Marco Modenesi, Maria Benedetta Collini, Francesca Paraboschi (dir.), « La Grâce de montrer son âme dans le vêtement », Scrivere di tessuti, abiti, accessori. Studi in onore di Liana Nissim

Milan, Ledizioni, 3 vol., 2015

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Marco Modenesi, Maria Benedetta Collini, Francesca Paraboschi (dir.), « La Grâce de montrer son âme dans le vêtement », Scrivere di tessuti, abiti, accessori. Studi in onore di Liana Nissim, Milan, Ledizioni, 3 vol., 2015

Texte

Marco Modenesi, Maria Benedetta Collini et Francesca Paraboschi ont voulu rendre hommage à leur collègue Liana Nissim, dont on connaît l’importante activité universitaire et scientifique par trois volumes admirables en diversité et en qualité, dont le thème est consacré aux tissus, vêtements et accessoires dans la littérature et qui ensevelissent de la plus belle manière notre amie de l’Université de Milan sous les velours, soies, dentelles, damas, brocarts, tulles et autres. Les trois volumes (1 500 pages) de La Grâce de montrer son âme dans le vêtement réunissent des articles rédigés en français ou en italien par d’éminents spécialistes, classés par ordre chronologique. Il est évidemment impossible en quelques lignes de rendre compte de ces très nombreux essais qui constituent une somme admirable sur l’importance du vêtement chez les écrivains.

La première période allant du quattrocento au xviiie siècle consacre maints chapitres à Montaigne, Pierre de Brach, Madame de Lafayette, Rétif de la Bretonne, La Bruyère, Molière, Madame de Sévigné, Charles Sorel, Christine de Pizan, Rousseau, Sénac de Meilhan, mais aussi aux emplois figurés des vêtements dans les dictionnaires, dans les proverbes, les ekphrasis vestimentaires chez Rémy Belleau, dans le roman de Colonna, tout comme la mode à la cour, ce qui est l’occasion pour l’abbé d’Aubignac de fustiger dans sa Relation du Royaume de Coqueterie (1654) le luxe et la vanité. C’est également l’occasion de livrer des aperçus historiques sur les extravagances de la mode au temps des derniers Valois ou le trousseau de Marguerite de France. On n’oublie pas les descriptions superlatives des contes de fées, aussi bien chez Perrault que chez madame d’Aulnoy toujours enclins à évoquer la pompe et la richesse des parures. Mais l’importance sociale du vêtement pour marquer son rang fait aussi place à la vanité de ces atours dans des textes à connotation plus religieuse.

Le second volume qui va du xixe siècle au tournant du siècle est également riche de références aux grands auteurs du siècle qui sont beaucoup plus sensibles qu’auparavant à la sensualité des étoffes, à leurs bruits (tout un chapitre est consacré au frou-frou), à leurs odeurs, mais qui restent également fort avertis des codes sociaux qui leur sont liés. Les toilettes de bal font ainsi l’objet d’une attention toute particulière, tout comme les matériaux, velours, soies, dentelles, laine ou les accessoires que sont les chapeaux, les feutres, les casquettes que les romanciers réalistes comme Zola, Balzac, Maupassant décrivent avec précision. Éventails et bijoux ne sont pas en reste, tout comme les voiles qui ne demandent qu’à être dévoilés chez les Messalines, la nudité devenant un thème socio-esthétique particulier chez Zola. La mode qui avait donné lieu précédemment à la satire du courtisan et de l’homme à la mode s’affiche désormais dans des journaux, dans les affiches des magasins de nouveautés, dans l’ostentation du jeune homme qui se rendant à Paris veut se « désangoulêmer ».

