Alain Montandon (dir.), Dictionnaire du dandysme,

Paris, Honoré Champion, 2016, 728 p.

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Alain Montandon (dir.), Dictionnaire du dandysme, Paris, Honoré Champion, 2016, 728 p.

Texte

Tout chercheur entamant son enquête sur le dandysme se pose la question lancinante : d’où partir pour cerner ce phénomène ? « De l’histoire ou de la littérature, du document ou du mythe, de l’exactitude des faits ou de la vérité imaginaire1 ? » se demande Henriette Levillain. S’il est évident, continue-t-elle, que « le dandysme n’a laissé ni doctrine, ni code, ni manifeste, n’a inventé ni école ni mouvement », on peut avancer l’hypothèse, ajoute-t-elle, qu’il « n’y a pas en réalité un dandysme mais des dandysmes. Pas plus qu’il n’y a d’un côté des dandys historiques et de l’autre des œuvres dandys, mais, en revanche, des dandys qui se confondent avec leurs œuvres et des œuvres qui réagissent à leur tour sur des dandys2. »

Bien qu’il existe de nombreux ouvrages analysant l’aspect mythique, philosophique, sociologique, historique, littéraire de ce courant, il manquait une somme qui présenterait le dandysme dans tous ses états, capable d’intéresser aussi bien les initiés que les dilettantes. Le Dictionnaire du dandysme sous la direction d’Alain Montandon comble cette lacune, en répertoriant sur plus de sept cents pages les traits les plus pertinents de cette démarche tout à fait exceptionnelle pour défendre la liberté et la beauté qu’a été le dandysme, ainsi qu’en se penchant sur les plus illustres de ses partisans.

La première section de l’ouvrage présente des notions essentielles du phénomène en permettant au lecteur d’entreprendre une sorte de voyage au cœur du dandysme, voire de toucher son essence3. Nous retournons aux débuts du courant qui est venu en France de l’Angleterre, nous faisons aussi la connaissance de nombreux « frères spirituels » du dandy : les Beaux, les Bucks, les fashionables, les muguets, les mirliflors, les macaronis, les muscadins, les incroyables et bien d’autres. Les articles parfaitement documentés prouvent que le dandy n’est pas un simple être à la mode ; au contraire, il invente tout un mode d’être. Grâce à sa suprême élégance, il sort de l’anonymat pour se montrer à autrui en tant qu’un homme rebelle qui suit ses propres règles.

Tout en étant amateur de la solitude, le dandy ne peut pas se passer de spectateurs, de juges attendant avec impatience sa représentation. Il se consacre à composer sa vie comme une œuvre d’art, enrichissant tout le temps son répertoire de gestes surprenants, de remarques provocatrices pour, sans en être étonné, étonner son public. Contrairement à la société de bon ton qui se conforme humblement à la courtoisie, le dandy oscille entre un « cynisme viscéral tout juste ceint d’un savoir-vivre de façade et une méchanceté grossière et gratuite faite de silences lourds d’une bouleversante éloquence, de moues dédaigneuses, de rictus sardoniques, de comportements outranciers et de sentences outrageantes4 ». Il n’hésite pas à manipuler, triompher et abandonner ses victimes, ou à se suicider, mû par le besoin de se mettre en scène jusqu’à la fin.

Conscient d’être le « souverain futile d’un monde futile5 », le dandy trouve dans la création de son moi qu’il sculpte, lime et cisèle la défense contre la fuite du temps. Il plaît en déplaisant, renie la nature pour prôner le culte de l’artifice, s’oppose au vulgaire et au quotidien, affirme l’inutilité de toute action. Il s’abrite derrière différents masques qui cachent ses mystères et le protègent de la curiosité des intrus. Soulignons qu’il engage dans cette entreprise son impassibilité qui lui sert d’armure solide pour qu’il puisse paraître imperturbable. Il affiche un mépris ostentatoire pour l’argent qui n’a jamais représenté pour lui autre chose qu’un moyen de parvenir à ses fins. En effet, le dandy ne permet jamais à l’argent de limiter sa liberté. Il en va de même pour le travail : la journée du dandy se déroule selon un programme rigoureux de tâches obligatoires. Ainsi, il serait non seulement irresponsable, mais surtout impensable de perdre du temps en le consacrant à un emploi utilitaire. En effet, l’utilité est un mot qui bouleverse le dandy, et c’est pour lui le comble de la honte lorsqu’il doit tout de même se résigner à travailler pour gagner sa vie, après avoir perdu sa fortune.

