Dis‑moi quel est ton sexe, je te dirai qui tu es ! L’aphorisme, pourtant concis par hypothèse, pourrait bien refléter assez largement les enjeux posés par la question de la mutabilité de la mention du sexe à l’état civil. Tandis que la première partie de la formule – « dis‑moi quel est ton sexe » – interroge la détermination de ce sexe, la seconde – « je te dirai qui tu es » – interroge les finalités de cette détermination. De la jonction de ces éléments, progressivement transformés, est née une mutabilité de la mention du sexe à l’état civil, objet d’inquiétudes tout autant que de revendications. La compréhension de cette mutabilité, au même titre que l’emploi de ce terme, n’est cependant pas aisée, et pour cause. Au commencement, point de définition légale du sexe alors que l’appréhension sexuée des individus dans les textes est relativement importante. Elle est conséquente car si « avoir un sexe, c’est être, au regard du droit, un homme ou une femme […] c’est également être un père ou une mère, un mari ou une femme1 » ; dernières qualifications qui, aujourd’hui, n’offrent pas plus de véritables certitudes. L’assurance de ce qu’est juridiquement, sinon un mari, au moins un père ou une mère, n’est plus2 et, précisément, la mutabilité de la mention du sexe à l’état civil n’est pas étrangère à la difficulté.
À s’en tenir au Code civil, de multiples articles mentionnent expressément les père et mère ou l’un d’eux. Il en est question s’agissant :
- du mariage3,
- du nom4 et du prénom5 de leur enfant,
- d’obligation de respect6,
- de domiciliation du mineur7,
- ou plus largement d’autorité parentale8,
- d’obligation alimentaire9 ou de subsides10,
- de responsabilité délictuelle11,
- ou encore de filiation12,
bastion s’il en était un, de ces terminologies, même si les termes, tout aussi sexués, de paternité ou de maternité13 leur sont parfois préférés. Bien que résiduelle, la référence au mari et à la femme n’a quant à elle pas complètement disparu avec l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ainsi les témoins appelés pour être présents au testament « pourront être de l’un ou de l’autre sexe, mais le mari et la femme ne pourront être témoins dans le même acte14 » ; de même que « le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct15 ». La persistance de ces qualificatifs est surprenante dès lors que, dans le cas présent, l’expression d’époux pourrait aisément y être substituée. Plus encore, il arrive que les références sexuées se cumulent, à l’image du célèbre article 312 du Code civil affirmant que :
L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari16.
Outre le recours aux notions de père et mère, mari et femme, très ancré dans une dimension familiale, les termes d’homme et de femme sont également usités dans et hors le Code civil. En mettant de côté l’Homme avec un grand H, tel qu’envisagé à l’article 1240 du Code civil, ses occurrences sont, lorsqu’on les déconnecte du statut conjugal, assez discrètes au sein du Code civil17. Dans les autres Codes, excepté les dispositions liées à la femme enceinte ou ayant accouché18, cette référence à la femme ou à l’homme tend, majoritairement, à satisfaire deux objectifs. Il s’agit, ou bien d’assurer l’égalité ou la parité entre les sexes19, ou bien, dans une moindre mesure, de prévoir, au regard du ou des sexes considérés, des dispositions spécifiques. Ainsi,
Une prise en charge sanitaire adaptée à leurs besoins est assurée aux femmes détenues […]20.
Dans le même ordre d’idée, l’hébergement des travailleurs saisonniers requiert des pièces de sommeil21 et des sanitaires22 séparés pour les hommes et les femmes, etc. D’autres textes visent expressément, l’« information sur les droits des femmes […]23 » ou « les violences faites aux femmes24 ».
Pareille approche sexuée des individus n’est permise que dans la mesure où, préalablement, est organisée l’identification et l’individualisation de chaque personne dans la société. Dualité de fonction assignée à l’état des personnes25 et dont le sexe est, pour l’heure, l’une des composantes26. Le sexe concourt ainsi, au côté d’autres éléments27, à l’élaboration du portrait juridique28 que dessine l’état des personnes et que consigne l’état civil29. Il manifeste toutefois sa spécificité en étant, avec l’âge dans une moindre mesure30, un des rares critères d’identification physique de la personne.
