Entretien avec Maryvonne Arnaud

Regarder en face

Texte

Figure 1.

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Lesbos / 21 janvier 2016.

©Maryvonne Arnaud.

Maryvonne Arnaud, photographe, plasticienne, est intervenue avec Philippe Mesnard le 18 janvier 2022 à la MSH de Clermont-Ferrand dans le séminaire « Sociopoétique de l’étape » dirigé par Françoise Le Borgne et Alain Montandon. Lors de cette séance consacrée aux « impasses du lieu de transit », elle présentait ses créations : En vie (2016) et En attente (2017), montages de photographies prises à Lesbos et à Chios, lieux de transit pour les migrantes et migrants fuyant la Syrie et l’Afghanistan.

À l’issue de cette rencontre, Maryvonne Arnaud s’est prêtée à un entretien proposé par Françoise Le Borgne, Catherine Milkovitch-Rioux et Nathalie Vincent-Munnia.

Comment est né le projet qui a abouti à la réalisation de vos deux œuvres En vie et En attente ?

MA : Cette première question est à la fois simple et compliquée. Je pourrais répondre en quelques lignes mais en réalité elle interroge depuis l’origine mon travail de photographe/artiste. Elle questionne ma manière d’être au monde. Ma réponse pourrait être un roman, mais où commencerait ce roman ? Pas facile à déterminer, ce pourrait être un roman en partie autobiographique et parfois imaginé. À quel moment l’imagination remplacerait les défaillances de la mémoire ? Je vais vous épargner mon enfance mais il me semble que je n’ai jamais pu rester simple spectatrice des événements du monde, les images et les commentaires télévisés ou médiatiques en général ne fournissaient jamais les réponses à mon incompréhension face à la violence, aux injustices dans le monde. Aller sur place s’est vite imposé comme une nécessité. J’ai longtemps et naïvement espéré comprendre en m’approchant plus près des événements, comprendre l’incompréhensible, comprendre quelle part de notre humanité se jouait dans ces situations inhumaines extrêmes. Plus humblement, cela m’a permis d’apprendre un peu la géographie, d’interroger l’histoire, de faire des rapprochements et de me poser de nouvelles questions. Mes questions sont la plupart du temps restées en suspens mais j’ai chaque fois croisé des femmes et des hommes d’une immense richesse humaine qui forçaient mon admiration, ce qui m’a souvent poussée à revenir sur ces lieux de tragédie.

Pour revenir aux deux films En vie et En attente, ces « deux films » sont des éléments d’une exposition et ont été réalisés à des moments différents – En vie/mai 2016, En Attente/octobre 2017 – et dans une urgence différente. Ce travail sur les migrations en Méditerranée a commencé à germer dans mes pensées il y a longtemps alors que les regards du monde se tournaient vers la Sicile, l’île de Lampedusa, Malte ou encore vers Gibraltar. Je me suis approchée de ces lieux sans arriver à mettre en œuvre un projet qui donnerait à voir mon ressenti, qui raconterait différemment ces mouvements migratoires. Je ne trouvais pas ma place. C’est finalement suite à un travail sur les guerres en Tchétchénie, mené sur le terrain, à Grozny, en Ingouchie et dans des camps de réfugié·e·s aux portes de l’Europe, en Pologne et en Turquie et exposé au MUME, musée mémorial de l’exil à La Jonquera, ville frontière passionnante, que j’ai eu le désir d’interroger la notion de frontière. Je voulais alors travailler sur les frontières intra-européennes et extra-européennes. Les frontières m’ont toujours aimantée, franchir une frontière ne me laisse jamais indifférente, cette absence de changement et cette évidence de changement reste une énigme pour moi. Lieux de bascule qui ont une identité propre, qui condensent les trafics, les échanges, les sentiments, les peurs et qui affirment et aplanissent les différences, passage si simple pour certains et impossible pour les autres. Ce souhait est resté en attente.

L’été 2015 est arrivé avec ses milliers de réfugié·e·s qui fuyaient principalement la guerre en Syrie ou le régime des talibans en Afghanistan. Ils et elles arrivaient par vagues sur les îles grecques face à la Turquie, espérant trouver une Europe accueillante. À l’automne 2015, l’image du petit Aylan échoué sur une plage en Turquie a provoqué une vague d’émotion mondiale, suivie de centaines d’images, de reportages arrivant aussi par vagues au rythme des drames. Une vague poussant une autre vague, un drame en effaçant un autre. Je n’ai pas ou peu regardé ces images, redoutant que ce déferlement organise l’oubli du drame humain que représente chaque vague. Des questions incessantes m’assaillaient – et aller voir de près s’est là aussi imposé.