Toute sa vie est subordonnée au refus permanent : tout d’abord, le refus d’un individu exceptionnel qui ne veut pas subir le joug de la réalité ambiante, donc le refus de la compagnie des gens vulgaires, dénués d’ambition. Ensuite, le refus de sensibilité, donc le devoir de se montrer blasé et insensible. Le dandy renonce à l’amour car il le priverait de sa souveraineté et le rendrait dépendant de la femme qu’il juge par nature inférieure : aimer « c’est toujours dépendre, c’est être esclave de son désir6 ». Finalement, le refus de l’idée même du progrès qui est dépourvu de sens étant une « doctrine de paresseux, d’individus incapables de se séparer du groupe, morale de chacals et non de lions7 ». Nous avons ainsi affaire à un homme qui se révolte, qui se dérobe à toutes sortes de soumissions car son ambition est de demeurer libre dans ses choix. Or, indépendant, le dandy est tout de même la victime d’un double esclavage : celui des normes implacables et non écrites du dandysme et celui des principes imposés par la société auxquels il ne peut non plus déroger. Même si son règne ressemble à une dictature, il doit constamment travailler à maintenir sa position tout en étant conscient que son pouvoir ne lui est définitivement octroyé.

Une partie de l’ouvrage est consacrée aux attributs et accessoires du parfait dandy qui ne se limite pas à porter son habit, qu’il soit noir ou noir râpé. Il le perfectionne, comme il perfectionne les poses recherchées ou l’ironie comme masque préféré. Lorsqu’un jour d’automne Robert de Montesquiou compose son vêtement dans une harmonie de gris, on lui pose la question : « Comte, vous êtes en deuil ? » […] – Oui, des feuilles mortes ! », répond-il8. On a dit, note Émilien Carassus, que « le comble de l’art, pour le dandy, était de ne point se faire remarquer ; c’est inexact. Le dandy doit être remarqué, mais sans avoir recours aux moyens trop voyants9 », il proclame donc la nécessité de l’accessoire insignifiant et gratuit. En effet, le dandy enrichit le style d’un minuscule trait personnel, il invente tout un répertoire des attributs, à partir de la cravate de George Brummell, des gants pastel parfumés d’Eugène Sue, à travers les cannes d’Honoré de Balzac jusqu’à l’œillet vert à la boutonnière d’Oscar Wilde ou au camélia à celle de Robert de Montesquiou. N’oublions de mentionner le rite du cigare qui, selon Giuseppe Scaraffia, « fait du dandy un prestidigitateur métaphysique. Il le conduit en effet à dissoudre la réalité environnante, à jouir de l’instant et à dénoncer le néant de ce qui est au-delà10. »

Or, le dandysme n’aurait pas survécu s’il n’avait été qu’un ensemble d’originaux préoccupés de la recherche de la beauté et de l’exceptionnel. C’est l’interdépendance des phénomènes historique, littéraire et mythique qui a sauvé de l’oubli et a immortalisé ces individus si différents. Ainsi, une section du Dictionnaire présente entre autres Balzac, Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Roger de Beauvoir, Max Beerbohm, Paul Bourget, George Brummell, Byron, Jean Cocteau, Colette, D’Annunzio, Delacroix, Drieu La Rochelle, Marcel Duchamp, Fitzgerald, Gainsbourg, Théophile Gautier, Les Goncourt, Jean Lorrain, Pierre Loti, Stéphane Mallarmé, Mantegazza, Marinetti, Robert de Montesquiou, Henri Montherlant, Alfred de Musset, Marcel Proust, Rachilde, Roqueplan, Schmitz, Stendhal, Eugène Sue, Villiers de L’Isle-Adam, Oscar Wilde.

La dernière partie de l’ouvrage montre la richesse des personnages dandys qui parcourent les œuvres de Musset (Desgenais, Mardoche), Balzac (Charles Grandet, Henri de Marsay, Maxime de Trailles, la Palférine, Savinien de Portenduère, Rastignac, Rubempré, Victurnien d’Esgrignon), Jean Lorrain (Monsieur de Bougrelon, Monsieur de Phocas), Joris-Karl Huysmans (Jean Floressas des Esseintes), Lermontov (Piétchorine), sans oublier les figures de Don Juan ou Pierrot dandy. De toute une galerie d’incarnations possibles des dandys surgit le portrait complexe et riche en contradictions qui dément les clichés et stéréotypes sur ces êtres apparemment artificiels. Derrière l’allure splendide et l’élégance raffinée, on retrouve un individu séduisant et repoussant en même temps, protégeant ses secrets derrière un masque et donnant un spectacle permanent. Les articles s’interrogent sur les vertus et les vices du dandy en analysant « un je ne sais quoi qui fait le mystère de son charme et le charme de son mystère11 ».