Dire de quelqu’un qu’il est un homme ou une femme permet une représentation mentale de l’individu31.
Ce que ne permet pas le nom, ni même le prénom, sauf à renvoyer à une image sexuée de la personne.
Reste que pour assurer opportunément ce rôle d’identification et d’individualisation, les éléments constitutifs de l’état des personnes, dont le sexe, ne sauraient être complètement instables. En refusant d’abandonner l’état des personnes au jeu des volontés individuelles32, imprévisible et évolutif, le principe d’indisponibilité de l’état des personnes33 est assurément au service de cette stabilité. Pourtant, aujourd’hui, il est permis de discuter, sinon de la persistance du principe34, au moins de son efficience concernant certains éléments constitutifs de l’état des personnes. C’est vrai pour la mention relative au sexe. Si l’état des personnes « est désormais sommé de participer à rendre effectif un droit à l’épanouissement personnel35 », alors, à n’en pas douter, les évolutions relatives à cette mention en sont une parfaite traduction. En la matière, la volonté, assise de cet épanouissement personnel, n’a de cesse de se déployer. Acteur désormais incontournable de la détermination de son identité sexuelle, l’individu tend à prendre le contrôle de cette identité36. Partant, la mutabilité, entendue comme le « caractère de ce qui est sujet au changement37 » est patente. Les changements tributaires des volontés de chacun, qui mettent manifestement à mal le principe d’indisponibilité de l’état des personnes, ne sont toutefois pas les seules causes de mobilité de la mention relative au sexe. La mutabilité de cette mention n’opère ni dans les mêmes proportions, ni pour les mêmes circonstances, qu’il soit question pour un individu de revendiquer l’autre sexe que celui attribué à la naissance ou de revendiquer la neutralité sexuelle. A priori, conquise dans la première hypothèse (I), la mutabilité ne serait que perceptible dans la seconde (II).
I. Revendiquer l’autre sexe : une mutabilité conquise ?
La possibilité de changer la mention de son sexe à l’état civil, en revendiquant l’autre sexe que celui attribué à la naissance, est établie. Plus encore, la faisabilité du changement est pour le moins aisée. L’évolution des conditions consacre l’autodétermination et illustre avec force l’affaiblissement du principe d’indisponibilité de l’état des personnes (A). Néanmoins, à ce changement s’attache une portée encore parfois circonscrite. C’est sur ce point que se cristallise actuellement l’essentiel du contentieux. En certaines occasions en effet, la conciliation du changement de sexe à l’état civil, pourtant actée, avec d’autres considérations, s’avère délicate voire impossible. Peut‑être est‑ce là une forme de résistance du principe d’indisponibilité ou, à tout le moins, la survivance de quelques reliques (B).
A. L’autodétermination acquise dans son principe
L’histoire, désormais bien connue, est celle, d’une libéralisation continue. Par une série d’arrêts intervenus entre 1975 et 1990, la Cour de cassation a opposé un refus aux demandes formulées par les transsexuels. Invariable dans son refus, elle avait en revanche rapidement fait évoluer sa motivation. L’argument originel d’opposition qu’avait été justement l’indisponibilité de l’état des personnes38 avait fini par être supplanté par des considérations plus scientifiques que juridiques. Taisant ledit principe, elle évoquait, tour à tour ou cumulativement :
- l’absence de modification du sexe génétique,
- l’insuffisance des considérations d’ordre psychologique ou social,
- le caractère volontaire des traitements réalisés39.
L’abandon du principe d’indisponibilité, vraisemblablement jugé trop peu convaincant face à une forme de fronde des juges du fond40, démontrait déjà son affaiblissement. L’évolution aura été inutile puisque, condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme41, la Cour de cassation a été contrainte de faire droit aux demandes de modification d’état civil42, quoiqu’elle se soit efforcée de poser de strictes conditions. Ainsi, non content d’adopter un comportement en adéquation avec le sexe revendiqué, encore fallait‑il que le demandeur atteste :
- d’un syndrome transsexuel,
- d’un traitement subi dans un but thérapeutique,
- et d’une perte du sexe anatomique d’origine43.