La période contemporaine ne laisse pas d’être aussi riche. Les arts de la mode dans le Congo urbain et chez les sapeurs, la mode française à New York vue par Edith Wharton, la garde-robe du commissaire Maigret ou d’Arsène Lupin, ou l’art de se vêtir chez Jean-Philippe Toussaint avec la robe en sorbet ou Marguerite Yourcenar avec le détail révélateur ou les vêtures historiques, se vêtir en tailleur Chanel dans le théâtre de l’absurde de Ionesco, les enjeux culturels chez Michel Tremblay, les couleurs gidiennes, la quête d’identité chez Ghelderode, autant de perspectives mises en valeur, comme le sont également les remarques linguistiques sur le chapeau, les mots à la mode dont G. Dotoli remarque la totale solidarité avec la société, ou encore la terminologie dans les manuels de couture, avec leurs emprunts, leurs néologismes et métaphores, et les représentations sociolinguistiques (du tailleur à la burka) ou le chassé-croisé entre l’italien et le français dans le vocabulaire des vêtements. Une perspective anthropologique retrouve chez Théophile Gautier le sens du travestissement sur la mode comme peau de l’homme (« Le vêtement à l’époque moderne, est devenu pour l’homme une sorte de peau dont il ne se sépare sous aucun prétexte et qui lui adhère comme le pelage à l’animal, à ce point que la forme réelle du corps est de nos jours tout à fait tombée en oubli. Toute personne un peu liée avec des peintres, et que le hasard a fait entrer dans l’atelier à l’heure de la pose, a éprouvé, sans trop s’en rendre compte, une surprise mêlée d’un léger dégoût, à l’aspect de la bête inconnue, du batracien mâle ou femelle posé sur la table. ») Nous sommes loin ici des costumes mondains évoqués par un Proust. À la Recherche du temps perdu est plusieurs fois sollicitée pour souligner le symbolisme des voiles noirs du deuil ou des robes de linon blanc et la hiérarchie des codes sociaux chez Odette de Crécy ou chez le marquis de Saint-Loup dont le chic et l’élégance fait contraste avec l’habit noir de Charlus.

Les identités sexuelles, que ce soit les robes d’Emma Bovary ou le sari vert du roman d’Ananda Devi, ou encore les charges affectives que recèlent les robes chez Marie NDiaye font écho à la photographie entre déguisements artificiels et intimité recherchée chez Hervé Guibert et Annie Ernaux, et le cinéma qui impose des styles. Comme chez Tournier, on peut dire que tout fait signe et qu’habit et habitus se répondent (chez Némirovsky).

Dans cette ample moisson, les habits et coutumes africaines ne sont pas absents, on s’en doute, Liana Nissim étant avec la revue Ponts une grande spécialiste des littératures africaines. Aussi est-on intéressé par des approches originales sur les tissus imprimés à la cire en Afrique occidentale, les représentations du bijou maghrébin entre tradition et modernité, les pagnes et les boubous de l’Afrique subsaharienne dans les romans de M. Bâ, C. Belaya, Kourouma, Monénembo, etc., les sapeurs dans l’œuvre romanesque d’Alain Mabanckou, le sari vert d’Ananda Devi pour la littérature mauricienne, et Abdelkébir Khatibi, Mehdi Charef et Abdelwahab Meddeb pour la littérature maghrébine.

De l’habit au théâtre participant de la définition du personnage tragique à la nudité ou aux singuliers vêtements des peuples sauvages, l’ouvrage balaie dans son ensemble une variété d’approches et de thèmes qui confirme, s’il en était besoin, l’importance du vêtement dans l’œil des écrivains dans leur fonction sociale, économique et symbolique, un sujet inépuisable auquel des trois volumes apportent une ample et fort riche moisson.

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Alain MONTANDON, « Marco Modenesi, Maria Benedetta Collini, Francesca Paraboschi (dir.), « La Grâce de montrer son âme dans le vêtement », Scrivere di tessuti, abiti, accessori. Studi in onore di Liana Nissim », Sociopoétiques [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 06 juin 2023, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=490

Auteur

Alain MONTANDON

CELIS, Université Clermont Auvergne

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