En janvier 2016, je suis partie, en ne me fixant ni limite de temps, ni obligation de résultat, un simple billet d’avion « aller-simple » jusqu’à Lesbos et l’autorisation de rentrer les mains vides. J’avais l’idée d’une forme : un film en pièces détachées où les spectateurs fabriqueraient leurs propres films. J’imaginais constituer un réservoir d’images avec des photos de lieux, des photos de paysages, de personnes, d’objets et aussi une bibliothèque de sons, des paroles, des témoignages, des sons d’ambiance. Chaque spectateur ou spectatrice pourrait choisir son décor, mer, camp, montagne, un ou plusieurs personnages, des voix, hommes ou femmes, un paysage sonore, le contraignant ainsi à s’impliquer, à se positionner et peut-être à s’assimiler aux personnages choisis. La première image de Lesbos fut lors de mon arrivée en avion par jour de mauvais temps, l’aéroport étant situé en bordure de mer, sur la côte est, à côté de Mytilène ; nous survolions la côte avant l’atterrissage. L’île était ourlée d’un immense ruban orange en continu et je mis quelques minutes à comprendre que ce trait était constitué de milliers de gilets de sauvetage abandonnés sur les plages par les migrants et migrantes au moment de leur débarquement. Je sus à cet instant-là que je resterais là un grand nombre de jours.

Jour après jour, j’ai photographié, regardé, écouté, enregistré, aidé, tentant de comprendre ce que je voyais mais étant sûre que j’assistais à un moment historique. Cette île condensait tous les sentiments imaginables, toutes les émotions. Des courants contraires la parcouraient mais tout était visible, le meilleur et le pire se côtoyaient. Un condensé du monde échouait là, vague après vague, chaque détail prenait du sens, des milliers de fils à tirer pour résoudre des énigmes. Des bénévoles venus du monde entier aidaient, des Grecs peu argentés apportaient du thé chaud et des vêtements, d’autres cuisinaient gratuitement, certains vendaient très chers leurs services, les pêcheurs scrutaient l’horizon et repéraient dans la nuit les embarcations fragiles qui très loin tanguaient en croisant d’immenses tankers de marchandises, des trafiquants dépeçaient les bateaux échoués, récupéraient les moteurs et l’essence si par bonheur il y en avait eu assez pour la traversée, la police contrôlait, enregistrait les personnes, tentait de faire un tri, les journalistes photographiaient, filmaient, les organisations humanitaires soignaient, nourrissaient, habillaient, tentaient d’organiser l’arrivée dans les camps, les arrivants espéraient un avenir meilleur, les politiques discutaient. Les échanges entre la Turquie, l’UE et principalement la chancelière allemande rythmaient les arrivées des bateaux pendant que le commerce des passeurs florissait.

Figure 2.

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Le Pirée / 16 mars 2016.

©Maryvonne Arnaud.

J’ai collecté beaucoup de matériaux : photos, sons, objets, témoignages et après quatre semaines passées entre Lesbos, Chios et Athènes, je suis rentrée en France en sachant que je repartirais très rapidement. J’ai défriché mes photos, écouté les bandes-son, commencé à sélectionner des séries d’images et début mars je suis repartie.