En outre, elle exigeait que le caractère thérapeutique du traitement réalisé soit constaté par une expertise judiciaire44. Une circulaire45 avait bien tenté d’infléchir les exigences de la haute juridiction, recommandant notamment de ne recourir à l’expertise qu’en cas de doute sur la réalité du transsexualisme46. La Cour de cassation était demeurée sourde à ces préconisations, estimant probablement qu’il appartenait au législateur d’intervenir. Ce fut chose faite, enfin, avec la loi de 201647. L’autorisation de changement sous étroites conditions s’est alors muée en un véritable droit à l’autodétermination48. Désormais, toute personne majeure ou mineure émancipée49, peut obtenir la modification de la mention de son sexe à l’état civil en démontrant, par une réunion suffisante de faits, que cette mention ne correspond pas au sexe « dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue […]50 ». Se présenter publiquement comme appartenant au sexe revendiqué et être connu sous ce sexe par son entourage51 suffit à faire droit au changement, sans que l’absence de traitements médicaux ou chirurgicaux ne puisse fonder un refus52. Dernière restriction que ne saurait admettre la Cour européenne des droits de l’homme53. Ce faisant la volonté devient autosuffisante54. Elle suffit d’autant plus qu’il n’est de contradicteur possible. Qu’est‑ce que se comporter comme un homme ou se présenter comme une femme, sauf à s’affirmer comme tel ? Répondre à ces questions, pour soutenir que pareille démonstration n’a pas été faite en l’espèce, est impossible. On ne peut considérer que l’identité sexuelle est subjectivement arrêtée par tout un chacun et, dans le même temps, exiger la démonstration de critères objectifs d’appartenance à un sexe. La mention relative au sexe est à l’évidence tributaire des volontés. Le constat s’impose avec davantage d’acuité que non seulement, aucun délai de possession du sexe revendiqué n’est exigé – contrairement à la possession d’état en droit de la filiation, avec laquelle la comparaison est souvent soutenue55 –, mais de surcroît, sans surprise, rien n’interdit dans les textes des retours en arrière, des va‑et‑vient d’un sexe à l’autre. Soumis aux flottements des ressentis identitaires, le sexe n’est plus voué à s’inscrire dans la durée56. La mention relative au sexe devient mobile dans son principe et l’indisponibilité n’est plus, sauf à en trouver une trace à peine perceptible dans le caractère judiciaire de la procédure57. Si la « démédicalisation58 » de la procédure n’est pas, pour le moment, associée à une déjudiciarisation, c’est principalement dans la portée encore parfois circonscrite du changement obtenu que l’empreinte du principe d’indisponibilité apparaît.
B. L’autodétermination circonscrite dans sa portée
Bien que la volonté ait pu permettre un rattachement juridique à l’autre sexe, la transposition de ce changement à certains aspects de la vie de l’intéressé ne va pas toujours pouvoir se déployer sans heurts. Outre la visibilité du changement de sexe à l’état civil, par son indication en marge de l’acte de naissance du demandeur59 – pouvant déjà sembler limiter la portée d’un changement qui n’efface pas complètement le sexe d’origine60 – certaines situations soulignent les limites d’un changement pourtant juridiquement acté.
La compétition sportive est l’une de ces situations. De plus en plus, les femmes athlètes ayant changé juridiquement, mais non physiquement de sexe, ce que le droit ne les contraint pas de faire, se voient refuser l’accès aux compétitions. Opérant une distinction avec les personnes intersexuées, la Cour européenne paraît justifier cette exclusion par le fait que :
L’avantage dont elles bénéficient est dû à l’inégalité inhérente à leur naissance en tant qu’homme61.
La formule est obscure. Les femmes intersexuées n’ont‑elles pas, elles aussi, une constitution physique initiale qui les avantage ?
