’obligeai, bon gré mal gré, à regagner le rivage. Une fois que nous fûmes à proximité, je n’attendis pas que s’exécutât aucune des manœuvres décrites par Virgile :
« On tourne les proues vers la mer48 » ;
« L’ancre glisse le long de la proue49 ».
Je me rappelle mon savoir-faire de nageur et, vieux partisan de l’eau froide, je me jette à la mer, en tenue d’amateur du bain glacé, avec un peignoir de laine. Conçois-tu bien le mal que j’ai eu à ramper de récif en récif, à chercher une voie, à m’en faire une ? J’ai compris que les marins n’ont pas tort de tant redouter la terre. On ne saurait croire quelles fatigues j’ai eu à soutenir, alors que je ne pouvais me soutenir moi-même. Il faut que tu le saches : Ulysse n’était pas né maudit de Neptune au point de faire en tous lieux naufrage : il était sujet au mal de mer. Tout comme lui, sur quelque point que je doive mettre le cap, je n’arriverai qu’au bout de vingt ans50.
Sénèque n’est plus ici le spectateur de la baignade cacophonique de la lettre 56, mais il se fait acteur d’un plongeon en pleine mer, sans que cette action soit toutefois traitée positivement sur le modèle de nos sports extrêmes. La représentation de la baignade facilite une nouvelle fois la mise à nu de l’épistolier devant son destinataire. Le philosophe livre un moment de faiblesse, où il a cédé à la panique, offrant l’image d’une baignade laborieuse due à des accès de nausées. Néanmoins, à l’intérieur de ce tableau pittoresque, nous trouvons des éléments qui visent à assurer une cohérence, au sein de l’intégralité de la correspondance, du motif de la baignade. Comment expliquer sinon ce passage où Sénèque rappelle son habitude de baigneur en eau froide ou ce détail quelque peu étonnant qui le voit changer de tenue, pour adopter le maillot de bain de l’époque ? Ces représentations, en outre, se doublent d’un habile jeu poétique, d’abord de mise à distance vis-à-vis de Virgile, comme pour signifier que l’état de panique qui a été le sien s’oppose au domaine de l’épopée, pour mieux plonger ensuite dans l’univers de l’Odyssée. La représentation de sa baignade en mer lui permet d’opérer un rapprochement pittoresque avec Ulysse et l’on peut se demander pourquoi le héros homérique, modèle d’intelligence de la lettre 56, voit son image ici quelque peu dégradée. Mais peut-être ce passage a-t-il une vertu essentiellement allégorique : Sénèque use d’une habile rhétorique pour faire comprendre à son destinataire qu’il n’est pas un sage accompli mais simplement un proficiens, un progressant sur la voie de la sagesse.
Le perfectionnement moral s’apparente à une démarche de longue haleine et c’est pourquoi le philosophe stoïcien revient, à la fin de la lettre, sur l’attitude que Lucilius doit observer à l’égard de la philosophie :
Qu’elle soit donc l’objet de toutes tes pensées ; tiens-toi en sa présence, vénère-la. Il se fera un intervalle immense entre toi et le reste des hommes. Tu dépasseras de beaucoup toutes les créatures mortelles ; les dieux ne te dépasseront pas de beaucoup. Tu veux savoir quelle sera la différence entre eux et toi ? Ils dureront davantage. Mais, en vérité, c’est le propre d’un grand artiste d’avoir su enfermer le tout dans un espace insignifiant. Le sage est aussi à l’aise dans son existence que le dieu dans la suite des siècles. Et il est un point par où le sage dépasse le dieu : celui-ci doit à sa nature de ne point connaître la crainte ; notre sage le doit à lui-même51.
Nous comprenons désormais mieux pourquoi son plongeon en pleine mer au début de la lettre était évoqué de manière pittoresque, sans que soit glorifiée sa baignade de l’extrême : en construisant sa lettre sur la représentation de la baignade en mer, Sénèque cherche à prouver à son correspondant la toute-puissance de la sagesse. Les références aux épopées maritimes servent un objectif philosophique précis : mettre à distance le monde des hommes, des dieux et des héros pour finalement se concentrer sur l’essentiel. Or l’analyse des représentations de la baignade au sein du discours nous a permis de comprendre que la sagesse s’incarne, poétiquement, par la mise en scène d’un dialogue intérieur, dans le cas présent, avec l’univers mythique et fondateur des épopées virgilienne et homérique.
Au cours de cette étude, nous avons repéré certains invariants de la poétique sénéquienne lorsqu’elle s’attache aux représentations associées à la baignade, qu’elle s’effectue en pleine mer, en « piscine » privative de villa ou en établissement thermal. De toute évidence, Sénèque connaît et revendique la capacité de la forme épistolaire à explorer la notion de « soi52 ». La lettre 83 présente d’ailleurs l’examen de conscience comme une activité rituelle à laquelle la pratique du bain fait poétiquement écho. Par l’intermédiaire de la représentation du bain, « [l]e sage permet ce retour sur soi et, si ce n’est la prise de conscience, du moins l’expérience de l’illusion d’une intériorité multiple et protéiforme53 ». À ce titre, la baignade est l’occasion de rencontrer des « autres » qui nous mènent à nous-mêmes : par la situation d’intimité qu’elle met en scène, elle rend possible l’union, la κρᾶσις, qui fonde l’amitié stoïcienne54. La répétition des mêmes images servirait en fait la finalité morale du discours55 qui a pour vocation essentielle de donner à penser, d’apprendre à lire et, partant, à méditer56. Le style sénéquien apparaît alors comme une méthode philosophique d’une « modernité surprenante57 ». La représentation de la baignade, sur le plan métapoétique, entraîne une appropriation littéraire qui, nous l’avons vu, se joue notamment dans le processus de citation, mais, au-delà de ces considérations esthétiques, la lettre sénéquienne se donne à lire comme une « conduite », une « pratique sensible » et, surtout, « une pratique de soi58 ». Se voulant exercice spirituel en même temps que création littéraire, elle s’appuie sur les représentations dont l’esprit de Lucilius est rempli, pour les mettre à l’épreuve, les réorienter, et finalement livrer un ensemble fantasmatique59 nouveau et ordonné selon la doctrine stoïcienne.