La situation s’était dégradée, les camps débordaient, Athènes saturait, elle ne pouvait plus accueillir de nouveaux migrant·e·s, les lieux d’accueil ne se vidaient plus. Certains pays à l’intérieur de l’Europe fermaient leurs frontières, les migrant·e·s étaient retenu·e·s sur les îles ; il était devenu impossible de pénétrer dans les camps qui ressemblaient de plus en plus à des camps de rétention, il était devenu interdit de photographier, interdit d’aider, regarder la mer était devenu suspect. Les relations humaines se dégradaient très vite, relation entre migrant·e·s de différentes origines, relation entre les habitant·e·s des îles et les migrant·e·s, relation entre la police et les volontaires, relation au sein des familles en exil, relation entre journalistes et humanitaires, relation entre habitant·e·s et journalistes… La conjoncture heureuse était détruite. Des tensions parcouraient les îles, des courants et contre-courants agitaient les uns et les autres, des pensées contraires et les espoirs contrariés diffusaient leurs relents dans toute l’Europe, certains pays prenant seuls et autoritairement la décision de fermer leurs frontières. J’ai suivi le même chemin que les migrants et migrantes qui voulaient se rendre en Allemagne et je me suis, comme elles et eux, retrouvée bloquée à la frontière entre la Grèce et la Macédoine, à Idoméni le 18 mars 2016 suite aux accords entre l’UE et la Turquie. Personnellement, avec mon passeport européen et ma carte bleue, je n’étais pas bloquée mais un sentiment de honte tellement grand m’a envahie devant ce camp improvisé où s’entassaient de jour en jour de plus en plus de personnes ! 150 000 femmes, hommes, enfants qui voient leurs espoirs, leurs efforts anéantis en quelques heures, par une décision prise par des gouvernements, offraient une image de désolation totale, tentes installées à la va-vite dans la boue, bâtiments abandonnés squattés, wagons de trains à l’arrêt habités. Il faisait très froid, tout servait de bois de chauffage, l’air était irrespirable.

Comment s’est faite la rencontre avec Erri De Luca, qui a écrit les textes lus dans En vie ?

MA : Je suis rentrée avec un sentiment d’urgence et j’ai présenté ce travail en cours à la directrice du CHRD (Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation) à Lyon qui m’a proposé de le montrer rapidement au sein d’une exposition qui avait lieu à ce moment-là dans le Musée. C’est aussi à ce moment-là que j’ai croisé Erri De Luca avec qui j’ai échangé trois mots mais qui a immédiatement accepté d’écrire des textes originaux à partir de photos et m’a proposé d’utiliser les textes de mon choix de son livre Aller simple. Tout ceci est une histoire de conjoncture, d’énergie, de savoir saisir au vol les incidents de la vie, de désir, de volonté, de hasard, d’urgence. C’est cette conjoncture qui a permis la réalisation du premier film : En vie.

À quel moment s’est imposé à vous le choix du montage de photographies et de la bande-son ?

MA : C’est aussi à ce moment-là que j’ai fait la connaissance de Guillaume Robert, artiste vidéaste qui a accepté de travailler dans ce mouvement. Je lui ai expliqué ma volonté d’images qui défilent très vite, trop vite, et des arrêts sur certaines images pour entendre des voix, des mots. Je rêvais d’un texte par image, que le spectateur puisse arrêter le défilement pour entendre l’histoire de ce qu’il voyait, que ce soit un paysage, un oiseau, un objet ou une personne. Guillaume a écouté et interprété de façon réaliste mes pensées, il a beaucoup apporté dans le rythme final, plus détaché que moi de certaines situations, il a amené une distance nécessaire, des moments de ralentissement pour que le spectateur supporte l’ensemble. C’est aussi lui qui a amené la vague avec des moments de tension très intense. Les textes tombaient miraculeusement bien avec les images et nous avons coconstruit l’ensemble en quelques jours dans une belle complicité et une belle énergie.

Votre film interroge notre rapport à l’image et en particulier aux images de la migration. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

MA : J’interroge notre rapport aux images, j’interroge notre manière de regarder les images et les questions que l’on veut bien se poser face à une image. Que raconte la photographie d’un gilet de sauvetage abandonné sur une plage ? Une traversée dans des conditions dangereuses ? Une traversée par la mer organisée par des passeurs ? Fera-t-elle oublier qu’il existe une route ordinaire, interdite à une catégorie de personnes ? Dira-t-elle les gilets de sauvetage fabriqués par des enfants syriens en Turquie pour payer leurs traversées et ceux de leurs parents, gilets de sauvetage de contrefaçon, vendus très chers, et qui en cas de naufrage s’avéreront les entraîner au plus profond des abîmes égéens ? Ce gilet racontera-t-il qui l’a porté ? Était-ce un homme, une femme, un enfant ? D’où venait-il ? Était-il seul, était-il jeune ? Qu’avait-il dû abandonner pour échouer ici ? Combien lui avait coûté la traversée ? 1000 euros ? 800 euros ? Avait-il attendu un jour de mauvais temps pour payer moins cher la traversée ? Pour information, j’ai fait la traversée sur un bateau de ligne pour 8 euros. Une image seule aura du mal à dire tout cela, seule la curiosité qu’elle suscitera pourra peut-être informer.