La Cour suggère‑t‑elle que la différence serait que les femmes transgenres ont choisi le changement de sexe contrairement aux femmes intersexes qui n'ont pas choisi leur condition ?62
À dire vrai peu importe. Nul besoin pour ce qui nous concerne de juger de la pertinence d’une telle motivation ou du bien‑fondé de cette exclusion au regard de l’équité sportive. Il importe et il suffit d’observer que le fait d’avoir changé la mention de son sexe à l’état civil ne conduit pas toujours à être pleinement assimilé au sexe nouvellement acquis. Plus justement, en matière sportive, ce sont les hommes devenus femmes qui voient la portée de leur changement de sexe circonscrite. La femme devenue juridiquement homme n’est pas objet d’une attention particulière des différentes instances sportives dans la mesure où leur sexe d’origine ne risque pas d’entraîner une concurrence sur le terrain des performances sportives63.
L’incarcération est une autre situation qui atteste de la portée parfois limitée du changement de la mention du sexe à l’état civil, particulièrement lorsque ce changement n’est que juridique. L’arrêt du Conseil d’État du 9 décembre 202164 est à ce titre éclairant. Dans cette affaire, un homme écroué depuis 2012, obtient, en 2021, la modification de la mention de son sexe à l’état civil tout en conservant ses attributs masculins. Placé à l’isolement depuis cette date, afin d’assurer sa protection, l’intéressé considérait être l’objet d’un traitement inhumain et dégradant et faisait observer que :
Son maintien en établissement pénitentiaire pour hommes méconnaît l'effectivité d'une décision de justice dès lors que son changement d'identité sexuelle a été ordonné par jugement […]65.
Après avoir rappelé que le profil pénal de l’intéressé66 nécessitait une étude approfondie pour déterminer l’établissement adapté, la haute juridiction administrative avait relevé les mesures arrêtées « aux fins d’assurer une prise en charge de l’intéressé respectueuse de sa dignité et de son identité sexuelle67 ». Elle a constaté qu’il lui est permis :
- de porter des vêtements féminins dans sa cellule,
- d’acheter des produits cosmétiques,
- de bénéficier de promenades sans être au contact d’autres détenus,
- ou encore d’être dispensé de fouilles par palpation.
In fine, la demande, qui visait à remettre en cause l’ordonnance du juge des référés a été rejetée. L’objet restreint de la décision n’empêche pas la mise en exergue de la difficulté à donner de la consistance à un changement de sexe qui ne s’est pas traduit physiquement. À ce propos, et même si l’arrêt n’en fait pas mention, il n’est pas inintéressant de questionner les droits des autres femmes détenues. N’ont‑elles pas le droit de ne pas être exposées à la masculinité physique de leur codétenu et celui de préserver leur propre exposition ?
La filiation, qui ne permet rien de moins que le rattachement d’un enfant à ses père et mère, est un autre domaine qui démontre la portée circonscrite du changement de sexe à l’état civil. Privé de caractère rétroactif, ce changement est sans effet sur les filiations établies avant cette modification68. Cela étant, les naissances postérieures à ce changement de la mention du sexe à l’état civil ne garantissent pas toujours un rattachement à l’enfant en conformité avec le sexe nouvellement acquis. Plusieurs arrêts, qui instaurent la cacophonie en droit de la filiation69, prouvent la complexité d’une prise en compte effective du changement de sexe à la lumière des règles du droit de la filiation. Il en est ainsi lorsqu’un homme marié, devenu juridiquement femme tout en conservant la fonctionnalité de ses organes masculins, conçoit un nouvel enfant avec son épouse. Face à cette même situation, les juridictions du fond françaises, ont tour à tour retenu :
- la nécessaire adoption plénière de l’enfant70 ;
- une désexualisation de la filiation en indiquant la requérante comme « parent biologique71 » ;
- l’établissement d’une filiation maternelle au moyen d’une action en reconnaissance judiciaire de maternité, inventée pour l’occasion72.
De son côté, la Cour de cassation peine à imposer l’exigence d’une reconnaissance de paternité73, en contradiction avec le sexe nouvellement acquis. Du reste, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas vu dans le refus d’inscrire la filiation de l’enfant en conformité avec le sexe nouvellement acquis, en dépit d’un changement de sexe antérieur à la conception de l’enfant, une violation des dispositions de la convention74.