Analyser la grandeur et la décadence du dandysme, ses splendeurs et ses misères, tel est le but de ce Dictionnaire. Tout en se heurtant contre une muraille de contradictions, près d’une cinquantaine d’auteurs se sont proposés d’étudier différentes expressions de ce phénomène qui se nourrit justement de l’interdépendance de ses nombreuses origines. Comme le note avec justesse Marie-Christine Natta, « les dandys narguent les académies et se dérobent aux curiosités. Leurs individualités les rendent inclassables, et leur mystère masque le secret de leur nature. Le mot dandy suppose donc un infini pluriel et une singularité indéfinie12. » Pour conclure, citons les paroles de Leon Płoszowski, le héros du roman Sans Dogme de Henryk Sienkiewicz, qui résume ainsi son destin dandy : « tel qui n’a pas l’éclat persistant du soleil peut au moins briller de la lumière rapide d’un météore13. » À notre avis, on peut traiter cette pensée comme une des définitions possibles du dandysme. D’ailleurs, nous retrouvons le développement de cette pensée chez Giuseppe Scaraffia :

Le dandysme naît à l’instant précis où coexistent le rêve et la réalité qui, pour autant, ne perdent rien de leurs respectives essences et de leur intensité. Plus précisément, le dandysme se situe au point d’intersection du rêve et de la réalité, à l’instant suprême où un météore, sur le point de s’écraser, est encore une étoile incandescente et pas encore une pierre sans éclat14.

1 H. Levillain, Avant-propos au Petit dictionnaire du dandy de Giuseppe Scaraffia, Paris, Éd. Sand, 1988, p. 11.

2 Ibid., p. 12.

3 Anglomanie, Anti-dandys, Argent, Art de (dé)plaire, Artifice, Avant-gardes, Avatars, Boulevard, Célibataire, Chic, Dandy militaire, Décadence

4 Valérie d’Alkemade, Dandys. Abécédaire impertinent du dandysme et des néo-dandys, Bruxelles, Soliflor, 2007, p. 158.

5 Jules Barbey d’Aurevilly, Du dandysme et de George Brummell, Paris, Les Éditions de Paris, 2008, p. 17.

6 Ibid., p. 46.

7 Émilien Carassus, Le Mythe du dandy, Paris, Armand Colin, 1971, p. 77.

8 Cité d’après Philippe Jullian, Robert de Montesquiou, Un prince 1900, Paris, Librairie académique Perrin, 1962, p. 102.

9 Émilien Carassus, Le Mythe du dandy, op. cit.,p. 101.

10 Giuseppe Scaraffia, Petit dictionnaire du dandy, op. cit., p. 94.

11 Maxime Foerster, L’Art d’être odieux. Nouveaux essais sur le dandysme, Paris, Éditions Jean Paul Bayol, 2010, p. 24.

12 Marie-Christine Natta, La Grandeur sans convictions, Paris, Éditions du Félin, 2011, p. 13.

13 Henryk Sienkiewicz, Sans Dogme, traduit du polonais par le comte A. Wodzinski, Paris, Calmann-Lévy Éditeur, 1895, p. 18.

14 Giuseppe Scaraffia, Petit dictionnaire du dandy, op. cit., p. 137.

Notes

1 H. Levillain, Avant-propos au Petit dictionnaire du dandy de Giuseppe Scaraffia, Paris, Éd. Sand, 1988, p. 11.

2 Ibid., p. 12.

3 Anglomanie, Anti-dandys, Argent, Art de (dé)plaire, Artifice, Avant-gardes, Avatars, Boulevard, Célibataire, Chic, Dandy militaire, Décadence, Élégance, Étonnement, Être et Paraître, Excentricité, Femme Dandy, Genre(s), Jeunes-France, Loisir/oisiveté, Masque, Mélancolie, Narcissisme, Originalité, Préciosité, Snob, Vampire, Vanité.

4 Valérie d’Alkemade, Dandys. Abécédaire impertinent du dandysme et des néo-dandys, Bruxelles, Soliflor, 2007, p. 158.

5 Jules Barbey d’Aurevilly, Du dandysme et de George Brummell, Paris, Les Éditions de Paris, 2008, p. 17.

6 Ibid., p. 46.

7 Émilien Carassus, Le Mythe du dandy, Paris, Armand Colin, 1971, p. 77.

8 Cité d’après Philippe Jullian, Robert de Montesquiou, Un prince 1900, Paris, Librairie académique Perrin, 1962, p. 102.

9 Émilien Carassus, Le Mythe du dandy, op. cit., p. 101.

10 Giuseppe Scaraffia, Petit dictionnaire du dandy, op. cit., p. 94.

11 Maxime Foerster, L’Art d’être odieux. Nouveaux essais sur le dandysme, Paris, Éditions Jean Paul Bayol, 2010, p. 24.

12 Marie-Christine Natta, La Grandeur sans convictions, Paris, Éditions du Félin, 2011, p. 13.

13 Henryk Sienkiewicz, Sans Dogme, traduit du polonais par le comte A. Wodzinski, Paris, Calmann-Lévy Éditeur, 1895, p. 18.

14 Giuseppe Scaraffia, Petit dictionnaire du dandy, op. cit., p. 137.

Citer cet article

Référence électronique

Edyta KOCIUBINSKA, « Alain Montandon (dir.), Dictionnaire du dandysme, », Sociopoétiques [En ligne], 2 | 2017, mis en ligne le 07 juin 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=493

Auteur

Edyta KOCIUBINSKA

Université Catholique de Lublin JP II

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