Comment avez-vous sélectionné les images ou les séquences d’images retenues ?

MA : Lors de la prise de vue, mon intention de montrer le mouvement était déjà là et j’ai travaillé par séries, pas par rafales en mode automatique, je voulais faire la mise au point pour chaque photo, regarder qui je photographiais, croiser un regard, même un centième de seconde. Quand il s’agissait de personnes, je les ai toujours photographiées dans des moments où elles respiraient la dignité, la fierté d’avoir « réussi cette traversée », pour reprendre leurs mots. Au dérushage, j’ai éliminé les photos où je découvrais en les regardant un signe humiliant. La sélection s’est également faite en fonction du récit, qui respectait une certaine chronologie, et parfois aussi pour des raisons de qualité d’image.

Pouvez-vous situer votre démarche par rapport à une démarche journalistique ?

MA : C’est une question difficile. Je me sens très loin de la démarche journalistique, ce qui ne veut pas dire que je n’estime pas le travail de certains ou certaines journalistes. Dans ce contexte précis, je me suis moi-même posé cette question, car nous étions souvent en parallèle, sur le même terrain, avec un matériel similaire. Il me semble que la différence est peut-être dans un rapport au temps et aussi dans l’intention de départ, dans la capacité à saisir une réalité sans idée préconçue de ce que sera cette réalité et aussi dans la relation même très furtive qui s’établit avec la personne photographiée. Je n’attends jamais le sensationnel, je ne cherche pas l’image qui va faire le tour du monde. Nous produisons des images différentes, mais je ne sais pas expliquer où se situe la différence. Est-ce le centième de seconde où nous choisissons d’appuyer sur le déclencheur ou le regard que nous portons sur une situation ? Est-ce dans la plus grande conformité, chez le reporter, avec l’image attendue par son lectorat, un lectorat qui consacrera cinq secondes à une image, qui ne peut dès lors être ambiguë, alors que le visiteur d’une exposition s’autorisera plus de temps d’observation afin de cerner une image sous ses différentes facettes. Cette question m’intéresse et reste un mystère.

Figure 3.

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Idoméni / 20 mars 2016.

©Maryvonne Arnaud.

Le motif de la vague est omniprésent dans En vie, est-ce pour vous un motif structurant de votre travail ?

MA : La vague n’est pas un motif récurrent dans mon travail, elle est présente dans le film En vie car elle a un sens très fort dans ce lieu, à ce moment-là. Un habitant de Lesbos m’a dit : « La mer nous a toujours apporté le meilleur et le pire, c’est notre histoire ». Elle illustre les successions de bateaux qui échouent sur les plages et les successions d’informations qui échouent dans nos intérieurs, dans nos maisons et dans nos cerveaux. Une vague poussant une autre vague, grignotant lentement nos capacités à nous émouvoir, à réagir.

Vous avez fait le choix de protagonistes limités dans les deux films. Le rapport à la parole apparaît problématique : on voit les migrantes et les migrants mais on les entend peu ou pas. Pourquoi ce choix ?

MA : Comme je le disais au début de l’entretien, ces films (qui ne sont pas des films) sont des éléments d’une exposition qui s’appelait Mauvais temps et qui était construite comme un film en pièces détachées. C’est-à-dire que les visiteurs se construisaient leur propre film. Ils pouvaient écouter dans une partie de l’exposition des bandes sonores où l’on entendait des voix de migrant·e·s racontant leur trajectoire ou des paysages sonores ou des sons d’ambiance enregistrés dans les camps ou aux abords des camps, ce qui permettait aux personnes curieuses qui souhaitaient mieux connaître les personnages juste entraperçus dans le « non-film » de les écouter et d’associer une voix au visage de leur choix. Ce défilement rapide et ce décalage spatial entre la voix et l’image étaient aussi une manière de les protéger, de ne pas dénoncer. Dans un autre espace, des images fixes étaient tirées en grand format ; les visiteurs pouvaient se frayer un chemin parmi les vagues et les bateaux et regarder en face les visages des personnes qui arrivaient, s’attarder sur une personne ou une autre ou sur un groupe d’individus. Ils pouvaient aussi voir des objets perdus sur les plages, papiers d’identité, photos, cartes mémoire, négatifs, ainsi que le contenu de ces cartes qui montrait les vies abandonnées, les vies à oublier.