À l’opposé, mais dans un sens défavorable aux revendications de certains, le changement juridique de sexe, est pleinement pris en compte en matière d’accès à l’assistance médicale à la procréation. Exclusivement réservée aux femmes, seules ou en couple75, les hommes, anciennement femmes, qui auraient conservé leur capacité à mener une grossesse, ne sauraient y prétendre76, sauf à être en couple avec une femme.
Le changement de la mention du sexe à l’état civil n’est, par conséquent, pas totalement opérant dans sa portée. Il en découle une mutabilité de la mention du sexe actée sans être véritablement conquise. Revendiquer la neutralité sexuelle offre un autre angle d’observation quant à la mutabilité de cette mention.
II. Revendiquer la neutralité sexuelle : une mutabilité perceptible ?
Certes, le refus jurisprudentiel du sexe neutre témoigne d’une forme de persistance, voire de résurgence, du principe d’indisponibilité de l’état des personnes, mais parce que ce refus impose une détermination d’appartenance à un sexe (A), il n’induit pas pour autant une stabilité de la mention du sexe à l’état civil. Tout au contraire, l’impérativité de cette détermination rend perceptible la mutabilité de la mention du sexe (B).
A. L’impérativité d’une détermination
Il y aurait dans le monde, 1,7 % de personnes intersexuées77, autrement dit de personnes pour lesquelles le sexe « ne peut pas être déterminé de façon univoque sur le plan biologique78 » compte tenu du fait que :
Les marqueurs de la différenciation sexuelle ne sont pas tous clairement masculins ou féminins79.
Pourtant, que les individus soient placés dans cette situation spécifique, ou qu’ils se ressentent psychologiquement et socialement comme n’appartenant à aucun des deux sexes, le droit exige une détermination sexuelle que devra énoncer l’acte de naissance de l’enfant80. Plus précisément, la Cour de cassation a estimé que la loi française ne permettait pas de faire figurer à l’état civil l’indication d’un sexe autre que féminin ou masculin81. Selon elle,
La dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur82.
Elle avait ajouté que :
La reconnaissance par le juge d'un “sexe neutre” aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination83.
Enfin, pour repousser toute idée d’atteinte disproportionnée au droit à la vie privée du requérant, la Cour de cassation avait approuvé l’appréciation de la cour d’appel selon laquelle le requérant aurait « l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin84 ». Ce raisonnement par analogie avec le transsexualisme est curieux. À supposer qu’il soit permis de dire comment se comporte un homme ou une femme dans nos sociétés contemporaines occidentales, le requérant pouvait‑il avoir le comportement adéquat, c’est‑à‑dire celui d’un individu qui n’agit ni comme une femme ni comme un homme ? Dit autrement, quelle attitude reflète la neutralité ? Par prudence ou ignorance, les juges français se gardent bien de fournir quelques éléments d’explication.
L’argumentaire a néanmoins emporté la conviction de la Cour européenne des droits de l’homme qui a refusé d’y voir une violation des dispositions de la convention85. Choix de société86, absence de consensus européen87, respect du principe de séparation des pouvoirs88 et pertinence du principe d’indisponibilité de l’état des personnes89 – considérablement revivifiés – ont pesé davantage que les intérêts protégés du requérant. L’affirmation est au moins vraie pour le moment, la Cour ayant pris soin de rappeler que :
La Convention est un instrument vivant, qui doit toujours s’interpréter et s’appliquer à la lumière des conditions actuelles […]90.
Ce refus d’alternative à la binarité des sexes marque les limites d’une volonté individuelle qui ne peut pas tout. Bridée, elle ne peut conduire à l’indication de la mention « sexe neutre » ou « intersexe », tandis que, dans le même temps, le principe d’indisponibilité de l’état des personnes renaît de ses cendres. Malgré tout, il n’est pas certain que la mention relative au sexe ne soit pas, en pareille hypothèse, fragilisée dans sa stabilité.