Dans quelle mesure votre démarche s’inscrit-elle dans un travail de mémoire ?

MA : Comme je le disais précédemment, j’ai eu le sentiment d’assister à un moment historique, à un tournant de l’Histoire. Dans chaque photographie, il y a une part documentaire, une part informative sur ce moment. Est-ce que mon travail s’ajoutera à d’autres pour fabriquer une Mémoire ? Est-ce qu’on peut parler de Mémoire avec un grand M comme on parle d’Histoire avec un grand H ? Comment se fabriquerait cette Mémoire ? Est-ce une accumulation de petites histoires individuelles, d’oublis ? Combien faut-il d’années, d’additions de points de vue, d’interprétations, de réécritures, de classements, d’organisations pour parler de Mémoire collective ? Seuls le temps qui s’écoule et le statut, la place de celui qui racontera l’Histoire, les histoires, décideront du statut de ce moment et de celui de ma démarche.

On voit beaucoup de tentes dans En Vie et surtout dans En attente. Comment les migrant·e·s que vous avez photographié·e·s parviennent-ils/elles à habiter l’étape ? Et à quel moment l’espoir se renverse-t-il en attente subie, en étape indésirée ?

MA : Les migrant·e·s pour la majorité fuient une situation de guerre, une situation où il n’est pas possible de vivre. Il ne me semble pas qu’ils et elles pensent à des étapes, ils sont en mouvement et franchissent les obstacles les uns après les autres avec l’espoir de trouver un lieu pour vivre, recommencer une vie, imaginer un avenir pour leurs enfants. Ils imaginent que ce lieu sera l’Europe, ils ne savent pas, une fois le premier pied posé sur la terre de Grèce, le nombre d’obstacles qu’il faudra encore franchir pour arriver dans un lieu où ils pourront redevenir la personne qu’ils sont, où ils pourront se reconnaître et envisager des projets autres que la fuite. Les étapes sont forcées, improvisées, souvent dangereuses, interdites et le temps passé là consiste à trouver comment partir.

Le deuxième film En attente réalisé après mon dernier voyage en février 2017 témoigne d’une situation qui se dégrade, il tente de montrer le temps qui ne passe pas et l’espoir qui s’amenuise. La vie n’arrive pas à s’organiser malgré les tentes offertes et installées en urgence par des organisations humanitaires. Parfois des cours de langues – anglais, grec – sont proposés ou des tentatives de scolariser les enfants sont faites, mais apprendre avec le poids des incertitudes s’avère très difficile, se projeter au-delà des cinq minutes suivantes est souvent impossible. Les esprits sont mobilisés par la question de savoir où trouver des toilettes, comment prendre une douche, où trouver à manger, comment faire chauffer un thé ou une soupe, et franchir par tous les moyens ce nouvel obstacle occupe les esprits de tous. Et aussi, pour des raisons très personnelles et certainement très profondes que j’ignore et malgré un chaos total, certaines personnes conservent au fil des jours une dignité et construisent un chez-soi avec quelques tissus et bouts de ficelles. Des bulles de résistance qui dégagent une identité, une intimité très forte, avec une organisation spatiale et temporelle qui rythme les jours. Parfois même un début de jardin sort du sol !

Illustrations

Figure 1.

Figure 1.

Lesbos / 21 janvier 2016.

©Maryvonne Arnaud.

Figure 2.

Figure 2.

Le Pirée / 16 mars 2016.

©Maryvonne Arnaud.

Figure 3.

Figure 3.

Idoméni / 20 mars 2016.

©Maryvonne Arnaud.

Citer cet article

Référence électronique

Françoise LE BORGNE, Catherine MILKOVITCH-RIOUX et Nathalie VINCENT-MUNNIA, « Entretien avec Maryvonne Arnaud », Sociopoétiques [En ligne], 7 | 2022, mis en ligne le 14 novembre 2022, consulté le 26 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1711

Auteurs

Françoise LE BORGNE

CELIS, Université Clermont Auvergne

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