B. L’instabilité de la détermination
Afin de concilier l’impérativité d’une appartenance à un sexe avec la difficulté éventuelle à identifier ce sexe, non seulement le droit permet que la mention relative au sexe à l’état civil soit différée dans le temps, mais aussi sa rectification ultérieure, dernière possibilité qui ne doit pas être confondue avec un changement de la mention du sexe qui reste possible et est même tout à fait plausible eu égard aux circonstances.
Alors que l’indication du sexe dans l’acte de naissance doit, en principe, se faire dans les cinq jours qui suivent l’accouchement91, le Code civil prévoit que :
En cas d'impossibilité médicalement constatée de déterminer le sexe de l'enfant au jour de l'établissement de l'acte, le procureur de la République peut autoriser l'officier de l'état civil à ne pas faire figurer immédiatement le sexe sur l'acte de naissance92.
Dans ce cas, l’inscription du sexe, « médicalement constaté93 », interviendra à la demande des représentants légaux de l'enfant ou du procureur de la République dans un délai qui ne peut être supérieur à trois mois à compter du jour de la déclaration de naissance94. La circulaire du 8 septembre 202395, relative à l’état civil des personnes intersexuées, expose la manière dont l’acte initial omettra la rubrique correspondant au sexe et dont il résulte un sexe en attente.
La mention, laissée vierge un temps, pourra, une fois indiquée, être l’objet d’une rectification s’il s’avère, à la suite de nouvelles constatations médicales, que le sexe retenu ne correspond pas au sexe de la personne96. Cette demande judiciaire97 de rectification peut être faite à tout âge, pour les mineurs et les majeurs, sans être enfermée dans aucun délai et sans laisser de traces sur la copie de l’acte intégrale98. Il convient de relever qu’à aucun moment il n’est prévu de solliciter le consentement de l’intéressé durant sa minorité et ce, quel que soit son âge. La démarche des titulaires de l’autorité parentale, sur constatation médicale, suffit99. L’enfant, dont l’intérêt supérieur est garanti et qui doit pouvoir exprimer ses opinions sur ce qui le concerne100, n’est pas partie prenante. Il ne consent pas101 car l’indétermination du sexe est réglée en droit français non en permettant un libre choix, mais par la manifestation d’un constat qui ne peut‑être que médical. Le « “vrai sexe” est présupposé102 », aux médecins de le trouver ! Par la suite, si ce constat médical ne correspond pas au ressenti de l’intéressé, alors point de rectification possible. Il faudra en passer par la procédure en changement de la mention du sexe à l’état civil103. La Cour européenne des droits de l’homme pourrait voir dans cette approche un motif de sanction. Il est une chose de refuser la neutralité sexuelle, il en est une autre d’imposer, en situation de doute, un caractère sexuel sans y associer l’intéressé capable de discernement104.
Pour l’essentiel les volontés sont donc tenues à distance lorsque le sexe est difficile à déterminer, non seulement parce que cette détermination relève bien plus de l’observation médicale que d’une manifestation de volonté, mais aussi parce qu’elle est enfermée dans deux options uniques : féminin ou masculin. La mention de ce sexe à l’état civil n’en demeure pas moins instable. Nonobstant les risques sérieux de demande de changement ultérieur, puisqu’en dépit des difficultés à identifier le sexe, celui‑ci a été arrêté, voire rectifié, en marge des volontés du principal intéressé, la mention relative au sexe est laissée vide, avant d’être complétée, puis possiblement rectifiée de façon invisible, étant précisé que les textes ne limitent pas le nombre de rectifications éventuelles.
Mention différée, mention rectifiée et mention objet de demande de changement abandonnées aux volontés, il est peu de dire que la mention du sexe à l’état civil est muable. Qu’il faille ou non le regretter, nul n’en sera surpris. Après tout, la flexibilité caractérise le droit contemporain lui‑même. Mais alors, à chacun son sexe à chacun son droit, devient difficilement opérant et doit être repensé, à commencer par la sanction des violences ou de la discrimination sexiste car si sexe tu n’as pas, discriminé sur ce critère tu ne peux être.